Transcription – Épisode 18 : Entretien avec Paul Maddison
David Morrison : Paul Maddison est le haut-commissaire du Canada en Australie depuis trois ans. Auparavant, il a connu une brillante carrière de trois décennies en tant qu'officier de la Marine canadienne, carrière couronnée en 2011 lorsqu'il a été nommé commandant de la Marine royale du Canada. Paul était récemment à Ottawa et est passé à mon bureau pour parler de la vie dans la Marine, de son point de vue sur Affaires mondiales [Canada] et ses prédécesseurs, vus de l'extérieur, et comment son point de vue a changé maintenant qu'il est à l'intérieur. « G’day, mate! » C'est Paul Maddison. C'est toujours génial d'être avec vous. Paul est en ville pour seulement quelques jours. Ça ne se produit pas souvent lorsque vous êtes le haut-commissaire du Canada en Australie. Donc merci de prendre le temps de venir.
Paul Maddison : Oui, c’est formidable d’être ici.
David Morrison : Vous êtes là depuis environ trois ans ou près de trois ans.
Paul Maddison : Oui.
David Morrison : C’est difficile de penser à un pays dans le monde avec lequel le Canada a des relations plus étroites. Mais avant que nous arrivions à cela, je veux parler de votre histoire. J'ai appris… et pour les lecteurs qui ne le savent pas, Paul, avant de devenir haut-commissaire à Canberra, était à la tête de la Marine canadienne. J'ai appris récemment que le commandant actuel de la Marine canadienne est originaire de Taber, en Alberta, ce qui est aussi loin que possible de l'océan. Et c'est aussi très sec. Donc, je m'intéresse à vos antécédents, où vous êtes né et comment vous avez fini par devenir un marin.
Paul Maddison : Oh merci, c'est formidable d'être ici, et je suis ici parce que, pendant la réunion de mission, vous avez parlé de vos podcasts et vous…
David Morrison : Je n’hésite pas à faire de la promotion.
Paul Maddison : Oui, d’accord, et vous nous avez invités à venir. Donc je me suis dit, je suis à Ottawa pour une rare visite, alors c'est formidable de venir vous voir ici et de parler et de partager quelques histoires. Donc, je suis né à Moose Jaw, en Saskatchewan. Mais je ne suis pas un gars des Prairies. Mes parents sont tous deux originaires de Nouvelle-Écosse.
David Morrison : D’accord.
Paul Maddison : Et mon père a joint l'armée de l'air, Moose Jaw est une base aérienne, je suis né là-bas. Mais pour revenir à ce que vous avez dit à propos de l'Alberta et du vice-amiral Ron Lloyd, qui est le commandant actuel de la Marine royale du Canada, au cours de la Seconde Guerre mondiale, les deux villes canadiennes qui ont recruté le plus de marins pour la Marine canadienne étaient Winnipeg et Calgary. Je pense donc que c'était l'attraction exercée sur les agriculteurs, qui n'ont jamais vu l'eau salée.
David Morrison : Oui, sans doute, et peut-être parce que les gens cherchaient tout simplement à partir. Non?
Paul Maddison : Oui, oui. Alors oui, mes racines sont vraiment en Nouvelle-Écosse.
David Morrison : La Nouvelle-Écosse, et aussi une famille de militaires, non?
Paul Maddison : C'est exact. Et c'était donc tout à fait naturel de m'enrôler. Je suis allé à l'école secondaire à Ottawa et au Collège militaire royal de Saint-Jean à la fin des années 70; je suis devenu officier commissionné en 1980 et puis j’ai passé les 33 années suivantes à servir le Canada en mer et à quai.
David Morrison : Donc, dans votre article Wikipédia, le résumé à droite montre que vous avez servi dans la guerre du Golfe. Était-ce une mission de combat active?
Paul Maddison : Oui, effectivement. Bien que nous n'ayons pas observé d’action cinétique dans le sud du golfe Persique en 1990-1991, j'étais de veille et en route, et je pense que c'était le 16 janvier ou le 17 janvier que l'invasion a commencé et que les forces de frappe ont été lancées, avec tous les tomahawks qui s'envolaient depuis les côtes iraniennes et de l'Arabie saoudite et remontaient le Golfe jusqu'en Irak. C’était le premier conflit que les gens pouvaient en quelque sorte voir sur CNN. Vous savez, je me rappelle que c'était une expérience assez extraordinaire et un privilège de servir dans le groupe de travail canadien.
David Morrison : Je vois. Si vous revenez en arrière sur ces 33 années, vous avez évidemment eu un parcours exceptionnel et grimpé les rangs pour devenir commandant, vous avez été nommé en 2011, je pense. Alors, en tant que commandant pour votre dernière étape, quels ont été vos... vous avez eu le temps d'y penser maintenant que vous siégez dans une institution différente. Quels sont vos réflexions sur les faits saillants, les défis, les choses que vous auriez aimé qui soient différentes?
Paul Maddison : Eh bien, vous savez, quand vous revenez sur votre carrière, c'est par étapes. Et donc les premières années ont été axées sur la mer. Et les points marquants ont été de faire partie d'une équipe hautement performante, de devoir dépendre les uns des autres. Vous voyez, on se concentre sur la mission, on reconnaît les forces et les faiblesses de chacun des membres de l'équipe et en quelque sorte on se forme pour servir en mer du mieux qu’on peut. Et vous savez, je pense que l'un des points marquants a été de prendre les commandes du NCSM Calgary en 1997. C'était simplement... je n'avais jamais imaginé, quand j'étais un jeune officier, que j'aurais l'occasion de recevoir ce genre de privilège et c’est tout simplement arrivé... c'était un navire extraordinaire, une équipe extraordinaire.
David Morrison : Est-ce que vous avez conduit le navire pour voir à quelle vitesse il pouvait aller ou, encore, comment vous êtes-vous amusé quand vous avez commandé pour la première fois?
Paul Maddison : Eh bien oui, c’est effectivement un peu ce que vous faites. C’est-à-dire, nous, les frégates venaient juste d'être livrées dans les années 90. Alors nous avions l'habitude de, eh bien... nous avions l'habitude d’emmener des dirigeants en sortie.
David Morrison : Je vois.
Paul Maddison : Vous voyez, des gens comme vous, nous devions montrer ce que la Marine était capable de faire et l’une des choses que nous faisions était la démonstration de manœuvres à grande vitesse. Et c'était très amusant. Vous savez, vous allez à toute vitesse à 30 nœuds.
David Morrison : Oui, oui, oui.
Paul Maddison : Vous allez marche arrière toute, cassez l’erre du navire puis vous repartez marche avant toute, et vous sentez une puissance de 50 000 chevaux-vapeur vibrer à travers les tôles de pont et dans vos jambes. C'était tout simplement, ah… c’est le genre de choses que nous faisions.
David Morrison : Vous êtes… et cela implique de longues absences de le famille si vous êtes en mer.
Paul Maddison : Oui, absolument. Il y a donc un certain inconvénient. Je n'avais jamais prévu de passer autant de temps en mer que ce que j’ai fait, alors vous savez, quand je pense à ma femme, Faye, et à tout ce qu’elle a dû sacrifier de sa vie personnelle et de ses propres aspirations, et à ce qu'elle a dû affronter en tant que mère vivant seule pendant de longues périodes lorsque les enfants étaient très petits… En fait, je ne reconnaitrai jamais assez son mérite pour ce qu'elle a fait et, à l’époque, je n’ai même pas mesuré combien je finirais par lui demander. Et je suppose que si nous pouvions le refaire et que nous savions ce qui allait suivre, nous aurions probablement fait des choix différents.
David Morrison : Oui. Une époque un peu différente probablement en termes d'attentes et...
Paul Maddison : Oh oui. Je veux dire, la Marine dans laquelle je suis entré n'est pas la Marine que j'ai quittée. Quand je me suis enrôlé dans la Marine, par rapport aux conjointes, disons que si vous aviez un problème à la maison, vos supérieurs vous auraient dit - si la reine voulait que vous ayez une femme, elle vous en aurait donné une. Donc, le message était que votre vie personnelle, ce n'est pas notre vie.
David Morrison : Exact. Pas notre responsabilité non plus.
Paul Maddison : Toute votre énergie et votre allégeance, vous les devez à la Marine. Et si vous avez des problèmes personnels, vous les réglez ou vous êtes le problème.
David Morrison : C’est vrai.
Paul Maddison : Et alors, la direction a changé dans la Marine et toute cette approche a été transformée à 180 degrés, jusqu'à ce que nous disions publiquement que la force derrière l'uniforme était la famille, et nous avons reconnu que ce ne sont pas seulement des marins, des soldats ou des hommes et des femmes qui servent le Canada et qui se mettent en danger. Mais c'est toute une famille qui permet à un homme ou à une femme de choisir volontairement de servir. C'est l’évolution que j'ai vue au cours de ma carrière et cela m'a donné beaucoup de satisfaction de voir que nous étions capables de mener ce changement.
David Morrison : Je crois qu’il y a un parallèle avec ce ministère…
Paul Maddison : Absolument.
David Morrison : Comme vous le savez sans doute, il y a eu une époque où les agents étaient des hommes et les conjoints des femmes qui étaient censées abandonner leur carrière. Nous avons parlé longtemps du fait que nous affectons des familles, pas seulement des employés, et parfois nous ne sommes peut-être pas aussi doués pour joindre le geste à la parole que pour parler. Néanmoins c'est une réalité, et j'aime beaucoup ça, voyez-vous, derrière l'uniforme il y a une famille. C'est manifestement vrai dans notre ministère également. Donc, vous devenez le commandant alors que vous ne vous attendiez même pas à commander un navire. Cela a dû être quelque chose. Vous avez pris votre retraite en 2013 ou en 2014 et maintenant vous êtes de retour en tant que fonctionnaire. Dites-moi, vous avez dû avoir toute une impression de ce ministère quand vous étiez de l'autre côté de la ville.
Paul Maddison : Oui.
David Morrison : Ça m'intéresse. Les deux ministères n'ont pas toujours été du même avis. Bien que je pense que c'est probablement beaucoup mieux qu'avant.
Paul Maddison : Oui.
David Morrison : Mais quelles ont été vos impressions en arrivant et quelles sont celles qui se sont confirmées?
Paul Maddison : Bon, tout d'abord, quand vous avez dit que j’ai pris ma retraite en 2013, j'ai en fait échoué spectaculairement à le faire et je me suis rendu compte que vous ne vous retirez pas, vous faites simplement une transition vers quelque chose de mieux. Et cela s'est avéré être quelque chose de mieux pour moi. Pour ce qui est des impressions, en tant qu'officier subalterne dans les années 80, j'ai eu l'incroyable expérience d'être un aide de camp de la Gouverneure générale du Canada. C'était Mme Jeanne Sauvé, et, à l'époque, vous deviez habiter à la résidence du Gouverneur général et voyager pour toutes les visites d'État et toutes les visites d'État tenues au Canada. Nous avons donc travaillé en étroite collaboration avec le chef du Protocole et les responsables ici.
Au moment de la présentation des lettres de créance, voyez-vous, je me souviens d'être venu ici chercher de nouveaux ambassadeurs dans le landau pour les emmener à Sussex [promenade Sussex] pour les lettres de créance. J’ai donc développé une appréciation à ce moment-là pour un groupe de professionnels très excitant, très talentueux et très motivé qui servait le Canada. Et quand nous avons voyagé à l'étranger - je me souviens de visites d'État en Italie et au Vatican et au Portugal et en France et en Angleterre - et vous savez, de voir comment les ambassades soutenaient la Gouverneure générale et comment nous avons dû travailler avec elles et la GRC dans la planification de la visite, cela m'a donné une impression très positive. C’est une impression que j’ai gardée jusqu'à la fin de ma carrière.
Par la suite, lorsque j'étais aux commandes du Calgary, je me souviens d’une visite portuaire à Manille, je m'en souviens très bien parce que j'ai organisé une réception avec l'ambassadeur aux Philippines. J’ai oublié son nom, et j’en suis gêné, mais c’était il y a 20 ans. Mais il m'a fait une forte impression comme un homme érudit, sympathique, engagé, qui a pris la pleine mesure d’un navire de guerre venant pour ainsi dire dans son port d'attache, et qui était une ambassade flottante. Et il voulait en profiter pleinement et il reconnaissait qu’un navire battant pavillon canadien dans un port étranger attire des gens d’influence d'une manière que peut-être votre résidence ou vos bureaux n’attireraient pas aussi facilement. Ainsi nous avons reçu des ministres et des gens de haut niveau et ça a été un plaisir de travailler avec lui, et il était très reconnaissant. Et cela m’a fait réaliser que même si nous étions en uniforme et principalement soucieux d’être prêts à intervenir en mer, que, dans la Marine tout au moins, lorsque nous arrivions dans un port étranger, nous étions en fait une extension du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international [MAECI] et nous étions là pour travailler avec vous pour promouvoir l'intérêt national. C'était donc une expérience très positive.
Et puis, lorsque je suis monté à un niveau plus stratégique, en particulier autour du conflit en Afghanistan, à ce moment-là, j'ai trouvé très intéressant d'observer à Ottawa comment le MAECI, ou Affaires mondiales Canada, et le MDN [ministère de la Défense nationale] travaillaient très étroitement ensemble pour le développement, la sécurité, et le triangle de gouvernance qui était vraiment au cœur du plan de la campagne d’Afghanistan. Et vous savez que le général Hillier dirigeait du côté du MDN avec le sous-ministre et il y avait évidemment un énorme engagement de la part d'Affaires mondiales...
David Morrison : C'est certainement celui que les gens désignent comme ayant fait le changement.
Paul Maddison : Oui et il y a eu certains problèmes au début évidemment.
David Morrison : Oui, oui, mais...
Paul Maddison : Il y a des différences culturelles... je parle de dissonance culturelle et... mais le fait d’aller vers cette approche pangouvernementale, je pense que c'est ce qui a donné le ton pour apporter un changement significatif.
David Morrison : Comme je l'ai dit, je crois que c'est à cela que les gens pensent lorsqu'ils parlent d’approche pangouvernementale. Ils ont en quelque sorte été associés à cela parce que je pense que cela a marqué le changement et, dans la période relativement courte où j’ai occupé mon poste actuel, j'ai eu une toute nouvelle perspective que je n'avais jamais vue auparavant, avec la cellule de sécurité nationale formée d’organismes qui collaborent exceptionnellement étroitement sur le plan formel ou informel. Et bien sûr, le MDN et les Forces canadiennes font partie intégrante de ce groupe… Sur l'Australie, mate.
Paul Maddison : G’day, mate. comment ça va? Bon.
David Morrison : Vous savez donc que peu de pays sont aussi proches du Canada. Vous savez, le nombre de fois où quelqu'un dit, eh bien, que font les Australiens? Quand on pense à la coopération sur la sécurité, on pense au Groupe des cinq, quand on pense à presque tous les défis auxquels nous sommes confrontés, il est toujours utile de penser à ce que font nos amis en Australie.
Quelles sont les différences? Où avez-vous vu des approches très différentes de l'Australie? Le pays est dans une région plus difficile que la nôtre; il vit avec une réalité chinoise que nous ne ressentons pas aussi fortement; il a une position différente sur l'immigration. Ne nous parlez pas des similitudes, mais des différences.
Paul Maddison : Eh bien, je pense que la géographie importe dans ce cas, et donc Alan Gyngell, ancien secrétaire aux Affaires étrangères à Canberra, et a écrit en 2015 le livre Fear of Abandonment, sur l'histoire des politiques publiques et de la politique étrangère en Australie depuis environ 1942. Et cette peur de l'abandon renvoie à la relation d'abord avec le Royaume-Uni et ensuite avec les États-Unis. Et ainsi le fait d’être un continent insulaire dans un très… je dirais au centre d’un vortex maintenant avec l’Indonésie, les Philippines, l’Asie du Sud-Est, au nord la Chine, le Japon et la Corée, et à l’ouest l’Inde. Ils ont beaucoup à faire sur le plan stratégique et ainsi ils voient leurs alliances stratégiques un peu différemment de nous. En fait, j'ai été vraiment surpris quand je suis arrivé. C’était à l'approche du cycle électoral américain, et je n’aurais jamais pensé que les Australiens seraient aussi concentrés ou même obsédés par le cycle politique américain que les Canadiens. Mais j'ai trouvé qu'ils étaient au moins aussi engagés que les Canadiens, alors cela m'a vraiment fait réfléchir. Et…
David Morrison : Et ça a mal commencé.
Paul Maddison : Effectivement, après les élections. Mais l'alliance stratégique est tout pour eux. Et ils aiment dire qu'ils ont deux amis très proches - la Chine et les États-Unis - mais qu’ils n'ont qu'un seul allié, dans ce cas particulier. Leur relation avec les États-Unis est donc aussi importante que pour nous, mais il y a différents éléments qui jouent ici. Certainement pas le même impératif économique incontournable auquel le Canada est confronté aujourd'hui surtout avec les tarifs douaniers, l'ALENA, etc. Mais ensuite, si vous examinez la situation avec la Chine… leur relation avec la Chine est différente de la nôtre, comme vous l'avez mentionné, parce qu’une grande partie de leur poids économique réside dans cette relation - l'Accord de libre-échange entre la Chine et l'Australie. Et le fait que l'Australie est la seule nation du G20 qui a connu une croissance ininterrompue depuis 28 ans, tout cela dépend de la demande chinoise croissante de matières premières.
Et donc je vais faire attention à ce que je dis ici, mais je pense que le degré auquel ils [les Australiens] sont devenus très actifs avec les Chinois à tant de niveaux les a forcés à être peut-être plus stratégiquement agiles que nous dans leurs relations avec la Chine, parce qu’ils n’ont pas le choix. Je pense que c'est un très bon « dossier » que le Canada continuera d'observer de très près. La migration, un dossier très difficile en Australie comme au Canada. Leur force est leur diversité. Vous savez qu'à Melbourne et à Sydney, plus de 50 % de la population est née à l'étranger. On pourrait donc dire que Melbourne et Sydney ressemblent beaucoup à Toronto, Vancouver et Montréal. Mais comme le Canada, ils sont très ouverts à une immigration légale et encadrée par des règles. Et le Canada n'a pas eu l'expérience qu'ils ont été forcés de supporter. Et donc ça conduit aux conditions...
David Morrison : C’était des bateaux entiers de gens qui arrivaient.
Paul Maddison : Oui, alors les organisations criminelles transnationales dirigent des réfugiés ou même des migrants économiques, et il y a eu des bateaux qui ont eu des problèmes au nord de l'Australie et des centaines de civils se sont noyés en mer et le gouvernement australien a décidé que ce n'était pas bien. Et ils ont mis en place des mesures pour arrêter les bateaux. C’est devenu une politique gouvernementale. C'est très controversé. Je suis certain que si le même genre de chose s'était produit au Canada, cela aurait été et continuerait d'être tout autant controversé. Et le fait qu'il y ait environ 1 300 ou 1 400 demandeurs d'asile, réfugiés et apatrides dans des centres de traitement offshore sur les îles de Nauru et de Manus et en PNG [Papouasie-Nouvelle-Guinée] est une question brûlante en Australie. Et heureusement, ce n'est pas quelque chose que le Canada a dû confronter. Mais si vous pensez à l'épisode du Sun Sea en 2010, c’était selon moi un événement d’importance nationale ici - et on ne parle que d’un bateau.
David Morrison : Oui, c’est très difficile. Et l'autre chose à propos de la région de l'Australie et de son orientation vers le nord qui m'a toujours intrigué, c'est sa relation avec certaines îles, en particulier sa relation d'aide au développement qui est différente de toute relation que le Canada... J'étais là une fois, sur les îles Salomon, et le haut-commissaire de l’Australie m'a dit : « Non non, David, vous ne comprenez pas. Nous payons actuellement un tiers du budget de soins de santé de ce pays et nous prévoyons continuer indéfiniment ». Je veux dire qu'ils sont en quelque sorte seuls dans leur propre sphère d'influence et que cette approche à l'égard de leurs voisins insulaires semble bénéficier d'un large soutien public en Australie.
Paul Maddison : Absolument et, en fait, c'est un sujet de dissension politique quant à savoir s'ils s'engagent suffisamment. Et j'ajouterai que je suis accrédité dans sept pays insulaires du Pacifique. Et mon bon ami, Mario Bot, à Wellington, est accrédité dans cinq autres. Cela fait donc partie de ce que nous faisons. Ainsi, je suis accrédité au Vanuatu, aux îles Salomon, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux Palaos, à Nauru, aux Îles Marshall et en Micronésie, tandis que Mario est accrédité aux Fidji, à Kiribati, à Tuvalu, aux Tonga et au Samoa, et c'est une région importante dans le monde pour un certain nombre de raisons.
David Morrison : Ah bon, vous parlez ici de l'APEC [Coopération économique Asie-Pacifique], n'est-ce pas?
Paul Maddison : Oui, oui, donc l'APEC et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Et ainsi pour revenir à votre question initiale, l’Australie investit chaque année 600 millions de dollars en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Et l'interdépendance des relations entre l'Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée est marquée. En fait, on dit… que l'Australie était essentiellement l'administrateur colonial jusqu'à l'indépendance en 1975. Et donc la relation de langue date est très forte et on voit ça dans tout le Pacifique. Les Australiens considèrent le sud et à l'ouest du Pacifique comme leur cour arrière et les Néo-Zélandais voient la partie sud du Pacifique comme leur cour arrière, et ils font tout leur possible pour... dans des limites raisonnables, bâtir la confiance, aider à bâtir une bonne gouvernance, apporter une capacité de développement durable autour des soins de santé, en particulier pour les femmes et les filles, et c’est pourquoi, au sujet de la résilience climatique, le haut-commissaire Barton et moi avons réussi, je crois, à faire valoir que les priorités de développement du Canada résonnent très fort dans le Pacifique Sud...
David Morrison : Il y a beaucoup, et j'ai suivi cela pendant des années, beaucoup de similitudes, sauf la question de savoir où nous travaillons, car dans le cas de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, les priorités sont claires. Je m'en voudrais de vous laisser partir sans vous demander de nous faire part de vos réflexions sur le leadership dans les deux grandes organisations où vous avez servi - les Forces canadiennes et la Marine canadienne - et les similitudes et les différences par rapport aux exigences en matière de leadership que vous avez pu observer à Affaires mondiales.
Paul Maddison : Merci pour la question, David. je dirais que c'est toujours à propos des gens et ce n'est pas... ce n'est jamais tellement à propos du leader. Et j'ai toujours cru que si vous passez vraiment du temps avec les gens dans votre mission ou dans votre navire, si vous démontrez sincèrement que vous les respectez pour qui ils sont et si vous dites très clairement que vous croyez que chaque membre de votre équipe a un don unique à faire pour que la mission réussisse… si vous êtes présent pour recevoir ce cadeau, le rôle en tant que marin, officier EC ou ERP [employé canadien/employé recruté sur place] n’est pas important, mais c'est un travail d'équipe et personne ne réussira à moins que tout le monde ait un certain succès. Et si vous êtes là pour communiquer, que vous êtes visible et que vous offrez votre soutien et votre suivi et que vous savez remercier un employé pour ce qu’il vient de faire de sa votre propre initiative, cela signifie beaucoup. Vous savez, il ne faut pas être invisible, je pense que ces choses sont très importantes, il faut être un champion pour votre groupe. Et voyez-vous, il est parfois difficile d'obtenir que le niveau stratégique au quartier général reconnaisse que certaines des tensions humaines bien réelles tiennent à la façon dont les gens sont touchés par les difficultés budgétaires ou les difficultés de programmation. Et donc vous avez besoin, en tant que leader, d’intervenir et d'être leur champion, et le faire d'une manière respectueuse est essentiel. Vous savez mon... j’ai dû composer avec une différence, ayant commandé dans la marine et géré un budget de 2 milliards de dollars et 15 000 personnes, je dirais que j'ai probablement fait une erreur en supposant qu'en entrant dans un rôle dans une mission, à Canberra, avec 45 personnes, je pourrais garder le style de leadership que j'avais alors et simplement l'appliquer. J'ai appris très vite – je regardais autour de moi et je disais, eh bien, nous devons faire ceci, je pense que nous devrons faire cela, j'aimerais voir que les choses se fassent comme cela, je crois que nous avons vraiment besoin de faire cela…. Et mon adjoint est venu me voir environ un mois après mon entrée en fonction et il m’a dit je comprends vraiment ce que vous dites et je suis d'accord avec toutes les activités importantes que vous ouvrez. Mais si nous voulons que cela soit fait, vous devrez en faire la moitié vous-même. Et j'ai dû faire ce changement.
David Morrison : Évidemment.
Paul Maddison : Donc, peu importe si vous êtes le haut-commissaire ou si vous dirigez une mission de taille moyenne, ou une petite mission comme Canberra, si vous voulez accomplir quelque chose, vous devez y aller et retroussez vos manches et passer du temps avec votre équipe. Et donc j'ai aimé faire ce changement. L'équipe là-bas m'a dit que je suis plus visible et plus à l'aise pour communiquer, parler et donner du feedback que ce à quoi ils étaient habitués, et je considère donc que c'est positif.
David Morrison : Oui. Vous savez que nous tous, quand nous sommes poussés dans différentes situations d’emplois, nous apprenons plus en tant que leaders, non? Vous savez qu'un travail remet en question de vieilles suppositions, alors...
Paul Maddison : Et j'apprends tous les jours. En fait, je pensais qu'étant dans l'armée et ayant commandé au niveau stratégique, j'avais une compréhension assez large de la machine gouvernementale, de la gouvernance et du système de gouvernance mondiale et des endroits où les intérêts du Canada sont engagés. Mais encore une fois, j'ai réalisé très tôt que j'avais besoin de comprendre les autres aspects de ce qu’Affaires mondiales Canada apporte dans le monde. Je devais compter sur mon équipe pour me mettre au courant.
David Morrison : Nous sommes de retour sur travail d'équipe avec une bonne dose de communication. Paul, nous pourrions continuer encore longtemps, mais nous sommes à court de temps, alors merci. Bon retour et nous avons hâte de vous revoir.
Paul Maddison : Merci beaucoup pour cette opportunité. C’est formidable de discuter avec vous, David.
David Morrison : Ok, merci. Au revoir.