« Il vaut mieux palabrer que de faire la guerre » : perspectives sur la négociation et le processus de paix en Irlande du Nord de 1994 à 2008
Merci de m’avoir invité à donner la conférence O.D. Skelton de cette année. Je suis honoré de suivre les traces des personnalités éminentes, hommes et femmes, qui m’ont précédé sur cette tribune. Je voudrais d’abord vous dire que j’ai depuis longtemps beaucoup d’admiration pour ce ministère. J’ai travaillé de près avec lui à l’époque où j’occupais de hautes fonctions au sein des Forces canadiennes et lors de mon bref séjour à notre ambassade à Washington, et j’ai toujours été impressionné par l’habileté des membres du personnel et par leur vision prospective. Je suis impressionné également par votre aptitude à poursuivre vos activités de manière aussi efficace malgré les contraintes financières auxquelles vous avez dû faire face depuis le début des années 1990.
Quand je faisais mon diplôme en histoire au Collège militaire royal du Canada, mon tuteur était feu George Stanley, soldat et historien émérite, et ancien lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick. Sachant que je venais d’émigrer de Grande-Bretagne et que mon intérêt pour l’histoire portait avant tout sur la période des Tudors et des Stuarts, ainsi que sur la Renaissance et la Réforme, Stanley était très ferme: si je voulais faire une carrière militaire au Canada, je devais avoir plus qu’une connaissance superficielle de l’histoire canadienne. Parmi les cours qu’il m’a prescrits en était un sur l’histoire constitutionnelle du Canada, qu’il enseignait lui-même. Le cours était donné à la façon des tuteurs d’Oxbridge: nous n’étions que trois étudiants – dont Desmond Morton, l’historien canadien bien connu – et chacun devait préparer périodiquement un travail pour discussion en groupe. Un des travaux qui m’avaient été assignés portait sur le rôle joué par le Canada vis-à-vis la proposition faite par la Société des Nations [SDN] en 1935 d’imposer des sanctions contre l’Italie à la suite de son invasion de l’Éthiopie.
Vous êtes probablement tous au courant de cet incident et du rôle du Canada dans cette affaire. L’attaque italienne contre l’Éthiopie est survenue pendant la montée du fascisme en Europe, et beaucoup estimaient que la Société des Nations devait intervenir rapidement pour démontrer la solidarité mondiale contre ce mouvement. Le délégué du Canada à la SDN, Walter Riddell, de sa propre initiative et en l’absence de toute directive donnée par Ottawa, proposa d’ajouter les ressources stratégiques du pétrole, du fer et de l’acier aux sanctions envisagées par la SDN, car cela diminuerait la capacité de l’Italie à occuper facilement l’Éthiopie. Nombreux furent ceux qui saluèrent cette manœuvre et le fait qu’elle donnait à la résolution une formulation plus musclée, mais lorsqu’il eut vent de la proposition que Riddell avait avancée au nom du Canada, Mackenzie King, qui venait d’être réélu premier ministre, ordonna qu’elle soit retirée. Les autres pays reculèrent, et les démarches de la SDN contre l’Italie échouèrent. Quelques mois plus tard, l’Allemagne réoccupait la Rhénanie, l’Italie conquérait l’Éthiopie, et la guerre civile éclatait en Espagne.
Il est tentant de se demander ce qui serait arrivé si la proposition de Riddell avait été adoptée. Une action décisive de la SDN contre le fascisme à ce moment-là n’aurait-elle pas pu empêcher, d’une façon ou d’une autre, que se déroulent les événements qui allaient mener aux horreurs et au carnage de la Deuxième Guerre mondiale? Ces spéculations à contre-pied de la réalité ont de quoi séduire, mais à mon avis, Riddell était un diplomate exceptionnel, un homme qui savait ce qu’il fallait faire, et qui a eu le courage et l’initiative de le dire. Malheureusement, ses efforts ont été à peine reconnus, contrairement à ceux, vingt et un ans plus tard, d’un de ses collègues, tout aussi exceptionnel, perspicace et courageux que lui, Lester B. Pearson.
À la fin des années 1960, à mon retour au Canada après la période de service de mon régiment au sein de la Force des Nations Unies à Chypre, j’ai rencontré par hasard un membre des Affaires extérieures qui s’appelait Riddell, et je lui ai demandé s’il était parent avec l’autre. Il s’agissait en fait de son fils, qui sembla surpris et touché de savoir que je connaissais le travail de son père. Tout cela pour vous dire que j’admire votre ministère, vos réalisations et les gens qui travaillent ici, et pour réitérer tout le plaisir que j’ai à prononcer la conférence Skelton cette année.
Je collabore au processus de paix en Irlande du Nord depuis que j’ai quitté les Forces pour prendre ma retraite il y a douze ans et demi, et c’est de cette expérience que je veux vous parler aujourd’hui. En plus de participer à l’initiative de l’Université de Windsor sur la Vieille ville de Jérusalem et d’être un des représentants du Canada au Forum des fédérations, l’Irlande du Nord occupe une bonne partie de mon temps depuis j’ai abandonné l’uniforme. Le processus de paix là-bas continue en effet d’être ma principale préoccupation. Mais j’ai été soldat pendant plus de quarante ans, le seul hiatus ayant été l’année passée à Washington, et ma récente expérience irlandaise, ainsi qu’un certain nombre de situations semblables, m’ont amené à réfléchir à une remarque attribuée à Winston Churchill, qu’il aurait faite lors d’un déjeuner privé à la Maison-Blanche en juin 1954: « To jaw-jaw is better than to war-war » (il vaut mieux palabrer que de faire la guerre).
Churchill était loin d’être un pacifiste, et c’est pourquoi son expérience militaire personnelle, tout comme le leadership dont il a fait preuve pendant la Deuxième Guerre mondiale et au début de la guerre froide, donnent encore plus de poids à sa remarque. Je suis tout à fait d’accord qu’il vaut beaucoup mieux discuter que de faire la guerre, mais je continue de croire que le recours à la force militaire, lorsqu’il est nécessaire, a un rôle vital à jouer dans la conduite des affaires mondiales, et que la capacité de développer et d’employer cette force fait partie intégrante du concept de nation. Le premier ministre a lui-même tenu des propos semblables lors d’une allocution prononcée la semaine dernière à l’Institut de la Conférence des associations de la défense à Ottawa.
Je suis né deux ans avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale et j’ai grandi au Royaume-Uni après l’échec des tentatives d’apaisement qui cherchaient à éviter un deuxième conflit mondial en moins d’un demi-siècle, un conflit que seule l’utilisation efficace de la force a permis d’arrêter. À treize ans, j’ai dû d’entrer dans les Cadets de mon école d’Édimbourg pour me préparer à deux années de service national obligatoire. Au lieu d’être conscrit, je suis venu au Canada cinq ans plus tard et je me suis enrôlé dans l’Armée canadienne, où j’ai passé trente-cinq ans à me préparer à combattre les forces des pays du Pacte de Varsovie en Europe centrale. Heureusement, cette éventualité ne s’est jamais réalisée, mais il y a eu des moments où on a cru que ça y était – en 1956 en Hongrie, en 1962 à Cuba, en 1968 en Tchécoslovaquie, et en 1981 avec la création des syndicats en Pologne. En 1962, j’étais aide de camp du chef de l’état-major du Canada, et un jour d’octobre de cette année-là, alors que des navires russes transportant des missiles se dirigeaient vers Cuba, j’ai dû dire à mon patron que je venais d’envoyer son chauffeur à son domicile pour faire sa valise, car il fallait qu’il soit prêt à se rendre au siège d’urgence du gouvernement à Carp à une demi-heure de préavis. La valise était prête, mais heureusement elle n’a jamais pris la route de Carp.
En 1990, lorsque j’étais chef d'état-major de la Défense et que la guerre froide tirait à sa fin, mon homologue russe, le général Moiseyev, m’a invité à visiter l’Union soviétique. Un colonel-général nommé Omelitchev était chargé de m’escorter dans les installations militaires que je visitais à Moscou, Ryazan, Severomorsk, Mourmansk et Leningrad. Lors de nos déplacements, nous passions beaucoup de temps à converser par le truchement d’interprètes et nous avons découvert qu’en 1965, alors que je commandais un groupe-brigade mécanisé du Canada dans le nord de l’Allemagne de l’Ouest, il commandait lui-même une unité semblable dans le nord de l’Allemagne de l’Est. Nous avons tous deux convenu qu’il valait mieux que nous nous rencontrerions ainsi pour la première fois. Je ne dis pas cela pour avoir l’air brillant, mais tout simplement parce que je crois qu’Omelitchev et moi, nous nous sommes rendu compte à ce moment-là à quel point nous étions chanceux que c’était le dialogue et non l’affrontement armé qui avait mis fin à la guerre froide.
Bref, je suis tout à fait d’accord qu’il vaut mieux palabrer que faire la guerre, mais je suis également convaincu que le Canada a besoin de maintenir une force armée bien entraînée, bien équipée et prête à répondre aux volontés de la nation, qu’il s’agisse de dissuader, de défendre ou de protéger, ou encore de nous acquitter de nos obligations envers nos alliés. Cela ne fait pas partie de mon propos ici, mais comme vous vous posez peut-être la question, laissez-moi vous dire que j’approuve entièrement le rôle militaire que nous assumons aujourd’hui en Afghanistan. Je crois que ce rôle est justifié et qu’il s’exerce au bon endroit, au bon moment, pour de bonnes raisons et avec les autorisations requises. Si, pour amener à la table de négociations ceux qui veulent s’imposer contre la volonté de la majorité des Afghans, il suffit qu’ils soient convaincus qu’une intervention militaire alliée efficace continuera d’être menée sur ce théâtre, alors tant mieux. Dans de telles circonstances, il est sûrement préférable de palabrer que de prolonger la guerre là-bas. Et je ne vois pas pourquoi les pourparlers avec les talibans ne devraient pas déjà avoir lieu, même si l’OTAN continue de s’y opposer en l’absence d’un accord. En fait, un article paru en août dernier dans Asia Online rapportait que des pourparlers de haut niveau avaient eu lieu entre les commandants talibans et les forces de la coalition dans le but de trouver une solution politique plus globale au conflitNote de bas de page 1.
J’en arrive maintenant à mon expérience en Irlande du Nord. C’est dans un contexte où la guerre froide venait de prendre fin et où des noms comme Srebrenica et Rwanda se propageaient aux quatre coins du globe qu’on m’a invité à l’automne de 1995, tout juste avant de quitter mes fonctions de chef d'état-major de la Défense, à jouer ce qui, croyait-on alors, n’allait être qu’un rôle assez bref dans le processus de paix en Irlande du Nord. D’après l’invitation que Dublin et Londres adressaient au sénateur américain George Mitchell et à l’ancien premier ministre de Finlande, Harri Holkeri, ainsi qu’à moi-même, nous devions former un comité international (International Body) chargée de mener une étude de deux mois sur le désarmement des milices paramilitaires en Irlande du Nord. Cette annonce faisait suite aux cessez-le-feu déclarés un an plus tôt par les groupes paramilitaires des deux côtés, qui voulaient savoir si la négociation arriverait à trouver une solution à des problèmes que près de trente ans de conflit armé n’avaient pas pu résoudre.
Les cessez-le-feu de 1994 avaient été déclarés en août par l’IRA et en octobre par les groupes paramilitaires loyalistes, l’Ulster Volunteer Force (UVF) et l’Ulster Defence Association (UDA). Cette initiative suivait des années de discussions officieuses menées dans le secret entre des officiels britanniques et l’IRA pour explorer la possibilité de répondre aux objectifs républicains, c’est-à-dire l’égalité des droits pour les catholiques de l’Irlande du Nord et la création d’une Irlande unie – par des moyens politiques plutôt que par la violence. Un ancien premier ministre irlandais, Albert Reynolds, ainsi que les chefs des partis politiques nationaliste et républicain d’Irlande du Nord – John Hume, du Social Democratic and Labour Party (SDLP) et Gerry Adams, du Sinn Fein – avaient dit à l’IRA que, selon eux, elle n’atteindrait jamais ses objectifs par la violence; cela étant, avaient-ils ajouté, l’IRA devrait ouvrir la porte à une solution politique. De même, on avait dit aux Loyalistes que le meilleur moyen d’arriver à leurs fins, c’est-à-dire que l’Irlande du Nord continue à faire partie du Royaume-Uni, était de prendre part à des pourparlers plutôt que de miser sur les affrontements armés.
L’idée que la négociation et non la violence avait maintenant plus de chance de régler le futur statut constitutionnel de l’Irlande du Nord découlait de deux facteurs. Il y avait, bien sûr, la lassitude provoquée par le conflit, mais plus importante encore était l’instauration du principe du consentement, auquel la Grande-Bretagne et l’Irlande s’étaient déjà ralliées. En termes simples, ce principe, proposé dans l’Accord anglo-irlandais de 1985 et confirmé dans la Déclaration de Downing Street de 1993, affirmait que si la majorité des habitants de l’Irlande du Nord souhaitaient rester au sein du Royaume-Uni, la République d’Irlande se s’y opposerait pas, et que s’ils souhaitaient l’intégration de l’Irlande du Nord à la République d’Irlande, la Grande-Bretagne ne s’y opposerait pas. La déclaration de la Grande-Bretagne voulant qu’elle n’ait aucun intérêt stratégique en Irlande du Nord, et qu’elle respecterait le désir de la majorité quant à l’avenir constitutionnel de la province, ainsi que la volonté déclarée de la République d’Irlande de respecter tout vote majoritaire du Nord en faveur de l’unification, avaient suscité des appréhensions dans les deux camps. Du côté républicain parce que l’Irlande indiquait par là qu’elle était prête à reconnaître la partition de 1920, et du côté unioniste parce que cela montrait que la Grande-Bretagne était prête à voir la République d’Irlande absorber les six comtés de l’Ulster. En établissant la politique du consentement, les gouvernements avaient toutefois sapé les arguments invoqués par les groupes paramilitaires pour poursuivre leur combat – puisque, des deux côtés, leurs membres prétendaient soutenir les principes démocratiques – et ils avaient fait taire les critiques américains qui continuaient de s’opposer au rôle de la Grande-Bretagne en Irlande du Nord. Bref, ils venaient d’ouvrir la voie au dialogue.
Les pourparlers proposés par les deux gouvernements visaient trois objectifs. Le premier était d’amener les parties à s’entendre sur la réinstauration, dans le Nord, du gouvernement provincial qui avait été suspendu en 1972, au début des Troubles, alors que l’exercice du pouvoir direct de Westminster avait été imposé. Le deuxième était d’établir, entre le Nord et le Sud, des mécanismes dans des domaines d’intérêt qui bénéficieraient aux deux pays, ce qui semblait particulièrement approprié vu que les deux étaient membres de l’Union européenne. Enfin, le troisième consistait à mettre en place, entre Londres et Dublin, des mécanismes visant à prévenir ou à corriger le genre de problèmes qui les avaient opposés jusque-là.
Les premiers ministres John Major et John Bruton souhaitaient que les pourparlers s’amorcent au début de 1995, mais cela ne s’est pas produit. Dans un discours qu’il avait prononcé, le secrétaire d’État à l’Irlande du Nord avait laissé entendre que les partis politiques auxquels étaient affiliés des groupes paramilitaires ne seraient pas invités à prendre part aux discussions tant que les paramilitaires n’auraient pas démontré la sincérité de leurs intentions pacifiques en commençant par désarmer. Cette déclaration a été plutôt mal accueillie par les groupes paramilitaires, qui maintenaient que le cessez-le-feu devait être déclaré sans condition préalable. S’il y avait eu des conditions préalables, le cessez-le-feu aurait été impossible. C’est pourquoi, pendant l’année qui a suivi les cessez-le-feu, il n’y a eu aucune discussion et les deux gouvernements craignaient que ce vide ne soit le prélude d’un retour à la violence.
C’est pour cette raison qu’ils ont créé le comité international et lui ont confié un mandat de deux mois pour établir si les groupes paramilitaires étaient prêts à désarmer, et pour proposer des moyens d’y arriver. Le sénateur George Mitchell, l’envoyé bénévole du président Clinton en Irlande et qui venait de quitter son poste de leader de la majorité au Sénat, a été choisi pour diriger le comité international. Les Britanniques voulaient qu’un des autres membres ait un passé militaire et soit originaire d’un pays du Commonwealth, car le comité aurait à traiter avec des groupes paramilitaires, et les Irlandais voulaient un membre issu d’un pays scandinave. Harri Holkeri a été nommé par la Finlande et Jean Chrétien m’a proposé comme représentant du Commonwealth, même s’il me restait encore un mois à faire comme chef d'état-major de la Défense. Chacun d’entre nous avait droit à un adjoint venant de son propre pays, et le ministère des Affaires étrangères a demandé à David Angell de m’accompagner, car nous avions déjà travaillé ensemble à Washington.
Au moment d’amorcer notre mandat, une de nos premières rencontres a eu lieu avec un ancien prisonnier paramilitaire loyaliste devenu homme politique. Il nous a dit que ce qu’il fallait en Irlande du Nord, ce n’était pas le démantèlement des armes mais plutôt le démantèlement des mentalités. Ce qu’il voulait faire ressortir, c’est que beaucoup estimaient que le désarmement était un geste symbolique censé refléter une évolution des moyens d’atteindre un objectif politique plutôt qu’un geste revêtant une utilité pratique du point de vue de l’élimination des armes. Selon lui, si les mentalités ne changeaient pas et si le processus de négociation n’inspirait pas confiance, les armes retirées de la circulation pourraient être rapidement remplacées par d’autres nouvellement acquises ou encore par des armes artisanales ou des engins explosifs improvisés. Mais après deux mois de rencontres avec des politiciens, les responsables de la sécurité, des citoyens et des personnes proches des divers groupes paramilitaires, il était clair qu’il ne serait pas facile de changer les mentalités. Comme nous l’a dit Billy Hutchinson, le politicien loyaliste, la méfiance régnait à de nombreux niveaux de la société nord-irlandaise. Il nous semblait évident qu’un renversement de la situation exigerait non seulement un renforcement de la confiance entre les parties, mais aussi la prise de risques.
Pour susciter la dose de confiance qui, nous l’espérions, conduirait à l’amorce des pourparlers, nous avons inclus dans notre rapport aux deux gouvernements six principes de démocratie et de non-violence que, à notre sens, les partis politiques devaient respecter pour participer au processus. Ces derniers devaient :
- accepter d’appliquer des moyens démocratiques et exclusivement pacifiques pour régler les questions politiques;
- accepter le désarmement total de toutes les organisations paramilitaires;
- accepter que ce désarmement soit vérifiable, à la satisfaction d’une commission indépendante;
- renoncer eux-mêmes au recours à la force et à toute menace de recours à la force, et s’opposer aux efforts d’autres parties visant à recourir à la force, dans le but d’infléchir le déroulement ou l’issue des négociations multipartites;
- accepter de respecter les modalités de tout accord conclu dans le cadre de négociations multipartites, et faire appel à des moyens démocratiques et exclusivement pacifiques pour essayer de faire modifier tout aspect des résultats avec lequel ils ne sont pas d’accord;
- demander qu’il soit mis un terme aux meurtres et aux passages à tabac « punitifs » et prendre des mesures pour prévenir de tels actesNote de bas de page 2.
Au moment de créer le comité international, les deux gouvernements avaient indiqué qu’ils n’étaient pas être tenus d’en accepter les recommandations, mais en fait ils ont adopté les six principes et exigé de chaque partie désireuse de participer aux pourparlers qu’elle les accepte également.
Nous avons également proposé six principes de désarmement qui, à notre avis, pouvaient inspirer confiance aux groupes paramilitaires et les inciter à travailler avec nous. Parmi ces principes figurait la nécessité éventuelle de préserver la confidentialité du processus si l’on jugeait qu’elle s’imposait pour éviter toute idée d’humiliation, de reddition ou de défaite. Aucun groupe paramilitaire ne s’était rendu ou n’avait encaissé une défaite. Nous avons également souligné la nécessité d’interdire toute analyse balistique des armes déposées, car il nous semblait improbable qu’on rende une arme permettant d’établir un lien entre un paramilitaire et un crime. Nous avons aussi proposé plusieurs méthodes, suggérant notamment que les groupes paramilitaires pourraient eux-mêmes neutraliser leurs armes, sous validation d’une commission internationaleNote de bas de page 3. David Angell a joué un rôle clé en ce qui concerne le choix et le libellé des principes et méthodes du désarmement, qui ont été acceptés par les deux gouvernements et ont formé la base du mandat de la commission de la démilitarisation lors de sa création un an plus tard.
Le comité international a présenté son rapport aux gouvernements à la fin de janvier 1996, puis a été dissoute. Mitchell, Holkeri et moi-même sommes rentrés chez nous. L’IRA s’est offusquée de la façon dont, à son avis, John Major a réagi à notre rapport, et elle rompu son propre cessez-le-feu en perpétrant un attentat à la bombe dans le quartier londonien des Docklands quelques semaines plus tard. Il a été suivi d’attentats semblables à Manchester et d’attaques contre des installations militaires et policières en Irlande du Nord. Cependant, malgré cette reprise de la violence par l’IRA, John Major et John Bruton ont persévéré dans leur intention de tenir des pourparlers, et annoncé que ceux-ci allaient commencer quatre mois plus tard, soit en juin. Ils nous ont demandé, à Mitchell, Holkeri et moi, de revenir présider ces pourparlers impliquant les deux gouvernements. Et comme l’IRA avait rompu le cessez-le-feu, le Sinn Fein allait être exclu des négociations.
Outre les deux gouvernements et trois coprésidents étrangers, neuf partis politiques ont été invités à prendre part au processus: trois unionistes, deux loyalistes et trois non alignés. La question qui se posait dès le départ était de savoir si les partis unionistes allaient se présenter. Il ne pouvait y avoir de pourparlers sans leur participation. Les unionistes n’avaient cessé de répéter qu’ils ne participeraient pas aux discussions tant que les groupes paramilitaires n’auraient pas commencé à désarmer, et cela ne s’était pas encore produit. Quand les pourparlers ont commencé en juin, les partis unionistes ont d’abord refusé de rester à la table des négociations. Mais David Trimble, leader de la plus importante formation politique en Irlande du Nord, le Ulster Unionist Party (UUP), a accepté de participer si les pourparlers pouvaient être considérés comme non officiels jusqu’à ce qu’un ordre du jour et des règles de procédure acceptables par toutes les parties aient été adoptés. Peu après, les deux autres partis unionistes, soit le Democratic Unionist Party (DUP), dirigé par le révérend Ian Paisley, et le United Kingdom Unionist Party (UKUP), dirigé par Bob McCartney, se sont joints aux négociations. Chacun des neuf partis a dû accepter de souscrire à ce qu’il était maintenant convenu d’appeler « les principes Mitchell ».
C’est grâce à la persévérance et à l’insistance des gouvernements, ainsi qu’au risque qu’a couru David Trimble en acceptant de prendre part à ces pourparlers, que ceux-ci ont pu être amorcés. Les progrès ont cependant été bloqués dès le départ en raison de désaccords au sujet de l’ordre du jour. Trimble voulait qu’on discute d’abord du désarmement. Il avait demandé que la démilitarisation se fasse avant la tenue des négociations, ce qui ne s’était pas produit. Il acceptait maintenant de prendre part aux discussions à la condition expresse que ce désarmement se fasse en même temps, comme l’avait proposé le comité international. À cela, John Hume rétorqua que, si le désarmement était effectivement important et qu’il fallait qu’il ait lieu, les négociations portaient sur la dimension politique et si les parties s’enlisaient sur la question des armes, aucun progrès ne serait possible. Aucun progrès n’a d’ailleurs été réalisé, mais les deux gouvernements ont retenu les parties à la table des négociations et insisté pour que, malgré les désaccords, les discussions aboutissent. Pendant un an, les pourparlers ont donc porté uniquement sur les pourparlers.
On n’a enfin marqué des progrès que lorsque les premiers ministres Bertie Ahearn et Tony Blair ont été réélus en 1997 – Blair avec une large majorité – et qu’ils ont tous deux annoncé que la recherche d’une solution au problème de l’Irlande du Nord était leur première priorité. Ils ont désamorcé la controverse sur la remise des armes en créant la Commission internationale indépendante sur la démilitarisation et en lui confiant le mandat de faciliter ce dernier et de faire rapport aux parties à propos des progrès accomplis. L’IRA a alors déclaré un autre cessez-le-feu, le Sinn Fein a été invité à prendre part aux négociations, le DUP et le UKUP ont décidé de s’en absenter, l’ordre du jour a été approuvé, les questions politiques figurant en haut de liste, et on a enfin lancé les négociations qui allaient aboutir en avril de l’année suivante à l’Accord du Vendredi saint (ou Accord de Belfast).
Au tout début des pourparlers, Cyril Ramaphosa et Roelf Meyer, les deux principaux architectes du processus qui avait mis fin à l’apartheid en Afrique du Sud, ont fait une visite à Belfast, et j’au pu passer une heure avec Meyer. Il a énuméré huit facteurs qui, à son avis, avaient été essentiels au succès de leurs discussions, qui avaient elles aussi débuté dans l’acrimonie et avaient été marquées tout au long par des difficultés et des désaccordsNote de bas de page 4. Un de ces facteurs était la conviction que les négociations devaient se poursuivre même si les parties quittaient la table ou que des actes violents étaient perpétrés pendant leur déroulement, car le but de tels actes étaient justement de mettre un terme aux discussions. Pendant la première année des pourparlers à Belfast, alors que l’IRA continuait d’attaquer les forces de sécurité et les installations militaires, les gouvernements ont persévéré et ont pu maintenir les parties à la table de négociations. J’ai découvert plus tard que, pendant toute la période des négociations qui a précédé l’Accord de 1998, les huit leçons énoncées par Meyer s’étaient appliquées au cas de l’Irlande du Nord.
Sur la question des palabres, je me permets de faire un aparté à propos de mon expérience à la tête du comité technique (Business Committee), qui mérite peut-être d’être mentionnée. Le travail du comité portait essentiellement sur des questions de procédure – échéanciers, calendriers, etc. – et, outre moi-même, le comité comprenait un représentant de chaque parti et des deux gouvernements. Alors que les séances du comité plénier se déroulaient dans une grande salle, autour d’un carré de tables situées à une trentaine de pieds l’une de l’autre, et où prenaient place trois membres de chacun des huit partis, les représentants des gouvernements et les présidents, le comité technique, lui, devait se contenter d’une petite pièce meublée d’une seule table d’environ trois pieds de largeur, où les membres étaient assis l’un en face de l’autre, nez à nez pour ainsi dire. Ce qui était remarquable, dans les séances du comité plénier, c’était le manque de politesse fréquent entre certains participants, qui se lançaient des accusations et des insultes de part et d’autre du grand vide entre les tables.
Rien de cela ne s’est produit au comité technique, où les échanges étaient polis, pertinents et fructueux. J’admets que le comité plénier s’occupait de dossiers politiques épineux tandis que le comité technique ne s’occupait que de questions procédurales, mais j’ai néanmoins été surpris et impressionné par les différences de comportement et d’ambiance entre ces deux situations. Il m’est apparu évident que la distance accentue la propension à manquer de courtoisie. Plus on est proche physiquement d’une personne qui pourrait éventuellement nous contrarier, moins on est enclin à lui faire ou lui dire des choses franchement déplaisantes. J’ai mentionné cela à Mitchell, qui a alors réduit le nombre de participants à certaines séances du comité plénier et tenu ces séances dans une petite pièce, autour d’une table étroite. Elles se sont avérées plus productives.
Le fait que l’Accord ait été conclu le Vendredi saint de 1998 était notable pour plusieurs raisons. Trimble y avait souscrit même si le désarmement ne s’était pas encore produit, une décision qui lui a fait perdre quelques adhérents. La Grande-Bretagne et l’Irlande ont toutes deux modifié leur constitution–celle-là révoquant la Government of Ireland Act de 1920, qui revendiquait la possession de l’Irlande du Nord, et celle-ci, les articles 2 et 3 de sa Constitution, qui faisaient de même. L’Accord prévoyait la tenue de référendums tant en Irlande du Nord qu’en République d’Irlande, qui l’ont approuvé à 71% et 94%, respectivement. Toutefois, certains passages de l’Accord avaient été laissés vagues par nécessité, et Mitchell était d’avis que s’il avait été difficile de conclure l’Accord, il serait encore plus ardu de le faire appliquer. Il avait raison.
L’Accord posait les fondations d’une nouvelle Assemblée en Irlande du Nord, où les deux partis traditionnels seraient représentés en fonction de leur électorat et se partageraient les postes de premier ministre et de vice-premier ministre. Certains reprochaient à ce système d’institutionnaliser le sectarisme, mais il garantissait que l’Assemblée ne favoriserait davantage une seule des traditions, comme c’était le cas auparavant. On a créé six comités ministériels Nord-Sud qui devaient se réunir régulièrement et discuter de domaines d’intérêt commun. On a également mis sur pied un conseil britanno-irlandais a aussi été mis sur pied, regroupant les premiers ministres de la Grande-Bretagne, de l’Irlande, de l’Irlande du Nord, de l’Écosse, du pays de Galles, de Guernsey, de Jersey et de l’île de Man. L’Accord prévoyait un examen des activités relatives au maintien de l’ordre, la libération anticipée des prisonniers, le transfert des responsabilités judiciaires et le désarmement de tous les groupes paramilitaires. C’est sur la question du désarmement que les progrès ont encore une fois achoppé.
Lorsqu’on a institué la Commission internationale indépendante sur le désarmement en septembre 1997, on m’a demandé d’en assumer la présidence, les deux autres commissaires devant être nommés, respectivement, par les États-Unis et la Finlande. Le département d’État a désigné l’ambassadeur Donald Johnston, qui fut plus tard remplacé par un haut fonctionnaire à la retraite de ce même département, Andrew Sens, tandis que la Finlande a nommé le brigadier à la retraite Tauno Nieminen. Cette composition de la Commission n’a pas changé. Notre mandat était de faciliter la remise des armes des paramilitaires, et de rendre celles-ci inaccessibles ou inutilisables en permanence. Il était prévu que cette tâche devait être achevée dans les deux ans suivant la tenue des référendums sur l’Accord, ce qui signifiait que nous devions terminer notre travail en mai 2000. Or, l’Accord précisait quand nous devions finir, mais il ne disait pas quand nous devions commencerNote de bas de page 5.
Dès le début, nous avons clairement indiqué que chaque groupe paramilitaire devait désigner un représentant que nous pourrions rencontrer pour établir les modalités de notre travail– c’était notre version à nous du jaw-jaw de Churchill. L’UVF a immédiatement nommé un représentant, mais l’IRA et l’UDA ont refusé d’en faire autant. La démilitarisation n’allait donc nulle part, et les unionistes refusèrent encore une fois de participer au gouvernement avec le Sinn Fein tant que l’IRA ne commencerait pas à désarmer. Contrairement au Sinn Fein, aucun parti politique associé à l’UVF ou à l’UDA n’avait qualité pour siéger à l’Exécutif (c’est-à-dire le Cabinet de l’Assemblée), et la démilitarisation des loyalistes, bien que requise, n’avait pas le même caractère d’urgence pour assurer le lancement de l’Assemblée. À l’automne de 1999, il n’y avait eu aucun désarmement de la part de l’IRA, et l’Assemblée demeurait inactive. Le secrétaire d’État a alors rappelé George Mitchell et lui a confié la tâche de procéder à un examen de l’Accord; l’IRA et l’UDA ont nommé des représentants à la Commission, nos discussions avec eux ont débuté, et l’Assemblée a enfin été convoquée au début de 2000. Elle a toutefois été suspendue, puis reconvoquée, puis suspendue de nouveau en 2002, tout cela en raison de retards dans la démilitarisation ainsi que d’allégations subséquentes d’espionnage par les paramilitaires républicains. L’Assemblée n’a repris ses activités qu’en mai de l’an dernier.
Ce n’est qu’en novembre 2001, après les attaques du 11 septembre contre les États-Unis, que le désarmement de l’IRA a commencé, et il nous a fallu, à nous et à l’IRA, encore quatre ans avant de mener le processus à terme. Même là, les circonstances dans lesquelles le processus s’est déroulé ont suscité du mécontentement chez certains. Une activité de désarmement organisée par un petit groupe paramilitaire loyaliste, la Loyalist Volunteer Force (LVF), avait eu lieu à l’automne 1998, peu après l’approbation de l’Accord, et avait permis la remise en liberté anticipée de prisonniers. La LVF, qui espérait ainsi la relaxation hâtive de certains de ses membres incarcérés, avait déclaré un cessez-le-feu et organisé une activité, menée devant les caméras, au cours de laquelle la Commission avait procédé à la destruction d’armes à feu ainsi que de munitions et d’explosifs sur une base militaire britannique. Malgré le nombre restreint d’armes détruites à cette occasion-là, cette séance avait amené le public à en demander davantage. Cependant, dans nos discussions avec le représentant de l’IRA, ce dernier avait clairement indiqué que si les armes de l’IRA devaient être détruites, cela ne se ferait pas publiquement. Citant le rapport du comité international, qui insistait sur la nécessité d’éviter toute idée d’humiliation, de reddition ou de défaite, l’IRA tenait absolument à un processus où seuls les membres de la Commission et, plus tard, deux ministres du culte, pourraient agir comme témoins. L’IRA reconnaissait cependant que notre mandat nous obligeait à valider le processus au moment même de son déroulement, et à procéder à l’inventaire de toutes les armes détruites, celui-ci devant être remis aux deux gouvernements après le désarmement de tous les groupes paramilitaires.
À mon avis, trois facteurs expliquent pourquoi le processus de désarmement de l’IRA s’est étiré sur plus de cinq ans. D’abord, l’IRA voulait que toutes les dispositions de l’Accord soient mises à exécution, et pas seulement celles concernant le désarmement, car c’est ce que prévoyait la partie de l’Accord consacrée au désarmement. Il y avait ensuite l’inquiétude quant à la réaction possible de la base de l’IRA devant la rapidité des changements, et le désir d’éviter un schisme au sein de l’organisation. Il y avait déjà eu une scission en 1986, quand le Sinn Fein avait accepté des sièges au Dail, et une autre en 1997, quand il s’était joint aux pourparlers de paix. La première scission avait entraîné la formation de la Continuity IRA (CIRA), et la seconde, celle de la Real IRA (RIRA). Un an plus tard, à peine quelques mois après la signature de l’Accord, la Real IRA était tenue responsable de l’attentat à la bombe dans la ville d’Omagh, où 29 civils ont perdu la vie et un nombre plus grand encore ont été blessés, ce qui en a fait la pire atrocité commise pendant la période des Troubles. Ni la CIRA ni la RIRA n’ont déclaré un cessez-le-feu.
Le troisième facteur a été, à mon sens, la nécessité d’établir un climat de confiance entre le représentant de l’IRA et la Commission. Confiance au sens où chacun pouvait croire que l’autre allait faire ce qu’il avait dit qu’il ferait, et qu’il dirait ce qu’il avait dit qu’il dirait. Il faut du temps pour cimenter la confiance, tout comme il en a fallu pour négocier des mesures de désarmement qui devaient être acceptables à l’IRA et à la Commission et dont nous pouvions confirmer qu’elles étaient en accord avec les conditions de notre mandat. Pendant plus de cinq ans, il y a eu beaucoup de jaw-jaw entre la Commission et le représentant de l’IRA – certains ont dit qu’il y avait trop de palabres et pas assez d’action – mais au moins cela déroulait sans conflit armé comme toile de fond.
Cinq ans après l’Accord et le scrutin de 1998, de nouvelles élections ont fait du DUP de Paisley et du Sinn Fein de Gerry Adams les plus importants partis politiques en Irlande du Nord. Les partis des deux leaders qui avaient reçu le prix Nobel de la paix en 1998 pour leur contribution à la conclusion de l’Accord – DavidTrimble et John Hume – se voyaient relégués à la troisième et à la quatrième place, respectivement. Il fallut cependant trois ans avant que le DUP et le Sinn Fein acceptent de former un gouvernement. Pendant ce délai, Blair et Ahern faisaient des pieds et des mains pour que les politiciens d’Irlande du Nord engagent des pourparlers afin qu’on puisse trouver un terrain d’entente qui permettrait la reprise des activités de l’Assemblée. Lors d’une rencontre à St. Andrews en octobre 2006, les deux premiers ministres ont exposé un programme pour la réinstauration des institutions et fixé aux chefs du Sinn Fein et du DUP des dates limites pour le règlement des questions en suspens.
Parmi les principaux éléments de la loi du 22 novembre 2006 (Northern Ireland (St Andrews Agreement) Act) se trouvaient l’acceptation intégrale par le Sinn Fein du service de police de l’Irlande du Nord (Police Service of Northern Ireland - PSNI), et l’engagement par le DUP à partager le pouvoir avec les républicains et les nationalistes au sein de l’Exécutif de l’Irlande du NordNote de bas de page 6. Le 7 mars de l’an dernier, une élection a été tenue sur l’approbation et la mise en œuvre de l’Accord de St Andrews, et les électeurs se sont nettement prononcés en faveur du partage des pouvoirs. Le DUP et le Sinn Fein ont par la suite annoncé qu’ils avaient convenu de restaurer les institutions dévolues dès le 8 mai suivant, de sorte que l’Assemblé fonctionne depuis cette date et que la population de l’Irlande du Nord est de nouveau gouvernée par des hommes et des femmes qu’elle a élus. Les principaux aspects de l’Accord original qui restent en suspens sont la dévolution de la justice à l’Assemblée et le désarmement des paramilitaires loyalistes.
Le processus de paix en Irlande du Nord n’est pas encore arrivé à son terme, et l’Assemblée fonctionne aujourd’hui avec les habituels succès et échecs que connaissent les parlements démocratiques partout ailleurs. Tous ne sont pas satisfaits de ce qui a été accompli, et certains jugent que le processus a été plus bénéfique à d’autres qu’à eux-mêmes. On s’inquiète aussi d’une possible influence paramilitaire résiduelle, et les forces de sécurité demeurent vigilantes vis-à-vis toute action éventuelle de groupes dissidents qui n’ont pas déclaré le cessez-le-feu. Néanmoins, la majorité des troupes ont quitté, et il ne reste sur place qu’une garnison normale, comme il y en a partout ailleurs au Royaume-Uni, et le nouveau service de police est en train de gagner le respect et la confiance des communautés nationalistes, là où autrefois il aurait été accueilli avec méfiance et hostilité. Les rues sont animées et les boutiques achalandées, les grues de construction sont partout, et les entreprises commencent à faire preuve des réussites économiques qu’on peut observer dans la République de l’autre côté de la frontière. Chaque jour qui passe renforce le sentiment que les violences du temps des Troubles sont maintenant révolues.
Je voudrais conclure cet exposé sur deux points, le premier à propos de la participation du Canada au processus de paix en Irlande du Nord, et le second un retour à la question des palabres. Depuis le lancement du processus en 1994, de nombreux Canadiens y ont joué, ou y jouent encore, un rôle de premier plan. Lorsque David Angell a été affecté à la délégation du Canada auprès des Nations Unies à New York, le ministère des Affaires étrangères l’a remplacé par Clifford Garrard, du Haut-Commissariat du Canada à Londres. Clifford a travaillé avec les présidents de la Commission indépendante pendant les pourparlers qui ont mené à l’Accord de 1998 et, après avoir pris sa retraite, il est demeuré membre de la Commission jusqu’à ce que nous en réduisions l’effectif il y a quelques années. William Hoyt, ancien juge en chef du Nouveau-Brunswick, est depuis dix ans l’un des trois magistrats chargés de l’enquête sur le Bloody Sunday, qui a été instituée après l’Accord du Vendredi saint pour faire la lumière sur les événements de 1972 au cours desquels quatorze personnes ont perdu la vie lors d’un affrontement avec l’armée britannique. Le juge Hoyt a été fait officier de l’Ordre du Canada ici à Ottawa la semaine dernière.
Le professeur Clifford Shearing, de l’Université de Toronto a été membre de l’équipe de Chris Patten, chargée de préparer le terrain pour la transformation de la Royal Ulster Constabulary en Service de police de l’Irlande du Nord, le PSNI. Et le juge Peter Cory, anciennement de la Cour suprême du Canada, a été invité par la Grande-Bretagne et l’Irlande à enquêter sur cinq cas où on a allégué que l’État aurait été impliqué dans des assassinats commis par des groupes paramilitaires loyalistes et républicains. Ricki Schoen, une Canadienne résidant à Dublin, est l’adjointe locale du bureau de la Commission de démilitarisation depuis la création de cette dernière en 1997. Elle a été faite membre de l'Ordre de l'Empire britannique pour sa contribution au processus de paix dans le tableau d’honneur rendu public à l’occasion de l’anniversaire de la Reine l’an dernier. Enfin, plusieurs membres et ex-membres de la GRC ont participé à la Commission de supervision de la police, qui avait été créée pour suivre la mise en place de la nouvelle PSNI et qui vient tout juste d’être démantelée. Dirigée par le commissaire adjoint à la retraite Al Hutchinson, aujourd’hui ombudsman de la police de l'Irlande du Nord, cette commission multinationale a supervisé tous les aspects de la formation et du développement de la PSNI pendant les premières années de la transition.
Le gouvernement du Canada et le ministère des Affaires étrangères ont toujours été prêts à soutenir le processus de paix en Irlande du Nord chaque fois que cela a été nécessaire. Les premiers ministres Chrétien et Martin ont tous deux faits des visites à Dublin et Belfast pendant leurs mandats, et Chrétien a rétabli la contribution du Canada au Fonds international pour l’Irlande. Les ministères canadien et américain de la Défense ont mis à la disposition de la Commission de démilitarisation les services d’un officier spécialiste de la neutralisation des explosifs et munitions chaque fois que nous l’avons demandé. Ces officiers ont permis à la Commission d’acquérir de précieuses connaissances techniques, et parfois pratiques, en ce domaine, et nous ont aussi aidés à convaincre les forces de sécurité britanniques et irlandaises que nous savons vraiment ce que nous faisons. Enfin, la présidente de l’Irlande, Mary McAleese, a été très impressionnée par la présence irlandaise au Canada lors de sa visite dans les Maritimes et à Ottawa il y a quelques années. D’après ce qu’elle et de nombreuses autres personnes des deux côtés de l’Atlantique m’ont dit, il me semble évident que sur l’île irlandaise, le Canada – tout comme les États-Unis, qui ont aussi joué un rôle primordial et très influent tout au long du processus – est considéré comme un ami, un allié et un collaborateur toujours prêt à aider.
Le thème que j’ai voulu développer est qu’il vaut mieux négocier que de faire la guerre, une idée qui est mise à l’essai dans de nombreux conflits à travers le monde aujourd’hui. J’ai déjà mentionné le cas de l’Afghanistan, et je note qu’en Espagne, aussi bien le gouvernement actuel que l’ancien ont entamé des pourparlers avec l’ETA, dans un effort pour mettre un terme à la campagne pour l’indépendance du Pays basque menée depuis 40 ansNote de bas de page 7. D’autres exemples viennent à l’esprit. Des pourparlers tenus l’an dernier entre le Front de libération islamique Moro et les représentants du gouvernement des Philippines ont abouti à une offre dans laquelle ce dernier reconnaît le droit à l’autodétermination des Musulmans dans le Sud du pays. Il y a encore des combats ici et là, mais le gouvernement continue de dialoguer. Je m’intéresse à ce conflit depuis la visite que j’ai effectuée à Manille en mai 2006 à la demande du ministère des Affaires étrangères de Suède dans le but d’informer le gouvernement philippin de mon expérience en Irlande du Nord. De même, au Népal, l’Alliance des sept partis a eu pendant plusieurs années de nombreuses rencontres avec le Parti communiste du Népal (maoïste) alors que les combats se poursuivaient entre les maoïstes et l’armée népalaise. J’ai assisté à l’une de ces rencontres à Stockholm il y a deux ans et, en novembre de cette même année, l’Alliance des sept partis a signé un accord de paix global avec les maoïstes. Le conflit n’est pas encore totalement réglé, mais les discussions se poursuivent.
Cela dit, je crois qu’il est important de souligner que dans chacun de ces exemples, les pays concernés ont maintenu leurs forces de sécurité en place tout en poursuivant les discussions, des troupes prêtes à intervenir en cas de violence et d’échec des pourparlers. En Irlande du Nord, on n’a diminué la présence des troupes britanniques qu’un peu moins de dix ans après la signature de l’Accord, et une fois la majorité de ses dispositions mises en application.
Je n’irai certainement pas jusqu’à suggérer que, dans la conduite de sa politique étrangère, le Canada suive le conseil de Teddy Roosevelt, c’est-à-dire parler doucement tout en ayant un gros bâton à la main, mais je n’en appuie pas moins l’idée de disposer de moyens nationaux crédibles pour réagir aux menaces, par la force si nécessaire. Vu la taille de nos ressources militaires aujourd’hui, il semble peu probable qu’à lui seul, l’emploi du « bâton » canadien puisse être considéré comme un facteur décisif à l’étranger. Je crois d’ailleurs que c’est bien comme cela. Mais il reste que si elles sont utilisées en conjonction avec celles de nos alliés, nos forces armées peuvent contribuer à une structure militaire efficace et capable de devenir un puissant instrument de la politique, même s’il n’est utilisé qu’en dernier recours.
J’espère avoir indiqué clairement que je conviens avec Churchill qu’il vaut mieux discuter que de faire la guerre, mais je suis tout aussi d’accord avec John F. Kennedy quand il a déclaré : « Il ne faut jamais négocier sous la peur, mais qu’il ne faut jamais avoir peur de négocier ». Les deux disaient la même chose, bien sûr, et je crois qu’ils avaient tous deux raison.