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Gestion de l’eau en Asie centrale et dans le monde : Pas de solution sans les femmes

Notes d’allocution lors de l’atelier « Water/Health Nexus and Gender Equality for Effective Water Management: Challenges and Opportunities in Central Asia and Afghanistan in a post-COVID World » (Combinaison eau/santé et égalité des genres pour une gestion efficace de l’eau : Défis et occasions en Asie centrale et en Afghanistan dans un monde post-COVID (atelier donné en anglais seulement), organisé par le Centre régional des Nations Unies pour la diplomatie préventive en Asie centrale et le gouvernement du Canada, 15 et 16 mars 2021

Allocution virtuelle le 15 mars 2021

Stéphane Dion, Ambassadeur du Canada en Allemagne et Envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe

Votre Excellence, Mme Natalia Gherman, Représentante spéciale du Secrétaire général pour l’Asie centrale, et Cheffe du Centre régional des Nations Unies pour la diplomatie préventive en Asie centrale.

Votre Excellence, Monsieur Nicholas Brousseau, Ambassadeur du Canada auprès de la République du Kazakhstan, de la République kirghize et de la République du Tadjikistan.

Mesdames et messieurs,

En tant qu’envoyé spécial du premier ministre Trudeau, je suis reconnaissant de l’occasion qui m’est donnée de discuter avec vous de ce qui semble clairement s’imposer de plus en plus comme le principal enjeu du siècle : la gestion de l’eau, et de faire valoir qu’il n’y aura pas de véritable solution sans l’engagement total des femmes.

Vous savez peut-être que le gouvernement du Canada a explicitement adopté une politique d’aide internationale féministe. Il l’a fait parce qu’il est convaincu que la parité est une question de justice pour les femmes, mais qu’elle est aussi dans l’intérêt des hommes. La mobilisation de l’ensemble de la créativité, des talents et du potentiel des femmes et des hommes est une condition pour parvenir au développement pour tous.

Par conséquent, vous pouvez deviner à quel point le gouvernement du Canada est heureux d’accueillir, en collaboration avec la représentante spéciale Gherman, chère Natalia, ainsi qu’avec le Centre régional des Nations Unies pour la diplomatie préventive en Asie centrale (UNRCCA), cet atelier consacré à la cause des femmes et à la saine gestion de l’eau en Asie centrale et en Afghanistan. Le gouvernement du Canada a hâte de connaître les résultats de vos discussions. Aucune pression!

Le défi de l’eau pour le monde

L’eau, le défi du siècle? Vous connaissez les faits. En 2007, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a déclaré que l’accès sécuritaire à l’eau et à l’assainissement constituait un droit de la personne. Malheureusement, ce droit est loin d’être respecté. Selon les Nations unies, des services d’eau potable gérés de manière sécuritaire font défaut à 2,1 milliards de personnes; des services d’assainissement élémentaires font défaut à 2,3 milliards de personnes; 80 % des bassins hydrographiques se déversent sans traitement; plus de la moitié des écoles primaires des pays en développement n’ont pas accès à des installations d’eau et d’assainissement.

Les défis déjà considérables qui entourent la gestion de l’eau douce ne feront qu’augmenter. L’OCDE estime que d’ici 2050, quatre milliards de personnes pourraient vivre dans des zones où l’eau est rare (soit deux fois plus de personnes qu’à l’heure actuelle).

En outre, le climat continue de se réchauffer à une vitesse inquiétante, ce qui crée un stress hydrique supplémentaire. Les répercussions des changements climatiques ont souvent un lien avec l’eau. Par exemple, des inondations plus fréquentes; des sécheresses plus graves; des ondes de tempête plus élevées; la fonte de la glace de mer et des glaciers; la montée du niveau de la mer et la salinisation des terres et de l’eau; l’acidification et l’altération de la chimie de l’eau de mer et de l’écologie des pêches.

On peut classer 40 % de la surface terrestre mondiale dans la catégorie des terres arides risquant la désertification. Actuellement, deux milliards de personnes vivent sur ces terres. Une grande partie de ces personnes sont sur le point d’être gravement touchées par la dégradation des sols, l’insécurité alimentaire, la pauvreté et la pénurie de terres cultivables. La désertification peut conduire à une migration massive si nous n’agissons pas collectivement en employant les politiques appropriées.

Pour nourrir une planète de neuf milliards d’habitants d’ici 2050, on estime qu’il faudra que la production alimentaire augmente de 50 %. Comment y parvenir avec une mauvaise gestion de l’eau? Au total, 70 % de la consommation d’eau sert à l’irrigation. L’agriculture irriguée représente approximativement 40 % de la production alimentaire mondiale.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande d’énergie mondiale devrait augmenter de 30 % d’ici 2040. Comme vous le savez, environ 90 % des sources d’énergie (y compris l’électricité) ont besoin d’eau dans le cadre de leur processus de production.

La liste des actions à mener est éloquente. Il s’agit de tenir nos engagements pris à Paris; de tenir nos engagements relativement à chaque objectif de développement durable, et notamment ceux qui concernent l’eau et la pauvreté, la lutte contre la désertification et la déforestation; et par-dessous tout de coopérer et de rassembler nos efforts.

Le défi de l’eau en Asie centrale

L’Asie centrale est l’un des bassins versants les plus complexes au monde. Comme vous le savez, cette région a été gravement touchée par le rétrécissement de la mer d’Aral pendant la période soviétique, une étendue d’eau de la taille de l’Irlande qui n’est plus aujourd’hui que du sable, ayant conservé moins de 10 % de sa surface initiale.

Étant donné que la majeure partie de l’approvisionnement en eau de la région d’Asie centrale provient de sources transfrontalières, le lien entre l’eau, l’énergie et l’agriculture est très complexe, faisant intervenir les bassins hydrographiques internationaux du Syr Darya et de l’Amu Darya, entre les États en amont (Kirghizstan et Tadjikistan) et les États en aval (Kazakhstan, Turkménistan et Ouzbékistan).

La pression exercée sur les infrastructures d’approvisionnement en eau et d’assainissement ne fera qu’augmenter, car la consommation d’eau est en hausse, en raison de l’exode rural et de l’augmentation prévue de la population en Asie centrale, qui passera d’environ 73 millions d’habitants aujourd’hui à quelque 86 millions d’habitants d’ici 2040. Le développement de la région serait gravement entravé par un scénario d’aggravation des problèmes de qualité et de quantité de l’eau, de détérioration des infrastructures, de baisse des rendements agricoles et d’inefficacité croissante des systèmes d’irrigation et de filtration.

En outre, le changement climatique frappe durement la région, les températures observées ayant augmenté deux fois plus vite depuis 1970, par rapport aux niveaux mondiaux, ce qui aggrave de plus en plus la pénurie d’eau et contribue au rétrécissement rapide des glaciers de la région, qui fournissent environ 80 % du débit total des rivières en Asie centrale. L’impact du changement climatique (notamment les sécheresses et les températures pouvant atteindre 60 degrés) va s’aggraver selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont les projections montrent une augmentation de la température future de 2 à 4 °C pour 2050 et de 3 à 5 °C pour 2080, pour la majeure partie de la région.

Selon la Banque mondiale, si la croissance démographique se poursuit au rythme actuel de 1,5 % par an, la quantité d’eau disponible par personne diminuera au point que, d’ici le siècle prochain, l’approvisionnement en eau ne représentera qu’un quart de la consommation moyenne actuelle.

En novembre 2019, les Nations Unies et l’Institut pour l’eau, l’environnement et la santé ont publié un rapport montrant qu’à moins d’accroître des efforts conjoints bien financés et coordonnés, les prélèvements excessifs en cours provoqueront de dangereuses pénuries d’eau pour les populations du bassin maritime d’Asie centrale. « Les nombreux problèmes d’eau du bassin de la mer d’Aral doivent être abordés conjointement par tous les États, faute de quoi aucun ne sera entièrement résolu » [traduction], a déclaré Stefanos Xenarios, de l’université Nazarbaev, l’un des auteurs du rapport.

Coopération entre l’Asie centrale et le Canada en matière de gestion de l’eau

Lors de mes deux précédentes visites dans la région, j’ai eu le plaisir de rencontrer de nombreuses personnes de bonne volonté, qui travaillent à des solutions. Je tiens à vous dire que le Canada veut faire sa part.

Nous avons tant à partager et à apprendre les uns des autres : l’expérience de la gestion des eaux transfrontalières; l’expertise en matière de négociation; la coopération dans le domaine de l’hydroélectricité; la coopération dans les bassins hydrographiques transnationaux; les meilleures pratiques en matière de conservation de l’eau et de systèmes d’intégration souterrains; la création de systèmes d’irrigation efficaces; la purification et la désalinisation des sols; la compréhension et l’exportation des technologies de l’eau.

Le Canada dispose d’un secteur des technologies et services hydriques qui est solide et qui est prêt à être exporté. Nous proposons un partenariat tourné vers l’action, y compris pour la réduction des risques de catastrophe, des projets hydroélectriques et la gestion transfrontalière de l’eau. Le Canada souhaite partager les enseignements qu’il a tirés, stimuler l’innovation et accroître l’accès à l’expertise scientifique et aux données. Sur toutes ces questions, le Canada souhaite un dialogue plus structuré.  

En mars 2019, le gouvernement du Canada a accueilli un groupe d’experts chevronnés de l’Asie centrale dans les domaines de l’eau et de l’énergie en visite d’études. Tous les participants ont convenu qu’il s’agissait d’une expérience très positive et mutuellement avantageuse. Cependant, il faut de la persévérance pour obtenir des résultats. C’est pourquoi une délégation canadienne de suivi dans la région ou vice-versa, une deuxième délégation d’Asie centrale pour l’eau au Canada, est quelque chose que nous pourrions envisager, après la crise de la COVID-19. Cela dit, un véritable contingent de femmes dans les deux délégations serait un atout essentiel.

En février 2021, mon collègue, l’ambassadeur du Canada auprès des Nations Unies, Bob Rae, a tenu une première réunion de coordination avec vos ambassadeurs respectifs, amorçant ainsi un dialogue important sur la coordination régionale et les façons dont le Canada pourrait soutenir ce processus.

Pas de solution sans les femmes

Dans le monde, selon l’OMS et l’UNICEF, les femmes et les filles sont responsables de la corvée de collecte de l’eau dans huit ménages sur dix qui ne disposent pas d’eau courante. Les femmes vont chercher de l’eau pour l’usage domestique, la cuisine et l’hygiène familiale. Plus l’eau potable se fait rare, plus la charge qui pèse sur les femmes est lourde. La crise de l’eau est en grande partie une crise des femmes, car elle touche profondément leur santé, leur sécurité et leur autonomie économique, compromet leurs chances d’éducation et contribue à accroître les inégalités entre les genres.

En Asie centrale également, les femmes sont les principales utilisatrices de cette précieuse ressource. Étant donné que de nombreux hommes des zones rurales émigrent pour travailler à l’étranger, les femmes ont également assumé davantage de responsabilités agricoles. Pourtant, selon l’OSCE, les femmes ont peu d’influence sur les grandes décisions concernant la gestion de l’eau, que ce soit au niveau local, national ou transfrontalier.

Dans son rapport 2015 « Women, Water and Security » (Les femmes, l’eau et la sécurité [disponible en anglais seulement])Footnote 1, l’OSCE cite Zhyldyz Ysmanova, experte en égalité des genres à la Central Asian Alliance on Water, qui a fait part de son expérience au Kirghizistan, où plus de la moitié des 633 associations liés à l’eau du pays ont des conseils d’administration qui avaient atteint la parité homme-femme. Pour citer le rapport : « Nous avons observé que lorsque les femmes sont membres du conseil d’administration de ces associations, elles sont plus efficaces, car les femmes sont les principales utilisatrices d’eau. (…) Dans l’ensemble, je peux dire que les femmes sont beaucoup plus informées sur les besoins en eau et qu’elles savent exactement où le prochain tuyau doit être situé pour alléger leur charge. (…) Les femmes comprennent mieux comment le manque d’eau peut avoir un effet sur les personnes les plus vulnérables de la société. » [traduction] 

La participation des femmes dans les questions liées à la gestion de l’eau accroît également la transparence et peut réduire la corruption.

La Banque mondiale est arrivée à ces mêmes conclusions, dans son rapport publié en janvier 2021 et intitulé « Promouvoir la participation des femmes à la gestion des ressources en eau en Asie centrale ».Footnote 1

Étant donné l’importance de soutenir les femmes d’Asie centrale et d’Afghanistan, le Canada veut faire sa part avec des projets très concrets, à la fois pour réduire le fardeau des femmes responsable de la corvée de la collecte de l’eau et pour promouvoir leur engagement dans la gestion des ressources en eau.

Conclusion

Pour conclure, en tant qu’envoyé spécial du premier ministre Trudeau, je participe, de façon virtuelle, à cet important atelier pour affirmer que le Canada, un pays qui a la chance de posséder un cinquième de l’eau douce de la planète et qui possède de loin le plus long littoral du monde, aimerait apprendre de l’Asie centrale et de l’Afghanistan et être un partenaire dans notre quête d’une gouvernance pacifique et exemplaire de l’eau. Le Canada est prêt à élaborer une série complète d’engagements pour protéger l’eau avec les cinq républiques d’Asie centrale et l’Afghanistan. Nous devons unir nos efforts pour assurer un avenir viable aux générations futures : à nos enfants et à nos petits-enfants. Dans un monde où la gestion de l’eau constitue le défi du siècle, le Canada compte faire partie de la solution.

Mais au bout du compte, pour que tous nos efforts aboutissent à une réelle amélioration, les femmes doivent être présentes. Il n’y a pas d’espoir sans les femmes. Le fardeau de l’eau repose injustement sur leurs épaules. Et donc, la solution repose sur les épaules des femmes.

Lorsque les femmes sont autorisées à participer pleinement à la société, toute la communauté en tire parti et tous ses membres y gagnent, y compris les hommes. Maris, pères, frères, fils, amis, collègues, nous sommes tous gagnants. Il doit être un impératif pour toutes les nations de mettre fin à la sous-représentation des femmes. L’émancipation des femmes est une question de justice, mais également la condition du succès.

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