Transcription – Mini-série portant sur les Objectifs de développement durable, Épisode 2 : Les défis des objectifs de développement durable en Afrique avec Caroline Delany

Alexandre Lévêque : Caroline Delany est très au fait des affaires internationales. Depuis qu’elle a rejoint ce qui était alors l’Agence canadienne de développement international en 2005, Caroline a occupé de nombreux postes dans le domaine du développement international et de la politique étrangère, notamment en Asie du Sud et en Afrique. Elle a été haute-commissaire du Canada au Mozambique ainsi que directrice du programme de développement du Mozambique. Elle a dirigé l’engagement d’Affaires mondiales Canada dans de nombreux programmes et politiques de développement, comme la Politique d’aide internationale féministe.

Bonjour chers auditeurs, ici Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint de la Politique stratégique à Affaires mondiales Canada. Bienvenue à cette minisérie portant sur les Objectifs de développement durable. Dans cet épisode, Caroline Delany et moi allons parler des défis liés aux Objectifs de développement durable en Afrique. Alors bienvenue. Bienvenue parmi nous, Caroline!

Caroline Delany : Merci beaucoup.

Alexandre Lévêque : Avant de poursuivre, j’aimerais souligner que cet épisode fait partie d’une minisérie de 3 balados qui portent sur les Objectifs de développement durable. Conformément à la Loi sur les langues officielles du Canada, les invités sont libres de s’exprimer dans la langue de leur choix. Donc, si vous êtes prête, commençons.

Caroline, vous revenez tout juste de plusieurs années passées à Maputo, au Mozambique, où vous étiez haute-commissaire. Et pour nos auditeurs, « haute-commissaire » et « ambassadrice » sont deux titres synonymes. Haute-commissaire signifie simplement que vous êtes en poste dans un pays du Commonwealth. En fait, Caroline et moi avons un point commun, car j’ai déjà été haut-commissaire en Tanzanie, qui est juste à côté du Mozambique. Caroline, dites-moi un peu comment vous avez perçu et compris votre rôle de haute-commissaire à Maputo.

Caroline Delany : Merci, Alexandre. C’est donc agréable de rencontrer quelqu’un qui a une expérience semblable concernant l’explication de ce titre particulier. Et l’autre aspect unique de mon séjour là-bas, c’est que j’étais également directrice du programme de développement, qui est, je pense, l’un des seuls postes restants dans le Ministère où l’on assume aussi le rôle de chef de mission et de directeur du développement. C’était donc une excellente occasion pour moi de mener l’intégration dans tous les domaines de notre engagement au Mozambique ainsi que dans les deux autres pays que je couvrais, c’est-à-dire le Malawi et l’Eswatini. Certains de mes moments préférés là-bas étaient vraiment liés aux visites sur le terrain. Je pense que certains de mes souvenirs les plus forts sont liés à la rencontre avec des organisations de défense des droits des femmes qui se sont déclarées féministes partout au Mozambique, au Malawi et à Eswatini, et qui ont vraiment réussi à mobiliser du soutien, que ce soit pour offrir un abri aux femmes victimes de violence au foyer ou pour répondre aux risques encourus par les jeunes en raison des catastrophes climatiques. Ce sont ces relations que j’ai pu nouer et les choses que j’ai pu apprendre des Mozambicains, des Malawites et des Swazis, qui travaillaient si fort pour construire un meilleur avenir pour leur pays. C’est vraiment ce qui m’a le plus marqué de mon séjour là-bas.

Alexandre Lévêque : Et je dois dire que ce que vous avez mentionné me rappelle de très bons souvenirs de mon séjour en Afrique de l’Est, car ce que vous avez mentionné fait vraiment, vraiment écho à mon séjour là-bas et certaines  de mes expériences préférées étaient aussi des visites sur le terrain. Et vous avez mentionné le féminisme : c’était également un thème important lorsque j’étais en poste en Tanzanie. Caroline, vous êtes maintenant la directrice générale pour l’Afrique du Sud et de l’Est à l’administration centrale. Est-ce que vous pourriez nous expliquer un peu quel est le rôle des Objectifs de développement durable dans les pays qui sont dans votre région, dans vos pays de responsabilité, en ce moment?

Caroline Delany : Merci. C’est une bonne question, mais c’est un peu difficile en même temps. Des objectifs clairs, tels que définis dans les ODD, sont essentiels pour concentrer nos affaires collectives sur le travail qui permettra de réduire la pauvreté. Et nulle part ailleurs, cela n’est plus important que sur le continent africain où l’extrême pauvreté a augmenté pendant la pandémie de COVID. Nous avons des raisons d’être optimistes pour l’avenir. Une étude suggère que 14,1 millions de vies ont été sauvées en Afrique grâce à la priorité accordée par les OMD à des problèmes tels que la mortalité infantile, la mortalité maternelle et le SIDA. Dans le contexte africain, je pense également que la reconnaissance par les ODD du fait que tous les pays ont du travail à faire pour s’attaquer aux moteurs de la pauvreté est une étape importante vers des approches internationales qui reconnaissaient réellement que nous sommes tous partenaires dans cette affaire.

Alexandre Lévêque : Merci Caroline. Je suis bien conscient du fait que, quand on gère des enjeux de développement, tout n’est pas toujours facile. En tant qu’ancienne haute-commissaire du Canada au Mozambique, quels sont certains des défis dans lesquels, sur lesquels, vos responsabilités faisaient face, étaient confrontés dans la mise en œuvre des ODD?

Caroline Delany : Il existe un défi important pour les ODD, à savoir que l’engagement et les sensibilisations aux ODD restent limités dans le travail quotidien sur le développement sur le terrain. Bien qu’ils soient utiles au niveau mondial, ils n’encadrent pas toujours la manière dont les gouvernements, les populations et les partenaires de mise en œuvre comprennent le travail. Ça ne veut pas dire que les objectifs n’ont aucune valeur. L’un des résultats les plus importants des OMD et des ODD est l’importance des données; je dirais même que notre capacité à parler des défis à relever pour atteindre les ODD repose sur les données et sur les systèmes de données que les OMD et les ODD ont orientés dans les pays en développement.

Alexandre Lévêque : Merci beaucoup, Caroline. Et nous rappelons à nos auditeurs qu’OMD fait référence aux Objectifs du Millénaire pour le développement, qui ont précédé les Objectifs de développement durable (ODD). Pour le responsable des données pour le Ministère que je suis, ces paroles font plaisir à entendre; j’aime savoir que les données peuvent être utilisées à bon escient. Y a-t-il d’autres réussites auxquelles ont participé le Canada et vos pays d’accréditation dans la mise en œuvre des ODD?

Caroline Delany : Je pense, bien sûr, que pour nous, en ce qui concerne la Politique d’aide internationale féministe, l’égalité des genres est toujours au premier plan et constitue une priorité majeure dans l’engagement du Canada à l’étranger. Et c’est ce que j’ai ressenti au Mozambique. L’accent mis sur l’égalité des genres et les ODD représentent, selon moi, un facteur déterminant de l’attention constante portée aux défis particuliers auxquels les femmes et les filles sont confrontées dans la réalisation de leur potentiel. Et je pense vraiment que l’une des expériences les plus enrichissantes que j’ai vécues pendant mon affectation a été de rencontrer de jeunes mentores. Il s’agit de jeunes femmes qui servent de mentore à d’autres filles plus jeunes qu’elles et qui risquent d’être forcées de se marier. Au Mozambique, ils appellent ça des unions prématurées, ce qui, je pense, est aussi une façon utile de reconnaître qu’il ne s’agit pas de relations consensuelles, qu’il ne s’agit pas de mariages, mais d’unions forcées entre enfants et adultes. Et ces mentores jouent un rôle incroyable et crucial en aidant les filles à éviter ces circonstances, à avoir ces conversations difficiles avec les membres de leur famille ou avec d’autres personnes qui peuvent les aider à éviter ces pièges particuliers. Et je pense vraiment que c’est un souvenir important pour moi : la force de ces mentores et le travail difficile qu’elles accomplissent pour soutenir les filles dans leurs communautés.

Alexandre Lévêque : Dans le passé, disons il y a un an, un an et demi, peut-être même deux ou trois ans, étant donné le nombre de crises… les crises à plusieurs niveaux qui ont commencé avec la pandémie, beaucoup d’analyses, beaucoup de publications ont commencé à souligner que les ODD ne sont plus sur la bonne voie. L’atteinte de ces objectifs et la quantité de ressources nécessaires pour y parvenir ne suivent pas les besoins et, dans le contexte de ce que nous appelons aujourd’hui des « multicrises », il semble que ces objectifs soient devenus de moins en moins atteignables. Tout d’abord, d’après votre expérience, pensez-vous que ces objectifs sont réalisables? Et y a-t-il des mesures de première importance que le Canada peut prendre pour accélérer les travaux et atteindre les ODD d’ici 2030?

Caroline Delany : Je crois personnellement que les ODD restent très pertinents parce qu’ils sont l’expression des objectifs mondiaux en matière de développement et qu’ils sont des outils qui permettent de suivre les progrès vers l’atteinte d’objectifs vraiment importants. Je pense aussi qu’il est important de reconnaître et de comprendre que, dans le contexte africain en particulier, nous ne sommes pas en voie d’atteindre les objectifs de 2030. Et, en fait, l’objectif numéro un au chapitre de la réduction de la pauvreté extrême semble invraisemblable et presque impossible à atteindre avant 2030. Une partie de la discussion autour des ODD consiste donc à reconnaître les limites qui existent déjà. Pour le Canada, je pense qu’il s’agit de mettre les bouchées doubles sur les éléments essentiels pour le développement, et c’est ce que je proposerais dans le contexte africain, c’est-à-dire reconnaître le leadership et l’expertise de l’Afrique. Il existe également un ensemble d’objectifs africains, appelés « Agenda 2063 ». Il s’agit d’objectifs à plus long terme, qui sont en grande partie déterminés par les membres de l’Union africaine. Et je pense que ces objectifs peuvent vraiment nous éclairer, parce qu’ils adoptent aussi une approche légèrement différente de notre compréhension des ODD et de ce qu’il faut faire pour les faire progresser au cours des, je dirais, huit prochaines années.

Alexandre Lévêque : Caroline, j’aimerais terminer sur une note d’espoir, une note positive. J’ai reçu l’ambassadeur Rae, M. Bob Rae, notre ambassadeur à l’ONU, à ce micro récemment. Nous avons aussi terminé l’entrevue en discutant des espoirs qu’il entretient pour l’avenir. Le Canada a joué un rôle important de chef de file en matière de lutte aux changements climatiques et de biodiversité. Il n’y a pas si longtemps, la Conférence des Parties, la COP15 sur la biodiversité, s’est tenue à Montréal. Je suis donc curieux de savoir : quels sont vos espoirs, notamment en ce qui concerne l’objectif lié à l’action climatique? Pourriez-vous nous dire quelques mots sur l’objectif lié à l’action climatique?

Caroline Delany : Je pense qu’il y a des raisons d’être optimiste, car je crois vraiment que nous avons vu le monde faire un virage en matière de lutte contre les changements climatiques et d’action climatique. Et il y a un niveau de reconnaissance de la crise qui, à mon avis, n’existait pas avant. Par exemple, lorsque je suis arrivée au Mozambique en 2018, j’ai vraiment eu l’impression que la compréhension des Mozambicains des répercussions des changements climatiques était beaucoup grande que ce que j’avais vu au Canada. Et je pense que cette compréhension a évolué depuis les quatre années où j’étais partie. Et ce que j’espère, c’est que cette volonté se transforme en outils concrets, rapides et flexibles pour soutenir les pays qui sont les moins responsables des changements climatiques, mais qui sont les plus touchés. L’autre possibilité qu’engendre cette situation réside dans le fait que ces nouvelles technologies et les outils d’adaptation et d’atténuation du climat pour combler les lacunes existantes qui alimentent la pauvreté persistante existent réellement, alors que c’est le contraire au Canada, où nous sommes confrontés au travail très difficile d’adaptation des infrastructures existantes. Dans de nombreux pays africains, il est possible d’intégrer dès le départ des approches adaptées au climat afin de faire un bond en avant dans la technologie, pour utiliser un jargon très répandu de nos jours, et je pense que c’est particulièrement intéressant.

Alexandre Lévêque : Caroline, merci beaucoup. J’ai eu un réel plaisir à m’entretenir avec vous aujourd’hui.

Caroline Delany : Merci beaucoup.


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