Transcription – Épisode 3 : Entretien avec Francis Trudel

David Morrison : Francis Trudel est l’un des meilleurs professionnels des ressources humaines de la fonction publique. Il a débuté sa carrière à la Défense nationale avant de rejoindre Affaires mondiales en tant que directeur général en 2007. À l’exception d’une affectation de deux ans à titre de chef de mission en Uruguay, Francis œuvre dans le domaine des ressources humaines depuis son arrivée à Affaires mondiales et occupe actuellement le poste de sous-ministre adjoint. Il est venu me voir récemment pour parler de ce qui l’a amené dans la fonction publique, de la façon dont il est arrivé à Affaires mondiales et de certains de ses dossiers chauds, dont la création d’une filière des agents du service extérieur dédiés à l’aide internationale. On a parlé aussi des langues officielles et on a fait la plupart de la conversation en français. Bonjour Francis, merci de participer à cet épisode des dossiers d’AMC. Je sais que vous suscitez toujours beaucoup d’intérêt. Les RH suscitent toujours beaucoup d’intérêt. Donc, avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais vous rappeler les règles à suivre, ici, aux dossiers d’AMC. Avant d’aller plus loin, nous devons tous deux être conscients qu’il s’agit d’un très bon public et que nous devrions nous abstenir de discuter ou de divulguer des informations sensibles ou classifiées. De plus, conformément à la Loi sur les langues officielles du Canada, je vous encourage à parler dans la langue de votre choix et j’en ferai de même. Francis, je vais essayer de parler surtout en français. Nous... c’est-à-dire vous et moi... nous parlons habituellement toujours en anglais, mais je vais essayer faire cette entrevue le plus possible en français. Bien sûr, je vous encourage à utiliser la langue de votre choix. Parfait. Commençons par le commencement. Qui est Francis Trudel? D’où viens-tu, Francis?

Francis Trudel : Merci de l’invitation, David. Les grandes questions très larges pour commencer. Écoute, je suis un Québécois d’une petite ville du sud-ouest de Montréal qui s’appelle Coteau-du-Lac, une toute petite ville. J’ai fait mes études, j’ai grandi dans cette petite ville sur le bord du fleuve. Je dirais qu’on devrait être 3000-4000 au moment où j’étais jeune et j’ai grandi dans cette ville-là. L’anecdote qui me suit par rapport à cette ville-là c’est le fait que toute ma famille y est, toute la famille de ma femme y est, toute la famille y reste encore et j’ai marié ma femme qui était en « kindergarden » avec moi dans les mêmes années. Donc, on se connaît vraiment vraiment depuis très très longtemps. Coteau-du-Lac est le nom de la ville.

David Morrison : Et c’est loin de Montréal?

Francis Trudel : À peu près 45 minutes, ce qui veut dire à peu près deux heures avec le trafic à Montréal.

David Morrison : De venir d’un endroit si petit, ça a une influence?

Francis Trudel : Dans mon cas à moi, l’influence que ça a eu c’est plutôt le désir de sortir de cette petite ville-là. Donc, oui, ça a eu une grande influence. Dès que j’ai fini le secondaire – j’avais 16-17 ans –, je suis allé faire des études à Montréal. Finalement un peu la liberté d’aller vivre dans une grande ville. Donc je pense que oui, il y a comme un désir…

David Morrison : Avec ta femme?

Francis Trudel : Non pas avec ma femme. On était en « kindergarden » ensemble, mais ça a pris passé l’université avant qu’elle accepte finalement de prendre une sortie avec moi. On a fait tous les deux notre université séparément à Montréal. J’ai commencé mes études à Montréal, pour me déplacer à Ottawa, pour venir finir mon bac ici à Ottawa. Toute personne de Montréal à l’âge universitaire qui se déplace vers Ottawa a toujours des grands préjugés sur la perte d’« entertainment » que la Ville de Montréal offre.

David Morrison : C’était quand?

Francis Trudel : Mon Dieu, j’ai gradué du secondaire en 89, donc, je dirais on était 94, dans ces années-là. Je suis venu faire mon bac ici, je n’étais pas avec ma femme à ce moment-là. Et ultimement, j’ai fini ma maîtrise sur le côté du Québec, à l’Université du Québec en Outaouais.

David Morrison : Et pourquoi en ressources humaines? Tu es rentré dans la fonction publique immédiatement?

Francis Trudel : Mon anecdote d’entrée à la fonction publique est un petit peu cocasse. Les ressources humaines, ce n’était pas le choix initial. Je suis rentré en différentes sciences sociales. J’ai fait un bac qui, ultimement, est devenu un bac en psychologie. Je trouvais que c’était une discipline très intéressante, mais un peu trop abstraite. Je cherchais un endroit d’application pratique à ça, et je suis tombé au cours de mes études à des concepts de psychologie du travail appliqué en milieu de travail. Ça m’a fasciné comme concept. J’ai même fait un diplôme universitaire additionnel pour faire une transition vers ce qu’on appelle les relations industrielles où, éventuellement, je me suis spécialisé en ressources humaines, les relations de travail étant l’endroit de plus grands intérêts. Mon entrée à la fonction publique fédérale, j’aime la raconter parce que peut-être que ça explique mon désir de changer un peu les ressources humaines. Je faisais ma maîtrise, et une maîtrise, on doit la défendre devant un comité de défense. Et un militaire assez haut gradé, sur le côté militaire où un de mes collègues travaillait, m’a invité à venir faire une présentation de mon projet de mémoire. Et je suis venu et je me rappelle très bien, c’était au milieu de décembre ou quelque chose comme ça, et je devais présenter mon projet de mémoire. Ce colonel de l’armée qui était engagé dans un milieu de psychologie du travail a été très intéressé par ce que j’avais présenté, et sur le coup de ma présentation m’a offert un emploi. Et donc, il m’offre un emploi et il m’a dit: « J’aimerais vraiment que tu commences en janvier avec nous. » Moi, naïf ne sachant pas comment la fonction publique fonctionnait, j’étais très enthousiasmé par ça. Je suis allé acheter mes premiers habits, ma première cravate pendant le temps des Fêtes, etc. pour arriver au milieu janvier pour me faire dire qu’en fait, c’est beaucoup plus compliqué l’embauche dans la fonction publique fédérale et que l’offre d’emploi n’est plus. Ce qui fait que je ne suis jamais rentré par l’entremise de ce que je croyais avoir été une entrevue, et je suis éventuellement rentré à la Défense nationale par une autre porte un peu plus tard.

David Morrison : Qu’est-ce que tu as fait?

Francis Trudel : Ma vraie entrée a été par l’entremise, comme beaucoup de jeunes qui rentrent à la fonction publique fédérale, d’une opportunité qui est un emploi très précaire. On m’a offert un emploi « casual » pour rentrer, pour aller remplacer un collègue qui s’absentait, qui était de quelques mois. C’était fascinant et je me rappelle encore aujourd’hui de cette belle expérience-là. J’ai plein d’anecdotes autour de ça. Je suis allé travailler dans le bureau d’une dame qui, au milieu des ressources humaines, est très connue et qui s’appelle Monique Boudria. Monique Boudria est devenue la chef des Ressources humaines éventuellement de la fonction publique fédérale. Mais Monique Boudria était une des femmes qui a fait une percée assez majeure dans un milieu très « homme » qu’est le milieu de la Défense nationale, et est devenue une sous-ministre adjointe des Ressources humaines. Rapidement, elle est devenue un peu un mentor pour moi, sans qu’on ait une relation très formelle. Je lui parle encore aujourd’hui et je suis donc allé travailler avec elle pendant plusieurs mois. Son collègue de l’époque était le général Dallaire, qui était le sous-ministre des Ressources humaines sur le côté militaire. Donc j’ai tout expérimenté des évènements qui ont suivi, qui étaient très difficiles à vivre, mais très enrichissants.

David Morrison : Ça, c’était pour la Somalie?

Francis Trudel : Non, pas la Somalie. Il était sous-ministre adjoint des ressources humaines militaires pour ensuite avoir été le commandant... Mon Dieu, j’ai un blanc... Son livre où il a écrit « où j’ai serré la main de l’enfer » qui était son passage, donc j’ai un blanc. On va y revenir dans le montage. Donc, on a vécu son retour avec les premiers codes post-traumatisme suite à son intervention. Par la suite, j’ai accédé à des postes d’officier assez classiques en ressources humaines. C’est-à-dire que j’ai été un agent de dotation, un agent de relations de travail, et je suis éventuellement devenu gestionnaire. Donc, mes percées dans la fonction publique ont été dans le milieu des ressources humaines. Je me suis déplacé après dans des postes, un petit peu au niveau de l’informatique. J’ai fait un peu de travail dans des projets d’ampleur au niveau de l’informatique, mais je suis toujours resté avec le créneau des ressources humaines.

David Morrison : Tu as commencé ici aux Affaires extérieures?

Francis Trudel : C’est en 2007, j’étais à ce moment-là un exécutif à la Défense nationale. Je ne connaissais pas les Affaires étrangères, le ministère des Affaires mondiales comme on le connaît aujourd’hui. J’étais un exécutif qualifié dans un poste senior à la Défense nationale, et les deux sous-ministres adjoints des Ressources humaines s’étaient parlé pour une opportunité. J’ai reçu un appel pour dire : « On a un concours ouvert. Pourquoi ne viens-tu pas compétitionner dans le poste? » Donc, j’ai compétitionné comme on le fait dans les postes, les concours habituels, sans savoir dans quoi j’arrivais, sans avoir plus d’aspirations que ça à la vie rotationnelle qui a fait partie de mon parcours par la suite.

David Morrison : Tu étais chef de mission à Montevideo quand? Parce que ça faisait partie de la faction?

Francis Trudel : Et en fait en 2007, j’avais une jeune enfant, je ne savais pas tout à fait ce que voulait dire la vie à l’étranger; ce n’était jamais un plan. En fait, c’est assez particulier la façon dont ça s’est passé. Les gens qui étaient ici se rappelleront peut-être de la période de 2009, où le ministère était passé à travers un évènement assez inconfortable qui était le moment où on a presque dépassé notre crédit financier, n’est-ce pas en 2009, et lorsque le sous-ministre adjoint de l’époque, qui était Michael Small des Ressources humaines, mais aussi la personne qui était dans ton poste, David, qui était Gérald Cossette à ce moment-là, ont commencé à faire un diagnostic de ce qui avait mené à ces problèmes-là. On s’est rapidement rendu compte que la façon dont nous gérions les ressources humaines avait mené à une gestion des dépenses qui était sous-optimale. J’ai passé presque un an de temps dans ce qu’on appelle un « task force », à la demande de Gérald et de Michael Small. J’ai quitté mon poste de directeur général ici pendant un an de temps. Et c’est suite à ce travail-là que j’ai fait avec eux, et le désir du Ministère d’envoyer des gens avec un profil peut-être un peu différent dans certains postes, qu’on m’a considéré à Montevideo, en 2010 pour répondre à la question.

David Morrison : Alors après trois ans?

Francis Trudel : Un peu plus que trois ans effectivement. Formation linguistique en langue étrangère, évidemment. Je ne parlais pas espagnol du tout. Formation intensive, et je suis revenu en 2010 seulement deux ans après l’affectation. J’aime le rappeler aux gens parce qu’évidemment, ça fait partie de ma vie. Ça fait partie de mon travail maintenant de faire ce genre de décision avec toi, David, et avec les sous-ministres. On m’a demandé de revenir. On m’a demandé de revenir après deux ans parce que le Ministère à ce moment-là finissait DRAP. On m’a donné deux mois de notice pour que je puisse revenir de l’étranger en plein milieu de l’année scolaire pour ma fille de l’époque. À l’époque, elle avait 12 ans, 11 ans, donc un moment assez difficile de transition. Mais comme quoi des fois les besoins organisationnels doivent primer sur les...

David Morrison : Vous avez été franc à ce sujet, l’annonce de cette décision, le type de décision que vous devez maintenant faire régulièrement.

Francis Trudel : Eh bien, je n’aime pas ça; en fait, je déteste faire ça. Je n’ai pas aimé en être la cible, mais, pour être totalement honnête, je croyais que c’était probablement la bonne décision à prendre. J’ai complètement détesté la situation. J’allais sortir ma fille de l’école. Je croyais avoir encore une autre année en affectation. Ma famille allait bien. Mais j’ai trouvé encourageant de constater, vous savez, que les sous-ministres peuvent changer leurs atouts de place quand ils doivent le faire, pour le bien de l’organisation. Ça été perturbant, mais du point de vue de l’organisation, à ce moment-là, c’était probablement une bonne décision à prendre.

David Morrison : Ce que tu as appris comme chef de mission et comment ça t’aides maintenant dans les ressources humaines?

Francis Trudel : Je n’aurais pas pensé au départ de cette expérience-là que j’aurais eu autant d’apprentissage, qui allait venir d’une expérimentation d’une gestion d’un poste de chef de mission. En fait, je dirais que le « stretch » était à plusieurs niveaux. D’abord, il ne faut jamais sous-estimer le défi qui est de gérer ou de travailler dans une langue étrangère. J'aime dire aux gens que ma QI descend un peu quand je parle une autre langue et peut-être que ça commence à commencer, alors c'est parti. Donc, il y a un défi avec la langue étrangère. Il y a un défi avec la culture et l’environnement, il y a un défi avec les enjeux familiaux. On oublie que nous comme diplomates, l’ambassade, les employés, l’environnement s’occupent de nous. Mais la famille, on a besoin d’y porter très attention. C’est souvent plus difficile pour eux.

David Morrison : Ta fille, comment est-ce qu’elle a réagi?

Francis Trudel : Elle a bientôt 16 ans. C’est probablement l’expérience la plus riche de sa vie. Puis j’argumenterais que c’est probablement l’expérience la plus riche qu’elle va avoir dans sa vie jusqu’à quelques expériences qui viendront la marquer plus tard. Mais c’est quelque chose de très riche. J’avais anticipé un départ du Canada difficile. Vous savez, en Uruguay l’été est l’hiver et l’hiver est l’été, donc il fallait sauter des demi-années au niveau scolaire, etc. Ma fille a bien fait. Mais j’avais sous-estimé le défi de revenir et surtout d’aviser une jeune de 10-11 ans au moment de lui dire « Bonne nouvelle, on retourne au Canada » quand elle, dans sa tête, il lui reste un an avec ses amis, etc. Mais mon défi additionnel, au-delà de la famille, était aussi le fait que je ne viens pas de la tradition des affaires étrangères ou du ministère des Affaires étrangères que j’avais joint à l’époque, et l’expérience et la profession d’être un diplomate qui s’acquiert au fil des années – ces choses que je respecte énormément chez les gens qui nous entourent, ces choses que je n’avais pas. Et d’arriver dans une si petite mission, où on fait nos propres communications...

David Morrison : Vous étiez quatre Canadiens?

Francis Trudel : Il y en a deux de trop. Il y en avait deux au total. Un chef de mission et un MCO, et une équipe très compétente au niveau des employés locaux. Un autre groupe d’employés pour lequel j’ai un grand respect dans le réseau qui nous aide et nous fait souvent survivre dans un paquet de circonstances dans lesquelles nous les Canadiens, on est bien content de pouvoir dépendre de leur expertise. Mais la mission était si petite que je faisais mes propres démarches, je faisais mes propres notes d’allocution. Je ne veux pas minimiser l’aide que j’avais des gens qui m’entouraient, mais c’était très limité, ce qui fait que j’aurais presque argumenté que ça aurait été plus facile pour moi de transiger dans une mission d’envergure moyenne plutôt que petite, puisqu’il y a des chefs de programme qui peuvent venir nous aider un peu. Mais ça m’a fait apprécier énormément le métier qu‘est la diplomatie. Je respecte mes collègues qui opèrent là de façon beaucoup plus fluide que moi je le fais, et je pense que ça fait de moi « jury still out on that », mais probablement de moi un meilleur responsable des Services corporatifs. Je n’argumente pas que l’expérience de l’Uruguay est similaire à n’importe quelle grande mission, mais on est capable de faire certaines extrapolations de fonctions et de responsabilités qui nous permettent d’un peu plus comprendre, pas de comprendre complètement, mais d’être un peu plus empathique à ce qui se passe ailleurs.

David Morrison : Tu as parlé de langues étrangères, qui font partie de la vie ici au Ministère, mais je voudrais parler aussi des langues officielles. J’essaye de faire ce podcast en français, mais c’est grâce au gouvernement canadien que je peux parler français, parce qu’il y a trente ans quand je suis entré dans le Ministère, j’ai passé presque sept mois ou six mois en formation en français. Et puis le jour après, j’ai commencé en espagnol. Mais cette formation linguistique en langues officielles n’existe plus, c’est vrai?

Francis Trudel : C’est partiellement vrai. C’est-à-dire le programme auquel tu fais référence s’appelait le programme Ab initio, c’est un programme très agressif qui n’existe à peu près nulle part ailleurs dans la fonction publique fédérale; il n’existe plus ailleurs et ici non plus. C’est-à-dire que la nuance de ce programme-là, c’est qu’on faisait des embauches de recrutement et on faisait venir les gens en formation intensive ou on payait une partie du salaire - 80 % du salaire si je me rappelle bien – pour que les gens apprennent la langue, mais ils n’étaient pas encore nommés comme FS tant et aussi longtemps qu’ils ne rencontraient pas les exigences linguistiques. On pouvait faire cette formation jusqu’à deux ans de temps. Ce programme n’existe plus. D’abord, on ne fait plus de recrutement à grande échelle comme on le faisait avant. Puis on pourra rentrer dans ce sujet-là parce qu’il y a des raisons pour lesquelles on ne le fait plus de cette façon. Mais ce qui existe encore, qui est encore à la disposition des ministères comme outil potentiel à utiliser, mais qui est de moins en moins utilisé, c’est ce qu’on appelle des processus non impératifs. À ce moment-là, la nuance c’est que les gens doivent quand même rencontrer les exigences de leurs postes, mais ils ont une période tampon qui permet de rencontrer les langues. Mais c’est la responsabilité de l’employé et de l’employeur de rencontrer les langues à l’intérieur d’une période prescrite. C’était très populaire dans le passé. Je ne suis pas certain pourquoi les ministères – et ce n’est pas que GAC, c’est l’ensemble des ministères de la Fonction publique – qui ne font presque plus de non-impératif. Les gens ont mis plus d’emphase sur un requis d’emploi comme une connaissance ou comme une expérience ou comme une habilité, et elle doit être rencontrée parce que la loi sur l’emploi le rend une condition d’emploi.

David Morrison : J’entends parfaitement, mais ça implique en fait que la majorité des gens qui entrent dans la fonction publique canadienne, ce sont des gens de l’Ontario et du Québec et des autres endroits où c’est plus facile d’être bilingue.

Francis Trudel : Oui, il y a une réalité. Ce mouvement, qui est de l’embauche qui nous vient de la région de la capitale nationale principalement, des deux côtés, est tout à fait vrai et il y a d’autres raisons qui encouragent aussi ce mouvement dans le déplacement puisque le travail se fait ici à Ottawa, de toute façon, ce qui fait que les déplacements de famille, les coûts de relocation, etc. sont tous des encouragements qui font que lorsque l’on parle de diversité – par exemple, on parle beaucoup d’équité en emploi sur certains critères –,si on veut vraiment parler de diversité dans sa pleine grandeur ça prend aussi des diversités de « background », et aussi des diversités d’expérience qui doivent venir d’un endroit peut-être un peu plus large que le stéréotype de la région de la capitale nationale.

David Morrison : Tu as fait référence aux changements, pourquoi a-t-on décidé de quitter la politique et d’avoir un recrutement national? Quand on m’a recruté, et quand plusieurs de nos auditeurs se sont joints au Service extérieur, le Service extérieur avait son propre examen qui était donné un peu partout dans le monde. En fait, Stefanie Beck, qui est venu nous rencontrer il n’y a pas si longtemps, a fait cet examen, je ne me rappelle plus où en France. J’ai fait le mien à la Maison du Canada, à Londres. À l’époque, le Ministère avait sciemment choisi de recruter des gens de partout au Canada, de les mettre ensemble, de leur enseigner les langues officielles, dans la mesure où ils... où ils n’étaient pas déjà bilingues, et de les envoyer ensuite représenter le Canada. J’imagine qu’on a mis fin à certaines de ces pratiques pour des raisons purement financières, mais vous pourriez peut-être m’en dire un peu plus à ce sujet, et aussi nous parler de ce qui s’en vient.

Francis Trudel : Effectivement, on ne peut pas cacher qu’il y a un aspect très pragmatique, qui est l’aspect des coûts. Quand je suis arrivé en 2007, on faisait encore ces recrutements nationaux. J’ai probablement été celui qui faisait les dernières campagnes de recrutement. Je me rappelle la dernière qu’on a faite en 2009. On a continué à faire de façon moins traditionnelle. Je me rappelle en 2007, quand je suis arrivé, on était dans le milieu d’une campagne et je crois qu’on a fait une autre traditionnelle par la suite et qu’on a continué à en faire passé les années 2010, mais de façon moins systématique. C’est-à-dire qu’on faisait ce que l’on appelle le « postsecondary recrutment campaign ». Mais la façon dont on appliquait les évaluations et les tests étaient moins standardisée. Je me rappelle de la dernière que j’ai faite qui était complète, où on avait eu tout près de dix mille applicants à notre campagne d’application. On essayait d’embaucher à ce moment-là un peu moins de 100 FS juniors. J’avais six sites d’embauches. Hong Kong en faisait partie, Washington, Londres, etc., pour te donner des exemples. Elles nous avaient coûté près de 3 millions de dollars pour embaucher à peu près 80 personnes; et 80 personnes, c’est un gros chiffre quand on compare aux besoins que nous avons actuellement. Donc le concept du recrutement n’est pas perdu. Le concept du recrutement doit continuer, mais la manière dont on le fait à travers le « postsecondary recrutment », je pense qu’on doit arriver à la conclusion que ça a généré des bons résultats. Est-ce que le retour sur l’investissement est le bon mécanisme à prendre? Je pense qu’on est arrivé à la conclusion que non. Je veux apporter une nuance sur la composante de besoins, parce que dans ma discipline les gens qui te parlent en mission quand tu les visites, ou tous les gens qui m’accrochent à la cafétéria. Je suis assez connu pour avoir le même siège à la cafétéria le matin et ça me permet d’avoir des discussions avec beaucoup de gens.

David Morrison : Francis est toujours entre 8 h30 et 9 h dans la cafétéria, alors si tu as des questions ou des problèmes, il est là.

Francis Trudel : Mais dépêchez-vous parce que parfois les sous-ministres profitent du fait que je suis là pour discuter avec moi aussi. Mais un des points qui est continuellement soulevé, c’est la notion de besoin d’embauche, besoin de recrutement, besoin de promotion, et la nuance que je veux faire quand j’utilise ce terme-là, c’est que pour moi il y a une distinction très importante entre le besoin réel d’avoir des gens pour livrer le mandat que le Ministère a, qui est énorme, et le besoin que nous définissons en fonction d’une enveloppe salariale que le Ministère se fait offrir pour gérer. Et dans mon monde à moi, je me fais souvent mal interpréter, c’est-à-dire que mon travail à moi c’est de gérer à l’intérieur de l’enveloppe de l’employeur. Arun Thangaraj qui a un moment donné sera de ce côté-ci du micro, je suis sûr, dans un de vos interviews, parlera de la collaboration que lui et moi on doit avoir ensemble comme services corporatifs pour s’assurer que vous, les sous-ministres, ne soyez pas en situation précaire au niveau de la gestion de vos ressources. Par contre, ce n’est aucunement un jugement de notre part du réel besoin qui va bien au-delà de cette enveloppe. Il n’y a pas de dichotomie dans ma conversation avec les gens, en disant que le besoin que vous avez versus la capacité du ministère de rencontrer ce besoin est complètement différent. Et juste parce que le sujet est le sujet le plus populaire, ou pratiquement le seul sujet dont les gens me parlent quand ils me rencontrent, c’est les enjeux de promotion. Les enjeux de promotion, le concept de besoin et l’enveloppe salariale s’appliquent exactement de la même façon aux promotions qu’elles s’appliquent au recrutement. Je vous disais qu’on avait dix mille personnes qui appliquent dans un contexte de recrutement, je vous dirais que le Ministère est un ministère de destination, les employés de la fonction publique veulent venir ici, et ceux qui ont la chance comme nous d’y travailler ­– et je vous dis ça, moi je suis une des personnes qui est venue de l’extérieur et qui ne pensait pas venir faire une carrière très longue ici parce que dans ma discipline on bouge ­–, on tombe en amour avec le mandat du Ministère, donc on ne part plus. Le taux d’attrition au Ministère actuel, et je fais toujours attention avec les statistiques maintenant que Phoenix a complexifié un peu notre façon de faire nos statistiques, fait que ça rend les opportunités parfois d’avancement, de promotion et même de recrutement plus restreintes qu’ailleurs puisqu’il y a très peu de mobilité dans le système.

David Morrison : Tu es entré en 2007, moi je suis revenu au Canada et au Ministère en 2012. Une des plus grandes choses qui s’est passée depuis ce temps-là, c’était la fusion entre CIDA et les Affaires extérieures. Quelles sont les dernières nouvelles concernant la filière des agents internationaux? Les FSIA, peux-tu expliquer pourquoi il faut compétitionner pour devenir FS alors que les MCO n’ont pas eu besoin de le faire.

Francis Trudel : Je suis content que tu poses la question en faisant le lien avec les MCO parce qu’il y a une distinction à faire qui est parfois perdue. D’abord la raison pour laquelle on fait cette initiative-là, je pense qu’elle a été véhiculée assez fréquemment, le point étant que dès l’amalgamation on aurait dû et on aurait pu, mais on ne l’a pas fait immédiatement puisqu’on devait faire en séquence l’intégration de l’ensemble de nos systèmes d’affectation, mais aussi rencontrer des exigences légales qui sont de nous rendre conformes aux normes de classification. Donc, on a une communauté dans le système. Et là je parle – je sais que les gens ont l’habitude de parler des PM spécifiquement –des postes de PM à l’étranger qui sont mal classifiés, et nous devons devenir conformes. On ne l’a pas fait. C’est une grande vulnérabilité et je dirais même qu’il y a une petite injustice par rapport aux employés du Développement qui font du travail d’importance équivalente aux autres disciplines. Mais avec la même petite injustice que je trouve que nos MCO vivaient lorsqu’ils étaient eux aussi à côté de leurs collègues des autres disciplines payées dans une classification AS pour faire du travail, pas pareil, mais du travail d’importance égale et que leur rotationalité et leurs conditions d’emploi rotationnelles n’étaient pas reconnues comme FS. Probablement, ma plus grande fierté à l’égard de ce que j’ai accompli en ressources humaines ici depuis mon arrivée – je trouve qu’on a eu beaucoup de réussites, on en parle peu, on parle des problèmes qu’on a à régler et c’est correct – c’est de mettre le point final sur l’intégration des MCO. La reconnaissance des MCO dans la communauté FS, c’est important. C’est une grande réalisation. Je commence avec ça pour répondre au FSAI parce qu’il y a une nuance importante. La raison pour laquelle c’était si difficile, si ardu, et si long de faire cette intégration des MCO, c’est que le requis qui devait être accompli pour être en mesure de le faire était un changement à la norme de classification dans la fonction publique fédérale et ces normes de classification sont associées à des agents négociateurs, des syndicats, qui sont les gardiens de leur « membership » et ils ont très raison de l’être. Donc, pour faire reconnaître les MCO comme FS, nous devions changer la norme de classification au Conseil du trésor, ce qu’on a réussi à faire finalement, après très longtemps, ce qui nous a permis après ça de passer à un exercice de transfert de ces gens-là qui avaient des conditions d’emploi, mais qui avaient aussi des droits titulaires à leur poste à cette norme de classification qui a changé et donc, et là je rentre dans le technique parce que la réponse est technique, c’est pour ça qu’on a permis de faire une conversion. Et dans le cas de la communauté du développement ou de l’assistance internationale, la nuance est différente. La norme est déjà existante, et les postes à l’étranger de développement rencontrent déjà la norme. Il n’y a pas de changement de norme, et c’est pour ça qu’une conversion ne s’applique pas. Ce n’est pas un choix décisionnel de traiter une communauté différente d’une autre, c’est la mécanique de ce qui s’applique versus ce qui ne s’applique pas. Comme la conversion ne s’applique pas, le Ministère a un choix de dire comment on va choisir et identifier. Et sous le leadership de Diane en ce moment, et de toi David aussi dans ton rôle de CEO, l’année dernière on a décidé que ce qui était important c’est de protéger la discipline et l’intégrité de la discipline, et de s’assurer qu’on allait chercher l’expertise en développement et en assistance internationale. Et le choix qui a été pris par la gestion était de dire que nous allions ouvrir un processus avec des critères très serrés. On ne sait pas quand le podcast va sortir, mais on est au cours de l’été engagé dans un processus qui va permettre la reconnaissance de gens qui rencontrent les exigences spécifiques de la communauté du développement. Diane tient mordicus à ce que l’expertise, qu’elle vienne des PM, des EC, peu importe où sont les individus qui ont une expérience, soit bienvenue dans la communauté du développement et de l’assistance internationale.

David Morrison : Francis, je pourrais parler avec toi pendant des heures, et c’est vrai que quand je voyage et que je visite les ambassades, les consulaires, la plupart des questions sont des ressources humaines, alors ça serait nécessaire de continuer cette conversation. On a besoin de parler des employés recrutés sur place. L’approche des ressources humaines axée sur les compétences est quelque chose d’énorme qui s’en vient. On pourrait passer un épisode au complet à discuter du projet de loi C-65 sur le harcèlement et de sa signification pour la fonction publique et pour AMC en particulier. Alors, je crois bien que vous serez un de nos invités les plus fréquents aux dossiers d’AMC et que nous vous demanderons votre aide pour nos auditeurs qui pourraient avoir des questions ou des inquiétudes à ce sujet ou commentaires pour Francis Trudel…

Francis Trudel : Rendez-vous à la cafétéria.

David Morrison : Vous pourrez le rencontrer à la cafétéria chaque matin à 8 h 30, à la première table, juste à la sortie du coin café ou envoyez-nous un petit courriel avec des questions et je vais poser ces questions la prochaine fois. Merci beaucoup, Francis.

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