Transcription – Épisode 13 : Entretien avec Shauna Hemingway
David Morrison : Shauna Hemingway est passée du statut de fille d’agriculteur d’une région rurale de l’Ontario à celui d’ambassadrice du Canada en République dominicaine dans des délais extrêmement courts. Entre-temps, elle a travaillé quelques années en journalisme et pour les services de police au Royaume-Uni. Lorsque nous avons récemment parlé de sa vie et de son poste actuel, son tout premier en tant qu’ambassadrice, Shauna a fait preuve d’une grande sagesse quant à l’importance de la passion, de la curiosité et de l’écoute. Salut, Shauna, merci d’être venue aujourd’hui.
Shauna Hemingway : Avec plaisir. Merci de me recevoir.
David Morrison : Nous nous sommes rencontrés pour la première fois au Mexique il y a des années, je crois, lorsque tu travaillais dans le domaine du commerce. Par la suite, tu as fait un tour au G7 avec Peter Boehm, je crois.
Shauna Hemingway : C’est exact.
David Morrison : Et maintenant, tu es récemment devenue chef de mission à Santo Domingo. Et nous voulons tout entendre à ce sujet. Mais commençons par le début, comme nous l’avons fait aux Dossiers d’AMC : D’où viens-tu et comment en es-tu arrivée là? Cet entrevue, on peut le faire en anglais ou en français. Ou même en espagnol, mais pour mieux nous exprimer, il faudrait un peu de traduction. Alors, allons-y! Dis-moi comment tout a commencé.
Shauna Hemingway : Parfait. J’ai fait beaucoup d’entrevues en espagnol, mais on va continuer dans les langues officielles du Canada aujourd’hui. Je n’ai pas grandi en ville, mais dans une toute petite localité, une ferme près du lac Huron, et j’ai passé des années sans vraiment savoir de ce que je voulais faire. Je ne connaissais pas les choix que j’avais. Le moment décisif de ma vie, c’est lorsque j’ai demandé à mes parents, à la fin de l’université : « Qu’allons-nous faire avec ce diplôme en science politique ou ce diplôme en histoire? » Et ils m’ont répondu : « Aucune idée, nous n’avons jamais étudié… Nous ne sommes jamais allés à l’université… Nous avons appris un métier. » Pour moi, ça a été un moment décisif où j’ai réalisé que je devais prendre ma carrière en main et qu’il n’y avait personne qui pouvait me conseiller. Je suis donc allée à l’université et j’ai vu ces débouchés. Je n’ai fait que suivre les portes quand elles se sont ouvertes et m’ont amenée à rejoindre les rangs de l’équipe de volleyball universitaire. Et puis j’ai tout laissé tomber pour aller travailler au Toronto Star pratiquement à temps plein. Alors que j’étudiais aussi à l’Université de Toronto, et...
David Morrison : Et à partir de là, je ne sais pas quand, mais peu de temps après avoir reçu ton diplôme, je crois que tu as abouti au Royaume-Uni?
Shauna Hemingway : C’est bien ça. J’ai d’abord terminé ma dernière année à l’Université de Toronto. Une autre perspective m’est tombée dessus, en quelque sorte. Je suis allée au Royaume-Uni et j’ai commencé à chercher du travail là-bas, en tirant parti de mon expérience en signalement de crimes pour le Toronto Star. J’ai travaillé en communication policière avec les forces de police britanniques qui étaient…
David Morrison : Oui, je me souviens lorsque j’ai vu ton CV pour la première fois, tu étais dans la course pour devenir chef de mission en Amérique latine, je pense, parce que tu parlais déjà l’espagnol. J’ai pensé : « Oh, il n’y a pas beaucoup d’agents du service extérieur qui passent… je ne sais pas, cinq ou dix ans, à travailler pour le service de police au Royaume-Uni. » Raconte un peu.
Shauna Hemingway : Ça m’a ouvert les yeux. Je dois dire que l’expérience du Toronto Star et de mon travail pour la police m’a vraiment préparée…
David Morrison : Qu’est-ce qui t’a amenée au journalisme?
Shauna Hemingway : Eh bien, c’est intéressant. Il y avait un jeune homme très séduisant qui était éditeur du journal de l’Université de Toronto, et je me suis dit que ce serait…
David Morrison : Tu n’as pas besoin de donner son nom, mais…
Shauna Hemingway : À vrai dire, je ne me rappelle pas son nom. Mais il m’a inspiré à suivre cette voie, et j’ai écrit assez abondamment pour le journal universitaire. Par chance, un candidat ne s’est pas présenté à son entrevue parce que son colocataire ne lui avait pas fait le message. Alors le Toronto Star a eu un besoin à combler à la dernière minute, cet été-là. J’avais dépassé l’échéance pour poser ma candidature de plusieurs mois, mais on a sorti mon CV, et j’ai donc abouti au Toronto Star. Cette expérience a été superbe et, plus important encore, je crois que j’ai appris à… je devais écrire jusqu’à huit articles pendant une seule journée de travail de huit heures. J’ai appris à surmonter mes blocages afin de livrer le matériel rapidement. Alors, quand j’entends la ministre parler de la rapidité d’exécution par rapport à la perfection, je comprends tout à fait, parce que c’est certainement cela qui a tué la perfectionniste en moi.
David Morrison : Les journalistes comprennent les échéances.
Shauna Hemingway : C’est exact.
David Morrison : Les fonctionnaires, un peu moins. Mais ça aurait été… c’était avant le web, non?
Shauna Hemingway : Absolument. Je crois que j’ai reçu ma première adresse courriel lorsque je travaillais pour le Toronto Star, alors oui.
David Morrison : À cette époque-là, lorsque le journal partait à l’impression, si vous dépassiez la date de tombée, vous perdiez votre emploi. Je veux dire, si vous manquiez à répétition vos échéances, vous perdiez votre emploi.
Shauna Hemingway : Oui vous ne pouviez pas faire ça. Absolument pas.
David Morrison : En tant que journaliste, et cela est vrai aussi dans notre secteur d’activités, si on vous demande de rédiger 850 mots, vous rédigez 850 mots, un document d’une page est une page, non une page et trois quarts. Exact?
Shauna Hemingway : Tout à fait.
David Morrison : Sinon, vous ne rendez pas service à votre réviseur.
Shauna Hemingway : En effet. Je suis relativement fière de mon travail au gouvernement parce que je trouve que j’ai beaucoup plus de temps pour écrire, contrairement à l’époque où j’étais journaliste. Si on me demande 500 mots, ce sera 500, ou 499... Je m’en réjouis, même si personne ne le remarque. J’aime avoir…
David Morrison : Eh bien, les gens le remarquent parce qu’il y a… de mon point de vue et de celui de tous ceux et de toutes celles qui doivent se pencher sur le produit écrit. Quelque chose de bien écrit et de concis, c’est de l’or. Mais avec autant de couper-coller, nous pouvons oublier cela. De toute façon, c’est ridicule. Revenons à ta vie en tant que responsable des communications policières au Royaume-Uni.
Shauna Hemingway : C’est toujours pertinent aujourd’hui. J’ai fait beaucoup de télévision et de radio à l’époque, et je pense que dans les médias britanniques (et à mon avis il n’y en a pas de plus difficiles)... Il y a des camions satellites jusque devant votre porte. Les policiers m’appelaient la nuit parce que des médias faisaient du camping là... encore devant leur maison. Je devais régler les problèmes.
David Morrison : Donc, tu étais au premier rang. Explique-moi le rôle d’un porte-parole de la police, quelque chose... un crime se produit et les journalistes t’appellent? Comment ça marche?
Shauna Hemingway : Je pense souvent qu’on a un excellent système là où on peut... Je pouvais voir, à la minute près, ce que les policiers disaient sur un certain incident. C’est un inconvénient que nous n’avons pas en tant que fonctionnaires consulaires à l’étranger. Nous n’avons pas le même accès à ce que fait la police. Mais on peut s’en passer. On déteste entendre parler de quelque chose pour la première fois de la part d’un journaliste. On aime savoir ce qui s’en vient, mais non... et être… Je pense que le plus difficile est de faire face à la banque des médias et dans ce domaine, nous avons dû prendre beaucoup de décisions, par exemple donner des noms, et tout cela était le fait des responsables des communications, ce qui était encore une fois une lourde responsabilité.
David Morrison : Comment t’es-tu... Je suis fasciné par ça. J’ai vécu au Royaume-Uni, moi aussi. Comment t’es-tu intégrée à une institution massivement britannique en tant que Canadienne?
Shauna Hemingway : Absolument. Je pense, encore une fois, que c’est en construisant, en ouvrant, en suivant une porte ouverte. Je me suis donc appuyée sur les rapports sur la criminalité que j’avais rédigés pour le Toronto Star, qui est un journal connu même au Royaume-Uni, et j’ai saisi toutes les occasions que je pouvais. J’étais nouvellement diplômée à ce moment-là et il m’a semblé que c’était ce que j’étais le mieux préparée à faire. Il y a eu une ouverture, alors je l’ai saisie.
David Morrison : Mais est-ce que tu étais... une fois que tu étais là, à quel point as-tu été bien acceptée? Tu as été la porte-parole de cette institution typiquement britannique. As-tu pris un faux accent britannique? Comment as-tu réussi ce tour de force?
Shauna Hemingway : Oui, je suis sûre qu’à un moment donné j’ai eu un accent « mid-Atlantic », comme on dit, mais ce que j’ai fait, c’était simplement de m’adapter à leur vocabulaire… Il fallait être comprise du public.
David Morrison : Par exemple l’expression « Put the body in the boot » [Mettre le cadavre dans le coffre de l’auto].
Shauna Hemingway : Exactement. Tout à fait. Et il y en avait quelques-uns, des cadavres et des coffres d’auto.
David Morrison : Alors, sans trop de détails macabres, dis-nous ce que tu as appris? Quels étaient tes plus grands défis et qu’as-tu appris qui t’a suivi dans… ta carrière ultérieure en tant qu’agente du service extérieur?
Shauna Hemingway : Je pense que cela m’a amenée à chercher un poste pour travailler pour mon propre gouvernement, car je travaillais bien sûr pour le Home Office à ce moment-là. Pourquoi ne pas appliquer mes compétences auprès pour mon propre gouvernement, au service de mes compatriotes? Cela en faisait partie, mais je pense que nous avions des collègues plutôt difficiles. Nous avons eu beaucoup de cas difficiles. Nous avions des collègues qui avaient aussi une vie personnelle complexe et en tant que porte-parole des médias, j’avais tendance à être au premier rang lorsque certains de ces problèmes sont devenus publics.
David Morrison : À propos du… du service de police. Non?
Shauna Hemingway : Exactement. Des amis et des collègues se sont suicidés. Et un grand drame s’est produit : un homme a tué sa famille, ses enfants et sa femme, ce qui a été très difficile à gérer avec ses parents alors qu’ils essayaient de comprendre ce que leur fils avait fait. Parmi les grandes réussites que nous avons eues, l’une des premières nouvelles que j’ai eu l’occasion de rendre publiques, la condamnation de quelqu’un à l’étranger pour crimes sexuels. C’était en Thaïlande, mais on l’a condamné au Royaume-Uni et c’était l’un des premiers exemples au monde, une excellente occasion de célébrer une victoire pour le bien public.
David Morrison : Est-ce que le coupable, à son retour au Royaume-Uni alors, n’a pas été reconnu coupable par contumace ?
Shauna Hemingway : Non, ils étaient de retour au Royaume-Uni et ils avaient été arrêtés là-bas. Mais encore une fois, j’ai eu affaire à sa femme, qui était totalement traumatisée par l’épreuve qu’elle avait traversée.
David Morrison : Wow. Après tout ça, comment t’es-tu retrouvée dans le service extérieur du Canada?
Shauna Hemingway : J’ai connu une femme qui travaillait pour le FCO [Foreign & Commonwealth Office], et j’en ai beaucoup parlé avec elle. Son travail de diplomate m’a paru très intéressant, alors j’ai cherché moi aussi des occasions et deux mois plus tard, j’ai vu les examens sur l’Internet et j’ai…
David Morrison : Et tu as passé l’examen à Londres?
Shauna Hemingway : Oui, à Londres, et après j’ai passé une entrevue à Paris.
David Morrison : OK. Et c’était quand?
Shauna Hemingway : En 2002.
David Morrison : Donc, tu as été acceptée?
Shauna Hemingway : Ça a pris beaucoup de temps.
David Morrison : Quelques années?
Shauna Hemingway : Une année complète. Je crois que maintenant, ça peut être un peu plus long. Dans mon cas, après une année j’ai reçu une offre et trois mois plus tard environ, j’ai commencé.
David Morrison : Dans mon cas, cela a pris deux ans, une année pour tout le processus et une année pour la vérification de sécurité. Alors, peut-être que nous allons plus vite, mais cela semble encore être une intégration ou un recrutement dont le processus est long. Peu importe, connaissais-tu Ottawa avant ton arrivée?
Shauna Hemingway : Non pas du tout. Je n’avais jamais vécu ici. J’avais visité la ville, bien sûr, comme beaucoup de Canadiens. Mais je ne connaissais personne à Ottawa, alors je n’avais aucun contact au sein du gouvernement. En tant qu’ambassadrice, j’ai tendance à le souligner souvent en République dominicaine. C’est ainsi que nous avons un service extérieur diversifié et nous parlons beaucoup de la diversité culturelle et de tout le reste. Mais aussi, vous savez, des représentants tant de la ville que des communautés agricoles.
David Morrison : Les fermes en Ontario.
Shauna Hemingway : Exactement. Je crois que cela enrichit vraiment notre service ici au Canada.
David Morrison : Donc, tu l’as mentionné, juste avant que nous allions en ondes, que tu avais apprécié la transparence du processus parce que tu n’avais pas grandi avec les yeux fixés sur un emploi au sein du service extérieur canadien. Tu es tombée par hasard là-dessus par le biais de l’Internet lorsque tu vivais au Royaume-Uni, et par chance, et ainsi de suite, tu as été acceptée et tu as commencé ce travail. Récemment, notre équipe de direction a passé la journée au lac Meech, en début de semaine, pour discuter des problèmes de ressources humaines. Les vétérans du ministère ont à cœur de recruter des gens de partout au Canada, dont les origines sont diverses. Tu sais, je n’étais jamais allé à Ottawa jusqu’à mon entrée au service extérieur. Donc, nous... Je pense qu’il y avait un sentiment assez fort chez les cadres supérieurs que nous devions à l’avenir veiller à ce que la tradition du Service extérieur, qui consiste à amener des gens de partout au Canada, se poursuive. De toute façon, tu nous en as déjà parlé un peu, comment as-tu commencé et comment es-tu arrivée à Santo Domingo à partir de là?
Shauna Hemingway : Je pense, comme tu le mentionnes, qu’il est très important de ne pas seulement... J’ai beaucoup appris grâce au processus de recrutement habituel, en rencontrant des gens de partout au Canada; j’ai été exposée à des gens de Terre-Neuve, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, et à de champs d’études totalement différents. Un collègue avait fait son doctorat en études médiévales. Je pense que c’est génial que nous ayons un service extérieur où les gens peuvent postuler avec des antécédents très diversifiés. Tout au long de ma carrière, j’ai suivi des choses qui ont éveillé mon intérêt et je pense que cela a abouti à une personne assez diversifiée à la fin du processus. Simplement pour donner un exemple, aujourd’hui, en République dominicaine, une société minière canadienne a des intérêts importants dans une région très agricole du pays, et il se trouve que le président est originaire de cette région. Parce que je viens d’une ferme et que je comprends la valeur de l’agriculture, je peux vraiment transmettre l’attention et la sincérité du Canada lorsque nous parlons de ne pas laisser l’industrie canadienne entraver la production agricole dans une communauté agricole. Donc je pense que... j’ai aussi joué au volleyball universitaire. Le volleyball est populaire en République dominicaine. Jeune fille, j’étais amoureuse des Blue Jays et d’un joueur en particulier, Tony Fernandez. C’est un grand joueur de baseball. Ce sont toutes des petites choses qui façonnent votre personnalité.
David Morrison : Eh bien, cela devient aussi le tissu des relations qui caractérisent le fonctionnement de la diplomatie.
Shauna Hemingway : Oui, c’est vrai.
David Morrison : Nous nous sommes donc rencontrés au Mexique, mais avant cela, le Mexique était-il ton premier pays d’affectation?
Shauna Hemingway : C’était mon deuxième, avant j’avais été affectée en Corée, en Corée du Sud, accréditée auprès de la Corée du Nord, ce qui a été une expérience fascinante. J’ai fait...
David Morrison : As-tu visité ce pays?
Shauna Hemingway : Oui, quatre fois. Ça m’a ouvert les yeux, c’est une expérience applicable à d’autres situations.
David Morrison : C’était quand?
Shauna Hemingway : En… désolée, j’étais là en… Je veux dire les dates exactes. 2006-2009. Donc quatre visites pendant ces années-là.
David Morrison : J’ai vécu en Corée à la fin des années 1980.
Shauna Hemingway : Je m’en souviens.
David Morrison : Nous pouvons donc en parler davantage... nous pouvons partager nos expériences de Pyongyang hors ligne, mais nous sommes d’accord, c’est un lieu fascinant et bien sûr très actuel. Donc, la Corée, le Mexique, où tu travaillais dans la section commerciale.
Shauna Hemingway : Ouais. C’était une section économique, alors j’ai dirigé la section économique qui jette un pont entre les liens politiques et commerciaux, mais j’ai travaillé très étroitement avec les responsables de ces deux programmes et c’était une expérience formidable. Je pense que c’est intéressant... Graeme Clark, en tant que chef de mission... je lui ai demandé ce qui était important pour lui, et il m’a dit : « Tu dois tomber en amour avec le pays auprès duquel tu es accréditée. Ton travail en tant qu’ambassadrice, c’est de tomber en amour », et je ne l’avais jamais vu de cette façon, mais je pense que c’est vrai pour toutes mes missions. Tu sais que j’aime toujours la cuisine coréenne. Le Mexique me restera toujours imprimé sur le cœur. J’ai maintenant une famille mexicaine. Et une autre en République dominicaine. Mais au Mexique, j’y suis retourné pour le G7 et le G20, et j’ai fait du travail de déléguée commerciale ici à Ottawa, puis, pendant quelques années, j’ai travaillé sur les accords commerciaux et plus de travail politique à l’étranger. Et je pense que le retour pour le G7 m’a permis de tirer parti de toute cette expérience politique et que c’était une bonne occasion.
David Morrison : Je n’étais pas au courant de ce que Graeme avait dit, mais c’est une belle phrase et je pense que cela témoigne de la passion que beaucoup d’entre nous avons pour les endroits où nous avons été envoyés. En passant, je suis rentré hier d’un séjour de 24 heures passionnant au Mexique, avec la ministre Freeland, le ministre Morneau et le ministre Carr qui ont appris à connaître le nouveau gouvernement mexicain. Il y a eu une élection historique, et quel endroit fascinant! C’est certain que les six prochaines années seront fascinantes. Mais revenons à ta carrière. Ce que je trouve intéressant, c’est que je ne sais pas si tu es une déléguée commerciale, ou si tu es plutôt politique, tu as fait des communications, du multilatéral, au moins du point de vue du G7, et je crois fermement que tu as ce genre de trajectoire où tu as montré que tu pouvais marcher et mâcher du chewing-gum en même temps, c’est en fait la préparation idéale pour devenir chef de mission où bien sûr, tu es responsable de toutes ces choses. As-tu choisi ces missions délibérément ou t’es-tu simplement dit : « Bah, politique commerciale, pourquoi pas? »
Shauna Hemingway : Pas du tout délibérément. Je pense que ce qui m’a orientée au moins pour ma carrière professionnelle a été de regarder... Où puis-je apprendre quelque chose? Quelle porte est ouverte? Qu’est-ce qui a l’air intéressant? Et simplement suivre mes intérêts. Je pense que quand j’étais à l’université et que je parlais de la crise que j’ai eue lors de ma deuxième année, j’ai réalisé que mon diplôme en sciences politiques n’allait pas vraiment m’apporter là où je voulais, alors je pensais que je devais étudier une certaine carrière et suivre un chemin particulier. Et je pense avoir appris par la suite, et je sens certainement que je le sais maintenant, et c’est un conseil que je donne aux étudiants quand je leur parle en République dominicaine. Mais il s’agit simplement de tomber sur quelque chose qui vous passionne. Donc, même si ce n’est que pour une courte période, si vous avez un fort intérêt et que vous vous donnez à fond, vous développez toutes sortes de compétences que vous ne pouvez pas prédire, que vous n’auriez aucune idée des expériences pertinentes aux catastrophes consulaires et naturelles que j’apprenais dans mon travail avec la police et qui sont maintenant pertinentes à mon travail de chef de mission. Donc, je ne pouvais vraiment pas prédire où mon temps irait si je restais et excellais comme joueuse de volleyball universitaire. Je ne serais probablement pas ici aujourd’hui. J’aurais eu une vie différente.
David Morrison : Peut-être être coach en République dominicaine?
Shauna Hemingway : J’aurais peut-être fini en République dominicaine, oui.
David Morrison : Parlons de ta vie en tant que chef de mission. Je pense que c’est une grande étape de leadership pour toi. C’est... je ne... peux-tu nous dire quelle est la taille de la mission? Mais ton... Tu as un gros travail, une jeune famille, tu as été un peu sous les projecteurs à mon avis. Il y a quelques cas consulaires complexes à ma connaissance. Tu as... il y a d’importants intérêts commerciaux canadiens là-bas. Comment as-tu... Qu’as-tu appris sur toi? Comment gères-tu tout cela?
Shauna Hemingway : Oui, je pense que c’est un... Je pense que chaque fois que vous commencez un nouveau travail, il y a une véritable courbe d’apprentissage. Mais je pense surtout que lorsque vous commencez en tant que chef de mission, soudainement, l’éventail des responsabilités est énorme.
David Morrison : Plus grand que ce que tu avais anticipé?
Shauna Hemingway : Hum, dans un sens. D’une certaine façon, plus large, je pense, et dans la mesure où... vous savez que vous devez encore vous plonger dans les détails. Même en tant que chef de mission, vous devez toujours en connaître plus, vous devez avoir une bonne idée de tous les dossiers. Je pense que ça fait beaucoup à apprendre en même temps et que vous examinez également les politiques et la manière dont fonctionne une ambassade. J’ai vu ta discussion avec Patricia Pena et je ne l’envie pas de partir pour une première affectation en tant que chef de mission. Je pense qu’elle et moi restons en contact. Et c’est une expérience totalement différente, mais non, je pense que c’était une occasion d’utiliser des compétences qui étaient devenues un peu dormantes, je suppose. Lorsque vous êtes à Ottawa, nous avons une main-d’œuvre tellement nombreuse que vous vous spécialisez vraiment, que ce soit… vous écrivez beaucoup. Maintenant je suis la personne assise avec le président, non? J’ai ces discussions en tête-à-tête avec le chef d’État. Alors qu’auparavant je n’avais été que la personne en arrière-plan.
David Morrison : Qui écrivait les notes.
Shauna Hemingway : Exactement. Ça demande un ensemble de compétences complètement différentes. J’ai beaucoup de respect, particulièrement pour les politiciens. Nous avons beaucoup de…
David Morrison : Vous devez toujours être à l’affût.
Shauna Hemingway : Effectivement.
David Morrison : Et si vous faites des erreurs, tout le monde le sait tout de suite.
Shauna Hemingway : C’est vrai.
David Morrison : Et c’est tout. C’est un niveau de pression différent. Il semble que vous ayez toujours besoin d’être agile mentalement, quelle que soit votre fatigue ou...
Shauna Hemingway : Vous ne pouvez pas tomber malade. Il y a des jours où vous ne pouvez pas tomber malade. Cela ne peut tout simplement pas arriver.
David Morrison : Et du point de vue travail-famille, qu’est-ce que tu en penses?
Shauna Hemingway : Oui ça c’est quelque chose de nouveau pour moi, j’ai une jeune famille. Je crois que ce qui importe plus que tout est de choisir mes priorités dans tout ce que je fais et aussi prendre des décisions parfois très difficiles. Donc l’important pour moi, avec ma famille, c’est de bien choisir les moments que je passe avec mes enfants, donc tous les jours je les amène à l’école et ça, c’est un moment très important pour moi et pour ma famille.
David Morrison : Ouais. Ce sont toutes ces choses qui concernent vraiment la manière dont nous définissons... la manière dont nous fixons les priorités. Dis-moi, tu voulais parler un peu du rôle d’ambassadrice à l’ère des médias sociaux. Tu as commencé ta carrière dans la communication avant l’Internet. Alors, comment... raconte-nous ton expérience avec les médias sociaux et comment tu penses que cela a changé la pratique de la diplomatie.
Shauna Hemingway : Je pense que c’est une excellente occasion. Mais il y a aussi de grands défis. Donc, par exemple, vous atteignez ce large public, et quelque chose que le premier ministre a déclaré à ses chefs de mission quand il a pris ses fonctions, il s’attendait à ce qu’ils sortent des capitales et qu’ils interagissent avec des gens ordinaires. Mon engagement auprès des gens ordinaires et la façon dont je brise les normes en tant qu’ambassadrice et sors sur le terrain, c’est quelque chose, en particulier dans une société comme la République dominicaine. J’ai reçu beaucoup de commentaires là-dessus. C’est vraiment ce que nous devrions tous faire. Mais il est beaucoup plus évident que je peux définir des priorités et des thèmes sur lesquels je me concentre en déterminant ce que je mets sur mes médias sociaux. Je pense cependant que le défi est que l’image est très imparfaite. J’ai passé énormément de temps à dépanner les entreprises canadiennes. C’est vraiment important pour le Canada, une grande partie du travail là-bas, et cela passe inaperçu parce que ce sont les choses que vous n’avez pas tendance à mettre sur vos médias sociaux. Donc, c’est une image imparfaite. Difficile aussi, je pense. Je suis reconnaissante chaque jour d’avoir des antécédents en matière de communications et je ne savais pas comment cela me servirait maintenant, mais je peux penser de manière cohérente à identifier ce qui est en terrain sûr et où nous ne devrions pas aller parce que vous parlez aux Dominicains, mais vous parlez aussi aux Canadiens simultanément. Et cela peut être très difficile parce que vous ne choisissez pas votre public avec les médias sociaux.
David Morrison : Qu’as-tu appris sur toi? Tu as été là un an. Tu seras là encore un ou deux ans, je pense. J’espère que je ne te dis rien que tu ne sais pas déjà.
Shauna Hemingway : J’espère être là encore pour deux ans.
David Morrison : OK, disons deux ans. Mais tu disais... qu’as-tu appris et sur un plan personnel, sur quoi comptes-tu continuer à travailler lors de ta première affectation en tant que chef de mission?
Shauna Hemingway : Je pense à la valeur et au grand avantage de se concentrer sur la personne à qui vous parlez, peu importe quand. Je pense que c’est quelque chose que quiconque...
David Morrison : Désolé, j’ai été distrait pendant une seconde.
Shauna Hemingway : Donc, du point de vue politique, encore une fois, c’est quelque chose que certains grands politiciens peuvent faire et c’est vraiment... une personne comme ça, je l’ai remarqué récemment, c’est Michaëlle Jean. Je trouve qu’avec elle ce n’est pas grave si elle parle à un chef d’État ou avec une fillette séropositive dans un orphelinat. Il y a la même quantité d’attention, la même bienveillance et aussi l’importance de mettre les gens au centre de tout ce que vous faites. Et je pense, à tous les niveaux, si vous essayez de penser aux personnes que votre décision affecte, alors si c’est le personnel de l’ambassade ou la communauté agricole ou une entreprise canadienne qui s’est installée ou si c’est un client consulaire canadien qui vient juste de perdre son passeport, et pour eux c’est un événement très important dans leur vie, pour nous c’est un événement assez quotidien. Mais en vous concentrant uniquement sur eux, je pense que vous ne pouvez pas vous tromper et c’est quelque chose que je pense avoir appris au cours de la dernière année.
David Morrison : Quelle belle leçon et quelle grande sagesse à laquelle penser! Cela a été formidable. En particulier, la notion de tomber amoureux de votre pays. Je pense que ce sont des mots importants dans notre travail. Être curieux. Nous sommes tous dans nos positions où beaucoup d’entre nous se font demander tout le temps par des jeunes : « Comment vous vous retrouvez… Comment vous êtes-vous retrouvés là où vous êtes aujourd’hui? » Et dans la plupart des cas, ce n’est pas à cause d’un plan directeur. C’est à cause de la passion et de la curiosité. Tu as mentionné le mentorat avec Patricia Pena ou au moins le mentorat ou la collaboration entre collègues. Être dans le moment présent. Écouter les gens. Ce sont toutes d’excellentes leçons de Shauna Hemingway, notre chef de mission à Santo Domingo. Alors, merci beaucoup d’être venue aujourd’hui.
Shauna Hemingway : Merci beaucoup pour l’invitation.