Transcription – Épisode 26 : Entretien avec Manon Dumas
John Hannaford : Bonjour à tous. C’est un plaisir d’être votre hôte pour un autre Dossiers d’AMC. Je m’appelle John Hannaford et je suis le sous-ministre du commerce international. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un forum important qui nous permet de discuter de diverses questions qui nous touchent en tant que communauté et aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir une collègue de longue date, Manon Dumas, qui assume un rôle de leadership en ce qui concerne certains des aspects culturels du harcèlement et des situations difficiles au travail, en tant que membre de notre équipe ici au huitième étage. Et elle a dirigé une série de conversations entre les membres du Ministère, tant les ERP [employés recrutés sur place] que les EC [employés canadiens] dans les missions et ici à l’administration centrale, dans le but de faciliter des discussions qui ne sont pas évidentes et d’accroître notre sensibilité, en tant qu’organisation, aux situations qui peuvent être difficiles et qui, en raison de cela, sont souvent extrêmement importantes à aborder. Il s’agit donc d’un travail de leadership d’une importance cruciale pour moi et mes collègues de la collectivité des sous-ministres, en partie parce que ce travail peut vraiment contribuer à faire de cet endroit un meilleur endroit où travailler, et c’est notre objectif ultime ici — d’aborder les situations qui doivent être traitées et de le faire d’une manière constructive qui nous permette, en tant que collectivité, de réaliser des progrès dans des sujets qui, comme je l’ai dit, peuvent être délicats.
Mais peut-être, compte tenu de la nature de ces balados, on peut commencer un peu avec certaines questions personnelles concernant votre histoire comme un individu et peut-être on peut discuter un peu de votre passé. D’où venez-vous, Manon?
Manon Dumas : J’ai grandi dans le nord de l’Ontario, dans une petite ville qui s’appelle Iroquois Falls, à peu près à 750 km au nord d’Ottawa. C’est une ville où la seule présence du gouvernement fédéral était le bureau de poste. Donc l’idée de pouvoir imaginer une carrière aux affaires étrangères n’est pas venue de mon école. Par contre, il y avait quand même une certaine ouverture sur le monde. Mon père faisait partie du Club Rotary à Iroquois Falls et on a accueilli des étudiants d’échanges de différents pays, et c’est ça qui m’a donné le goût de commencer à voyager; et j’ai moi-même fait un de ces échanges quand j’avais 17 ans : je suis partie et je suis allée passer un an en Afrique du Sud. Donc ma première fois à quitter les frontières canadiennes, je me suis rendue pour aller passer un an en Afrique du Sud.
John Hannaford : Mon Dieu…
Manon Dumas : Oui, oui. Et de là, j’ai découvert que s’il y avait moyen de jouer ce jeu comme carrière, j’aimerais faire ça, j’aimerais être un ambassadeur pour mon pays, parce que c’est un peu ça qui était l’expérience. Après ça, j’ai commencé à faire un peu de recherche sur quelles sortes d’études pourraient mener à quoi. Et c’est seulement à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre la machine gouvernementale fédérale et qu’il y avait un ministère des Affaires étrangères. Voilà.
John Hannaford : Et votre éducation, quels choix avez-vous faits?
Manon Dumas : J’ai fait un bac. Pour moi, le bilinguisme a toujours été très important, j’en étais très consciente, dans le nord de l’Ontario, que pour pouvoir bien maintenir un niveau de bilinguisme, ça allait prendre un effort; et mon année en Afrique du Sud était complètement en anglais. C’était une immersion vraiment pour aller approfondir l’anglais. À la maison, j'avais toujours parlé français à la maison, mais mes études…
John Hannaford : Et à l’école, qu’en était-il?
Manon Dumas : Alors à l'école primaire, c'était en français, et mon école secondaire était bilingue. On avait une des seules dernières écoles bilingues publiques en Ontario, à Iroquois Falls, et donc je pouvais faire… On choisissait les cours selon les professeurs. Je prenais la physique, je pouvais choisir le professeur (si je préférais le professeur anglophone ou le professeur francophone). Et donc, après, je suis allée faire mon année en Afrique du Sud juste avant la fin de mes études secondaires, et puis après ça j’ai décidé de faire mon bac en anglais à [l’Université] Queen’s. J'ai été chanceuse d'être acceptée à Queen's, et j'ai fait un bac en Études politiques, et à la suite de ça j'ai appliqué à un nouveau programme de maîtrise en relations internationales qui existait à l'Université Laval, à Québec. C'était tout nouveau à l'époque. Maintenant on a plusieurs collègues du Ministère qui se retrouvent ici, issus de ce programme, mais j'étais parmi les premières classes, alors j’ai bien apprécié.
John Hannaford : Ça c'était avec Ivon Bernier ?
Manon Dumas : Il était là, effectivement. Il y avait — qui d'autre? — Paul Painchaud, et d'autres personnes. C'était pluridisciplinaire, donc à ses débuts, à l'Université Laval, ils avaient plus ou moins regroupé des professeurs des différentes facultés de droit, de politique et d'économique pour faire un programme. Éventuellement, ils ont créé l'École des hautes études internationales aussi. Au début, c'était juste un puzzle : on prenait des morceaux et on en a fait un programme.
John Hannaford : Et votre carrière ici?
Manon Dumas : Alors après ça j’ai pris les chemins traditionnels. Malgré que l’année où j’ai gradué de mon programme de maîtrise en relations internationales, l’exercice de recrutement — c’était à l’époque où il y en avait encore annuellement — mais l’exercice cette année-là était limité aux spécialistes en soit droit ou économie. Donc je ne pouvais même pas m’inscrire. Donc j’ai eu une année où je ne pouvais pas m’inscrire au… c’était mon rêve en ce temps-là de faire partie du Ministère, et puis j’ai fait d’autres choses pendant cette année-là. J’ai travaillé un peu, fait de la suppléance dans des écoles, et je suis allée aussi faire un programme d'études en art dramatique à New York parce que j'ai un petit côté artistique aussi. J'ai fait beaucoup de théâtre et je continue à en faire, et donc, n'étant pas certaine que j'allais réussir à rentrer au Ministère, je me suis dit : bon, je vais aller me perdre à New York pendant un été, faire un programme de théâtre, que j'ai adoré évidemment. Mais je n'y étais pas avec l'intention d'en faire une carrière, tandis que les autres, la plupart des gens qui étaient dans mon programme, cherchaient ça. Ça me semblait trop loin, cette idée de comment entrer dans cette industrie, et je me trouvais déjà trop âgée. J'avais déjà 25 ans et dans ma tête, pour faire une carrière de cinéma, il faut commencer à 17-18 ans. Voilà. C'est… le chemin que je n’ai pas suivi.
John Hannaford : Mais vous avez trouvé une sorte d’équilibre, une façon de continuer à être active dans le domaine des arts. Vous avez donc trouvé un équilibre entre les deux.
Manon Dumas : Absolument. Et j'ai trouvé ça, franchement, c'est probablement le meilleur des deux mondes. Parce que si vous voulez faire une carrière au théâtre, au cinéma ou à la télévision comme acteur, vous devez vraiment vous battre et prendre tout ce que vous pouvez. Faire beaucoup de travail commercial. Il y a beaucoup de choses où il y a un peu d'argent à faire pour pouvoir juste vivre. Vous n'êtes donc pas en train de vous éparpiller inutilement avec chaque projet que vous faites. Vous faites juste ce qu'il faut pour rester en vie. Alors que si vous ne comptez pas financièrement là-dessus…
John Hannaford : C’est une expérience différente.
Manon Dumas : C'est tout à fait vrai. Il y a tout un débat à tenir sur cette industrie et sur la façon de savoir comment les emplois doivent être protégés. Alors, le mélange du monde professionnel et du monde amateur pour les acteurs est aussi très intéressant. À Ottawa, il y a en fait une communauté théâtrale très active, et les deux côtés…
John Hannaford : En français.
Manon Dumas : En français et en anglais, effectivement. Et du côté amateur comme professionnel, il y a un beau petit équilibre qui s’est trouvé, je trouve, entre les deux secteurs. Beaucoup de productions sont faites avec un mélange des deux, alors moi, ça m’a permis aussi de faire des productions du côté un peu professionnel sans être obligée de devenir syndiquée.
John Hannaford : C’est excellent. Nous avons commencé à travailler ensemble il y a environ sept ou huit ans, je pense, quand je me suis joint au Bureau du Conseil privé [BCP]. Vous étiez déjà en poste depuis de nombreuses années au BCP à ce moment-là, et ça a été une expérience fascinante, du moins pour moi, pour un certain nombre de raisons, mais surtout parce que c’était une très petite collectivité. Le Bureau du Conseil privé n’est pas un si grand ministère et notre groupe, l’équipe de la politique en matière de politique étrangère et de défense, était particulièrement petit — il comptait environ 25 personnes. Et l’une des choses qui m’ont frappée lorsque je suis revenu à AMC, c’est simplement la taille du Ministère, qui est l’une de nos forces extraordinaires. Nous avons un réseau extrêmement diversifié, tant sur le plan géographique que contextuel, et ceci est très important pour nous dans le traitement des dossiers internationaux sur lesquels nous sommes appelés à travailler. Mais ce réseau rend également compte d’une certaine réalité culturelle qui existe au sein de notre communauté. Nous avons des employés littéralement partout dans le monde. Et vous avez également participé récemment à un travail très important qui visait à aborder certaines questions liées au harcèlement et aux tensions en milieu de travail. Et je crois que les gens seraient intéressés à entendre parler de la nature de cet exercice et de certains des premiers résultats que vous avez obtenus dans le cadre de ce travail.
Manon Dumas : D’accord. Donc, mon rôle dans le cadre de ces travaux a commencé lorsque je suis revenue d’une affectation en septembre dernier; j’avais eu quelques discussions l’été précédent avec David Morrison, qui était le [sous-ministre] délégué à l’époque, bien sûr, et qui avait entre autres comme rôle d’orienter les efforts des SM [sous-ministres] afin d’en faire plus, pour voir ce qui pourrait être fait pour étoffer et renforcer nos outils et nos processus dans la culture organisationnelle. J’ai donc commencé à participer à ces travaux en septembre. Et c’est un sujet très vaste, et il faut se poser la question « Par où commencer ? ». Tout d’abord, je n’avais pas à commencer les travaux à partir du début parce qu’il y avait déjà beaucoup de choses qui avaient été accomplies et qui continuent de l’être. Beaucoup de choses se passent du côté officiel, bien sûr. Une nouvelle loi fédérale vient d’être adoptée et est lentement mise en œuvre. Le Conseil du Trésor travaille à l’élaboration de lignes directrices, ce qui nous aide à mettre en place des processus officiels de traitement des plaintes, ainsi que davantage de formation et de mécanismes. Mais ce qui est évident dans tout cela — et dans la foulée du mouvement Moi aussi également, qui a été l’une des raisons pour lesquelles les SM ont voulu en faire un peu plus —, c’est qu’il y a un moment, je crois, dans le monde en ce moment, où l’on sait que depuis longtemps que lorsqu’on dit NON, ça veut dire NON. Il est question de consentement, de dynamique du pouvoir, mais on n’en parle pas encore assez.
On parle ici du harcèlement sexuel, mais on peut aussi parler de harcèlement en général parce qu’une grande partie de ceci, lorsqu’il s’agit de plaintes, lorsqu’il s’agit de cas extrêmes — et ce n’est pas toujours clairement défini, même rendu à ce point. Mais il y a tellement de comportements dont nous devrions être à l’affût ou avant d’en arriver là. Et nous découvrons constamment qu’en tant qu’êtres humains — même si c’est cliché, que tout est relatif — nous ne sommes pas tous pareils. Nous ne percevons pas les choses de la même façon. Il faut beaucoup de travail sur une base quotidienne pour qu'un individu pense constamment à cela. Non seulement penser, vous savez, à être respectueux, mais aussi à la définition même de ce qu'est le respect. Nous ne sommes pas tous pareils. Nous ne percevons pas tous le respect de la même façon. Pour certains, le respect signifie « laissez-moi tranquille, ne me parlez même pas ». Pour d’autres, le respect signifie savoir prendre le temps de sourire et de bien accueillir tout le monde. Eh bien, c’est ça. On sent déjà qu’il existe une petite zone grise où deux personnes peuvent soudainement commencer à ressentir une tension entre elles. C’est donc de toutes ces zones grises dont nous devons parler plus en détail. De notre ministère, en tant que lieu de travail, parce que, comme vous le savez, on passe beaucoup de temps au travail. C’est vrai pour la plupart des gens dans n’importe quel secteur d’activité. Notre milieu de travail comporte d’autres défis, où le volet social interagit avec le volet professionnel de bien des façons, parce que la diplomatie consiste à voyager, à se déplacer, à assister à des séances qui se déroulent tard, à socialiser beaucoup, à consommer de l’alcool.
John Hannaford : Pendant des affectations…
Manon Dumas : Des affectations.
John Hannaford : Oui, absolument.
Manon Dumas : … s’intégrer dans une culture, faire les choses sociales de cette culture, essayer de la comprendre. Et déjà là, on a de la difficulté à comprendre nos propres cultures parfois… Le potentiel pour les manques de communication et des gestes ou des comportements inappropriés est encore plus élevé, je crois, ici, chez nous. Donc, vraiment, on se doit de discuter de beaucoup de sujets. Les séances de dialogues… Alors l’un des projets particuliers, qui a été lancé ce mois, c’est la série Dialogues d’AMC sur les sujets gênants — en anglais, « uncomfortable topics ». Et pour cette première phase, les sujets qu’on a fait ressortir sont beaucoup des sujets qui tournent autour du mouvement Moi aussi, si on veut, et sur les mauvaises communications qui peuvent avoir lieu sur des choses comme lorsqu’on est attiré par un collègue. Et ça va arriver.
Et en réfléchissant à ce travail et en discutant avec mes collègues, je réalise qu’il y a tellement de choses qui se passent dans notre ministère qui ne sont absolument pas mauvaises en soi. Absolument pas. Ce sont des comportements qui sont humains, qui sont sociaux, qui sont normaux. Mais ils exigent un certain doigté, prudence…
John Hannaford : … il faut réfléchir…
Manon Dumas : Oui, réfléchir. Exactement. Comme on le sait, nous avons de nombreux collègues et l’un des sujets sur lequel portent les conversations inconfortables est « Fréquenter un collègue ». Eh bien, dans ce ministère… ce n’est presque plus un sujet inconfortable parce que beaucoup d’entre nous sont dans cette situation. On a des couples d’employés. On a même une certaine politique pour aider les couples d’employés qui sont en rotation à aller en affectation parce que ça fait partie de la culture du Ministère. Et aussi pour inciter les gens à aller en affectation. Il faut faciliter les choses pour les familles. C'est l'un des moyens logiques, bien sûr. Mais, pour y arriver, la transition menant à être un couple, vous savez, un couple sérieux, stable. Bien entendu, il y a les premières phases; celle du flirt, celle des fréquentations. Comment cela affecte vos collègues, les gens qui doivent être mis au courant. Y a-t-il une dynamique de pouvoir en jeu, y a-t-il une perception de conflit d’intérêts? Et si la relation ne va pas bien, qu’est-ce que ça signifie pour l’entourage et pour vos collègues? Et qu’arrive-t-il s’il y a des ruptures, et si elles surviennent à l’étranger? Car on sait que le croisement entre cette réalité et notre milieu de travail est beaucoup plus grand.
Et puis, c’est sans parler ne serait-ce que des délégations. Quand on se rend à l’étranger pour diverses réunions, il arrive souvent que le travail multilatéral, qui consiste à travailler sur des résolutions avec des collègues internationaux jusqu’à tard dans la soirée, se transforme en une invitation à souper. L’alcool coule à flots et les gens interagissent, et il y a là un potentiel pour des malentendus. Et ces malentendus se produisent. Nous savons qu’ils se produisent. Donc, au lieu qu’ils se produisent, au lieu de ne pas en parler, il faut reconnaître que lorsqu’on est à l’étape où l’on est d’accord, qu’on forme un couple stable, on doit essayer de mettre les choses en perspectives ou avouer que les choses ont vraiment mal tourné, ou qu’on a un problème de harcèlement ou pire. Ensuite, il y a tant de choses que nous pouvons faire pour mieux faire ressortir cela et reconnaître que ça fait partie de notre réalité. On a des gestionnaires… On demande beaucoup aux gestionnaires lorsque vient le temps de s’occuper de leur équipe. C’est drôle, je me souviens de votre récente conversation avec Louise Blais [ambassadrice et représentante permanente adjointe], qui était très touchante et très importante. Elle a parlé d’avoir appris par elle-même qu’elle doit gérer dans une perspective d’amour. Il s’agit là d’une grande déclaration, je pense, dans cet environnement, dans un tel environnement. Mais c’est très important. Cela signifie d’être entièrement présent au travail, car c’est ce que l’on fait de toute façon. Si l’on prétend que l’on n’apporte pas vraiment ses émotions au travail et que l’on est seulement rationnels, des machines faites pour analyser…
John Hannaford : On passe à côté de quelque chose...
Manon Dumas : On passe à côté de quelque chose, et on est condamnés à avoir des accidents. Il faut donc que les gestionnaires réfléchissent à cela, qu’ils pensent à ce qu’ils apportent, à leurs bagages. Et qu’ils pensent ensuite à leur équipe en tant que personnes avec leurs propres bagages émotionnels et qu’ils ont la responsabilité supplémentaire de se soucier de tout cela. On doit sortir un peu de soi-même, et essayer. C’est une compétence, ce n’est pas facile et ça demande du travail. Nous offrons beaucoup de formation en ce sens. Mais on doit simplement s’entraider pour y arriver. Vous savez, on doit juste permettre de discuter de ces sujets, et comme les gestionnaires en parle ouvertement avec nos collègues et nos propres patrons. Et ne pas laisser des choses comme les tensions professionnelles et les échéanciers nous empêcher d’avoir ce genre de conversations holistiques et saines sur ce que l’on est en tant qu’employés.
John Hannaford : Oui, je pense que votre réponse couvre une grande partie de la question et c’est fantastique. Une des choses qui étaient ressorties de la conversation avec Louise, c’est à quel point notre travail au Ministère comporte de multiples facettes — comme dans de nombreux milieux de travail —, mais c’est particulièrement vrai ici en raison des points que vous soulevez. Particulièrement dans des situations comme les affectations ou les négociations internationales, ou toute autre situation qui vous mène à passer beaucoup de temps entre collègues. L’écart entre la vie professionnelle et la vie personnelle s’estompe graduellement, c’est aussi simple que cela. Et, l’autre point, c’est que l’on utilise vraiment notre côté émotionnel et notre côté intellectuel dans le cadre de notre travail, et ces deux choses sont également vraies. Et donc, l'une des caractéristiques de cela, c’est qu’on doit donc réfléchir à nos façons d’interagir. Et les sujets dont vous avez discuté sont très importants dans ce contexte. Et peut-être pourriez-vous nous donner une idée un peu plus précise de la nature des séances concernant ces sujets, parce que c'est vraiment important pour nous.
Manon Dumas : Ce qui a été vraiment intéressant, c’est qu’en discutant du concept de parler davantage et d’élargir le sujet, on a réalisé que le Ministère peut prendre de nombreuses mesures pour permettre la tenue de telles discussions. Ce sont des mesures formelles. Cela devient un peu plus technique quand on parle de concevoir quelque chose qui permet de le faire. Et en particulier qui ne permettra pas seulement de prêcher les personnes converties. Car on sait que l’on est tous des personnes différentes et que notre intelligence émotionnelle varie tout autant que notre capacité à parler des langues et d’autres choses. Certaines personnes sont naturellement plus enclines à parler de ces sujets, à en faire part ouvertement et à en discuter sans différentes situations. Il faut donc essayer de trouver une façon d’aider les gens à s’ouvrir et à en discuter. La série Dialogues est donc un élément. Elle comporte quelques étapes clés, et il m’a fallu beaucoup de temps pour la concevoir et pour aider, bien sûr. J’ai parlé à de nombreuses personnes différentes. Le personnel de l’Institut [canadien] du service extérieur et celui de l’Unité des valeurs et de l’éthique de ZIB [Direction des valeurs, de l’éthique et du mieux-être en milieu de travail] m’ont aidée à réfléchir à ce projet.
John Hannaford : Est-ce qu’il y a eu autre exemple dans un autre ministère ou des précédents à cette session?
Manon Dumas : Pour cette session, j’avoue que non. Ça a commencé dans ma tête autour du premier sujet, « fréquenter un collègue », parce que je me suis dit que si je suis pour travailler sur le mouvement Moi aussi dans ce ministère-là, c’est inévitable, je dois parler de ce sujet-là. C’est une bonne porte d’entrée, et évidemment, c’est un… Et j’ai imaginé au début que ce qui serait bien c’est si on pouvait tous se mettre à parler de ce sujet dans une atmosphère un peu plus relaxe, et je nous imaginais dans un bar. Mais bon, déjà là, ça c’est pas idéal parce que tu ne veux pas que ça soit trop informel, il faut aussi que ça ait aussi une certaine structure. Alors ça a été vraiment par phases, j’en ai parlé avec beaucoup de personnes. Je suis très consciente de vouloir rejoindre les missions à l’étranger. Nos employés recrutés sur place font face à des défis particuliers quant aux dynamiques de pouvoir ou aux questions de consentement, et évidemment on fait face à des centaines et des centaines de différentes sous-cultures dans les missions à l’étranger. Donc je voulais aussi pouvoir rejoindre ces gens. Le design fait en sorte qu’il y a une phase où on a des conversations avec facilitateurs, et les facilitateurs sont des collègues choisis pour avoir une certaine diversité. Dans chaque cas, il y a une personne un peu plus sénior, une personne un peu plus junior; à l’étranger, un employé recruté sur place, un Canadien, une personne de différents genres, donc pas deux personnes du même genre, et en plus, on a ajouté un facilitateur professionnel dans la salle pour s’assurer que tout est fait en sécurité. Parfois des conversations peuvent déclencher des malaises ou des souvenirs chez les gens. Donc avec une petite équipe de trois facilitateurs dans la pièce, on est bien équipés pour pouvoir aider quelqu’un si quelqu’un doit quitter par hasard ou quelque chose comme ça.
Et alors, nos facilitateurs, qui sont des employés, ont reçu une petite formation, une session de coaching sur la facilitation et ils mènent la discussion sur les sujets, les trois thématiques. Et ça, ça se passe à la centrale, avec des groupes de 15 à 20 personnes pendant une période de 90 minutes, et aussi dans certaines missions à l’étranger. On a commencé, Beijing en a déjà fait, on s’en va à Los Angeles et à Buenos Aires cet été, en août, et je vais continuer en septembre-octobre à viser les autres régions. Donc on va essayer d’en faire au moins une dizaine à l’étranger.
Alors la discussion a lieu parmi ces gens qui sont des gens quand même qui sont intéressés à venir, c’est sur une base complètement volontaire. On a affiché les sujets et invité les gens, et ils viennent et ils discutent de ces sujets-là comme fréquenter ses collègues, l’espace personnel, comment on perçoit ça, comment on accueille les gens dans notre bulle et aussi comment parler en sécurité dans notre milieu de travail, voulant dire comment se prononcer et comment pouvoir intervenir si l’on voit quelque chose, un malentendu qui est en train de se créer, des choses comme ça. Ces discussions-là ont lieu entre ces gens-là, et on protège l’identité des gens; c’est anonyme, c’est Chatham House. Mais après, les deux facilitateurs font entre eux un résumé de ce qu’ils ont entendu et ils enregistrent ça par vidéo. Et ils vont m’envoyer toutes ces capsules vidéos. Donc je vais recevoir des sommaires de tous ces facilitateurs à travers le réseau. Ce qu’ils font ressortir, bien, des choses surprenantes, des choses controversées, des tendances, là où ils voient des différences attribuables à des différences culturelles. Et donc, tous ces résumés-là, je vais en faire un produit. Et la deuxième phase, qui est de trouver une façon d’utiliser ce produit pour aller rejoindre d’autres personnes, celles qui n’ont pas eu le temps de participer, évidemment qui n’ont pas été assez intéressées, qui étaient trop occupées, et aussi, par contre, ceux qui n’étaient pas attirés par ce genre de choses.
J’ai donc l’intention d’utiliser ce produit vidéo de tous les résumés des divers échanges sur des sujets similaires dans l’ensemble de notre réseau et de le présenter au réseau des directeurs, au réseau d’apprentissage des DG [directeurs généraux], aux autres tables de gestion partout où je peux, dans des formations. Et de l’offrir également aux équipes pour qu’elles puissent amorcer des discussions dans leur propre milieu de travail. Et c’est intéressant de voir où vont les discussions — on ne veut pas trop forcer les discussions dans des domaines précis. Bien que l’idée c’est d’aller dans des endroits où vous pouvez commencer à déballer certaines choses comme le consentement. Eh bien, à quoi ressemble le consentement? Comment vous pouvez le demander? À quoi consent-on? Et partout dans le monde, je veux dire, ces choses… Et à Beijing, qui vient de tenir son dialogue « Fréquentation un collègue ». Juste le sujet même a fait l’objet d’une discussion parce que ce n’était pas une expression très courante. Fréquenter un collègue n’est pas quelque chose dont on parle normalement en Chine. Certains concepts qui sont très canadiens, peut-être, eh bien, nord-américains, vous savez, comme partenaires, soient discutés, qu’est-ce que cela veut dire. Le sujet de l’espace personnel est assez intéressant, mais il n’est peut-être pas surprenant, ce qui engendre de nombreuses conversations sur le milieu de travail 3.0 dans lequel de nombreux employés travailleront bientôt. Ceci force beaucoup d’interactions entre des gens qui n’en ont jamais eu auparavant, et une sorte d’interaction que beaucoup de gens ne pensaient pas voir se produire dans leur milieu professionnel.
C’est donc une conversation qu’il faut élargir. Il y a des choses qui peuvent être faites au niveau institutionnel pour penser, par exemple à des lignes directrices, à des choses que l’on doit ou ne doit pas faire. Les barrières physiques qui sont créées et les nouvelles choses qui peuvent nous permettre de nous adapter à cette réalité. Mais les gens ont aussi… parce qu’ils sont surpris par ce qui les dérange. Alors soudainement…
John Hannaford : Intéressant.
Manon Dumas : Oui, soudainement vous avez…
John Hannaford : Une situation que vous n’avez pas prévue.
Manon Dumas : … vous n’avez jamais vu venir, vous dites, comment puis-je demander à quelqu’un quelles sont ses habitudes de mastication, comment puis-je aborder cette conversation. Tout le monde doit y mettre un peu de soi et s’améliorer dans ce domaine.
John Hannaford : C’est vraiment intéressant. Eh bien, regardez, je pense que c’est un projet important pour un certain nombre de raisons. En premier lieu, il est innovant. Je pense aussi que c’est une façon intéressante d’aborder certaines de ces questions de manière moins formelle. Nous avons des mécanismes formels qui sont d’une importance cruciale, et vous en avez parlé au début. Et ils permettent de régler les problèmes qui sont déjà survenus. Mais d’une certaine façon, vous essayez de remédier à ces problèmes avant qu’ils ne surviennent. Et c'est une chose beaucoup plus diffuse et c'est un défi dans un environnement qui compte un éventail aussi grand de bureaux et tout le reste. Mais c’est vraiment important comme sujet, et comme vous l’avez dit également, certaines leçons doivent être retenues dans les réseaux de gestionnaires actuels; c’est extrêmement important. Mais il est également important de réfléchir, vous savez, aux moyens d’aborder ces questions sur un plan plus organisationnel. Et notre cérémonie de remise des prix vient juste d’avoir lieu, il y a environ une semaine, je crois, et je pense que la reconnaissance d’une bonne gestion des personnes dans ce contexte est une chose que nous pouvons faire pour essayer de promouvoir un ensemble de comportements que nous pensons être importants. Et on doit réfléchir à la façon dont on utilise notre processus d’EGR [ententes de gestion du rendement] et les processus d’évaluation en général, qui font partie de la gestion des talents, pour nous assurer que les bons comportements soient récompensés et qu’on puisse lutter contre les mauvais comportements. Et ces mécanismes existent donc aussi pour que nous puissions réfléchir à ces questions. Et je dois dire que personnellement, parce que je suis encore relativement nouveau ici, je suis impressionné par la rigueur de notre processus d’EGR. Mais on peut aussi voir à quel point il serait utile d’utiliser la rétroaction ascendante pour mieux comprendre comment les gens s’occupent de la gestion. L’une des choses qui m’ont plu cette année, c’est que Ian Shugart, alors qu’il était encore notre sous-ministre des Affaires étrangères, avait instauré une rétroaction ascendante pour les députés, qui était formidable. Et j’ai toujours trouvé ce genre d’exercice très utile parce qu’il vous donne l’occasion de vous faire une idée plus précise de la façon dont on peut avoir un effet sur les gens, ou dont je peux avoir un effet sur les gens. Et je pense que des mécanismes de ce genre peuvent aussi être très utiles, et nous devons donc réfléchir à la façon dont ils fonctionnent.
Je suis d’avis que nous devrions prévoir une prochaine rencontre, à un moment donné, lors de laquelle vous pourrez nous donner un peu plus d’informations à mesure que ces conversations se dérouleront, quant au genre de leçons plus générales que nous devrions tirer de tout cela. Je vous remercie, c’était vraiment très intéressant, comme je l’ai mentionné au début, c’est un processus vraiment important pour nous en tant que collectivité. C’est une question culturelle, qui porte sur les tensions possibles entre employés et dans le contexte du travail, et dans les autres contextes qui sont très pertinents pour l’ensemble de notre ministère.
Alors merci, Manon. Ce fut un grand plaisir de pouvoir vous parler, et nous avons bien hâte de vous revoir afin d’en apprendre davantage à ce sujet au fur et à mesure.
Manon Dumas : Merci beaucoup. Ça m’a fait plaisir.