Transcription – Épisode 20 : Entretien avec Giuseppe Basile

David Morrison: Giuseppe Basile travaille dans la section consulaire d’Affaires mondiales Canada, où il se spécialise dans les cas touchant des enfants. Certains de ces enfants ont été illégalement enlevés par l’un de leurs parents et emmenés à l’étranger, laissant ici au Canada l’autre parent qui se demande comment récupérer ces enfants ou même avoir la possibilité de leur parler au téléphone. Giuseppe s’efforce de résoudre de tels cas, mais il tente également d’aider le parent abandonné à s’en sortir. Son travail est exigeant et souvent déchirant. Giuseppe est récemment passé à mon bureau pour en parler.

Giuseppe, merci d’être venu. Nous venons tout juste de faire connaissance, ce qui vous différencie de la plupart des personnes que nous avons rencontrées jusqu’à présent dans le cadre des Dossiers d’AMC. Mais un certain nombre de personnes à l’écoute ont proposé votre nom, car votre travail est fascinant. Vous travaillez dans les affaires consulaires, qui diffèrent de la plupart des gammes de services offerts par le Ministère ou des choses qu’il fait, car il s’agit de services offerts directement aux Canadiens de tous les horizons. Au sein des services consulaires, vous travaillez à l’unité de la famille du bureau du Moyen-Orient, ce qui signifie que vous êtes impliqué dans certains des cas consulaires les plus difficiles ou les plus compliqués que nous ayons. Je viens de vous dire que j’ai rencontré hier soir Omar Al-Ghabra qui, comme beaucoup de gens le savent sans doute, était jusqu’à récemment le secrétaire parlementaire aux Affaires consulaires. Omar vous a appelé l’un des héros méconnus du Ministère, pour votre travail auprès des familles dans des conditions très difficiles. Nous voulons donc tout savoir à ce sujet. Mais comme toujours, commençons par le début. Je vais deviner que Giuseppe Basile est un Suédois. Alors, parlez-moi de votre famille. Je sais que vous restez un peu à l’ouest de l’édifice Pearson, mais vous pouvez nous renseigner. Je vous laisse la parole.

Giuseppe Basile : Avant de commencer, je suis heureux de savoir ce que M. Al-Ghabra a dit de moi, mais j’aime penser que mes collègues ont tous un cas qui est un peu compliqué et difficile à gérer. Alors, d’où je viens : ce n’est pas très loin de la Suède – juste un peu plus au sud… Ma famille vient en fait du sud de l’Italie.

David Morrison : D’accord. D’où exactement, le savez-vous?

Giuseppe Basile : Mon père vient d’une ville située à environ une heure de Bari, au sud, dans le talon de l’Italie.

David Morrison : D’accord…d’accord.

Giuseppe Basile : Ma mère vient d’une région de la Calabre. Donc, encore plus au sud.

David Morrison : D’accord. La Calabre. Oui.

Giuseppe Basile : Oui, la Calabre. Mes parents se sont rencontrés là-bas, mais mon père est venu ici par bateau lorsqu’il avait 17 ans, au côté de ma mère.

David Morrison : « Ici » étant le Canada ou Ottawa?

Giuseppe Basile : À Ottawa en fait. Il dit que le bateau est arrivé au Quai 21 à Halifax, puis qu’il est monté dans un train et est arrivé à Ottawa 24 heures plus tard. Et il raconte toujours des histoires sur, vous savez, les immigrants italiens. Ils ont tous les mêmes histoires.

David Morrison : Sont-elles vraies?

Giuseppe Basile : Le pain en tranches est comme de la colle, et les tomates dans les magasins n’étaient pas les mêmes, et l’huile d’olive était portugaise. Ils ont donc tous ces histoires et mon père explique comment, dans le train reliant Halifax à Ottawa, c’était comme un film Western et c’est vrai… il n’y avait pas de villes. Les routes étaient petites. Il n’y avait pas de gens autour. C’était comme l’un de ces villages de l’Ouest.

David Morrison : Il devrait voir le vrai Ouest.

Giuseppe Basile : Et ensuite, il s’est demandé « Qu’est-ce que je fais ici ? », et ils sont arrivés ici seuls, sans argent, sans connaître la langue et sans éducation. Mais oui, j’ai grandi dans la partie ouest de la ville et mon père...

David Morrison : Lorsqu’il est arrivé, est-il… est-il allé directement dans la partie ouest ou la Petite Italie?

Giuseppe Basile : Non, la Petite Italie. La rue Preston, c’est vrai.

David Morrison : Bien sûr, bien sûr, oui.

Giuseppe Basile : C’est assez comique que du côté de ma mère, mes grands-parents dirigeaient une… mon grand-père travaillait quand ma grand-mère dirigeait une chambre et une maison de pension. Vous savez, ils avaient une maison de trois étages sur la rue Preston. Les immigrants arrivaient, et elle accueillait ces familles et leur donnait une maison et un endroit où vivre pendant qu’ils s’installaient et cherchaient leur propre endroit et leur propre emploi. Mais le prêtre était également très impliqué, donc il y avait une approche communautaire pour aider les gens à s’installer et à s’orienter, car personne ne parlait la langue et personne n’avait d’éducation. Personne ne savait quoi faire. Il s’agissait donc de s’installer et de commencer.

David Morrison : Est-ce que votre père est devenu plus satisfait des tomates lorsqu’il est arrivé dans la Petite Italie?

Giuseppe Basile : Oui, il a fini par trouver quelqu’un qui cultivait les bonnes tomates et quelqu’un qui savait où obtenir les raisins pour faire le vin.

David Morrison : D’accord, d’accord.

Giuseppe Basile : Mais oui, éventuellement tout cela s’est produit. Mon père a ensuite lancé sa propre entreprise de construction et il a connu le succès. À un moment donné, je pense que plus de 300 personnes travaillaient pour lui. C’était donc une entreprise locale, et il travaille encore aujourd’hui. Il a 70 ans et il refuse d’arrêter. Mais...

David Morrison : C’est vraiment une histoire d’immigrant. Alors vous avez grandi dans l’ouest de la ville.

Giuseppe Basile : Oui. Nous n’avons pas grandi là où vivaient tous les Italiens, nous avons grandi plus à l’ouest. Je suis donc allé à l’école à Barrhaven, à l’extrême ouest d’Ottawa. Et j’étais l’un des seuls enfants avec un nom étrange. Tous les autres s’appelaient Mike ou Chris ou Laura ou Megan. Alors ma mère leur a dit de simplement m’appeler Joseph parce que Giuseppe, c’est Joseph en italien. Et je me souviens qu’en cinquième année, l’enseignant n’a pas eu la bonne liste et mon vrai nom était sur la liste. Elle a lu mon nom et chacun a regardé autour de lui.

David Morrison : Nous n’avons pas cette personne ici.

Guiseppe Basile : Qui est-ce? Et j’ai levé la main, et elle m’a dit « Et bien, nous allons donc t’appeler Giuseppe à partir de maintenant, je pense ». Et j’avais trop peur de dire non. J’ai dit « d’accord ». Et c’était ça.

David Morrison : Et c’était tout.

Giuseppe Basile : Oui. Donc…

David Morrison : Toute la conversation.

Giuseppe Basile : C’est ça notre histoire.

David Morrison : Alors vous êtes allé à l’école dans l’ouest de la ville. Et avez-vous des frères ou des sœurs ?

Giuseppe Basile : Oui. Je suis l’aîné de quatre enfants.

David Morrison : D’accord. Et les autres membres de votre famille sont-ils des fonctionnaires, ou que font-ils?… Qu’est-ce qui vous a amené à une carrière au gouvernement?

Giuseppe Basile : Non, jamais vraiment. Donc, ma plus jeune sœur, elle est encore à l’école. Mon frère travaille avec mon père, et une sœur vient juste de commencer à travailler, elle a commencé au gouvernement aussi. Mais ce qui m’a amené ici, c’est drôle parce que vous retournez en arrière, à ce qui vous attire, vous savez, l’étendue de ce ministère, le côté international de ce ministère, et je ne peux m’empêcher de penser à mon premier voyage durant mon enfance, mon retour en Italie pour rendre visite à ma famille. Je pense à moi-même, et j’étais fasciné par le fait que des gens vivent dans d’autres pays, ont une vie différente, parlent une langue différente, mangent des plats étranges et conduisent des voitures bizarres, et cela m’a toujours intéressé. Et puis, au début de mes études, vous apprenez que des Canadiens travaillent à l’étranger, vous apprenez ce qu’ils font et les différentes choses qu’ils font pour ce pays, mais pas ici dans le pays.

David Morrison : D’accord.

Giuseppe Basile : Alors c’était toujours intéressant. C’est ce qui m’a attiré dans ce ministère.

David Morrison : Et lorsque vous êtes arrivé ici… en fait, je vois en regardant votre CV que vous avez travaillé à Agriculture pendant un certain temps, mais lorsque vous êtes arrivé ici, vous avez commencé dans la section du personnel.

Giuseppe Basile : Oui. Alors j’ai travaillé du côté corporatif en RH dans des équipes chargées du recrutement d’agents du service extérieur. Alors j’ai fait cela pendant un certain temps. J’ai aussi travaillé dans la section des affectations sur les dossiers des chefs de mission, c’est-à-dire coordonner le processus des ambassadeurs canadiens, comment ils vont à l’étranger, ainsi que la préparation de leur départ. Et puis j’ai commencé à travailler dans la section consulaire.

David Morrison : Alors, je veux dire, c’est… ce sont les procédés de chef de mission. Peut-être devrait-il y avoir un balado entier sur le sujet. C’est la bonne saison en ce moment. Mais…mais dirigeons-nous plutôt vers votre travail dans les affaires consulaires. Racontez-nous brièvement comment vous êtes entré : avez-vous participé à un concours ou avez-vous été recruté, ou comment êtes-vous passé de corporatif à consulaire?

Giuseppe Basile : Oui, c’était toujours intéressant, vous savez, d’entendre parler des crises qui surviennent dans le monde et de voir comment ce ministère a un rôle à jouer, et lorsque cette liste est sortie avec les emplois disponibles, j’ai donc postulé. J’ai pensé « je vais essayer », puis j’ai passé l’entrevue et…et j’ai été sélectionné. Alors, vous savez, il y avait des postes dans la gestion de cas, et un poste que je trouvais intéressant était celui dans l’unité de la famille, travaillant sur des cas liés à des enfants et des familles et les différentes choses au travers desquelles ils passent.

David Morrison : D’accord. Alors ce que je comprends, c’est que dans l’unité des enfants, vous avez des cas qui tombent généralement dans quatre catégories : ma liste donne les enlèvements parentaux d’enfants, les mariages forcés, le bien-être des enfants, et les enfants abandonnés ou qui se retrouvent orphelins à l’étranger. Et peut-être y a-t-il quelques catégories supplémentaires comme des familles qui sont en dispute, ou des enfants et des jeunes appréhendés à l’étranger, mais…mais, dites-moi, lorsque vous avez commencé, vous avez géré ce qui arrivait sur votre bureau ou est-ce que les choses sont subdivisées, ou comment fonctionnez-vous?

Giuseppe Basile : Alors vous voulez dire la façon dont nous divisons notre travail?

David Morrison : Oui.

Giuseppe Basile : D’accord. Alors au sein de notre section consulaire, il y a une direction de la gestion des cas et au sein de cette direction, il y a une section qui gère les cas politiques très médiatisés. Puis il y a une direction qui traite de tout ce qui est lié à tout qui peut arriver à un Canadien à l’étranger. Et puis nous divisons les choses qui touchent les enfants et les familles.

David Morrison : D’accord.

Giuseppe Basile: Ou les choses qui ne les touchent pas. Alors afin que ça vienne de notre côté, il faut qu’il y ait quelque chose ayant rapport avec un enfant ou le bien-être…

David Morrison : …le bien-être de l’enfant.

Giuseppe Basile : …ou le bien-être de la famille. Oui. Je veux dire, je connais une mère victime de violence conjugale qui veut partir avec ses enfants. Quelque chose comme ça, cela viendrait de notre côté.

David Morrison : Vous m’avez parlé brièvement des défis particuliers de ce type de travail qui sont liés aux contacts. Très différent des contacts canadiens. Le problème de la double citoyenneté ajoute un autre niveau de complexité, parce que beaucoup de pays ne reconnaissent pas la double citoyenneté. Alors nous, c’est-à-dire le Canada, nous croyons que nous avons l’obligation d’intervenir et certains pays ne sont pas d’accord avec cela. Dans votre partie du monde, il y a des systèmes juridiques très différents et des us et coutumes très différents. Je parle ici du Moyen-Orient. Parlez-nous de quelques-uns des… évidemment sans révéler de nom ou même révéler le pays, parlez-nous de quelques-uns des problèmes ou cas plus complexes que vous avez dû gérer.

Giuseppe Basile : Mes pensées vont automatiquement aux cas qui impliquent l’enlèvement parental des enfants. Alors ce sont des cas où il y a habituellement un litige de garde ou une sorte de dispute entre la mère et le père lorsqu’ils sont au Canada et, pour une raison ou une autre, je vais juste dire que le père décide qu’il va prendre les enfants et les amener à l’étranger et ne pas revenir à la maison. Des fois, il y a une communication entre les parents, entre le parent qui est laissé et les enfants, mais souvent il n’y en a pas. Donc, cela ressemble parfois beaucoup à des choses que nous voyons dans les films. Les enfants perdent contact avec leur mère. Et j’ai des cas où la mère n’a pas parlé à ses enfants depuis deux ans, ou des cas aussi où un père n’a pas parlé à ses enfants depuis deux ans. Il y a… je peux penser à un cas plus récent où une mère a perdu ses enfants il y a peut-être six mois, et c’était bizarre parce que les deux parents avaient un rôle tellement important dans la vie des enfants ici. Vous savez, ce n’était pas une situation avec un seul gardien, c’était une situation de garde partagée.

David Morrison : Oui, oui.

Giuseppe Basile : Et soudainement, oui, ils ont disparu. Lorsque… lorsque cela arrive, c’est…c’est…c’est un problème juridique et nos tribunaux canadiens peuvent décider qu’ils peuvent attribuer la garde des enfants au parent qui a été abandonné afin que les enfants reviennent. Mais nos ordonnances des tribunaux canadiens n’ont pas vraiment de voix…

David Morrison : D’accord.

Giuseppe Basile : … dans les tribunaux étrangers, particulièrement ceux du Moyen-Orient où les litiges sur la garde sont tranchés par la charia.

David Morrison : D’accord.

Giuseppe Basile : Donc, nos ordonnances des tribunaux n’ont mutuellement pas de voix. Alors ceci est l’un des défis auxquels plusieurs parents abandonnés sont confrontés. Ils doivent aller à l’étranger ou embaucher un avocat pour les représenter et demander au tribunal la permission de retourner au Canada avec leurs enfants.

David Morrison : Demander au tribunal du Moyen-Orient, dans…

Giuseppe Basile : … leur pays étranger.

David Morrison : D’accord.

Giuseppe Basile : Et ceci devient encore plus compliqué pour les personnes ayant la double citoyenneté. Comme vous le disiez, souvent les pays ne reconnaissent pas la nationalité canadienne et ne vont même pas reconnaître nos ordonnances des tribunaux. Alors une fois qu’ils sont, je vais dire au Liban, parce que nous avons un grand volume de cas au Liban – il y a beaucoup de Canadiens libanais –, une fois qu’ils vont au Liban, ils sont des citoyens libanais. Ils sont dans leur pays et donc… c’est comme cela que les tribunaux peuvent le percevoir. Alors c’est un processus très long et ça devient très compliqué.

David Morrison : Le côté juridique.

Giuseppe Basile: Oui, et très compliqué pour ces parents qui sont abandonnés, qui n’ont aucun contact avec leurs enfants.

David Morrison : Il existe plusieurs régimes ou mécanismes de prévention. Je peux penser à la restriction à laquelle tous les parents font face, franchement, lorsqu’ils voyagent seuls avec leurs enfants, qui les oblige à avoir la permission de l’autre parent. C’est quelque chose qui arrive, je pense, spécialement pour les parents divorcés. Les gens traînent leur ordonnance du tribunal avec eux pour prouver qu’ils ont la garde des enfants, et ainsi de suite. Il y a aussi la Convention de La Haye selon laquelle… peut-être vous pouvez expliquer exactement comment ça fonctionne, mais d’après ce que je comprends, si un pays a signé la Convention de La Haye, il a accepté de mettre en application les ordonnances des tribunaux d’un autre pays, ou au moins de coopérer dans le cadre des litiges de garde. Comment se peut-il, compte tenu de ces sortes de protection, que les enfants canadiens finissent par être, pardonnez-moi, laissés pour compte? Je veux dire, pourquoi, vous savez, lorsque… lorsque j’essaie de partir de quitter le pays avec mes enfants, on me demande toujours si j’ai la permission de l’autre parent. Alors, est-ce que ces choses ne fonctionnent pas ou comment est-ce possible…?

Giuseppe Basile : Pour nous, au Canada, nous n’avons pas de contrôle de sortie. Il n’y a pas d’autorité officielle pour vérifier que la permission est en place.

David Morrison : C’est…c’est l’entrée.

Giuseppe Basile : Nous vérifions seulement lors de l’entrée, c’est exact.

David Morrison : Je vois, d’accord…d’accord.

Giuseppe Basile : Donc, lorsque vous revenez au Canada, il se peut que vous deviez répondre à plusieurs questions si vous voyagez avec… avec des enfants et sans l’autre parent.

David Morrison : En effet.

Giuseppe Basile : Mais au moment de sortir, vous savez que vous pourriez avoir affaire à un agent qui pourrait remarquer que quelque chose cloche et qui pourrait vérifier ou, vous savez, le… le parent qui ne voyage pas pourrait avoir des soupçons et la police a déjà été contactée, et ça pourrait…

David Morrison : Ça pourrait être un signe.

Giuseppe Basile : Ça pourrait être un signe à l’aéroport, mais il n’y a pas de liste officielle qui nous dit, vous savez, si un enfant ne peut voyager parce qu’il n’a pas la permission de ses parents.

David Morrison : En effet, en effet.

Giuseppe Basile : Donc ces enfants se font emmener outre-mer sans savoir ce qui se passe. Et c’est habituellement sous de faux prétextes. Vous savez, c’est du style : « je pars en vacances avec mon père », et ensuite ils découvrent qu’ils sont inscrits à une école étrangère avec des enfants étrangers parlant une autre langue. 

David Morrison : Oui.

Giuseppe Basile : Et, vous savez, ils ne comprennent pas.

David Morrison : En effet, en effet.

Giuseppe Basile : Donc, c’est à cela… c’est à cela qu’ils sont confrontés.

David Morrison : Et comment la Convention de La Haye fonctionne-t-elle?

Giuseppe Basile : Donc la Convention de La Haye est utilisée pour déterminer le lieu habituel de résidence. Alors dans les pays qui se reconnaissent, nous voyons à ce qu’ils se reconnaissent entre eux. Par exemple, le Canada reconnaît des pays comme la France, ou la Grande-Bretagne, en vertu de la Convention de La Haye. Donc si l’enfant est pris, le parent abandonné fait une demande ici au Canada, à l’aide d’une autorité centrale dans la province. Cette demande se fait envoyer dans l’autre pays. Et cela dit quelque chose comme « hé, ces enfants sont au Canada et nous aimerions porter ceci à votre attention et déterminer le lieu habituel de leur résidence ». Donc, l’affaire va au tribunal dans ce pays et le juge va déterminer si le lieu habituel de résidence est le Canada ou le lieu actuel.

David Morrison : Oui, oui.

Giuseppe Basile : Donc les pays qui ne sont pas des signataires de la convention de La Haye ne regardent pas. Ils ne considèrent pas toujours le lieu habituel de résidence.

David Morrison : Je vois.

Giuseppe Basile : Donc, c’est là que ça devient compliqué. Les pays du Moyen-Orient, ils ne regardent pas nécessairement votre lieu de résidence. Ils pourraient d’abord regarder les lois sous la charia ainsi que les responsabilités, les autorités et les lois de tutelle à propos des parents.

David Morrison : Avez-vous eu une expérience de la charia? Il y a plusieurs systèmes juridiques différents. Il y a aussi la mère ou le père. Avez-vous eu déjà eu des différences en ce qui concerne le fait qu’un pays donne la priorité à une mère ou à un père, ou traite différemment une mère et un père dans un cas de garde de l’enfant?

Giuseppe Basile : Un petit peu, oui. J’ai quand même géré des cas en Europe. Et donc, particulièrement en Europe de l’Est, ils se reportent à la mère, tandis qu’au Moyen-Orient ils se reportent au père...

David Morrison : D’accord.

Giuseppe Basile : …en vertu de la charia. Mais à un certain âge, la garde des enfants change. Lorsque l’enfant devient plus vieux, il peut changer de la mère au père et vice versa. Donc ça dépend du pays. Mais oui, nous avons tendance à voir ça.

David Morrison : Tendance à voir ça. Alors que dans des pays comme le Canada et les États-Unis, c’est prétendument tout à fait neutre.

Giuseppe Basile : Prétendument, oui, c’est censé être neutre. Je ne peux pas parler pour les tribunaux, mais ils ont tendance à s’intéresser au bien-être de l’enfant.

David Morrison : Oui… oui… oui.

Giuseppe Basile : Et prennent cela en considération.

David Morrison : Parlez-nous un peu des aspects les plus exigeants. Vous avez parlé des défis juridiques. Parlez-nous un peu des défis personnels consistant à devoir traiter avec les familles. Par exemple, une mère qui a perdu contact avec ses enfants mineurs, et parfois ces enfants ont juste 3, 4 ou 5 ans.

Giuseppe Basile : C’est difficile. Je veux dire, vous êtes assis à votre bureau et le téléphone sonne. Vous ne savez jamais vraiment de qui il s’agit, qui est à l’autre bout de la ligne et ce que cette personne va dire. Donc, dans des cas que vous venez juste de décrire, vous voyez ces parents qui sont abandonnés et… et s’ils ne peuvent parler à leurs enfants pendant plusieurs années, vous pouvez sentir que ça les ronge et vous pouvez… vous pouvez vraiment ressentir cela. Et votre travail ne consiste pas nécessairement à aider… Comment dire cela? Vous êtes là pour offrir du soutien dans la mesure du possible, et à mon niveau, je ne ressentirai jamais la même chose que ce qu’un parent laissé derrière peut ressentir. Je n’ai jamais ressenti ça puisque je ne peux pas vivre cette expérience, et je ne peux pas. La sympathie que l’on peut offrir est un peu délicate. Vous ne savez jamais… vous ne comprendrez pas jusqu’au moment où vous allez le ressentir, donc vous allez voir que ce parent laissé pour compte va en trouver un autre, vous savez...

David Morrison : D’accord.

Giuseppe Basile : Ils trouvent… ils trouvent du réconfort là-dedans. Mais pour nous, c’est difficile puisque vous savez quoi dire, mais pas comment le dire.

David Morrison : Oui, oui.

Giuseppe Basile : Vous savez que vous ne pouvez offrir… offrir qu’un certain soutien et un certain réconfort puisque vous ne pourrez jamais comprendre les choses au travers desquelles ils doivent passer.

David Morrison : Avez-vous travaillé avec ces personnes seulement par téléphone, ou les avez-vous rencontrées?

Giuseppe Basile : J’en ai rencontré quelques-unes. Certaines personnes viennent à Ottawa. Elles veulent avoir… elles veulent avoir une rencontre. Elles demandent de rencontrer des cadres supérieurs. Elles veulent rencontrer le ministre, ou elles sont à Ottawa pour une raison ou l’autre et donc aimeraient nous rencontrer. Elles viennent s’asseoir au rez-de-chaussée durant quelques minutes, mais cela se passe majoritairement au téléphone.

David Morrison : Oui.

Giuseppe Basile : Cela rend les choses difficiles, puisque c’est beaucoup plus facile d’avoir une conversation face à face.

David Morrison : Oui.

Giuseppe Basile : Vous savez et… et offrir du soutien dans ces situations difficiles… Ces situations changent une vie pour les personnes qui doivent passer au travers. Vous savez que c’est le jour le plus difficile de leur vie, vous êtes au téléphone avec eux, et les choses que vous pouvez dire sont limitées.

David Morrison : Oui, oui.

Giuseppe Basile : Ils ne seront jamais en paix tant que leurs enfants ne seront pas revenus. 

David Morrison : Oui. Et vous savez, je veux dire, c’est un vrai privilège de… de discuter de cela. Et franchement, vous savez quel courage cela prend de travailler directement des Canadiens en détresse. Souvent, Affaires mondiales est… est caractérisé, comme vous le savez, comme étant un ministère de personnes raffinées, de soirées cocktails chics autour d’une piscine, etc. C’est du moins la caricature classique. Alors que ce que vous et vos collègues faites, à savoir donner un service essentiel à un Canadien en détresse, est extraordinairement demandant. Comment cela vous affecte-t-il? Qu’en savez-vous? J’assume que vous avez de bonnes journées et de mauvaises journées, mais l’émotion liée à tout cela doit… doit vous user.

Giuseppe Basile : Oui, c’est une bonne question, car vous ne savez pas comment cela vous affecte jusqu’à ce que quelque chose se produise.

David Morrison : Oui.

Giuseppe Basile : Si… c’est une bonne façon de le dire, vous savez. Je ne pense pas que j’y pense maintenant, et je me sens bien. Je fais mon travail, je fais ce que je peux, et je fais de mon mieux pour offrir mon soutien. Je sais que mes collègues font la même chose. Mais vous pensez à ce qui se passera dans cinq ans, si je ne ferai plus ce travail, et comment cela m’aura affecté.

David Morrison : Oui.

Giuseppe Basile : Vous savez, et alors…

David Morrison : Et vous… et vous le faites depuis quatre ans?

Giuseppe Basile : Quatre ans, oui. Vous savez, parfois vous traversez la pièce et vous voyez des gens qui ont leur porte fermée, et vous savez qu’ils travaillent sur un cas difficile. Et je pense alors à ces pires appels, je pense aux cas d’enlèvement d’enfants, qui sont des cas difficiles. Mais nous traitons beaucoup de cas de décès, et vous savez qu’il est difficile d’appeler un membre de la famille pour lui dire que son frère, sa sœur ou un proche est décédé à l’étranger… c’est difficile.

David Morrison : Oui.

Giuseppe Basile : Et ces journées-là sont longues, et c’est difficile à gérer.

David Morrison : Quelle sorte de formation avez-vous reçue pour faire ce genre de travail?

Giuseppe Basile : Vous savez, vous devez avoir une compréhension de notre réseau. Je pense que c’est vraiment important pour bien comprendre nos missions à l’étranger et les différentes choses que nous pouvons faire à l’étranger. Vous savez, à qui notre mission peut parler, comment nous parlons et comment nous abordons les choses. Comprendre la mission, c’est une chose, mais je pense que l’essentiel est d’avoir de la compassion et de prendre soin des gens. Vous savez, les personnes avec lesquelles je travaille, nous avons tous le même niveau de compassion. Nous comprenons en quelque sorte que les gens passent par des moments difficiles et nous savons qu’on souhaite offrir soutien et aide, mais en ce qui concerne la formation formelle sur la façon d’aider les gens lorsqu’ils sont au téléphone et en détresse manifeste, c’est… c’est vraiment de la pratique sur place.

David Morrison : Bien sûr.

Giuseppe Basile : Oui.

David Morrison : Comment vous soutenez-vous mutuellement, vos collègues et vous?

Giuseppe Basile : Vous savez, nous… nous rions beaucoup; vous savez, nous… nous dînons ensemble tout le temps et, vous savez, c’est un peu comme une pause mentale.

David Morrison : Bien sûr.

Giuseppe Basile : Parce que, vous savez, avant le dîner, vous faites trois ou quatre heures de travail. C’est lourd, mais ensuite, vous savez, nous sommes assis ensemble au dîner et nous nous taquinons mutuellement. Nous ne parlons pas beaucoup du cas sur lequel nous échangeons des remarques telles que : « oh, je suis dans cette situation difficile avec le cas sur lequel je travaille. Qu’avez-vous fait dans ce cas? Oh, oui. » Et nous comparons des notes, mais parfois, vous savez, c’est vraiment comme un interrupteur que vous devez éteindre.

David Morrison : D’accord.

Giuseppe Basile : Et alors lorsque nous le faisons, généralement nous rions.

David Morrison : Il semble que vous avez de bonnes qualités. Nous avons parlé un peu au préalable. Vous allez aussi au gymnase. Je connais votre… votre instructeur de conditionnement physique et votre… votre vie à l’extérieur d’AMC. Nous avons eu une brève discussion sur le dilemme d’après travail : Devrais-je aller au gymnase? Devrais-je aller prendre un verre? Devrais-je essayer de faire les deux? Cela semble particulièrement bien s’appliquer à vous et à vos collègues; vous avez vraiment besoin d’une manière non professionnelle de… de vous calmer.

Giuseppe Basile : Oui.

David Morrison : Après… après le travail intense que vous faites.

Giuseppe Basile : Oui, il faut que vous trouviez ce qui fonctionne pour vous. Certaines personnes ne trouvent pas, en fait... Je n’aime pas aller au gymnase, en fait je déteste y aller, mais je sais que je dois y aller trois fois par semaine. J’ai mon… j’enseigne mon cours de cyclisme, alors je fais ça parfois, mais certaines personnes préfèrent lire ou veulent simplement faire une promenade ou veulent socialiser, peu importe. Mais vous devez trouver quelque chose qui fonctionne pour vous et qui vous aide à éteindre les feux. Moi, j’aime faire de l’exercice. 

David Morrison : Quel est… quel est… qu’est-ce que votre père pense de ce que vous faites?

Giuseppe Basile : Je ne sais pas. Et bien, je crois qu’ils sont fiers. Vous savez, c’est en quelque sorte très éloigné de ce qu’ils connaissent. Ils… ils ne… toute cette affaire de diplomatie n’est pas quelque chose qui est sur leur radar. Mais ils sont fiers. Vous savez, parfois à des réunions de famille, ils… ils entendent que mon BlackBerry sonne et, vous savez...

David Morrison : Oui.

Giuseppe Basile : Il y a un cas important, ils disent d’accord, d’accord. Ou au chalet – la famille se réunit toujours au chalet –, donc je sais que si j’ai un cas et que nous sommes sur le bateau, j’apporte mon BlackBerry avec moi. Et si le téléphone commence à sonner, alors ils…

David Morrison : Ils savent que vous faites quelque chose.

Giuseppe Basile : Ils savent que je fais quelque chose. Je ne… je ne peux pas… je ne peux pas vraiment partager quoi que ce soit, mais oui, j’aime penser qu’ils sont fiers.

David Morrison : Et bien, je pense que… je vais les contacter et leur dire d’écouter ce balado. Et je peux… je peux vous garantir qu’ils seront fiers de vous. Alors et… et nous sommes fiers parce que vous faites, vous et vos collègues, un travail extraordinaire au nom du Ministère, mais surtout au nom des Canadiens.

Giuseppe Basile : Merci.

David Morrison : Alors Giuseppe, Joseph, Giuseppe, merci pour ce que vous faites chaque jour. Merci à vos collègues, et continuez ainsi.

Giuseppe Basile : Merci beaucoup de m’avoir donné cette occasion d’en parler. Je vous remercie.

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