Transcription – Épisode 48 : Une discussion sur la santé mentale avec l’ambassadeur Bob Rae

Bienvenue aux Dossiers d’AMC, un balado sur les gens, les enjeux et les idées qui animent Affaires mondiales Canada.

Voici votre animateur, John Hannaford, sous-ministre du Commerce international d’Affaires mondiales Canada.


John Hannaford : OK, bonjour tout le monde. C’est un plaisir d’avoir l’occasion de parler un peu avec un de nos collègues, Bob Rae, qui est notre ambassadeur actuel auprès de l’ONU. Bob est évidemment une personne extrêmement connue de nous tous, et nous pourrions évidemment parler d’un grand nombre de sujets. Mais je suis vraiment heureux qu’il ait voulu discuter avec nous aujourd’hui de certaines des questions relatives à la santé mentale, qui est un sujet qu’il a abordé dans le passé dans un certain nombre de forums. Et je pense que c’est un sujet qui est particulièrement opportun pour nous, car nous vivons tous les expériences que nous traversons en ce moment. Donc, Bob, tout d’abord, je vous souhaite la bienvenue.

Bob Rae : Merci, John.

John Hannaford : C’est génial d’avoir la chance de discuter avec vous.

Bob Rae : Je suis heureux d’être avec vous. C’est un plaisir.

John Hannaford : Écoutez, je suis juste intéressé, tout d’abord, à savoir pourquoi c’est un sujet sur lequel vous avez été très public. C’est un sujet qui m’intéresse personnellement aussi. Je pense qu’il y a  – comme je l’ai déjà dit dans ce balado – je pense qu’il y a un réel intérêt institutionnel pour nous ici d’être sérieux sur les questions de santé mentale, mais je suis intéressé par votre expérience et par les raisons pour lesquelles c’est un sujet auquel vous avez attaché de l’importance.

Bob Rae : Eh bien, je suppose qu’à un certain niveau, en tant qu’adolescent et en grandissant, j’ai toujours été très intéressé par les émotions des gens et par le fait de parler de la santé mentale dans l’histoire de ma propre famille. La sœur de mon père a eu une série d’épisodes graves dont on ne parlait pas beaucoup, mais qui faisaient certainement partie de notre vie familiale. Je pense toutefois que la chose qui m’a vraiment fait prendre conscience de la situation a été ma propre expérience. Je veux dire, je me débrouillais bien à l’Université d’Oxford. Je venais de terminer mon baccalauréat, mon doctorat. Je commençais à travailler sur un doctorat. J’avais fait des allers-retours entre le Canada et le Royaume-Uni, et je pense que cela a déclenché quelque chose. J’avais aussi une relation sentimentale qui n’a pas fonctionné, et toutes ces choses se sont mises en place. J’étais de retour en Angleterre et je me souviens du moment où c’est arrivé. C’était en septembre 1972, et j’ai eu l’impression de me heurter à un mur.

Je vivais avec un couple d’amis et ils ont remarqué que je restais souvent dans ma chambre, que je ne sortais pas. Quand je parlais, j’étais assez peu loquace et assez nerveux. Et ce que cela reflétait vraiment, c’est que je me suis rendu compte que j’avais complètement perdu ma confiance et mes repères. Je suis devenu très anxieux à l’idée de sortir. Je ne pouvais pas aller à la bibliothèque – chaque livre que je lisais m’intimidait en quelque sorte. J’avais auparavant été très sûr de moi, très confiant – et comme je l’ai réalisé plus tard, probablement trop sûr de moi – et je suis vraiment entré dans un brouillard assez dense. Je ne sais pas comment le décrire, sauf que ce n’était pas seulement un sentiment de tristesse ou d’incertitude. J’ai réalisé que j’étais dépressif.

Heureusement, l’une des personnes avec qui je vivais à l’époque était un médecin, ou une femme qui étudiait la médecine, qui était une très bonne amie à moi. Et elle a dit : « Je pense que tu es dépressif. Je pense que tu dois consulter quelqu’un. » Je n’étais pas vraiment préparé à faire ça. Alors, bien sûr, j’ai fait ce que font beaucoup de gens qui évitent les choses : j’ai voyagé. Je suis donc revenu à New York pour voir mes parents et ils ont remarqué que je n’étais pas du tout moi-même, alors je leur en voulais d’être sur mon dos. Je suis donc reparti et je suis allé chez un ami, Michael Ignatieff, à Boston. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me rendre compte que j’avais vraiment besoin d’aide.

Finalement, je me suis retrouvé de nouveau à Londres et je suis allé voir un thérapeute. Il a commencé à discuter pour m’amener à parler de moi, à parler des choses auxquelles je faisais face, des choses avec lesquelles je me débattais. Et j’ai compris, vous savez, quand il m’a dit : « Écoute, tu as fait une sorte de dépression. Ce n’est pas la fin du monde. C’est la fin de ce que tu pensais être avant, mais tu dois essayer de construire quelque chose de nouveau. » Et nous avons traversé ça et je suis resté avec lui en tant que thérapeute pendant plusieurs mois, puis j’ai décidé que, vous savez, après qu’il a dit : « Eh bien, que voulez-vous faire ? » J’ai répondu : « Eh bien, je pense que je dois rentrer au Canada et faire ce que je pense avoir vraiment envie de faire, c’est-à-dire aller à la faculté de droit. » Et c’est ce que j’ai fini par faire.

Entre-temps, j’avais beaucoup travaillé dans un centre communautaire qui offrait de l’aide juridique. J’ai fait la thérapie par la marche, la thérapie par la parole et la thérapie par l’action... Et on m’a donné beaucoup d’espace. Je dois donner tout le crédit à ma famille, à mes parents. Ils m’ont donné beaucoup d’espace. Et fondamentalement, si vous regardiez un CV, vous diriez : « Eh bien, ce sont 2 années. Vous avez en quelque sorte fait un voyage. » Et franchement, j’ai eu beaucoup de chance. J’avais le temps et l’espace pour pouvoir le faire. Cela a pris plus de temps que prévu. Vous savez, parfois vous regardez en arrière et vous dites : « Bon sang, c’était un long moment à errer dans cette sorte de brouillard vraiment étrange dans lequel j’étais. » Mais je pense que j’ai acquis beaucoup de connaissances au cours de ce processus. Je me suis mieux compris. J’ai exploré des parties de mes relations antérieures et des ambitions que j’avais eues et des choses que je voulais faire, et je suis devenu beaucoup plus à l’aise avec moi-même, avec mon propre sens de ce que je voulais faire.

Mais le thérapeute m’a dit quelque chose vers la fin de notre temps ensemble. Il a dit : « Écoute, je sais que tu penses que c’est fini maintenant. Tu es guéri. Tu vas aller mieux. Mais cela va t’accompagner toute ta vie. Tu seras différent à cause de ce que tu as vécu. Tu seras conscient de toi-même et tu seras plus conscient des autres. » Et, en fait, il a dit : « Tu vas être une meilleure personne. » Il a précisé : « Oublie ton CV. » J’étais très gêné par le fait que les gens me demandaient : « Qu’est-ce que tu fais en ce moment? » Les gens vous mettent sur la sellette. Vous pensez que c’est une question simple à répondre, mais en fait, c’était vraiment difficile. Heureusement, j’avais autour de moi beaucoup de personnes très compréhensives qui m’ont soutenu et aidé à surmonter cette épreuve.

Et c’est ce que j’ai fait. J’ai eu quelques récidives. Quand mon frère est mort, mon frère David, je suis entré dans une spirale profonde. J’étais chef du parti provincial à l’époque, le NPD. J’étais à la Chambre de l’Assemblée législative tous les jours. Et je suis allé voir un thérapeute à Toronto, et j’étais très conscient du fait que j’étais de retour. Et il m’a dit : « Non, c’est parfaitement compréhensible. Vous avez vécu un traumatisme terrible. Vous avez vu votre frère mourir. Vous avez essayé de l’aider avec une greffe de moelle osseuse. Vous avez été très impliqué émotionnellement. » Et il a ajouté : « Vous avez encore du chemin à faire pour comprendre le côté émotionnel de la vie. » Et je pense que ça m’a beaucoup aidé quand il m’a dit que c’était normal de repasser par ces crises. Je n’ai pas eu d’épisode sérieux depuis, mais je suis très conscient du potentiel et je suis aussi constamment conscient des défis auxquels d’autres personnes sont confrontées. En ce sens, je pense que cela m’a probablement rendu plus gentil, pas seulement envers moi-même, mais peut-être aussi envers les autres.

John Hannaford : Bob, vous avez traversé ce type de situation, en particulier le deuxième épisode, sous le regard du public.

Bob Rae : Oui.

John Hannaford : Donc, l’une des préoccupations que je pense que nous avons, en tant que dirigeants de toute organisation, est de savoir comment nous nous assurons de gérer la question de la stigmatisation entourant la santé mentale. Mais, bien sûr, vous avez raison, c’est en quelque sorte le défi de la vie publique, où les questions de stigmatisation sont mises à l’avant-plan. Quelle a été votre expérience à cet égard? Comment cette expérience vécue dans l’œil du public a compliqué ou peut-être aidé à gérer la situation? 

Bob Rae : Je dois dire qu’au moment de mon deuxième épisode, je n’en ai parlé à personne, sauf à ma famille. À cette époque, j’étais marié et père de 3 enfants. Et j’avais déjà, dans mes conversations avec les gens et d’autres façons, je pense que les gens savaient que j’avais traversé une période plus difficile. Je ne l’ai pas caché. Je ne l’ai pas nié. Je n’ai pas essayé de prétendre que ça n’était pas arrivé. Mais... je pense que c’est difficile lorsqu’on occupe un poste de premier plan – je ne pense pas que l’on puisse dire que l’on est chef de l’opposition et que l’on reçoit de l’aide pour quelque chose que l’on n’a pas à divulguer, que l’on traverse tout simplement. Je pense que ce que j’ai ressenti très fortement, c’est que nous sommes toujours mieux compris par des personnes qui ont vécu des épisodes similaires et qui les comprennent. Et à mesure que je lisais de plus en plus sur le sujet à l’époque – et on lit des articles sur toutes sortes de personnes qui ont eu des épisodes ou des périodes où elles n’étaient pas sûres de ce qui se passait et qui ont eu, dans certains cas, des épisodes assez graves de dépression ou d’anxiété. Je pense que les cas les plus difficiles sont les véritables épisodes psychotiques, dont nous savons maintenant qu’ils vont et viennent. En fait, des gens vivent de telles expériences, puis ils vont ensuite beaucoup mieux. En fait, en tant que travailleur social à Londres, je connaissais très bien une femme qui a eu un épisode psychotique et qui s’en est sortie, et elle s’en est sortie, et cela arrive. Je pense que nous avons ce mythe de la santé mentale selon lequel on ne va jamais mieux. Eh bien, la réalité est que dans la plupart des cas, notre état s’améliore et on va mieux. Et dans certains cas, non, mais dans beaucoup, beaucoup de cas, oui.

John Hannaford : Comme leader, quelles étaient les leçons de vos expériences, pour vous comme individu, mais aussi pour vos organisations?

Bob Rae : Et bien pour moi, comme individu, je crois que j’ai appris des leçons importantes. D’abord, qu’il faut être gentil, mais avant tout, il faut être gentil à nous-mêmes. Il faut reconnaître qu’on n’est pas parfait, qu’on fait des fautes, on commet des erreurs. Ce n’est pas la fin du monde. Il faut avoir le sens de compassion envers nous-mêmes, d’abord, et ça commence avec nous, ça commence avec notre propre situation. Mais ensuite, il faut qu’on passe la leçon à apprendre comment vraiment comprendre que chacun qu’on rencontre/a des problèmes, chacun a des défis, chacun a une bataille dans la vie, que la vie n’est pas facile, la vie est difficile et complexe pour tout le monde.

Et comme politique, je suis devenu premier ministre de l’Ontario en 1990, et moi, j’ai donné un vrai focus aux situations de santé mentale et d’essayer de changer la politique de la province un peu dans une bonne direction et je crois qu’on en a fait des bonnes choses. Malheureusement, toutes les infos qu’on a faites n’ont pas complètement continué, mais il y a beaucoup qui ont continué. Et ça continue pour moi, le travail comme je l’ai fait dans le fédéral, que j’ai fait dans le travail avec la population autochtone dans ma province à travers le pays.

Alors pour moi, et maintenant à l’ONU, c’est donc quelque chose que je suis le chef d’un groupe des amis de la santé mentale, qui veut dire que comme activités de l’ONU, on essaie de faire un effort, et dans mon travail comme chef de la mission, je commence chaque meeting que j’ai avec mon groupe—c’est à dire que je veux renforcer l’idée—j’insiste sur l’importance de la santé mentale. Si vous avez des problèmes, il faut qu’on vous donne l’assistance dont vous avez besoin. Et je pense que, avec la COVID-19, j’ai vécu assez les difficultés contre les gens, et puis l’importance de faire un effort pour faire face à ces problèmes.

Effectivement, je crois que l’expérience que j’ai eue à changer mes idées, à changer mon travail comme chef et à changer jusqu’à quel point je pense directement aux gens de dire « Écoutez, moi, j’ai eu la dépression ou l’anxiété. Je le comprends. » C’est une expérience qui n’est pas petite, il ne faut pas minimiser l’importance de cette expérience, mais il faut encore faire face à la réalité de la situation que ça peut améliorer, les choses peuvent changer et toujours donner aux gens un peu d’espoir, un peu de sens que, avec la solidarité, que nous pouvons montrer les uns les autres. On peut faire un progrès important.

John Hannaford : Vous savez, Bob, vous avez abordé plus tôt votre histoire personnelle en ce qui concerne la maladie mentale dans la famille, et je pense que c’est l’une de ces questions qui revêt une importance particulière dans la communauté du service extérieur où, vous savez, évidemment, dans toute situation de travail, vous êtes en quelque sorte conscient de la vie privée des gens et des défis auxquels ils sont confrontés. Mais je pense que c’est particulièrement vrai au sein du service extérieur, où nous demandons aux gens de déménager et d’amener avec eux leurs enfants et leur famille dans toutes sortes de situations différentes. Et je suis intéressé par vos réflexions sur la façon dont nous, en tant qu’organisation, pouvons mieux soutenir les gens. Vous savez, c’est particulièrement prononcé en ce moment dans le contexte de la pandémie de COVID-19, mais c’est un problème commun. Et je suis conscient de cela, j’ai déplacé ma famille dans différentes régions du monde, et je sais que vous avez vécu une situation similaire étant plus jeune. Vous faites maintenant partie de notre communauté. Que pourrions-nous faire selon vous pour soutenir plus particulièrement notre communauté dans son sens le plus large?

Bob Rae : Eh bien, je pense qu’il y a une chose qui est vraie pour moi ­– et je ne le savais pas à l’époque, mais je ne l’ai vraiment réalisé que lorsque j’ai eu mon expérience traumatisante de la dépression – c’est que, bien que j’aie très bien supporté les nombreux déménagements quand j’étais enfant – et nous ne sommes pas allés dans des endroits difficiles. Je veux dire, j’ai vécu à Washington, à Londres et à Genève et je suis revenu au Québec, au Canada. Je ne peux donc pas dire que… Vous savez, je n’ai pas eu une vie difficile. Ce n’est pas ce que je dis, mais c’est intéressant parce que, d’après mon expérience à l’école internationale, et d’après ce que m’ont dit mes amis de l’école internationale pendant de nombreuses années, beaucoup de nos camarades de classe ont eu des problèmes lorsqu’ils sont sortis de l’université. Ils ne savaient pas où était leur place. Ils n’étaient pas sûrs de savoir quel pays était le leur. Ils n’étaient pas sûrs de certaines questions fondamentales concernant leur propre identité. Et je sais que c’est quelque chose qui est endémique chez les enfants de diplomates. Je pense que c’est un vrai défi pour les enfants qui grandissent de savoir : « Où est votre place? », « Est-ce que je suis à ma place ici? », « Est-ce que je suis à ma place là-bas? » – vous passez d’une école à une autre. Je pense que c’est une question de développement pour les enfants, mais je pense aussi que c’est un défi pour leurs parents. C’est un travail assez compétitif. Vous êtes constamment en compétition pour le poste que vous voulez occuper. Vous êtes en concurrence avec d’autres personnes qui sont entrées dans le service en même temps que vous. Et temporairement, ils peuvent faire mieux que vous, ou vous pouvez faire mieux qu’eux. Vous avez peut-être choisi une orientation particulière qui ne vous intéresse plus. Il y a toutes sortes de ce que j’appellerais des traumatismes professionnels qui touchent les diplomates. Et vous devez vous dire en quelque sorte : « OK, comment pouvons-nous faire comprendre aux gens qu’il n’y a pas de mal à mettre tous ces problèmes sur table, qu’il n’y a pas de mal à laisser sortir toutes ces choses? »

Je pense que nous avons tendance – nous tous en tant qu’êtres humains – à intérioriser beaucoup de ces choses. Nous devrions dire : « Écoutez, il n’y a rien de mal à avoir des problèmes de santé mentale et à être un diplomate ». En fait, c’est normal. Tout ce que nous faisons, c’est de les admettre maintenant. Je veux dire, ce n’est pas comme si c’était un nouveau problème que la grande génération qui a travaillé dans les années 1940, 1950 et 1960 n’a pas vécu. Bien sûr qu’ils avaient un problème. Je pense que l’alcoolisme est un problème. Je pense que, d’une manière générale, toutes ces choses sont des problèmes qui touchent les gens d’une génération et qui touchent aussi la nôtre d’une manière différente.

Donc, je pense que nous devons juste être sensibles à ces choses. Je veux dire, même quelque chose comme les évaluations. Le processus d’évaluation au sein du Ministère est extrêmement formel, assez rigoureux, très dur. Je ne sais pas. Je veux dire, si vous êtes un avocat travaillant dans un cabinet juridique, vous n’êtes pas évalué de cette façon. Tout ce qui arrive, c’est que vous gagnez un peu moins d’argent et que cela vous met en colère, mais ensuite vous réalisez que vous gagnez beaucoup plus d’argent que n’importe qui d’autre. Mais je veux dire, ce sont de ces choses dont nous devons parler davantage. Par exemple, quel serait un programme précis pour les personnes qui font partie de cette profession? Nous en parlons dans l’armée, parce que les traumatismes avec lesquels les militaires sont aux prises sont très, très réels et très publics et nous commençons maintenant à vraiment les comprendre, mais je pense que nous devons vraiment élargir cette sensibilité dans l’ensemble de la fonction publique et certainement dans le service diplomatique. Je pense que cela aurait beaucoup de sens. J’aimerais faire remarquer que nous sommes plus à même de dire que nous comprenons vraiment les problèmes que vous vivez. Nous sommes plus à même de le dire que d’en faire suffisamment pour les aborder. Et à l’heure actuelle, je pense qu’il y a un problème quant à savoir ce que nous faisons réellement dans la pratique pour montrer que nous pratiquons ce que nous prêchons en matière de santé mentale. Et je pense que ce sera un défi permanent pour nous au sein du service extérieur.

John Hannaford : Oui, je suis d’accord avec ça. Je veux dire, je pense que nous avons fait quelques-unes de ces conversations en partie pour mettre en évidence certains des services qui sont disponibles pour les gens. Et nous constatons qu’ils sont utilisés. Nous avons des conseillers qui sont à la disposition des gens dans le monde entier, y compris de nos employés recrutés sur place. Et c’est quelque chose qui n’est pas nouveau, mais que nous avons augmenté dans une certaine mesure et je pense que c’est vraiment important. Mais il est également essentiel, comme vous l’avez dit, qu’il ne s’agisse pas d’une sorte d’exercice symbolique où nous nous contentons d’évoquer un problème pour la forme, mais que nous fassions réellement de notre mieux, collectivement, pour traiter les problèmes lorsqu’ils se présentent. Et cela se fait en partie en essayant de rendre nos systèmes aussi humains que possible, mais je pense que c’est aussi en s’assurant que les dirigeants du système sont à l’écoute des défis auxquels les gens sont confrontés et qu’ils font de leur mieux pour essayer de faciliter les choses aux gens qui traversent des circonstances assez difficiles, surtout en ce moment.  

Et je pense, vous savez, j’y réfléchissais avant que nous ayons la chance de commencer à discuter, et je pense que c’est Chris Hadfield qui a dit relativement récemment que l’une des choses qu’il aurait aimé savoir quand il avait 21 ans, c’est que tout le monde connaît des difficultés, ce qui je pense est une réflexion profonde. Et je pense que c’est la raison pour laquelle je vous suis reconnaissant d’être aussi ouvert que vous l’êtes à propos de ces conversations, parce que je pense qu’il est vraiment, vraiment important pour les gens qui ont réussi de parler des défis qu’ils ont dû relever. Je pense qu’il est essentiel, en particulier pour les jeunes, de voir qu’on peut passer par ces choses et qu’on les traversera, qu’on en tirera des leçons et qu’on sera meilleur d’une certaine manière. Je pense que vos réflexions sur le leadership, je pense que c’est vraiment important.

Bob Rae : Eh bien, je pense que c’est aussi intéressant pour moi. Je pense que je me sens plutôt positif par rapport au fait que lorsque j’en ai beaucoup parlé, différents journalistes ont dit : « J’ai entendu dire que vous aviez des antécédents de maladie mentale ». J’ai dit : « Oui, en effet. Vous voulez en parler? ». Et les journalistes étaient très surpris. J’ai dit : « D’accord, j’en ai parlé avec des gens, je l’ai fait au début de ma carrière politique ». Et certains m’ont dit : « Ne fais pas ça, tais-toi, parce que personne ne veut voter pour un fou ». Et j’ai dit : « Eh bien, je pense qu’ils le font probablement. Je pense que vous avez tort ». Je pense que les gens ont en fait plus de compréhension et de compassion. Michael Kirby a dit, lorsqu’il a rédigé son rapport [La santé des Canadiens – Le rôle du gouvernement fédéral, octobre 2002] – qui, je pense, a vraiment donné une importance nationale à la santé mentale dans le cadre du régime de soins de santé – Michael Kirby a dit : « Tout le monde passe par là, connaît quelqu’un qui passe par là ou a un membre de sa famille qui passe par là. Alors pourquoi continuons-nous à prétendre que c’est juste quelque chose que nous devons garder enterré dans un coin quelque part? ». Et je pense qu’il a raison. Et c’est ce que je ressens. Je sais qu’il y a des gens qui pourraient dire : « Eh bien, c’est juste Bob qui est à nouveau émotif » ou « Eh bien, vous savez, il n’est pas totalement fiable », mais en fait je ne suis pas fiable pour tellement d’autres raisons que je ne pense pas que c’est la principale. Mais c’est aussi parce que je pense que je sens dans ma propre vie que je suis vraiment plus fort quand je n’essaie pas d’être parfait, quand j’encourage les gens à faire... Je dis : « Faites des erreurs, vous êtes mieux de faire des erreurs que de ne pas en faire ». Il vaut mieux faire quelque chose, même si c’est la mauvaise chose à faire, et puis se demander « Eh bien, qu’est-ce que j’ai appris, qu’est-ce que j’ai appris de cela? ». Et apprendre à s’excuser et apprendre à comprendre comment arrêter de faire quelque chose de mal que vous faites. Mais je pense que ça m’a vraiment beaucoup aidé à gérer ma propre vie un peu mieux, principalement. Et je pense, vous savez, essayer d’orienter les gens dans la bonne direction lorsqu’ils sont durs avec eux-mêmes. Parce que je pense que beaucoup des névroses les plus communes que les gens ont proviennent de ce sentiment exagéré du besoin d’être parfait. Et je pense que c’est quelque chose que... Je suis plutôt bien guéri de celle-là.

John Hannaford : OK. Bien, un grand, grand merci, Bob.

Bob Rae : Merci.

John Hannaford : C’est vraiment un plaisir d’avoir cette occasion. Avez-vous des remarques finales concernant ce sujet?

Bob Rae : Non. Je pense que pour moi, le grand ennemi de la santé mentale, c’est un sens qu’il faut être parfait, la perfection. Et franchement, je crois que la perfection, c’est l’ennemi du bien, c’est l’ennemi du possible, c’est l’ennemi de la nécessité de, comme j’ai dit, avant tout, d’être gentil. Nous devons nous aimer les uns les autres et nous devons nous aimer nous-mêmes et nous devons être gentils. Et je pense que je ne le pratique pas toujours autant que je le devrais. Je pense que dans les batailles politiques, je n’ai pas toujours été aimable, j’ai parfois tendance à vouloir être intelligent plutôt qu’à vouloir être aimable, mais je pense qu’en vieillissant, on apprend à relativiser les choses. Et je pense que la gentillesse est la voie de la sagesse.

John Hannaford : Je pense que c’est une réflexion profonde pour finir cet entretien. Merci beaucoup, Bob. J’apprécie vraiment.

Bob Rae : Merci. Merci beaucoup. Ça a été un plaisir de vous voir.


Merci d’avoir écouté le balado, et nous espérons que vous vous joindrez à nous pour les épisodes futurs des Dossiers d’AMC, un balado sur les gens, les enjeux et les idées qui animent Affaires mondiales Canada. N’oubliez pas de vous joindre à la conversation en ligne en utilisant le #DossiersDAMC.

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