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« L’insécurité culturelle : principale cause du populisme »

Remarques préliminaires présentées lors de la 22e conférence Forum 2000, intitulée
«“Democracy: In need of a critical update?”»

Prague, République tchèque, le 8 octobre 2018

Présenté pendant le panel :
 «Winners and Losers: Is Democracy Being Punished
for the ‘Sins’ of Global Capitalism? »

Stéphane Dion
Envoyé spécial du premier ministre du Canada auprès de l’Union européenne et de l’Europe et ambassadeur du Canada en Allemagne.

La question suivante a été posée à notre panel : « La montée actuelle du populisme est-elle la réaction directe à une mauvaise gestion de la mondialisation et du capitalisme? »

J’aimerais répondre que oui : le problème serait alors moins difficile à régler. Si la montée du populisme était principalement engendrée par les inégalités et pertes de mobilité sociale croissantes attribuées à la mondialisation économique, à la reconversion technologique et aux idéologies néo-libérales, nous aurions une raison supplémentaire de défendre la croissance inclusive et de créer :

Mais en dépit de la validité de ces politiques, elles ne nous protégeront pas de la montée du populisme, car ce phénomène est entraîné par une insécurité ethnoculturelle, plutôt que par une insécurité économique. Le populisme est un phénomène engendré par les valeurs plus que par les classes. Il s’agit du triomphe de la politique ethno-identitaire, qui met en avant la peur de la migration, de la diversité raciale et du pluralisme religieux, et en particulier la peur des frontières incontrôlées1.

Au Canada, ces dernières années, le gouvernement fédéral du premier ministre Justin Trudeau a fourni un soutien supplémentaire considérable pour aider les familles à faible revenu par l’intermédiaire de l’Allocation canadienne pour enfants, les personnes âgées en renforçant le régime de retraite du Canada, et les travailleurs pauvres en augmentant la prestation fiscale pour le revenu de travail. Bien que ces politiques soient utiles et souhaitables, elles n’immunisent pas le Canada contre une éventuelle vague populiste. Nous avons observé cette montée du populisme dans certains pays d’Europe où le taux de chômage est très bas et où la société demeure relativement égalitaire, la sécurité sociale, robuste et la croissance économique, enviable.

Mais définissons le populisme. Le populisme est une idéologie qui dépeint les peuples comme menacés par des élites corrompues, égocentriques et déconnectées. Il peut être déployé par l’extrême gauche (socialisme radical et anticapitalisme) ou par l’extrême droite (défense ou nostalgie d’une nation homogène, incitant des perspectives xénophobes).

Comme je l’ai dit, deux principales explications ont été avancées pour cette vague actuelle de populisme : l’insécurité économique et l’insécurité culturelle.  

Indubitablement, l’insécurité économique est un facteur sous-jacent, particulièrement pour la branche populiste d’extrême gauche. Dans les pays où le taux de chômage des jeunes atteignait 50 %, on aurait pu anticiper la montée de partis tels que Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, la France insoumise en France, ou Movimento Cinque Stelle en Italie.

Cependant, la variable la plus prédominante du populisme est celle de l’extrême droite, et son principal facteur est l’angoisse ethnoculturelle liée à la peur de la migration incontrôlée. La réaction culturelle négative à l’égard de l’immigration est de loin le principal facteur de prédiction du vote populiste de droite. Bien plus que l’anxiété ou la détresse économique, l’attrait du populisme est lié à un sens accru d’insécurité culturelle. Les partisans du populisme sont hostiles envers l’immigration et mettent l’accent sur des valeurs autoritaires telles que la stabilité, l’ordre et la tradition.

On pourrait presque dire « it’s NOT the economy, stupid », tant les électeurs sont influencés dans leurs préférences par leurs valeurs culturelles et identitaires plutôt que par leurs intérêts économiques. Pour eux « it’s the migration, stupid ».

Les populistes décrivent l’immigration (et l’Islam en particulier) comme une menace existentielle pour leur culture nationale et pour la civilisation occidentale. Partout, le populisme influence les plateformes et les discours des partis politiques traditionnels. Cela crée un paysage politique particulièrement difficile pour les partis de centre gauche, qui peinent à faire campagne et à bâtir leur crédibilité auprès des électeurs sur des enjeux tels que « l’identité » et la sécurité culturelle. Avec la polarisation du spectre politique, il devient plus difficile d’atteindre un consensus et d’établir les coalitions dont de nombreux systèmes électoraux européens ont besoin pour atteindre une gouvernance stable et efficace.

Les pays postcommunistes d’Europe centrale, d’Europe de l’Est et des Balkans constituent la seule région où les populistes battent régulièrement les partis traditionnels lors des élections. Ces pays sont de nouvelles démocraties et ont peu d’expérience récente avec l’immigration, particulièrement l’immigration non chrétienne, qu’ils perçoivent avec beaucoup d’appréhension2.

Nous ne devrions pas être surpris par le fait que les pays qui ont peu d’expérience avec l’immigration, en particulier l’immigration non blanche et non chrétienne, connaissent une réaction négative culturelle extrêmement forte à son égard. De la même manière, partout en Europe, ce sont des zones communautaires homogènes sur le plan racial ayant le plus faible pourcentage de personnes nées à l’étranger qui votent le plus pour les partis anti-immigration. Ces villes et zones rurales aiment leurs sociétés homogènes et ont peur du cosmopolitisme que l’on observe dans les grandes métropoles telles que Londres, Paris ou Vienne. De la même manière, aux États-Unis, « l’isolation raciale et ethnique des blancs à l’échelle du code postal est l’un des plus puissants facteurs de prédiction du soutien à Trump3sup> ». 

Partout, on trouve des villes et zones rurales homogènes sur le plan ethnique, vieillissantes, en déclin démographique, stagnantes sur le plan économique et dans l’incapacité de retenir leurs jeunes. Par conséquent, leurs membres perdent confiance en l’avenir de leur mode de vie. Les campagnes visant à restreindre l’immigration les attirent grandement en leur offrant l’espoir de protéger le monde qu’ils connaissent4.

Une peur de la reconversion démographique est également en jeu. De nombreux pays se sentent menacés à l’idée de l’immigration, particulièrement lorsque celle-ci est juxtaposée à l’émigration économique de leur propre population, qui entraîne un exode des cerveaux et une perte sociétale collective.

Dans les pays postcommunistes européens, dont certains ont failli disparaître au cours des deux derniers siècles ou du moins ont été dominés par diverses puissances impériales, une population vieillissante et incapable de se renouveler est particulièrement vulnérable à la rhétorique nativiste populiste. La peur existentielle de disparaître continue de faire partie de leur mémoire collective. Maintenant qu’ils peuvent finalement jouir de leur propre souveraineté, de grandes parties de leur population désirent un état homogène sur le plan ethnique en tant que filet de sécurité.

Par conséquent, la question principale est la suivante : Comment pouvons-nous trouver des moyens de rassurer nos populations quant à notre engagement à contrôler les frontières et à en défendre la sécurité physique, tout en honorant l’engagement normatif de promouvoir la sécurité, les droits et les perspectives d’avenir des demandeurs d’asile? De plus, comment pouvons-nous renforcer la confiance en l’inclusion en tant que condition de réussite d’un pays dans le contexte de la mondialisation?

Comme l’ont conclu Steven Levitsky et Daniel Ziblatt dans leur best seller How Democracies Die : « Peu de sociétés dans l’histoire ont réussi à être à la fois multiraciales et fondamentalement démocratiques. C’est notre défi. C’est également une occasion. » [TRADUCTION]5 Pour saisir cette occasion, le Canada, en tant que pays d’immigration et de démocratie libérale multiculturelle, est disposé à apporter sa contribution en comparant les meilleures pratiques, en apprenant des autres, et en collaborant en conséquence. De plus en plus la diversité culturelle deviendra un fait, et l’inclusion doit être le choix – le bon choix.


Notes de bas de page

1 « Le principal thème commun des partis autoritaires populistes des deux côtés de l’Atlantique est la réaction contre l’immigration et le changement culturel. Des facteurs économiques tels que le revenu et les taux de chômage sont des facteurs de prédiction du vote populiste incroyablement faibles. » [TRADUCTION] Ronald Inglehard et Pippa Norris, « Trump and the Populist Authoritarian parties: The Silent Revolution in Reverse », American Political Science Association, no 2 (juin 2017). https://www.cambridge.org/core/journals/perspectives-on-politics/article/trump-and-the-populist-authoritarian-parties-the-silent-revolution-in-reverse/FE06E514F88A13C8DBFD41984D12D88D#;
Voir également : Nicholas Carnes et Noam Lupu, « It’s Time to Bust the Myth: Most Trump Voters Were not Working Class », Washington Post, 5 juin 2017. https://www.washingtonpost.com/news/monkey-cage/wp/2017/06/05/its-time-to-bust-the-myth-most-trump-voters-were-not-working-class/?noredirect=on&utm_term=.c92345562754;
Roger Harding, « Key Findings: A kind-hearted but not soft-hearted country », 2017, The National Centre for Social Research’s British Social Attitudes 34. http://www.bsa.natcen.ac.uk/latest-report/british-social-attitudes-34/key-findings/context.aspx; Eric Kaufmann, « Immigration and White Identity in the West: How to Deal With Declining Majorities », magazine Foreign Affairs, 8 septembre 2017. https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2017-09-08/immigration-and-white-identity-west; Holger Lengfeld et Clara Dilger, « Cultural and Economic Threats: A Casual Analysis of the Party Identification with the Alternative for Germany (AFD) using the German Socio-Economic Panel 2016 », Zeitschrift für Soziologie, (édition d’août 2018). https://www.degruyter.com/view/j/zfsoz.2018.47.issue-3/zfsoz-2018-1012/zfsoz-2018-1012.xml; German Lopez, « Polls Show Many – Even Most – Trump supporters Really are Deeply Hostile to Muslims and Nonwhites », Vox, 12 septembre 2016. https://www.vox.com/2016/9/12/12882796/trump-supporters-racist-deplorables ; Rose Meleady, Charles R. Seger and Marieke Vermue, « Examining the role of positive and negative intergroup contact and anti-immigration prejudice in Brexit », The British Psychological Society (2017). https://ueaeprints.uea.ac.uk/63497/; Diana C. Mutz, « Status Threat, not Economic Hardship, Explains the 2016Presidential Vote », Proceedings of the National Academy of Sciences (26 mars 2018). http://www.pnas.org/content/early/2018/04/18/1718155115; Nate Silver, « The Mythology of Trump’s ‘Working Class’ Support: His Voters Are better Off Economically Compared with Most Americans », FiveThirtyEight, 3 mai 2016. https://fivethirtyeight.com/features/the-mythology-of-trumps-working-class-support/.

2 Jacques Rupnik, « la crise du libéralisme en Europe centrale », Commentaire no 160, (2017), https://www.commentaire.fr/boutique/achat-d-articles/la-crise-du-liberalisme-en-europe-centrale-12426; Slawomir Sierakowski, « How Eastern European Populism is Different », Project Syndicate, (5 février 2018), https://www.project-syndicate.org/commentary/populism-stronger-in-eastern-europe-by-slawomir-sierakowski-2018-01?barrier=accesspaylog.

3 Jonathan T. Rothwell and Pablo Diego-Rosell, « Explaining Nationalist Political Views: The Case of Donald Trump » (2 novembre 2016), https://ssrn.com/abstract=2822059.

4 Philip Auerswald and Joon Yun, « As Population Growth Slows, Populism Surges », The New York Times, 22 mai 2018, https://www.nytimes.com/2018/05/22/opinion/populist-populism-fertility-rates.html.

5 Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, « How Democracies Die », Crown, New York, 2018, p. 231.


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