Le Conseil de l’Europe et le Canada : Ensemble pour la démocratie
Allocution prononcée lors de la réunion avec la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, Madame Marija Pejčinović Burić, à l’occasion du 25e anniversaire de l’obtention par le Canada du statut d’observateur au Conseil de l’Europe le 3 avril 1996.
Réunion tenue virtuellement le 27 avril 2021
Stéphane Dion
Envoyé spécial du Premier Ministre auprès de l’Union européenne et de l’Europe et Ambassadeur du Canada en Allemagne
Madame la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, chère Marija Pejčinović Burić,
Alors que nous commémorons le vingt-cinquième anniversaire de la coopération entre le Conseil de l’Europe et le Canada, la première chose que je tiens à vous dire, au nom de tous mes collègues, à titre d’Envoyé spécial du Premier Ministre auprès de l’Union européenne et de l’Europe, est qu’en ce moment-même, vous êtes entourée d’amis. Nous sommes heureux d’être avec vous, au Palais de l’Europe de Strasbourg, au moins virtuellement, nous les chefs de mission et les hauts fonctionnaires canadiens dont la responsabilité, le travail quotidien, est de continuellement consolider les liens entre le Canada et l’Europe.
Cela en dit long que le Conseil de l’Europe, dont la raison d’être est la démocratie et la paix, ait présentement, à sa tête, une enfant de Ljubuski, ville de Bosnie-Herzégovine frappée par la guerre d’ex-Yougoslavie, où les populations croates et bosniaques vivent aujourd’hui côte-à-côte. Peut-être y avez-vous puisé, Madame la Secrétaire générale, une partie de la passion pour l’Europe qui a animé toute votre admirable carrière, depuis vos études au Collège d’Europe, vos responsabilités à la Maison de l'Europe de Zagreb et au Mouvement européen de Croatie, votre participation aux négociations pour l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne, vos mandats ministériels aux affaires européennes de Croatie, aux Affaires étrangères et à titre de Vice-Première ministre de votre pays. Madame, vous qui êtes profondément croate et européenne, vous êtes une inspiration pour celles et ceux qui croient que les identités s’additionnent et ne se soustraient jamais, et qu’il faut les embrasser toutes.
Pour cette raison, et en tant qu’ancienne joueuse de handball de haut niveau qui apprécie l’esprit d’équipe, et aussi comme polyglotte à la tête d’un Conseil dont les deux langues officielles sont… l’anglais et le français, vous avez tout pour plaire aux Canadiens que nous sommes.
Il faut aussi vous dire, même si vous le savez déjà, que dans nos efforts de rapprochement constant entre l’Europe et le Canada, le Conseil de l’Europe est un levier essentiel, dans lequel le Canada voit une superbe réalisation humaine, un allié crucial pour les causes de la démocratie, des droits de la personne et de la primauté du droit.
Marqué par des siècles de conflits incessants ayant culminé par deux guerres mondiales, le continent européen devait absolument se doter d’une organisation dont la principale raison d’être serait l’harmonie européenne. Lancé à l’instigation de dirigeants visionnaires comme Winston Churchill, pour que les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale ne puissent jamais se répéter, et fondé en 1949 par dix pays de l’Europe occidentale, le Conseil de l’Europe a réussi, au fil des décennies, à rassembler tous les pays européens, de l’Islande à la Russie, à l’exception du Saint-Siège (qui a le statut d’observateur) et de la Biélorussie.
On a souvent dit que la paix est bien plus que l’absence de guerre. S’il y a une organisation sur terre qui incarne au mieux cette maxime, c’est bien le Conseil de l’Europe. Vous servez les idéaux de la démocratie, et ce, dans presque toutes les sphères de l’activité humaine.
Je n’aurais pas suffisamment de temps pour décrire les quelques 160 conventions, accords ou traités internationaux ou d’énumérer tous les organismes chapeautés par le Conseil. Ensemble, ces instruments jouent un rôle vital dans la promotion des droits de la personne, des institutions démocratiques et de la bonne gouvernance, de l’éducation, de la coopération scientifique et culturelle, de la prévention de la criminalité et de la toxicomanie, de la protection de l’environnement, des pratiques de santé publique et de bioéthique, de l’égalité des sexes, des droits et de l’inclusion des minorités. En cherchant des solutions communes aux défis que doit relever la société européenne, vous inspirez le monde entier, et bien sûr le Canada, dans nos efforts communs pour lutter contre la discrimination envers les minorités ainsi que contre la xénophobie, l’intolérance, le crime organisé et la corruption, la cybercriminalité, le terrorisme et la violence envers les femmes et les enfants.
Chacun de vos 47 États membres a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe est vraiment devenu la principale organisation de défense des droits de la personne du continent, en temps normal comme en temps de crise, comme c’est le cas maintenant avec la pandémie, grâce à la Cour européenne des droits de l’homme et à l’action incessante du Conseil, notamment ses conventions contraignantes, ses recommandations, ses réunions et conférences, son apport en matière de formation, ses directives stratégiques, et ses outils, rapports, études et campagnes de sensibilisation.
On a souvent entendu dire que l’Union européenne n’aurait jamais vu le jour sans le Conseil de l’Europe. Chose certaine, l’Union européenne s’est inspirée du Conseil de l’Europe pour son idéal d’unité et de démocratie et a même adopté symboliquement son drapeau et son hymne national ; en outre, aucun pays ne s’est jamais joint à l’Union européenne sans avoir adhéré au Conseil de l’Europe.
Comme nous le savons tous, l’Europe est un univers diversifié et complexe dans lequel sont enchâssés de manière variable la démocratie libérale, le pluralisme culturel et la bonne gouvernance, et où perdure un contraste persistant entre l’Europe occidentale et l’Europe de l’Est. Des 23 pays que l’indice de démocratie 2020 de l’Economist Intelligence Unit range dans la catégorie des « démocraties bien établies (Full Democracies) », pas moins de 13 sont des pays européens. Cependant, même ces démocraties européennes bien établies ne sont pas immunisées contre les pressions autoritaires et populistes. Dans certains autres pays européens, les gouvernements autoritaires ont atteint un niveau élevé de captation de l’État en infiltrant la bureaucratie, en affaiblissant l’équilibre des pouvoirs, en entravant les médias, en subsumant l’appareil judiciaire, en dénigrant les minorités et les immigrants et en s’en prenant à leurs droits.
Face à ces dérives autoritaires, le Conseil de l’Europe se trouve confronté aux mêmes dilemmes de politique étrangère que doivent résoudre les gouvernements démocratiques comme le Canada : est-il préférable de couper les liens avec un gouvernement autoritaire ou de maintenir le dialogue et une présence dans ces pays ? Quelles sanctions pouvons-nous imposer à ces mauvais joueurs tout en gardant la capacité d’appuyer les bons joueurs ?
Dans le passé, il est arrivé que le Conseil de l’Europe doive exclure ou suspendre des États membres : le régime militaire de la Grèce entre 1969 et 1974, la Türkiye après le coup militaire entre 1981 et 1984. La sagesse courante est de considérer l’expulsion comme une mesure extrême, de dernier recours, ne serait-ce que parce qu’elle a pour conséquence de priver les citoyens du pays expulsé de leur accès à la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, en maintenant ces gouvernements problématiques au Conseil, il devient plus difficile de promouvoir des normes démocratiques et légales plus élevées et de repousser les tentatives de politisation du Conseil, de ses tribunaux et de ses autres institutions.
Voilà les dilemmes fondamentaux qui alimentent les débats les plus complexes du Conseil de l’Europe et qui soulèvent parfois la controverse. Ces enjeux sont très compliqués, mais il doit être fascinant, Madame la Secrétaire générale, d’animer les débats du comité des ministres, composé des ministres des Affaires étrangères de 47 États membres aussi diversifiés et de l’Assemblée parlementaire, composée des membres des divers parlements des États membres.
Le Canada, tout comme le Saint-Siège, les États-Unis, le Japon et le Mexique, est l’un des cinq États auquel le Conseil de l’Europe a accordé le statut d’observateur. À ce titre, nous sommes fiers d’avoir participé à l’élaboration de plusieurs conventions du Conseil de l’Europe et d’avoir signé et ratifié plusieurs de celles-ci. Nous sommes fiers de la participation active des délégations du Parlement canadien aux travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et aux réunions de ses groupes politiques.
Le 12 juin 2019, le Canada est devenu un membre à part entière de la Commission du Conseil pour la démocratie par le droit, aussi appelée Commission de Venise. Nous l’avons fait parce que la Commission de Venise n’est rien de moins que l’un des organes d’experts faisant le plus autorité dans le monde en matière de promotion du constitutionnalisme et de la primauté du droit, dont la contribution importante rayonne bien au-delà du continent européen.
Je crois qu’il est juste d’affirmer, sans être présomptueux, que grâce à nos valeurs et nos intérêts communs, la contribution du Canada au Conseil de l’Europe est dynamique et diversifiée. À titre d’exemples récents, mentionnons notre appui au renforcement des capacités en Ukraine; notre participation aux négociations du 2e protocole de la Convention de Budapest sur la cybercriminalité; l’accroissement de notre participation déjà très active dans le Fonds Eurimages en en devenant un membre à part entière; notre participation dynamique dans le Commission de Venise; notre participation aux travaux du comité sur l’intelligence artificielle; et la promotion, en collaboration avec Cités interculturelles, de l’intégration des nouveaux arrivants et des minorités.
Madame Pejčinović Burić, permettez qu’en terminant, je cite un extrait de votre première déclaration à titre de Secrétaire générale : « Pendant mon mandat de secrétaire générale, je porterai une attention spéciale à toutes les questions de non-discrimination, en particulier envers les femmes et les enfants ». Eh bien, cela tombe bien, puisque la politique étrangère du Canada est officiellement féministe. Vous voyez à quel point nous sommes faits pour travailler ensemble.
En fait, dans tous vos efforts pour la démocratie, l’État de droit et les droits de la personne, vous pouvez compter sur le Canada, tant vos objectifs sont les nôtres. Vous pouvez donc mesurer à quel point nous sommes heureux d’en discuter avec vous aujourd’hui.
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