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La pandémie entraîne une crise liée aux soins chez les femmes


Melani O’Leary sait bien comment le travail non rémunéré touche la nutrition, la santé, le niveau d’éducation et les moyens de subsistance des femmes des pays en développement, puisqu’elle travaille sur un rapport relatif au fardeau des soins qui pèse sur les femmes et les filles de ces pays. Cependant, elle n’a pas besoin de chercher bien loin pour trouver des similitudes au pays, ou pour voir comment la pandémie de COVID-19 a augmenté la quantité de travaux ménagers effectués par les femmes partout.

Une femme est assise à son bureau, devant un ordinateur. Une fillette est assise sur ses genoux et tape sur un ordinateur-jouet.

Melani O’Leary travaille comme spécialiste technique de la santé pour Vision mondiale Canada à partir de chez elle, avec sa fille Trinity sur ses genoux.

Mme O’Leary jongle entre son travail de spécialiste technique de la santé pour Vision mondiale Canada et la prise en charge de ses filles Capri, six ans, et Trinity, trois ans, tandis que sa famille est à la maison, à Toronto, en raison des directives de fermeture de la province.

« Même avec un mari qui m’aide, je passe la plupart de la journée avec un ou deux de mes enfants sur mes genoux, alors qu’il a beaucoup plus de temps de travail sans être dérangé dans son bureau au sous-sol », dit-elle. Mme O’Leary apprécie le fait de pouvoir travailler à distance dans un contexte de crise sanitaire mondiale, mais elle ressent la pression de devoir s’occuper de sa maison et de ses enfants. « C’est une lutte de part et d’autre. »

Elle entend à peu près le même son de cloches de la part d’autres femmes de la coalition d’organisations qui élaborent un nouveau cadre pour prévenir la malnutrition (en anglais). L’initiative examine comment les rôles et les responsabilités des hommes et des femmes, comme pour le travail non rémunéré lié aux soins, piège les femmes et les filles du monde entier dans un cycle de malnutrition, de pauvreté et de potentiel non réalisé.

La pandémie de COVID-19 a aggravé le problème, a constaté le groupe, puisqu’elle a réduit à néant des décennies de progrès réalisés qui ont permis de donner aux femmes et aux filles l’accès à la nutrition et à d’autres services essentiels, et peut-être « changé à jamais les trajectoires de leur vie ».

La pandémie a mis en lumière le rôle essentiel des femmes en tant que dispensatrices de soins rémunérés et non rémunérés et ses effets sur leur bien-être et leurs perspectives économiques. Dans le monde entier, les femmes effectuent environ trois quarts des tâches domestiques et, bien que les charges de travail non rémunérées aient augmenté pour tous pendant la pandémie de COVID-19, les femmes assument une plus grande partie des tâches liées aux soins et quittent le marché du travail plus souvent que les hommes, selon un rapport (en anglais) d’ONU Femmes. Une étude (en anglais) menée par Oxfam au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, aux Philippines et au Kenya a révélé que près de la moitié des femmes se sentent plus anxieuses, déprimées, surmenées, isolées ou physiquement malades en raison du fardeau accru des tâches domestiques découlant des mesures de confinement de la pandémie. En outre, un document de travail (en anglais) du Programme des Nations Unies pour le développement indique que les femmes ont une moins grande capacité à absorber les ralentissements économiques dus à la COVID-19. Cela s’explique par les revenus, les économies et la sécurité d’emploi des femmes qui sont inférieurs, ainsi que la surreprésentation des femmes dans les emplois informels, particulièrement dans les économies en développement.

Les programmes appuyés par le Canada portent sur le travail lié aux soins non rémunéré, l’emploi informel et les rôles de premier plan pour les femmes et les filles, car ils exacerbent l’inégalité de genre dans les sociétés en développement du monde entier. Ces efforts ont été intensifiés pour faire face à la crise croissante liée aux soins provoquée par la pandémie de COVID-19.

Un effet d’entraînement

Grâce à Born on Time (en anglais), un programme de Vision mondiale Canada, Aide à l’enfance – Canada et Plan International Canada au Bangladesh, en Éthiopie et au Mali, Mme O’Leary voit le problème que pose le rôle de dispensatrices de soins pour les femmes et les filles. « Cela crée un effet d’entraînement tout au long de leur vie », dit-elle. Un cercle vicieux peut apparaître : les femmes n’ont pas accès à l’éducation et aux compétences et sont contraintes de s’engager dans un travail, même s’il est mal rémunéré, ce qui diminue leur voix, leur valeur et leurs possibilités de prise de décision au sein du ménage. Il les expose également à des pratiques néfastes, telles que la violence fondée sur le et le mariage d’enfants.

Elle mentionne que les femmes et les filles sont également plus vulnérables aux crises, de façon directe et indirecte. « Quand un autre bouleversement comme la COVID survient, cela peut vraiment déstabiliser l’écosystème délicat dans lequel elles vivent déjà », explique Mme O’Leary. « Les répercussions de la pandémie sur les femmes et les filles sont bien plus dévastatrices que celles sur les hommes. »

Born on Time, qui bénéficie du soutien d’Affaires mondiales Canada (AMC) et de Johnson & Johnson, aide les femmes et les filles à reconnaître leur propre pouvoir et à agir en conséquence, explique Mme O’Leary. « Cela fait d’elles les agentes du changement qu’elles devraient être. »

Ce programme aide les femmes et les adolescentes à mieux comprendre leurs droits en matière de santé génésique et sexuelle, et elles apprennent à prendre des décisions concernant leur nutrition et leur hygiène personnelle. Le programme comprend également le travail avec des groupes locaux de femmes pour créer des fonds de prêts renouvelables qui peuvent être utilisés par les femmes pour payer des besoins essentiels comme les rendez-vous médicaux. Cela permet d’améliorer les résultats en matière de santé, d’augmenter les chances que les femmes vivent des grossesses saines et que les bébés naissent à temps. Les messages sur les panneaux d’affichage et dans les capsules radio ciblent les stéréotypes sexuels et les comportements à risque, ce qui renforce les efforts visant à réduire les taux de violence fondée sur le genre et de mariage précoce, explique Mme O’Leary. Le programme encourage également les hommes à s’occuper davantage des enfants et des tâches ménagères, ce qui a « modifié la dynamique du pouvoir dans les ménages, une transformation dont on a grand besoin pendant la pandémie », explique-t-elle.

Cibler les pères

Une femme et un homme tiennent un pot et un seau afin de récupérer l'eau qui s’écoule d'une pompe.

Un homme aide sa femme à puiser de l’eau dans un puits au Bangladesh. Photo : Plan International Bangladesh

L’engagement des hommes est une stratégie de base mise en œuvre dans le cadre d’un projet transformateur sur le genre de Plan International Canada appelé Améliorer les résultats liés à la santé des femmes et des enfants (Strengthening Health Outcomes for Women and Children – SHOW) (en anglais). Il met en place des « clubs de pères » qui encouragent les « masculinités positives », aidant ainsi les hommes à mieux comprendre l’égalité des genres. Cela inclut la nécessité de protéger et de promouvoir la santé et le bien-être de leur partenaire et de leurs enfants, ainsi que de favoriser une répartition plus équitable des tâches ménagères.

Saadya Hamdani, directrice de l’égalité des genres pour Plan International Canada, explique que le programme a été renforcé grâce au financement de la réponse à la pandémie d’AMC visant à faire face aux répercussions de la COVID-19 au Bangladesh, au Ghana, au Nigéria et au Sénégal. Elle souligne que des problèmes tels que la fermeture des écoles, l’ajout de corvées d’eau, d’hygiène et d’assainissement, ainsi que les soins aux enfants, aux personnes âgées et aux malades, ont entraîné une pauvreté temporelle, un « mal-être » physique et émotionnel pour les femmes et les filles « et un recul de l’inégalité entre les genres »

A man holds a young child in his arm.

Un membre d’un club de pères au Nigéria avec son enfant. Photo : Plan International Nigeria.

Le programme SHOW s’est donné pour mission de s’attaquer à ce fardeau supplémentaire des soins par l’entremise de discussions ciblées dans les clubs de pères. Ceux-ci se rencontrent maintenant virtuellement, par exemple en utilisant la plateforme WhatsApp ou en ligne, avec l’aide du programme pour qu’ils puissent payer eux-mêmes les appareils ou les données supplémentaires requises. Des activités de sensibilisation sont également menées auprès des dirigeants communautaires et des groupes de femmes afin de modifier les attitudes à l’égard des normes culturelles concernant des questions telles que la prise de décision au sein du foyer et la résolution des conflits, explique Mme Hamdani.

De plus, le programme encourage le soutien aux travailleurs de première ligne, principalement des femmes, qui effectuent des tâches de soins de santé rémunérées et bénévoles ayant « augmenté de manière exponentielle ». Ces emplois sont souvent stigmatisés, car ils impliquent une exposition possible au virus, et les femmes sont également confrontées au fardeau du travail de soins non rémunéré à domicile, ajoute-t-elle.

Améliorer les niveaux d’emploi

Une femme portant une blouse de laboratoire médical se tient devant une table d'examen médical.

Samar Omar travaille comme assistante de bureau de médecin. Photo : Dima Al-Qutub

En Jordanie, un projet intitule Women’s Economic Linkages and Employment Development (WE LEAD) (en anglais), financé par AMC et mis en œuvre par un consortium conjoint composé d’Entraide universitaire mondiale du Canada et des Canadian Leaders in International Consulting, s’efforce de renforcer l’autonomie des femmes en accroissant leur emploi dans le secteur de la santé. Il y parvient en réduisant les obstacles propres à chaque genre dans des domaines tels que la garde d’enfants, le transport, les milieux de travail sûrs et les normes sociales.

Le projet collabore avec des partenaires nationaux pour offrir une formation professionnelle et des stages à des femmes, comme à Samar Omar, une mère de cinq enfants qui a pu obtenir un emploi d’assistante de bureau de médecin dans un hôpital jordanien grâce au projet WE LEAD. Grâce à l’argent qu’elle y gagne, Mme Omar contribue aux frais de subsistance de son ménage, envoie ses enfants à l’école et a acheté une voiture pour la famille. « Après cette expérience, je vais certainement encourager mes enfants, en particulier mes filles, à travailler et à être indépendants », dit-elle.

Le programme WE LEAD a également appuyé la création d’une garderie dans un autre hôpital, ce qui a profité à Rawand Laith après qu’elle a eu un bébé. Le roulement de personnel et les absences à l’hôpital ont diminué après que la garderie y a été offerte.

Rawia Na’oum, spécialiste de l’égalité des genres du programme WE LEAD, explique que si les deux femmes ont fait des progrès en tant que mères au travail, elles faisaient partie, lorsque la pandémie a frappé, des employés de l’hôpital qui ont été licenciés pendant plusieurs mois parce qu’elles avaient des enfants à charge. Le programme WE LEAD s’efforce d’inverser ce préjugé sexiste dans les politiques et les pratiques des hôpitaux. « Surmonter ce genre de défis est un long processus », dit Mme Na’oum, « qui exige des interventions allant de la sensibilisation aux changements de politique. Nous espérons avoir une incidence positive. »

Les femmes « mises de côté »

L’augmentation des possibilités d’emploi pour les femmes est au centre d’un projet en Amérique centrale appelé « Promotion du développement économique rural des femmes et des jeunes dans la région de Lempa au Honduras » (PROLEMPA). Evelyne Morin, gestionnaire de programme chez CARE Canada, explique que l’objectif consiste à améliorer les moyens de subsistance des petits entrepreneurs et producteurs, en particulier les femmes, les jeunes et les populations autochtones dans le corridor sec appauvri de l’ouest du Honduras. Le programme, qui est mis en œuvre grâce à un consortium composé de CARE International, SOCODEVI, SAJE Montréal Centre, TechnoServe et SACO, ainsi qu’au travail d’une vingtaine d’organisations et d’institutions partenaires locales, soutient les efforts déployés par les femmes visant à cultiver le café et à développer le tourisme rural. Il tente également d’y accroître la voix des femmes, leur pouvoir de décision et leur taux de participation aux organes de gouvernance.

Tout cela est difficile dans le contexte des mesures de confinement de la COVID-19 et des restrictions relatives aux déplacements, dit Mme Morin. « Les femmes ont été mises de côté. » Leurs entreprises sont souvent des entreprises en démarrage informelles qui ont souffert, et les femmes sont moins susceptibles d’utiliser la technologie et d’obtenir des renseignements sur des questions telles que les efforts d’atténuation de la pandémie. »

Le projet PROLEMPA offre des crédits pour téléphone cellulaire ainsi que des téléphones aux femmes et aux dirigeants communautaires pour qu’ils puissent rester en contact les uns avec les autres et découvrir les programmes de soutien. Il propose de la nourriture, des trousses d’hygiène et des facteurs de production agricoles comme des semences et des engrais. Les publicités et les formations accroissent la sensibilisation et mettent en garde contre les risques d’une répartition inégale du travail lié aux soins non rémunéré, en expliquant aux hommes que « votre femme n’est pas la seule à devoir effectuer des tâches domestiques », explique Mme Morin. On a également aidé les femmes qui travaillent dans des entreprises artisanales à se recycler dans la fabrication de masques ou à cultiver et à vendre des légumes grâce au soutien du programme, ajoute-t-elle.

Objectif double

Au Kenya, une mesure de prévention de la COVID-19 qui visait à apprendre aux femmes à fabriquer du savon dans le comté de West Pokot, dans la région centrale du pays de la vallée du Rift, s’est transformée en une importante entreprise lucrative. L’entreprise s’inscrit dans le cadre du soutien financier d’AMC lié à la pandémie pour le programme Enhancing Nutrition Services to Improve Maternal and Child Health in Africa and Asia (ENRICH) (en anglais) mis en place par Vision mondiale Canada, Harvest Plus, la Société canadienne de santé internationale et Nutrition International au Bangladesh, au Kenya, au Myanmar et en Tanzanie.

Quatre femmes et un homme portant chacun un masque montrent le savon liquide qu'ils ont fabriqué dans des bouteilles et de grands seaux.

Le groupe de soutien aux mères de Mbara dans le comté de West Pokot, au Kenya, fabrique du savon. Photo : Personnel d’ENRICH

Antonina Yona, 30 ans, mère de quatre enfants, vit dans le village rural de Tokorion, où l’on extrayait auparavant de faibles quantités d’or dans les rivières boueuses de la région, du lever au coucher du soleil. Maintenant, elle peut rester à la maison et allaiter son bébé de deux mois, Methusela, pendant qu’elle fabrique le savon, ce qui « prend moins de temps et les bénéfices sont bons », dit-elle.

Comme les autres femmes du groupe de soutien aux mères de Mbara, Mme Yona consacre une partie de l’argent qu’elle gagne à l’achat d’aliments nutritifs pour sa famille. Elle aimerait investir dans des poulets destinés à la production alimentaire et commerciale, et prévoit d’utiliser l’argent pour faire pousser des légumes et payer les frais de scolarité de ses enfants.

La propreté s’est également beaucoup améliorée dans la maison de Mme Yona et parmi les membres de sa famille grâce à un meilleur accès au savon. Asrat Dibaba, chef de parti du programme ENRICH, déclare qu’une meilleure hygiène est un avantage à long terme pour les nouvelles entreprises de la région, où les infections diarrhéiques chez les enfants et les maladies de la peau sont courantes. Un autre avantage est le fait que les femmes apprennent à investir et à épargner, à ouvrir des comptes bancaires et à améliorer leur niveau de vie.

Étant donné que leurs communautés ont durement été touchées par les restrictions liées à la COVID-19, la fabrication de savon « a un double objectif » pour les femmes, dit-il. « Elles ont des revenus, elles contrôlent ces revenus, et cela leur donne un sentiment de pouvoir au sein du ménage et de leur communauté. ».

Il reste encore beaucoup à faire

Melani O’Leary, de Vision mondiale, est encouragée par les histoires de réussite issues des programmes comme Born on Time, ainsi que par le fait que le fardeau des soins attire l’attention en pleine crise de COVID-19. Cependant, elle s’inquiète de la façon dont la pandémie touchera la santé et le bien-être des femmes dans les années à venir.

« Lorsque les ressources sont réduites, les femmes vont assurément en pâtir », dit-elle. Les pénuries alimentaires entraînent une mauvaise nutrition pour les femmes, ce qui les rend plus vulnérables à la COVID-19, et il existe des problèmes sociétaux plus importants associés à la demande accrue de soins.

« Même au Canada, nous avons encore un long chemin à parcourir. Les femmes quittent le marché du travail, elles réduisent leurs heures de travail, elles abandonnent les postes de direction », admet Mme O’Leary. « Nos voix continuent à s’affaiblir et nous continuons à perdre le contrôle de notre corps, de notre bien-être et de notre avenir. »

Pour la coalition dont elle fait partie, il y a beaucoup de travail à faire pour « concrétiser » le cadre nutritionnel transformateur sur le genre afin qu’il puisse aider à prévenir la malnutrition dans le monde en développement. Néanmoins, un programme qui modifie les normes culturelles problématiques représente un début important, ajoute Mme O’Leary. « Nous avons donné aux femmes certaines compétences pour qu’elles soient plus résilientes dans le contexte de cette pandémie. »

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