Transcription – Épisode 25 : Entretien avec Heather DiPenta et Louise Blais
John Hannaford : J’ai l’immense plaisir d’animer aujourd’hui une importante discussion sur la santé mentale. Je m’appelle John Hannaford. Je suis le nouveau sous-ministre du Commerce international, et je suis l'animateur aujourd'hui d'une discussion importante concernant la santé mentale.
Nous avons beaucoup de chance aujourd’hui d’avoir avec nous deux collègues qui participeront à cette discussion. Il s’agit de Heather DiPenta, notre directrice de l’Éthique, des valeurs et du bien-être en milieu de travail au Ministère, et de mon ancienne collègue Louise Blais, une amie qui date de ma première affectation et qui, je crois, en était peut-être elle aussi à sa première affectation à Washington, il y a une vingtaine d’années. Louise est maintenant une de nos ambassadrices et la représentante permanente adjointe de notre mission auprès des Nations Unies, à New York. Bienvenue à vous deux dans mon bureau. C’est formidable que ce soit ma première baladodiffusion. Je tiens à remercier mon collègue et ami, David Morrison, qui a entamé ce processus il y a quelque temps. Je pense que c’est l’occasion d’explorer en profondeur des questions importantes pour notre collectivité et pour le Ministère. Et il est tout à fait approprié que nous commencions par les questions de santé mentale.
Évidemment, les questions de santé mentale sont absolument essentielles pour notre collectivité et pour le Ministère. En ce qui me concerne, tant comme personne que gestionnaire, c’est une chose qui a eu beaucoup d’importance pour moi. J’ai moi-même été aux prises avec des problèmes d’anxiété, et je sais que c’est quelque chose qui touche bien des gens. Je pense que nous sommes très chanceux de pouvoir compter sur la présence de Heather aujourd’hui, qui peut nous en dire un peu plus sur certains des services et des mesures de soutien qui sont à la disposition des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Louise est aussi avec nous pour parler un peu plus en détail de certaines expériences qu’elle a vécues. Nous allons commencer avec Heather. Heather, j’aimerais simplement que vous nous parliez un peu du sujet d’aujourd’hui. Que voulons-nous dire lorsque nous parlons de santé mentale?
Heather DiPenta: Et bien, merci tout d’abord de porter attention à ce sujet; vous savez bien évidemment que j’essaie de contrôler ma propre anxiété en participant à cette baladodiffusion. Eh bien, en réalité, la santé mentale et la maladie mentale font partie d’un spectre, de sorte que nous pouvons avoir des gens qui souffrent de maladie mentale, mais qui sont toujours parfaitement fonctionnels au travail. Et la santé mentale est l’un de ces aspects qui doit être soutenu, tout comme notre santé physique. Nous parlons de faire de l’exercice, de bien manger et de prendre soin de nous-mêmes, mais nous parlons rarement de ce que cela signifie du point de vue de la santé mentale et de la façon dont on prend soin de soi. Et vous avez tout à fait raison. Les gens peuvent avoir des moments où ils ne vont pas aussi bien qu’à l’habitude. Vous voyez que lorsque vous faites de l’exercice et que, de temps en temps, vous vous faites une entorse, par exemple, vous faites de la physiothérapie et vous obtenez un certain soutien, puis vous reprenez votre exercice; cependant, pour une raison quelconque, la santé mentale fait partie de ces sujets qui sont très stigmatisés et dont nous ne parlons pas aussi facilement. Par conséquent, l’un des programmes de notre division est le Programme d’aide aux employés, dans le cadre duquel nous avons des conseillers qui offrent un soutien aux employés, y compris le personnel recruté sur place partout dans le monde et ici à Ottawa. L’an dernier, nous avons eu environ deux mille séances individuelles avec les employés. Ce n’est donc pas une chose unique. Il n’y a pas que deux ou trois personnes qui se mesurent à un drôle de défi. Il y a beaucoup de gens qui tendent la main et nous sommes heureux qu’ils le fassent. Cela fait partie d’une organisation saine. En ce qui concerne nos services de gestion des conflits, c’est la même chose. Nous offrons beaucoup de soutien aux employés pour les aider, vous savez, à faire face à certains défis qu’ils pourraient avoir à relever. Et en tant qu’organisation, continuer à avoir des conversations comme celle-ci pour encourager les gens à s’exprimer, c’est bien, car c’est correct d’en parler. Ce n’est pas un sujet qui devrait être gardé, vous savez, derrière des portes closes ou qui devrait occasionner de la gêne. J’ai donc été ravie de participer à tout cela, surtout d’entendre l’histoire de Louise, car je pense que les employés en général et les gens en général ont besoin de comprendre que c’est bien, c’est quelque chose dont nous pouvons parler.
John Hannaford : Oui, vous avez absolument raison. Peut-être on peut discuter un peu des sujets en général qui sont difficiles pour les membres de notre ministère. Quels sont les plus grands défis?
Heather DiPenta : Nos employés amènent de différentes difficultés. La plupart du temps, à peu près cinquante pour cent du temps, c’est autour d’un aspect personnel alors c’est quelque chose autour de la vie, la famille par exemple. D’avoir des enfants, peut-être des enfants à l’université ou qu’ils ont des différents aspects dans leurs vies ou ils supportent des enfants puis aussi leurs parents âgés aussi puis sont dans le milieu de tout ça. Alors des aspects personnels. Et cinquante pour cent du temps, c’est des aspects autour de leurs milieu de travail. Peut-être que c’est des difficultés avec leur superviseur, peut-être que c’est des difficultés avec un collègue. C’est rare de voir quand même une problématique peut-être dans le milieu de travail qui n’a pas d’influence sur la vie personnelle ou le renverse. On est comme une personne humaine qui est toujours en train de balancer la vie puis le travail. La plupart du temps quand c’est autour du milieu de travail, c’est la charge de travail qu’on entend le plus. Ici à Affaires mondiales, je n’ai jamais vu comment les employés sont dédiés à leur travail. Ils travaillent fort puis on a tellement de différents mandats aussi, alors, plus tard autour de ça, c’est la charge de travail.
John Hannaford : Et selon votre expérience, que devrions-nous faire en tant que gestionnaires ou collègues ou en tant que personnes supervisées, comment devrions-nous faire face à ces situations lorsque nous estimons qu’il y a un problème de santé mentale dans notre milieu de travail? Qu’il s’agisse d’une personne ou d’un groupe qui fait face à ce genre de défis. Que pouvons-nous faire?
Heather DiPenta: Il s’agit d’une excellente question! Je pense, vous savez, qu’un gestionnaire peut avoir un moment de panique lorsqu’un employé se présente et dit : « Écoutez, j’ai vraiment de la difficulté avec quelque chose et je ne sais pas comment m’y prendre pour gérer la situation. » Il y a ce gel immédiat où l’on se dit : « Je ne sais pas quoi dire et quelle est la bonne chose à dire. » Soyez coopératif, serviable, compréhensif, attentionné; je pense que cela s’applique qu’on ait affaire à un gestionnaire qui est à l’écoute d’une situation ou de l’organisation. Soyez bienveillant et comprenez que c’est une chose normale pour quelqu’un et je pense que ces conversations constantes sur ce sujet, tout comme celle-ci, aideront à lutter contre la stigmatisation qui y est associée. Ainsi, un plus grand nombre d’entre nous pourront avoir ces conversations plus facilement.
John Hannaford : C’est vrai. C’est vrai. Eh bien, vous savez, l’une des raisons pour lesquelles nous voulions avoir cette conversation aujourd’hui, c’était pour personnaliser un peu la situation et pour avoir l’occasion de parler un peu de l’expérience d’une personne en ce qui concerne les défis à cet égard. Tu sais, Louise, on est de vieux amis, on travaille ensemble depuis longtemps. Je suis ravi que vous ayez... vous avez été aussi ouverte que vous l’avez été sur cette question, parce qu’il est si important, en tant que leader dans ce ministère, que vous ayez été prête à parler de certains des défis auxquels vous avez dû faire face et de la façon dont vous avez relevé certains de ces défis. Peut-être on peut commencer un peu avec votre histoire et la situation concernant votre famille et des choses comme ça.
Louise Blais : Merci beaucoup, John, ça me fait vraiment très grand plaisir d’être ici et de parler de cette question si importante. Pour moi, c’était quelque chose qui ne faisait pas partie de ma vie, la santé mentale. J’ai toujours été de très bonne humeur, de très bonne disposition et quand ça m’a frappé, j’ai été très surprise et très démunie. J’ai vécu, j’ai grandi dans une famille avec deux grands frères avec des parents qui étaient très organisés, très dévoués, très results-oriented. J’ai deux grands frères qui ont très bien réussi dans la vie, les attentes étaient là pour moi aussi et ça m’arrangeait, j’étais très heureuse avec ça je suis allée à l’université. J’ai bien réussi, j’ai démarré ma carrière et, de fil en aiguille, je me suis rendu compte que je réussissais très très bien au travail, je rencontrais les attentes. J’étais heureuse. J’ai développé une famille, je me suis mariée, ensuite la famille. Tout allait bien et les choses se déroulaient exactement de la façon dont j’aurais voulu qu’elles se déroulent par rapport à ma carrière. Alors, j’ai fait un cheminement de jeune fille de la ville de Québec qui a finalement réussi à faire son chemin à travers le monde. C’est quand même exceptionnel et j’étais très fière de ce que j’étais devenue. C’est difficile, il faut en parler. Nous ne devrions pas hésiter à dire que j’étais très fière de travailler pour le ministère. Je suis fière d’être diplomate, mais j’étais diplomate 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Vous savez, cela ne se dissocie pas vraiment de vous lorsque vous l’êtes... surtout lorsque vous êtes en poste à l’étranger; comme vous le savez, vous êtes diplomate lorsque vous faites vos courses, ou parce que lorsque vous rencontrez des gens qui vous demandent ce que vous faites, vous représentez votre pays tout le temps. Il faut donc toujours être sur ces gardes, il faut exceller et... et pendant longtemps pour moi, j’ai excellé sur l’adrénaline. Je veux dire, si nous avions une crise à gérer, que ce soit lorsque j’étais affecté au Japon, à Paris plus tard ou à Washington, où vous et moi étions ensemble, je réussissais en réalité plutôt bien. Vous savez, j’aimais cette action et... et quand les temps étaient calmes, j’étais un peu perdue, mais ce que je n’avais pas réalisé, c’est qu’avec le temps, j’en venais à... vivre de cette adrénaline et de cette... et cette estime de soi que j’avais acquise qui venait de mon travail et d’avoir une certaine importance. Vous savez, si l’ambassadeur m’appelait pour résoudre un problème, vous savez que c’était un sentiment de bien-être, un sentiment de satisfaction, alors j’ai en quelque sorte perdu de vue ce qui a mené à l’épuisement professionnel et la panne complète que j’ai eue, je pense, découle du fait que j’ai été élevée pour exceller... pour faire des projections... pour satisfaire les attentes, sinon pour les dépasser... pour mener une vie avec un sens. Toutefois, cela peut parfois être dangereux si vous ne savez pas comment... comment prendre vos distances par rapport à ce que vous faites. Je veux dire, je crois que maintenant que la diplomatie est ce que je fais, ce n’est pas qui je suis. Il y a une différence et c’est une différence subtile, mais je l’ai apprise à la dure. Cependant, je crois que ce cheminement que j’ai fait, nous pouvons en parler, de ce à quoi il ressemblait, parce que je pense qu’il est important de parler des symptômes, de la façon dont cette déstabilisation se produit. Ce que j’ai appris à travers lui, c’est qu’il ne faut pas confondre intensité et efficacité. Et parfois, j’apportais trop d’intensité à ce que je faisais et cela... cela a eu un coût. L’autre leçon que j’ai apprise, c’est que pendant longtemps tous mes mentors étaient des hommes et qu’il y avait des gens que j’admirais... que j’admirais et qui guidaient ma carrière. Et quand je suis devenue gestionnaire, j’ai réussi comme eux parce qu’il s’agissait de quelque chose que je trouvais efficace et que j’admirais, mais au fond, ce n’était pas moi, ce n’était pas une représentation de mon identité. J’ai dû le faire et ce parcours de gestionnaire où je me suis rendue compte que ce qui m’avait rendu efficace et qui m’avait permis de devenir gestionnaire et d’avancer dans un ministère n’était plus ce qu’on attendait de moi comme leader ou comme superviseur.
John Hannaford : Et bien, il y a... il s’agit d’une importante quantité d’information. Merci. Vous savez, je suppose que ce que vous avez décrit résonne dans l’esprit de beaucoup d’entre nous. Je pense que c’est un ministère où les gens ont tendance à venir parce qu’ils sont passionnés par le travail qu’ils font. C’est une vocation autant qu’une carrière. Et je pense que vous avez souligné certains des défis qui pourraient découler de cela, si vous ne mettez pas le tout dans une certaine perspective ou si vous n’avez pas un certain degré de limite... dans votre vie professionnelle par rapport à votre vie personnelle. Cependant, encore une fois, vous y avez fait allusion. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui a précipité l’épuisement professionnel que vous avez vécu?
Louise Blais : Eh bien, j’étais à Paris à l’époque et j’étais directrice de... plutôt, c’était après cette période que j’ai été directrice du Centre Culturel Canadien à Paris; il s’agissait d’un environnement de travail difficile. Tout a commencé par des relations de travail difficiles avec le personnel qui avait... C’était à l’époque où nous réduisions les budgets de la diplomatie publique et où le personnel en place le prenait très personnellement et traversait sa propre tourmente. Cependant, ils étaient, vous savez, je suis devenue la personnification de cela pour eux, puisque j’étais la gestionnaire qui mettait cela en place, donc c’était difficile. Toutefois, c’était aussi une époque où nous passions par le PARD en général et où nous congédions des gens et... et avions des conversations difficiles et... mais je ne veux pas vraiment dire que c’était seulement cela, je pense que c’était une accumulation d’une vie d’avoir vraiment utilisé la batterie, l’énergie aussi. Mais dans cette situation... dans les circonstances qui ont mené aux compressions, j’ai agi comme une gestionnaire, une gestionnaire qui n’entendait pas plaisanter, et j’ai vraiment été... J’ai été un peu dure. Je veux dire, je pense que les gens qui me connaissent de cette époque à aujourd’hui disent que j’ai complètement changé mon style de gestion. J’ai donc senti que je devais être dure et décisive, et c’était une façon d’être. Mais ce n’était pas vraiment qui j’étais, même si je ne le savais pas à l’époque. Donc, pendant environ un an, j’ai commencé à développer toutes sortes de symptômes physiques qui étaient très inquiétants et qui ont inquiété les médecins et, au début, si c’était une paralysie du visage, des palpitations cardiaques, j’avais toutes sortes d’autres symptômes, des sueurs nocturnes, etc. Je pense... Je pense que j’ai dû rechercher dans Google tous les symptômes possibles et chaque fois que nous avons enquêté avec mes médecins sur un symptôme et qu’il ne s’est rien passé, la douleur ou l’agitation en moi passait à autre chose. C’était donc un autre symptôme qui apparaissait et nous nous engagions dans cette voie, ce qui provoquait beaucoup d’anxiété liée au fait de savoir, avais-je en réalité un cancer? Est-ce que j’avais... et donc... c’est là où j’ai perdu le contrôle et où j’en suis arrivé à un point où j’étais au bureau, c’était à peu près au moment où le premier ministre est venu à quatre reprises en peu de temps, sous la présidence Sarkozy, c’était à ce moment-là. Et c’était pendant le printemps arabe et ils accueillaient des groupes de la coalition syrienne en Libye et vous savez, c’était la chose à laquelle je devais faire partie. Et tout d’un coup, c’était là et tout ce que je pouvais faire, c’était d’appeler le médecin parce que je ne me sentais pas bien, à la recherche de ce qui m’arrivait. Et je me souviens qu’un jour, c’était en conférence de presse, le premier ministre a donné une conférence de presse après une réunion, j’étais debout à l’arrière et j’étais si étourdie que je ne pouvais pas être dans la foule. Je suis devenu claustrophobe et vous savez que ce sont des choses qui ne m’étaient jamais arrivées auparavant. Alors pour faire court, finalement, à la fin de tout ça, mon médecin m’a dit : « Il n’y a rien qui cloche physiquement chez toi. » Et ce n’était pas la réponse que je voulais entendre, parce que si quelque chose ne va pas physiquement chez vous, que pouvons-nous faire? Comment traite-t-on le problème? Et quand quelque chose ne va pas avec votre psychisme, il n’y a pas de feuille de route, il n’y a pas de, vous savez, et le médecin peut vous offrir une ordonnance et peut-être on peut aller voir un psychologue, mais vous, vous savez, vous... et vous ne savez pas quand vous allez aller mieux, et même si vous allez aller mieux. J’ai fini par devoir tout arrêter et je n’oublierai jamais ce que Kim Butler m’a dit à l’époque, il était le numéro deux à l’ambassade de Paris et il avait l’appui total de Marc Lortie qui a également été exemplaire en tant qu’ambassadeur. Kim m’a dit, il a dit : « Louise, tu sais quoi, ne te sent pas coupable, ne te sens pas mal, il y a un grand livre et je le regarde et le Ministère te doit beaucoup. Tu peux prendre le temps d’aller mieux. » Et cela... Je ne peux pas vous dire à quel point ces mots étaient importants pour moi, parce que je me sentais tellement responsable parce que lorsqu’on est en poste à l’étranger, vous savez, il y a beaucoup de responsabilités qui accompagnent cette tâche. Nous... nous avons la responsabilité de l’endroit où nous sommes logés, j’avais des enfants à l’école. Et si je perdais cela entièrement aussi. Je veux dire, vous savez que tout mon gagne-pain allait être déraciné, mais ces mots signifiaient qu’au moins j’avais... j’avais un mois ou deux pour tout simplement essayer de guérir. Et c’était le genre d’espace qu’il me fallait, alors quand vous demandez à Heather ce qu’un gestionnaire peut faire ce genre de validation, je le pense, à une grande importance parce que ceux qui admettent, et j’ai eu beaucoup de gens, à titre de gestionnaire, j’ai eu beaucoup de gens qui m’ont demandé d’obtenir un congé, un congé de maladie et très peu m’ont admis qu’il s’agit de congé pour des motifs de santé mentale. Ils... Ils font des pieds et des mains pour que le médecin inscrive un motif comportant très peu de description. Mais, dans mon cas, j’ai décidé de dire simplement : « C’est que je ne me sens pas bien mentalement » et on l’a accepté. Alors, après ça, j’y suis allée et j’ai mis toute ma passion et toute mon énergie à prendre du mieux; ça m’a pris trois mois et j’ai tout essayé. De l’acupuncture à la méditation en passant par le Qi Gong et les médicaments, j’ai tout essayé... Je suis allée dans la nature, j’ai consulté des gourous du Nouvel Âge. J’essayais de me reprendre en main.
John Hannaford : Et où avez-vous trouvé de l’aide pour trouver ces choses qui étaient à votre disposition, les diverses choses que vous avez essayées?
Louise Blais : Eh bien, les amis, Internet, j’ai je n’ai pas beaucoup utilisé les services ministériels à l’époque. Je l’ai fait depuis et ils sont extrêmement bons. Mais je... je... je me suis vraiment concentrée sur mon retour à la santé, mais ce n’était pas du joli. J’avais du mal à me lever le matin. J’étais tellement prise par les choses, tellement anxieuse, donc je ne fonctionnais pas, vraiment je ne mangeais pas. J’ai perdu beaucoup de poids. Mais j’ai fait ce que j’ai fait et je ne sais pas encore aujourd’hui ce que j’ai fait... ce que j’ai fait... ce n’est pas une seule chose qui m’a amenée à... non seulement guérir, mais à vivre, je dirais, une renaissance, un renouvellement de ce que je suis. Je suis plus forte aujourd’hui qu’il y a dix ans, avant que cela ne m’arrive. J’y crois fermement. Eh bien, une des choses qui m’a guidée, plus tard, au moment où je me battais contre la maladie, je lui ai dit qu’elle était folle, mais une de ces personnes que j’ai consultée m’a dit : « Tu n’es pas authentique au travail. Tu ne révèles pas vraiment qui tu es vraiment. »
John Hannaford : C’est vrai.
Louise Blais : « Et c’est ça qui te tue. » Et littéralement et... quand je suis revenue au bureau... c’était drôle et il m’a dit quelque chose de choquant, il m’a dit : « Tu dois aimer tes employés. » Et je vais, quoi? De l’amour? Pour mes employés? Les émotions, c’est pour la maison. Les émotions, ce n’est pas pour le bureau. Je veux dire, ça a été ma réaction. Les gens vont croire que j’ai perdu la tête. Et il a dit non... il a dit : « Donnez-leur de l’amour inconditionnel dans votre façon de les gérer et vous verrez que vous serez plus heureuse. » Et je le fais... Je le fais. Ça a l’air drôle à dire, mais ça me rend plus heureuse aussi. Et ils ne le savent pas. Je veux dire qu’ils ne... Je veux dire qu’on devrait leur demander. Mais je ne suis pas une mère poule. Non, surtout pas, mais dans mon cœur, quand j’interagis avec eux, je viens d’un lieu d’amour. C’est difficile à dire, mais vous savez, je l’admets parce que ça marche. Et ça ne veut pas dire que je ne suis pas sérieuse. Cela ne veut pas dire que je ne fais pas, vous savez, avancer ce que nous faisons, mais je me soucie profondément des gens qui m’entourent au bureau, alors que je ne le faisais pas avant. Il y avait un mur.
John Hannaford : C’est fascinant. Je dois dire que j’ai pensé en ce sens que... Vous savez que ce sont des expériences intenses que nous vivons professionnellement et que nous vivons ensemble parce que la nature du travail que nous faisons, que ce soit dans une mission, dans une division ou dans une communauté. C’est très rare que nous fassions quelque chose tout seuls. Et ce genre d’attachement s’accompagne d’un attachement émotionnel, en plus d’être un attachement professionnel. Et ce sont de vraies choses et elles comptent beaucoup. Parce qu’en fin de compte, vous savez, nous nous soutenons les uns les autres pendant que nous faisons ce travail. Et c’est intéressant, je n’ai jamais entendu dire les choses comme on vous l’a conseillé, mais je pense qu’il y a... il y a là une véritable sagesse. C’est fascinant. Donc, l’effet cumulatif du travail que vous avez fait, dans le sens, vous savez, d’étudier toutes ces avenues. Si quelqu’un se trouvait au début du processus auquel vous étiez au moment où le médecin vous a donné le diagnostic... que vous avez reçu, que diriez-vous à cette personne? Que vous diriez-vous maintenant, compte tenu de l’expérience que vous avez eue?
Louise Blais : La toute première chose que je dirais, c’est « ça va aller mieux », je me donnerais de l’espoir. C’est la toute première chose à dire. Je crois qu’une amie m’a dit cela parce qu’elle avait vécu quelque chose de semblable et que c’était la clé parce que lorsque vous êtes dans ce trou à ce moment-là, c’est tout ce que vous voyez. Et c’est vraiment difficile, alors que vous voulez aller mieux et c’est la première préoccupation, la préoccupation numéro un. Mais le stress que vous vous imposez pour essayer d’aller mieux est parfois contre-productif. Mais si vous savez que cela peut prendre du temps et que vous atteindrez l’autre côté. Je pense que ce sentiment d’espoir est très, très important. Il s’agit donc du premier aspect à retenir. Alors l’autre chose que je dirais, c’est : « Ne précipitez pas les choses. » Aussi inconfortable que ça puisse paraître. Et c’est inconfortable de ressentir ce que j’ai ressenti. Je voulais juste dormir. Je voulais... Je voulais faire tout ce que je pouvais pour endormir ce sentiment, c’est un sentiment terrible. Et... mais vous devez le vivre et l’accepter, accepter que cela se produit et pendant longtemps ce qui m’a empêché de me rétablir et d’apprendre de cette expérience est le fait que je n’ai pas accepté que cela se produise. Et je m’apitoyais sur mon sort. J’ai eu pitié de ce qui m’arrivait, pourquoi ça m’arrivait à moi. Et j’ai cherché des solutions aux mauvais endroits. Quand la solution est vraiment souvent en nous. Si nous sommes prêts à nous y rendre et à laisser sortir le mal en temps voulu. Cela se fait étape par étape, jour après jour. J’ai commencé à me sentir mieux, mais ça a pris beaucoup de temps. Je veux dire que trois mois, c’est long quand on ne se sent pas bien et quand on est à l’étranger et qu’on est à la maison et qu’on doit appeler le bureau et dire : « pas ce mois-ci. Je ne peux pas revenir. Je ne suis pas prête. » Et vous pouvez vous sentir vaincue très rapidement. L’important, c’est qu’il n’y a pas... il n’y a pas de recette unique. Ma recette n’est pas nécessairement celle de quelqu’un d’autre pour prendre du mieux. Mais il y a... parce que c’est un processus individuel. Et je suis convaincue que ça devait arriver. Je devais vivre cet épuisement. Et cela m’a ouvert à une toute nouvelle vie maintenant que je ne vivais plus, j’étais à moitié vivante, je crois. Donc, si vous vous ouvrez pour pouvoir dire, même quand vous le vivez, cela arrive pour une raison. Et peut-être que ce n’est pas le cas, mais vous pouvez au moins en tirer des leçons.
John Hannaford : C’est vrai.
Louise Blais : Et le fait que maintenant je suis plus sympathique et que j’ai plus d’empathie dans mes relations au bureau signifie que je ne cause à tout le moins aucun dommage aux gens autour de moi. Et au mieux, je les aide peut-être. Et je suis assez... J’ai eu... J’ai eu quelques cas, je pense, peut-être que j’ai eu l’occasion et le grand privilège d’aider vraiment certaines personnes. Mais je pense que beaucoup d’entre nous, les gestionnaires, le font sans même le savoir. Je l’ai fait avant ma pause pour cause d’épuisement. Je pense que j’ai causé du stress. Je pense que j’ai probablement fait du mal à certaines personnes autour de moi. J’aimerais pouvoir m’excuser auprès d’eux et j’en ai appelé quelques-uns pour leur dire que j’étais désolée. Je vois maintenant que je n’ai pas compris à l’époque ce que vous viviez; et je reconnais aujourd’hui rétrospectivement des gens qui ont probablement vécu des difficultés, mais avec qui je n’ai pas eu la patience nécessaire. Donc, je pense maintenant à tout le moins à tout le moins que je ne fais plus de mal aux gens. Et je pense que c’est pour ça que je pense que j’avais besoin de vivre ça. C’est cela.
John Hannaford : Eh bien, je dirais que nous disions tout à l’heure, avant de commencer l’enregistrement, que vous et moi vous l’avons déjà dit quelques fois, que lorsque vous avez fait des exposés publics, vous savez que vous parlez du travail de l’ONU et des questions de fond, mais très souvent ce dont les gens veulent parler est en fait l’aspect lié à la santé mentale de votre carrière et, vous savez, votre expérience sur ce plan. Et je veux dire que cela me laisse croire, entre autres choses, qu’il y a une énorme demande refoulée pour avoir ces conversations. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est important d’avoir la conversation aujourd’hui, c’est juste une autre occasion de faire ressortir certaines de ces questions qui peuvent être extrêmement difficiles pour les gens. Je suppose que... Vous avez donc donné une idée de votre style de gestion actuel à la suite des expériences que vous avez vécues, mais en tant que personne, comment gérez-vous votre propre santé mentale maintenant? Parce que vous êtes évidemment dans un endroit très différent de celui où vous étiez lorsque vous avez vécu ces expériences, mais comment vous maintenez-vous?
Louise Blais : Donc, vous savez, j’espère que ce ne sera pas trop choquant, mais je suis passée d’obtenir... De mesurer l’engagement des gens envers le bureau parfois. La rapidité avec laquelle ils répondraient à un courriel la fin de semaine. C’est vrai. Et je m’impatientais. Tu sais qu’il se passe quelque chose et il ne répond pas. À présent, j’y pense à deux, trois ou quatre fois avant d’envoyer un courriel la fin de semaine. Parce que je sais que même si je dis dans la ligne d’objet qu’il n’est pas nécessaire de répondre maintenant, je sais que la personne qui le reçoit, un de mes employés se sentira responsable de... de répondre. Ce n’est donc qu’un exemple... j’ai établi des limites entre le travail et ma vie privée qui n’existaient pas auparavant. Et vous pouvez compter sur moi de toute façon en cas d’urgence, mais je n’utilise plus le travail pour me faire sentir importante. Et il y a des moments en dehors du travail où je crois vraiment que j’avais l’habitude de le faire. Je me sentais assez importante si j’étais... vous savez... j’avais besoin, oh je suis trop occupée à interrompre un dîner avec quelque chose qui pouvait sembler stupide à dire maintenant, mais je l’ai fait. Et maintenant, j’ai changé tout cela et je garde une distance saine entre le travail et moi et je ne ressens plus rien sur le plan émotionnel. Vous savez, c’est drôle à dire, mais je me laisse émotionnellement prendre par la relation au bureau et l’attention envers mon personnel, sans être prise par les problèmes. Et à l’ONU en ce moment même, comme vous le savez, nous sommes en lice pour un siège au Conseil de sécurité. Je veux dire, c’est un peu comme les Jeux olympiques de la diplomatie. Vous savez que c’est là et si vous voulez du stress, vous savez, il y en a à revendre tous les jours. Parce que les enjeux sont si élevés et que l’équipe est si motivée et... et je... je suis capable de naviguer à travers ce stress extrêmement bien parce que je garde une certaine distance, vous savez, et je ne me concentre pas sur des choses que je ne contrôle pas. Ne vous attardez pas là-dessus et je me concentre sur ce que je peux changer et ce que je peux réellement faire. Sinon, je reste en bonne santé et le yoga et la méditation font maintenant partie de ma vie. Et... et...j’essaie de prendre des vacances, mais pour cela, je n’excelle pas vraiment. C’est difficile de nos jours, mais j’essaie. J’ai récemment fait un voyage de voile et j’ai dit au personnel, regardez, j’ai quelque peu menti. Je ne savais pas si j’allais être branchée avec le bureau. Nous étions sur l’eau, je ne savais pas, alors j’ai dit que nous allons supposer que je ne peux pas être... qu’on ne peut pas me joindre. Et ils ont respecté cela. Ils n’ont pas essayé de m’appeler et je... il y a eu un moment où je me suis dit que le monde n’avait peut-être pas besoin de moi, puis j’ai souri, j’ai ajusté la voile et j’ai continué parce que je pensais que c’était le but, n’est-ce pas? Et vous savez, quand vous laissez votre personnel derrière vous et que vous dites : « Écoutez, j’ai confiance en vous, vous êtes responsable ».
John Hannaford : Et bien, je pense que vous avez entièrement raison.
Louise Blais : C’est le message qu’ils veulent se faire dire.
John Hannaford : Oui, entièrement d’accord.
Louise Blais : Ils, vous savez, vous avez besoin de les habiliter et si vous... si vous dites simplement, « non, vous savez que vous devez toujours vérifier auprès de moi pour tout. » Ce n’est plus mon style de gestion. Et maintenant, quand les choses ne se font pas comme je l’aurais fait, à moins qu’ils n’aient vraiment commis une gaffe, j’y vais dans ce sens, ils l’ont fait comme ça et c’est bien ainsi. Je n’essaie pas de perfectionner les choses comme je le faisais avant et de tout modifier afin de faire correspondre à ma vision. Et j’ai appris à travailler avec les gens dans le processus. Et aujourd’hui, je suis meilleure qu’avant pour tirer parti de la complémentarité au sein de l’équipe. J’ai fait l’erreur que beaucoup d’entre nous font; je voulais que tout le monde travaille comme moi; maintenant je réalise la bêtise que j’ai commise. C’est la différence maintenant.
John Hannaford : Et peut-être s’agit-il de la même question que celle que j’ai posée à Heather. Mais en tant qu’organisation, que pouvons-nous faire pour améliorer notre soutien envers nos employés? Et, vous savez, encourager le plus possible le souci envers la santé mentale.
Louise Blais : Eh bien, il s’agit là d’une grande question. Il y a, il y a quelques choses très concrètes sur lesquelles nous... Je ne vais pas m’attarder là-dessus, mais je pense que... le portrait d’ensemble, c’est de reconnaître d’abord et avant tout que nous sommes... que la culture de l’organisation en ce moment est propice à... si ce n’est causer, je dirais aggraver les problèmes de santé mentale. Donc, puisque nous sommes dévoués à notre travail, c’est un environnement compétitif, nos processus de promotion en eux-mêmes génèrent beaucoup de stress et d’anxiété et de gaspillage; ils génèrent, comme vous le savez, des sentiments négatifs, malheureusement. Le fait que nous avons été affectés partout dans le monde, loin de la famille, certains dans des circonstances très difficiles, je pense que c’est évidemment ce qui rend le ministère unique. Je pense donc que... Je ne... Je ne pense pas que nous pourrons un jour en faire assez pour essayer de changer cela et d’atténuer les effets. Je ne pense pas qu’on puisse tous les régler. Ça, je pense que nous devons le reconnaître. Mais je pense que nous devons examiner chaque étape du processus pour atténuer certains de ces points de stress. Et je viens de dire que le processus de promotion est un problème perpétuel. J’ai travaillé aux RH pendant un certain temps et je peux vous dire, si vous voulez savoir quand le niveau de stress croit dans l’organisation, amorcez un processus.
John Hannaford : …je suis d’accord…
Louise Blais : Donc, comment... comment pouvons-nous régler ce problème? Je ne sais pas. Je n’ai pas la réponse, mais je pense que nous devrions vraiment examiner la question et continuer... Je sais que Francis Trudel et son équipe font de l’excellent travail dans ce domaine, mais je pense que c’est un domaine où cela nous pousse, je pense, à trouver un moyen de nous améliorer.
John Hannaford : Eh bien, la façon que vous avez exprimé ce problème est, je pense, assez importante; nous devons penser aux aspects de la santé mentale liés à ces éléments, chose que nous n’avons pas forcément toujours faite. C’est une lentille à travers laquelle nous pourrions voir certains des processus que nous créons et c’est... c’est d’une importance cruciale, même si vous dites que nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes. Nous devrions être conscients... des problèmes que nous pouvons résoudre.
Louise Blais : Et je pense... je pense que nous devons avoir une conversation plus honnête avec les employés et... et... et... et pas seulement sur la santé mentale, mais sur leur trajectoire professionnelle. Je pense que nous... je pense, donc il y a, je pense que c’est... c’est... je pense que c’est... c’est complexe. C’est la façon dont je répondrais à la question, mais je pense que nous avons fait beaucoup de chemin. Cependant, à mon avis, il en reste encore beaucoup à faire.
John Hannaford : Écoutez, merci beaucoup. C’est... je pense que c’était une conversation assez riche et évidemment absolument importante. Et, vous savez, je pense que la volonté des gens de parler de ces situations est tout simplement essentielle pour que nous puissions nous améliorer dans ces domaines; je vous remercie donc beaucoup de votre leadership à cet égard. Ça compte pour beaucoup. C’est important pour nous en tant qu’institution, je pense, mais je pense que c’est important pour... pour le gouvernement en général que les gens soient prêts à parler de leur situation. Et il est évident qu’il est absolument essentiel pour nous, en tant qu’institution, que nous maximisions les compétences et les talents des gens qui travaillent ici. Et l’un des moyens d’y parvenir est d’encourager leur santé mentale. Par conséquent, cela a été un réel plaisir de discuter avec vous. Merci beaucoup et merci à vous aussi, Heather. Cela a été... cela a été formidable et je ne sais pas si c’est vraiment dans la tradition de David Morrison qui est bien sûr le parrain de cette baladodiffusion, mais j’ai trouvé cette conversation très utile. Donc, merci à vous deux.
Heather DiPenta et Louise Blais: Merci M. le sous-ministre. Merci John.
John Hannaford : C’était un plaisir.