Tragédie du vol 752 d’Ukraine international airlines : Analyse des faits

24 juin 2021

À la mémoire des victimes du vol PS752

Liste des victimes

Liste des passagers du vol PS752

Vol PS752 Pilotes

  • Gaponenko, Volodymyr Ivanovych
  • Khomenko, Serhii Anatoliiovych
  • Naumkin, Oleksii Yevhenovych

Vol PS752 Agents de bord

  • Lykhno, Denys Mykhailovych
  • Matkov, Ihor Valeriiovych
  • Mykytiuk, Mariia Mykhailivna
  • Ovcharuk, Valeriia Yevheniivna
  • Solohub, Yuliia Mykolaivna
  • Statnik, Kateryna Olehivna

Table des matières

Message du Premier Ministre à l’intention des familles

Justin Trudeau

Justin Trudeau
Premier ministre du Canada

Après l’écrasement de l’avion effectuant le vol PS752 d’Ukraine International Airlines, des agents du renseignement canadiens m’ont présenté de l’information selon laquelle la tragédie avait été causée par un missile sol-air iranien. Nous avons annoncé ce fait au monde, et l’Iran a été forcé de l’admettre.

Aujourd’hui, nos experts du renseignement mettent en lumière d’autres informations sur la tragédie, et une fois de plus, la conclusion est claire : Par leurs décisions, leurs actions et leurs omissions, les autorités civiles et militaires iraniennes sont entièrement responsables des événements. Le vol PS752 a été abattu en raison de leur imprudence, de leur incompétence et de leur mépris total pour la vie humaine.

Les Canadiens se souviendront toujours du 8 janvier 2020 et de la terrible nouvelle de la disparition définitive des passagers du vol PS752. Nous continuons de pleurer les 176 précieuses vies perdues, dont celles de 55 citoyens canadiens, 30 résidents permanents et 53 autres personnes ayant des liens avec notre pays.

J’ai eu le privilège de rencontrer un grand nombre de proches de passagers. Leur peine est incommensurable.

Dès le départ, nous avons tenté de rendre leur épreuve un tant soit peu moins pénible. Nos représentants ont fourni une aide consulaire d’urgence, un service de consultation, un soutien financier et des services d’immigration tels que la nouvelle voie d’accès à la résidence permanente pour les membres des familles des victimes, qui a été annoncée il y a quelques semaines. Des mesures pour assurer le souvenir de la tragédie ont également été prises, dont une bourse à la mémoire des victimes et la désignation du 8 janvier comme journée nationale de commémoration des victimes de catastrophes aériennes.

En plus de leur deuil, les familles vivent la douleur de ne pas avoir des réponses à leurs questions. Depuis ces terribles premières heures, notre gouvernement est déterminé à mettre au jour et à communiquer le plus d’information possible sur ce qui est arrivé. Ses efforts ont commencé le 9 janvier 2020 lorsque nous avons mis l’Iran face à la vérité, c’est-à-dire qu’il avait lui-même abattu l’avion. Ils se sont poursuivis en décembre par la publication du rapport du conseiller spécial Ralph Goodale, dans lequel des questions essentielles étaient posées à l’Iran. Ils se poursuivent maintenant par le présent rapport d’expert de l’Équipe d’enquête, d’examen et d’évaluation du Canada. Et ils se poursuivront tant que l’Iran ne fournira pas de compte rendu complet et vérifiable des événements

Soyons clairs : l’Équipe d’enquête a analysé l’information à sa disposition, qui provient de sources publiques et de renseignements classifiés, avec professionnalisme et compétence. Mais seul l’Iran a entièrement accès aux données probantes, au site de l’écrasement et aux témoins. C’est à lui qu’il incombe d’apporter des réponses définitives à tous les aspects de cette tragédie.

Selon le rapport de l’Équipe d’enquête, les autorités iraniennes ont déployé des systèmes de défense aérienne en état d’alerte élevé à proximité d’un aéroport civil sans mettre en place des mesures de protection de base comme la fermeture de l’espace aérien de Téhéran et la formulation d’avis aux transporteurs. Tous les avions à destination ou en partance de l’aéroport de Téhéran ce soir-là étaient exposés à des risques, y compris les quatre qui ont décollé immédiatement après le vol PS752, soit les vols QR491 (Qatar Airways), TK873 (Turkish Airlines), KK1185 (Atlas Global) et QR8408 (Qatar Airways). En fait, la totalité de l’information disponible amène l’Équipe d’enquête à conclure que l’Iran a suivi plusieurs cibles en ignorant s’il s’agissait d’avions de passagers ou de menaces légitimes.

Le rapport démontre que les explications officielles de l’Iran sont malhonnêtes, trompeuses et superficielles, et que des éléments clés sont intentionnellement omis. Le blâme ne doit pas être commodément jeté sur quelques subalternes. Les décisions qui ont mené à la tragédie ont été prises par de hauts dirigeants du régime, et le monde ne doit pas laisser ces personnes se cacher en toute impunité derrière une poignée de boucs émissaires occupant le bas de la hiérarchie.

Les proches des victimes méritent une explication détaillée pour le choix dangereux et délibéré de l’Iran de laisser son espace aérien ouvert. Ils méritent également de tout savoir de la formation donnée aux militaires iraniens et des procédures suivies par le commandement et contrôle lors de manœuvres de défense aérienne. L’Iran doit également expliquer la dissimulation des faits qui a suivi l’écrasement, notamment le nettoyage du site avant l’arrivée des inspecteurs.

L’Iran se doit de fournir ces réponses aux proches des victimes afin qu’ils puissent obtenir une certaine paix d’esprit. Et il se doit de fournir ces réponses au monde, car sans elles, aucun pays, aucun transporteur aérien et aucun passager ne peut avoir confiance dans la sécurité de l’espace aérien iranien.

Tout en continuant de faire pression sur l’Iran pour obtenir ces réponses, le Canada travaillera en étroite collaboration avec ses partenaires du Groupe international de coordination et d’intervention pour obtenir les réparations prévues par le droit international, y compris un compte rendu complet des événements ainsi que des assurances concrètes de non-répétition. Le Canada exigera également une juste compensation pour les torts causés aux victimes, à leurs familles et aux États concernés.

Le Canada négociera les réparations en toute connaissance de cause. Si les négociations avec l’Iran ne permettent pas d’en arriver à un résultat satisfaisant pour le Canada et les familles, le gouvernement se prévaudra de toutes les options offertes, y compris une requête à la Cour internationale de justice.

Le Canada continuera également de travailler avec ses partenaires des autres pays pour améliorer les protocoles d’enquête qui s’appliquent lorsqu’un appareil est abattu et pour faire avancer l’initiative sur la sécurité aérienne afin que les passagers qui traversent des zones de conflit ou s’en approchent soient mieux protégés. C’est dans cette optique qu’un financement a été prévu au Budget 2021 pour que Transports Canada rende permanent le Bureau d’information sur les zones de conflit du Canada. Cet organisme répond à un besoin mondial en surveillant l’apparition de nouveaux conflits et en alertant les avions civils. En outre, nous espérons que l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) parviendra à un consensus en vue de renforcer le cadre de l’annexe 13 pour assurer la méticulosité, l’indépendance et l’impartialité des enquêtes lorsqu’un appareil civil est abattu. Les représentants du Canada ont déjà soulevé ces questions auprès du président du Conseil et du secrétaire général de l’Organisation.

Bien qu’il nous soit impossible de ramener les passagers du vol PS752 à leurs proches, ou de remplacer les contributions perdues qu’ils auraient apportées à leurs communautés, au Canada et au monde, c’est en leur nom que nous effectuons ce travail important.

Je remercie Jeff Yaworski et l’Équipe d’enquête, d’examen et d’évaluation pour ce rapport, qui constitue une étape de plus dans le long et difficile trajet menant à la vérité et à la responsabilité.

Le Canada n’abandonnera pas; le Canada n’oubliera pas.

Justin Trudeau
Premier ministre du Canada

Préface

Jeff Yaworski

Jeff Yaworski
Chef de l’Équipe d’enquête, d’examen et d’évaluation

Le 8 janvier 2020, le Corps des gardiens de la révolution islamique de la République islamique d’Iran a abattu l’avion d’Ukraine International Airlines qui effectuait le vol 752 peu après son décollage de l’aéroport international Imam Khomeini à Téhéran.

À l’automne 2020, des questions importantes sur les circonstances et les causes de la tragédie demeuraient sans réponse. En octobre 2020, l’honorable François-Philippe Champagne, qui était alors ministre des Affaires étrangères, a annoncé la mise sur pied de l’Équipe d’enquête, d’examen et d’évaluation du Canada (ci-après l’Équipe d’enquête), sur la recommandation de l’honorable Ralph Goodale, conseiller spécial dans le cadre de la réponse du gouvernement du Canada à la tragédie du vol PS752. Cette initiative s’inscrivait dans le cadre de l’engagement du gouvernement du Canada à demander des comptes à l’Iran et à obtenir justice pour les victimes, leur famille et leurs proches.

L’Équipe d’enquête se compose de fonctionnaires en provenance de plusieurs ministères et organismes fédéraux qui possèdent les connaissances et compétences pertinentes, notamment au sujet de l’équipement et des opérations militaires. L’Équipe d’enquête s’est vu confier la tâche d’analyser l’ensemble de l’information, des faits et du renseignement disponibles au sujet de la tragédie du vol PS752 afin de donner des avis au gouvernement quant à leur crédibilité et à leur valeur probante. La présente analyse des faits se fonde sur l’examen approfondi de tous les documents disponibles qui proviennent du gouvernement du Canada et de ses partenaires alliés ainsi que des renseignements classifiés.

Le présent rapport reprend également les conclusions d’excellentes enquêtes journalistiques, les contributions significatives de publications d’universitaires ainsi que les images, vidéos et autres documents pertinents que des Iraniens ont publiés dans les médias sociaux. Les notes en fin d’ouvrage indiquent le nom des auteurs chaque fois qu’il était possible et approprié de les identifier. Finalement, le présent rapport porte également sur les rapports officiels de l’Iran au sujet de la tragédie, notamment sur une analyse approfondie du rapport final que l’Iran a publié le 15 mars 2021. Le contenu des rapports de l’Iran n’a nullement été pris au pied de la lettre.

L’Équipe d’enquête s’est également servi de discussions avec plusieurs membres de familles de victimes de même que de matériel que ces derniers lui ont fourni. À défaut d’avoir pu compter sur toutes ces contributions, nous n’aurions pas été en mesure de faire la lumière sur les faits tels que nous les connaissons. J’ai bon espoir que nos travaux aideront quelque peu les familles à effectuer le difficile cheminement qui leur permettra de surmonter leur deuil d’une ampleur inimaginable. Nous nous souviendrons toujours des 55 Canadiens, des 30 résidents permanents, des autres passagers ainsi que des membres de l’équipage du vol PS752, 176 victimes en tout, qui ont perdu la vie et n’auront jamais pu réaliser leurs aspirations.

Je tiens à souligner que seul l’Iran a entièrement accès aux preuves, à l’emplacement de l’écrasement, aux témoins et aux ultimes responsables. Il continue donc de lui incomber de présenter un compte rendu complet et crédible des événements pour que les familles et les proches des victimes puissent finalement apprendre la vérité sur ce qu’il est advenu de l’avion affecté au vol PS752. L’Iran doit également garantir à la communauté internationale que cette tragédie ne se reproduira jamais.

Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Vincent Rigby, conseiller à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre, ainsi qu’à l’honorable Ralph Goodale de leurs orientations et conseils, qui nous ont guidés. Je tiens de plus à remercier particulièrement Steven Shragge, Meaghan Campbell, Beth Champoux, Richard Davidson, Rana AbiNader et le Secrétariat de l’évaluation du renseignement du Bureau du Conseil privé de leur travail assidu et de leur dévouement.

Jeff Yaworski
Chef de l’Équipe d’enquête, d’examen et d’évaluation

Sommaire

L’Équipe d’enquête, d’examen et d’évaluation (ci-après l’Équipe d’enquête) a réalisé cette analyse des faits en provenance de toutes les sources pour donner suite à l’engagement du gouvernement du Canada à découvrir comment et pourquoi l’avion qui effectuait le vol 752 d’Ukraine International Airlines a été abattu près de Téhéran le 8 janvier 2020.

Jusqu’à maintenant, l’Iran présente un compte rendu incomplet des événements et n’a pas décrit tous les actes des autorités militaires et civiles qui ont vraisemblablement contribué à l’écrasement de l’avion. Le 15 mars 2021, le Bureau d’enquête sur les accidents d’aviation de l’Iran (ciaprès le Bureau d’enquête de l’Iran) a présenté son rapport d’enquête sur la tragédie (ci-après le rapport final), qui ne présente pas d’explication crédible à savoir comment et pourquoi l’opérateur d’un lance-missile surface-air du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) a abattu l’avion du vol PS752.

Le présent rapport de l’Équipe d’enquête s’appuie sur une mine d’information pour présenter le compte rendu factuel de la séquence des événements qui ont mené à la tragédie. Le rapport porte en outre sur toute la gamme des facteurs humains et organisationnels qui ont vraisemblablement contribué à l’écrasement et présente une analyse qui corrobore, remet en question ou réfute, selon le cas, les affirmations de l’Iran. Les constatations et conclusions du présent rapport se fondent donc sur l’analyse exhaustive des rapports que le Bureau d’enquête de l’Iran a produits ainsi que sur les autres renseignements disponibles publiquement, et elles ont été validées grâce à la consultation de renseignements recueillis par le gouvernement du Canada, notamment de renseignements classifiés.

Analyse de l’Équipe d’enquête

Le rapport final de l’Iran conclut que les dommages que les missiles ont causés à l’avion sont la principale cause de son écrasement. Le rapport indique que l’opérateur du lance-missile a commis une série d’erreurs imprévues qui ont contribué à l’écrasement de l’avion. Entre autres, l’opérateur aurait déterminé que l’avion était une cible hostile et a par conséquent lancé les missiles.

Selon l’information disponible, il semble évident que l’opérateur du lance-missile a joué un rôle de premier plan dans l’écrasement de l’avion affecté au vol PS752. Cependant, l’Équipe d’enquête conclut que ses actes et la tragédie qui en a résulté auraient pu et auraient dû être évités. En effet, s’il n’en avait été des ratés fondamentaux dans la planification, l’atténuation des risques et la prise de décisions, l’opérateur du lance-missile n’aurait pas ciblé l’avion.

Jusqu’à maintenant, les explications de l’Iran, notamment celles contenues dans le rapport final de son Bureau d’enquête, sont évasives et fort sélectives. En effet, aucune preuve ne corrobore ses affirmations, et son compte rendu ne présente pas le contexte des événements et n’aborde pas non plus toute la gamme des causes de la tragédie et des facteurs qui y ont contribué.

Sous réserve d’une analyse juridique approfondie, l’Équipe d’enquête estime qu’en raison de ces lacunes, le rapport final du Bureau d’enquête de l’Iran ne respecte pas les normes et les pratiques recommandées dans l’Annexe 13 à la Convention de Chicago.

L’analyse de l’Équipe d’enquête montre que les autorités civiles et militaires de l’Iran, de par leurs actes et omissions, ont directement mis l’avion d’UAI et d’autres aéronefs civils en danger en créant les circonstances dans lesquelles l’opérateur a pu tirer des missiles en leur direction et en omettant de prendre les mesures préventives nécessaires pour réduire les risques élevés.

L’Équipe d’enquête a formulé les constatations suivantes au sujet des causes de la tragédie et des facteurs qui y ont contribué.

Constatation no 1 : L’Iran a omis de prendre des mesures pour assurer la sécurité de son espace aérien et informer les transporteurs aériens des risques

Premièrement, les autorités iraniennes avaient l’occasion et la responsabilité d’établir un plan afin d’assurer la sécurité de l’espace aérien de l’Iran après l’attaque de ce dernier contre des positions des É.-U. en Irak, surtout compte tenu du fait que l’Iran s’attendait à une riposte. L’Équipe d’enquête estime que les responsables des échelons supérieurs auraient dû en discuter. L’Iran a positionné ses systèmes de défense aérienne en état d’alerte à un endroit adjacent à l’aéroport international, et malgré la menace d’origine militaire qui pesait à proximité de l’aéroport, il a décidé de ne pas fermer l’espace aérien au-dessus de Téhéran. Certains renseignements portent à croire que les décideurs civils et militaires de l’Iran ont accordé la priorité à la défense au détriment de la sécurité de l’aviation civile.

L’Iran prétend que sa décision de ne pas fermer son espace aérien et ses décisions quant à la gestion de son espace aérien étaient justifiées et s’appuyaient sur une évaluation rigoureuse des risques. Dans l’évaluation des risques, qui figure dans son rapport final, l’Iran n’aborde pas les renseignements contradictoires qui portent à croire que les risques étaient beaucoup plus élevés que ce qui avait été établi. La défense aérienne de l’Iran représentait clairement un danger immédiat. Les militaires étaient dans l’état d’alerte maximale et avaient reçu la tâche de surveiller un espace aérien où de multiples aéronefs civils allaient circuler. L’Iran n’a pris qu’une seule mesure préventive, qui exigeait que les vols soient préautorisés par ses forces armées avant leur décollage de l’aéroport IK. L’Iran a eu tort d’établir que les risques étaient « faibles », de laisser l’espace aérien au-dessus de Téhéran ouvert et de ne prendre qu’une seule mesure préventive. L’Équipe d’enquête estime que toutes ces décisions contreviennent aux normes sur la sécurité de l’espace aérien qui sont en vigueur et reconnues à l’échelle internationale.

D’autre part, l’Iran n’a fourni aucun avis officiel quant à l’augmentation des risques aux transporteurs aériens et aux pilotes avant le décollage de l’avion affecté au vol PS752 et n’a pas expliqué adéquatement pourquoi cette mesure élémentaire n’avait pas été prise. Les autorités militaires de l’Iran étaient les seules à être au courant des récentes opérations militaires et de l’état d’alerte élevée à la suite de ses tirs de missiles en Irak. Elles étaient les seules à savoir que des lance-missile avaient été déployés à proximité d’un aéroport international. Même s’il était au fait de la directive de 2018 de l’OACI au sujet des « zones de conflit », l’Iran a choisi de ne pas aviser les transporteurs aériens du danger. Puisqu’ils n’ont pas reçu l’information pertinente sur les risques, les transporteurs aériens comme UIA ignoraient l’état complet et à jour de la situation, ce dont ils auraient eu besoin pour déterminer si les vols étaient sécuritaires.

Constatation no 2 : Séquence des événements concernant l’opérateur du lance-missile surface-air

Deuxièmement, l’information que l’Équipe d’enquête a analysée indique que l’opérateur du lance-missile du CGRI a pris une série de décisions qui ont mené à l’écrasement de l’avion. L’Équipe d’enquête estime probable que l’opérateur ait omis d’aligner correctement le conservateur de cap du lance-missile ou qu’il ait omis de corriger l’alignement au cours des six heures où le lance-missile a été déployé et était opérationnel. Quoi qu’il en soit, ni l’une ni l’autre de ces omissions n’aurait pu à elle seule donner lieu aux tirs qui ont abattu l’avion.

L’information à laquelle l’Équipe d’enquête a eu accès, notamment les spécifications techniques du lance-missile, correspond avec un alignement incorrect. Selon une analyse d’expert sur ce type d’arme, en raison de cet alignement incorrect, le radar de l’opérateur du lance-missile aurait incorrectement représenté les menaces. Une erreur d’alignement de 105 degrés aurait donné à l’opérateur l’impression que l’avion affecté au vol PS752 arrivait du sud-ouest (Irak) plutôt que du sud-est, d’où il provenait véritablement, en provenance de l’aéroport IK.

Bien que le tir des missiles ait été un acte délibéré et prévu, l’information à la disposition de l’Équipe d’enquête indique que l’opérateur du lance-missile du CGRI a vraisemblablement pris l’avion affecté au vol PS752 pour une cible hostile. Pour pouvoir prévenir ce genre de tragédie, le commandement et contrôle (C2) doit disposer d’un système et de procédures qui fonctionnent convenablement, et ses effectifs doivent avoir suivi une instruction adéquate. Cependant, l’Iran n’a fourni aucun renseignement concret sur ces facteurs d’une importance capitale. De plus, le fait que l’Iran n’explique pas entièrement les événements et qu’il ne présente aucun élément probant à l’appui de ses explications nuit à la crédibilité de son affirmation selon laquelle les actes de l’opérateur du lance-missile constituent la seule cause de l’écrasement.

Pour ce qui est de l’affirmation de l’Iran selon laquelle l’opérateur du lance-missile a tiré sur l’avion sans avoir reçu l’approbation nécessaire de la part de son commandement et contrôle, l’Équipe d’enquête n’a pris connaissance d’aucun renseignement qui puisse contredire cette affirmation. Bien qu’il soit probable que le pouvoir d’autoriser les tirs contre des cibles aériennes ait été délégué à des militaires iraniens d’échelons moins élevés qu’à l’habitude en raison de l’état d’alerte élevé, il est fort improbable que l’opérateur du lance-missile ait été autorisé à tirer des missiles sans avoir reçu l’autorisation de son commandement.

Cependant, compte tenu du nombre et de la séquence des événements dont l’Équipe d’enquête a pris connaissance, l’Iran n’a pas fourni suffisamment d’information ni d’explications quant aux questions générales que cela soulève. En effet, des questions cruciales demeurent sans réponse au sujet de la compétence de l’opérateur du lance-missile qui a abattu l’avion, notamment à savoir si sa formation était adéquate, ainsi qu’au sujet du processus de confirmation des cibles et de la supervision des opérateurs de lance-missile en pareille circonstance.

Constatation no 3 : Ratés du commandement et contrôle

Finalement, même si l’Iran a admis que le niveau réel des risques surpassait le niveau estimé et que les mesures d’atténuation prévues n’ont pas permis d’empêcher le tir de missiles sur l’avion, le rapport final de l’Iran et les déclarations publiques de hauts gradés des forces armées iraniennes portent exclusivement sur les décisions de l’opérateur du lance-missile et omettent d’analyser les ratés sur le plan militaire qui ont joué un rôle important dans l’écrasement de l’avion. Le commandement et contrôle des forces armées iraniennes quant au lance-missile a échoué. S’il avait fonctionné, l’avion n’aurait pas été abattu.

L’Équipe d’enquête a déterminé que le commandement et contrôle immédiat de l’opérateur du lance-missile aurait dû relever l’alignement incorrect marqué de 105 degrés du lance-missile, que les autorités iraniennes ont rapporté. En effet, selon la procédure militaire normale, le lance-missile ne pouvait pas être utilisé isolément : il devait plutôt faire partie d’une structure de défense aérienne intégrée, qui favorise la connaissance de la situation et améliore la prise de décisions. En effet, le rapport final de l’Iran indique que les opérateurs des lance-missile avaient l’obligation de consulter leur commandement et contrôle pour établir la distinction entre les cibles hostiles et les aéronefs commerciaux et obtenir l’autorisation de faire feu.

Selon les protocoles déclarés de l’Iran, il est raisonnable de conclure qu’il y a probablement eu de multiples interactions entre l’opérateur et son commandement et contrôle dans le cadre de la procédure qui a permis d’identifier les avions qui ont décollé de l’aéroport IK avant l’avion affecté au vol PS752. Compte tenu du mauvais alignement probable du lance-missile, ces avions auraient également semblé provenir d’une direction incorrecte (c.-à-d. du sud-ouest). Neuf autres avions ont décollé de l’aéroport IK avant celui affecté au vol PS752 le 8 janvier 2020, dont huit après que l’Iran ait tiré des missiles en Irak. Si l’opérateur a suivi, comme l’affirme l’Iran, la même procédure dans le cas de ces neuf avions que celle qu’il a suivie dans le cas du vol PS752, cela signifie que l’opérateur aurait demandé à son commandement et contrôle de l’aider à déterminer si l’avion était une cible hostile ou un aéronef commercial.

L’Équipe d’enquête a de plus analysé l’affirmation non corroborée et contestable de l’Iran selon laquelle le lance-missile a été déplacé à 04:54 et était en mode veille jusqu’à cinq minutes avant le décollage de l’avion affecté au vol PS752. L’Équipe d’enquête a déterminé probable le fait que le lance-missile ait été en mode de fonctionnement immédiatement après son supposé déplacement, comme on s’y attendrait étant donné les sérieuses menaces qui planaient. En fait, l’ensemble de l’information disponible amène l’Équipe d’enquête à conclure que l’Iran a suivi de multiples cibles et qu’il ne pouvait pas faire la distinction entre un aéronef de passagers et une menace légitime. L’Iran a finalement tiré deux missiles et abattu une cible non identifiée, qui s’est par la suite révélée être l’avion affecté au vol PS752. Quatre avions ont décollé de l’aéroport IK entre 04:54 et l’heure du décollage de l’avion affecté au vol PS752. Par conséquent, même si l’on assume que le lance-missile a bel et bien été déplacé comme l’Iran l’a déclaré, il y a fort probablement eu de multiples interactions entre l’opérateur du lance-missile et son commandement et contrôle immédiat et ceux-ci auraient alors dû relever que l’avion n’était pas une menace et corriger l’alignement incorrect.

Les quatre avions qui ont décollé entre 04:54 HT et 06:12 HT, soit l’heure du décollage de l’avion du vol PS752, sont ceux qui étaient affectés aux vols suivants : QR491 de Qatar Airways Flight, TK873 de Turkish Airlines, KK1185 d’Atlas Global et QR8408 de Qatar Airways. Étant donné que la trajectoire de ces avions à leur départ de l’aéroport IK était similaire à celle de l’avion du vol PS752 et que l’Iran affirme que le lance-missile a été désaligné durant son déplacement à 04:54 HT, chacun de ces avions aurait fort vraisemblablement pu être lui aussi mal identifié. Cette constatation devrait sérieusement préoccuper tous les pays dont des transporteurs aériens et des citoyens ont voyagé via l’aéroport IK le matin de la tragédie. En effet, en raison des actes et des omissions de l’Iran, tous les autres avions auraient pu connaître le même sort que celui de l’avion du vol PS752.

Selon cette analyse, l’Équipe d’enquête conclut que le commandement et contrôle immédiat de l’opérateur du lance-missile a vraisemblablement manqué plusieurs occasions de relever et de corriger l’alignement incorrect du lance-missile, de constater les risques connexes durant les six heures pendant lesquelles le lance-missile était vraisemblablement en mode de fonctionnement et, chose encore plus importante, d’intervenir pour retirer l’opérateur jusqu’à ce que le problème soit corrigé.

Dans sa description des événements, l’Iran laisse entendre que les communications ont été interrompues entre l’opérateur du lance-missile et son commandement et contrôle, ce qui a contribué aux erreurs commises dans le cadre des décisions prises par la suite. Selon l’évaluation de l’Équipe d’enquête, si leurs communications ont été interrompues à quelque moment que ce soit, rien ne prouve qu’un « brouillage intentionnel » ou qu’une « guerre électronique » en ait été la cause.

Les responsables des forces armées iraniennes ont suggéré que cette interruption des communications pouvait être attribuable à la saturation ou à la surcharge des systèmes du commandement et contrôle. Soit les communications n’étaient pas reçues parce que les systèmes étaient surchargés (p. ex. en raison de la bande passante insuffisante), soit le commandement et contrôle immédiat de l’opérateur du lance-missile n’arrivait pas à traiter l’information à mesure qu’il la recevait en raison de sa charge de travail trop lourde. Cette possibilité correspond à ce que l’Équipe d’enquête a déterminé. Cependant, cela soulève des préoccupations quant à la capacité insuffisante des systèmes de communication du commandement et contrôle des forces armées de l’Iran. L’Iran a omis d’expliquer si des systèmes de rechange ou d’urgence étaient en place. Quoi qu’il en soit, les événements montrent que si pareils systèmes étaient en place, ils étaient insuffisants, car ils n’ont pas atténué le risque d’erreur d’identification.

Conclusion

Compte tenu de l’ensemble de l’information disponible, l’Équipe d’enquête conclut qu’une série d’actes et d’omissions de la part des autorités civiles et militaires iraniennes ont donné lieu à une situation dangereuse où les risques relevés ont été sous-estimés et n’ont pas été pris au sérieux. Ces actes et omissions ont été relevés dans le cadre de l’élaboration et de l’instauration de plans, de systèmes et de procédures. Ci-dessous figurent les décisions des autorités qui ont créé les circonstances dans lesquelles l’opérateur du lance-missile a pu effectuer des tirs en direction de l’avion affecté au vol PS752 :

  • Les autorités ont lancé une attaque préméditée contre des positions des É.-U. en Irak et elles s’attendaient, comme elles l’ont elles-mêmes admis, à une riposte des É.-U.
  • Elles ont planifié la façon dont elles réagiraient à cette riposte qu’elles prévoyaient que les É.-U. déclenchent.
  • Elles ont placé leur défense aérienne dans l’état d’alerte maximale et ont vraisemblablement délégué à un échelon inférieur le pouvoir d’autoriser des tirs contre des cibles aériennes.
  • Elles ont placé leurs systèmes de défense aérienne sur un pied d’alerte à proximité d’un aéroport international et donné à des effectifs du CGRI la tâche de surveiller un espace aérien où des avions civils s’apprêtaient à décoller et à atterrir.
  • Elles ont évalué grandement à tort que les risques étaient « faibles » que les forces de défense aérienne de l’Iran prennent un avion civil pour une cible hostile.
  • À la suite de cette évaluation et malgré la menace militaire à proximité, elles ont décidé de laisser l’espace aérien ouvert au-dessus de Téhéran : elles n’ont diffusé aucun avis officiel aux aéronefs civils et n’ont pris qu’une seule mesure pour empêcher les erreurs d’identification. Cette mesure s’appliquait au vol PS752, mais elle a échoué en raison des ratés qui allaient suivre sur le plan militaire.

Si la décision de laisser l’espace aérien ouvert a sans doute été prise par les décideurs militaires et civils, les autres décisions ont exclusivement été prises par les forces armées de l’Iran.

L’Équipe d’enquête estime que le compte rendu officiel des événements par l’Iran, particulièrement le rapport final du Bureau d’enquête de l’Iran, ne fait aucunement mention de ces ratés ni du contexte général dans lequel les décisions ont été prises. Par ailleurs, le compte rendu des événements par l’Iran jusqu’à maintenant est tout à fait insuffisant. Même si l’Équipe d’enquête croit qu’une erreur d’identification fait partie des causes de la tragédie, le gouvernement iranien ne peut pas s’attendre à ce que la communauté internationale ignore les autres causes évidentes, directes et systémiques de la tragédie ainsi que les facteurs qui y ont contribué. Dans le présent rapport, l’Équipe d’enquête énonce donc un grand nombre de ces lacunes et indique, lorsque c’est possible, les éléments probants qui sous-tendent ses conclusions.

L’Équipe d’enquête a déterminé que l’Iran n’est pas parvenu à expliquer de façon crédible comment et pourquoi le CGRI avait abattu l’avion qui effectuait le vol PS752. L’Équipe d’enquête n’a trouvé aucune preuve à l’effet de laquelle les tirs de missiles étaient prémédités, mais cela n’exonère nullement l’Iran de sa responsabilité à l’égard de la mort de 176 personnes innocentes. L’Iran est en fin de compte responsable de ses actions et de ses omissions qui ont donné lieu aux tirs de missiles en direction de l’avion. Le rapport du Bureau d’enquête de l’Iran n’explique en rien pourquoi les mesures de prévention élémentaires qui auraient permis d’éviter cette tragédie n’ont pas été prises. L’Iran est responsable d’avoir omis de protéger la vie de ces victimes civiles et d’avoir omis de faire preuve de transparence par la suite. Il doit donc fournir des éléments probants fiables pour établir la crédibilité de son compte rendu et éliminer tout doute quant à l’enchaînement des événements qui ont mené à cette tragédie.

Dans son rapport final, l’Iran indique avoir pris avec le CGRI des mesures pour donner suite aux conclusions de son enquête, mais ces mesures ne sont ni précisées ni corroborées. En effet, l’Iran n’a pas démontré clairement en quoi consistaient ces mesures et n’a pas indiqué non plus les mesures à prendre pour remédier aux nombreux ratés qui ont causé l’écrasement et qui y ont contribué. Son rapport final n’explique donc pas ce qui pourrait permettre d’éviter ce genre de tragédie à l’avenir. Ce qui est le plus troublant, c’est que l’Iran n’indique aucune mesure concrète prise par ses forces armées pour éviter que la cause déclarée de la tragédie, à savoir le tir de missiles en direction d’un avion civil, se reproduise.

Pour la suite des choses, il sera particulièrement important pour les familles des victimes, le Canada et la communauté internationale que l’Iran explique de façon transparente et crédible l’écrasement de l’avion et présente des faits pour corroborer ses affirmations. En l’absence de réponses aux nombreuses questions cruciales qui subsistent, la communauté internationale ne peut pas conclure que les lacunes ont été corrigées. Elle n’a donc d’autre choix que de supposer que les aéronefs civils qui circulent dans l’espace aérien de l’Iran s’exposent encore à des risques, particulièrement alors que l’Iran renforce sa posture de défense en cette période de grandes tensions.

Introduction

Le 8 janvier 2020, le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) de la République islamique d’Iran a abattu l’avion d’Ukraine International Airlines (UIA) qui effectuait le vol PS752 peu après son décollage de l’aéroport international Imam Khomeini (ci-après l’aéroport IK) à Téhéran. Lors de cette tragédie, 176 passagers et membres de l’équipage ont perdu la vie, parmi lesquels se trouvaient 55 Canadiens, 30 résidents permanents et des dizaines d’autres personnes qui étaient en route vers le Canada. On dénombre neuf Ukrainiens parmi l’équipage, et des ressortissants de l’Iran, de l’Ukraine, de la Suède, de l’Afghanistan et du Royaume-Uni étaient également à bord de l’avion.

Depuis l’écrasement, des questions cruciales demeurent sans réponse quant aux circonstances et aux causes de la tragédie. Il manque encore des renseignements et jusqu’à maintenant, le gouvernement de la République islamique de l’Iran (l’Iran) n’a pas donné suite aux demandes du Canada et de ses partenaires étrangers, qui souhaitent obtenir ces renseignements.

Cette analyse des faits porte sur l’ensemble de l’information de toutes sources et dresse le compte rendu non classifié des événements le plus complet possible. Elle énonce ainsi la séquence des événements qui ont mené à la tragédie, les facteurs d’ordre humain et d’ordre organisationnel qui ont vraisemblablement contribué à l’écrasement et corrobore, remet en question ou réfute, selon le cas, les affirmations de l’Iran. Les constatations et conclusions que contient le présent rapport découlent d’une l’analyse complète des comptes rendus produits par le Bureau d’enquête sur les accidents d’aviation de l’Iran (ci-après le Bureau d’enquête de l’Iran) ainsi que des autres renseignements accessibles au public. Ces constatations et conclusions ont été validées grâce à la consultation de renseignements recueillis par le gouvernement du Canada, dont certains sont classifiés.

Les pages qui suivent présentent l’analyse des faits que l’Équipe d’enquête a réalisée au sujet de l’écrasement de l’avion affecté au vol PS752 et se veut le complément du compte rendu de l’honorable Ralph Goodale (Vol PS752 : Le long chemin vers la transparence, la responsabilité et la justice), publié le 15 décembre 2020.

À la suite de l’écrasement, les organismes canadiens d’application de la loi ont reçu des plaintes de la part de membres de la famille des victimes, qui rapportaient être la cible d’actes d’intimidation et de menaces. Dans l’intérêt de la sécurité publique, on a demandé à toutes les victimes potentielles d’actes d’intimidation au Canada de communiquer avec le service de police de leur localité pour que ce dernier prenne les mesures qui s’imposent en cas de risque immédiat pour leur sécurité. Le présent rapport, de concert avec la réponse globale du Canada, se veut la démonstration qu’aucune tentative d’intimidation de l’Iran à l’endroit des familles des victimes ne mettra un terme à la quête de réponses et d’imputabilité du Canada et des autres parties concernées. (Voir l’annexe A pour connaître les détails au sujet de l’enquête de la Gendarmerie royale du Canada.)

Principaux sujets de l’enquête

L’Équipe d’enquête s’est principalement consacrée à évaluer les faits relatifs aux causes immédiates et systémiques de l’écrasement ainsi qu’aux facteurs qui y ont contribué.

L’Annexe 13 à la Convention relative à l’aviation civile internationale (Convention de Chicago) établit les normes à respecter et les pratiques recommandées lors des enquêtes concernant l’aviation internationale. Entre autres, cette annexe prévoit l’obligation de mettre sur pied un organisme d’enquête indépendant distinct des autorités de l’État qui sont responsables de l’aviation et distinct des autres entités qui pourraient s’immiscer dans l’enquête.Note de bas de page 1 Étant donné qu’elle est « l’État d’occurrence », la République islamique d’Iran, par l’intermédiaire de son Bureau d’enquête sur les accidents d’aviation, était la principale entité chargée d’enquêter.Note de bas de page 2 L’Équipe d’enquête est d’avis que le Bureau d’enquête de l’Iran n’a pas l’indépendance nécessaire, puisqu’il est incorporé à l’Organisation de l’aviation civile de l’Iran et au ministère des Routes et du Développement urbain, qui sont représentés par leur ministre. Toutefois, la mesure dans laquelle l’Iran a mené une enquête indépendante et impartiale conformément à l’Annexe 13 ne fait pas l’objet du présent rapport.

Le Bureau de la sécurité des transports (BST) du Canada est l’organisme indépendant du Canada qui a officiellement la responsabilité d’enquêter sur les événements (incidents et accidents) aéronautiques. Conformément à l’Annexe 13 à la Convention de Chicago, le BST n’a aucun pouvoir d’enquête sur les événements qui entourent l’écrasement de l’avion affecté au vol PS752. Le BST avait plutôt le statut d’« expert » durant l’enquête étant donné le grand nombre de victimes canadiennes. Ce statut ne lui a accordé qu’une participation restreinte et lui a permis de recevoir certains renseignements, déterminés par le Bureau d’enquête de l’Iran. En février 2021, le Bureau national des enquêtes sur les accidents aériens de l’Ukraine a nommé un expert du BST assigné à l’enquête sur le vol PS752 à titre de conseiller technique auprès du représentant accrédité par l’Ukraine. Outre cette coopération bilatérale, le BST a examiné de façon indépendante le rapport d’enquête final du Bureau d’enquête de l’Iran et a formulé des commentaires, dans la mesure du possible, sur son degré de précision et d’exhaustivité. Il importe de souligner que le BST n’a fourni à l’Équipe d’enquête aucune information qu’il a obtenue dans le cadre de sa participation à l’enquête menée par le Bureau d’enquête de l’Iran, car les normes établies dans l’Annexe 13 ne l’autorisaient pas à le faire.

Ce rapport de l’Équipe d’enquête n’a pas comme but de présenter une analyse juridique détaillée qui expose si l’Iran a respecté ou enfreint les obligations et normes internationales dans le cadre des événements entourant l’écrasement de l’avion. Ce rapport n’est pas non plus présenté en lien avec des activités judiciaires ni avec des enquêtes criminelles que pourraient entreprendre la Gendarmerie royale du Canada, les autorités de l’Ukraine ou d’autres organismes d’enquête et autorités. Le présent rapport ne vise pas non plus à présenter un avis juridique ni à tirer des conclusions de nature juridique.

Le présent rapport présente un aperçu des tensions croissantes à l’échelle régionale, un examen des affirmations que contient le rapport final du Bureau d’enquête de l’Iran ainsi que les faits et détails essentiels pour comprendre la séquence des événements survenus le 8 janvier 2020 en Iran tels que le Canada les connaît. Finalement, ce rapport analyse les causes de l’écrasement de l’avion et les facteurs qui y ont contribué. De plus, les auteurs examinent les affirmations de l’Iran contenues dans ses divers rapports et déclarations afin de déterminer si elles sont crédibles et complètes, et pour ce faire, ils s’appuient sur l’ensemble de l’information accessible au Canada. Finalement, la conclusion du rapport présente les principales constatations de l’Équipe d’enquête. Il importe de souligner que seul l’Iran a entièrement accès aux preuves, à l’emplacement de l’écrasement, aux témoins et aux ultimes responsables. Il continue donc de lui incomber de présenter un compte rendu complet et crédible des événements.

Dans le présent rapport, toutes les heures indiquées correspondent au temps universel coordonné (TUC) ou sont les heures locales, soit les heures à Téhéran (HT). L’heure de Téhéran est 3 heures et 30 minutes en avance sur le TUC.

L’analyse de l’Équipe d’enquête vise à répondre aux questions suivantes  :

  1. Quels facteurs l’Iran est-il réputé avoir pris en compte au moment de décider de laisser son espace aérien ouvert alors que ses forces armées étaient sur un pied d’alerte?
  2. Existe-t-il de l’information qui indique que l’Iran savait ou aurait dû savoir que ses opérations militaires représentaient un risque élevé pour les aéronefs civils qui décollaient de Téhéran et ceux qui y atterrissaient le 8 janvier 2020 et autour de cette date?
  3. Après avoir pris sa décision, quelles mesures d’atténuation l’Iran a-t-il prises pour protéger les transporteurs civils?
  4. Les tirs en direction de l’avion affecté au vol PS752 constituaient-ils une attaque préméditée ou planifiée?
  5. De quels renseignements dispose-t-on au sujet des actes de l’opérateur du lance-missile surface-air qui l’ont amené à tirer sur l’avion et l’Iran explique-t-il de façon convaincante pourquoi l’opérateur a lancé des missiles en direction de l’avion?
  6. S’agit-il d’un événement isolé ou cela est-il le signe de problèmes systémiques au sein des structures des forces armées de l’Iran? Il s’agissait ici entre autres de déterminer si des preuves démontrent que le commandement et contrôle (C2) du CGRI a commis des actes ou des omissions.
  7. L’Iran a-t-il présenté de l’information qui explique de façon transparente toutes les causes de l’écrasement et tous les facteurs qui y ont contribué? Sinon, quelle est l’information manquante?

Renseignements contextuels

Durant les mois qui ont précédé janvier 2020, les tensions se sont accrues dans la région. En effet, l’Iran et les États-Unis (É.-U.) ont frôlé les hostilités ouvertes à trois occasions :

  • Le 20 juin 2019, l’Iran a abattu un drone Global Hawk des É.-U. et affirmé que le drone avait pénétré dans son espace aérien;
  • Le 14 septembre 2019, de multiples drones ont touché une infrastructure pétrolière de l’Arabie saoudite, un acte que l’Iran a revendiqué pour montrer qu’il avait la capacité de perturber l’approvisionnement en pétrole en réaction à la campagne « de pression maximale » des É.-U.;
  • Le 3 janvier 2020, une frappe de drone des É.-U. près de Bagdad a tué le commandant de la Force Al-Qods du CGRI, le major-général Qassem Soleimani, ainsi que le chef des Forces de mobilisation populaires de l’Irak, Abu Mahdi al-Muhandis.

Riposte de l’Iran

Emplacement des bases aériennes irakiennes d’Al-Assad et d’Erbil frappées par des missiles iraniens le 8 janvier 2020.

Figure 1 : Impacts des missiles tirés par l’Iran en Irak

Durant les heures qui ont précédé le décollage de l’avion affecté au vol PS752 à l’aéroport IK, les tensions entre l’Iran et les É.-U. se sont de nouveau accrues. À approximativement 02:00 HT le 8 janvier 2020, à titre de riposte à la suite de la mort du major-général Soleimani, l’Iran a tiré quelque 22 missiles balistiques en direction de deux bases aériennes en Irak qu’utilisaient les forces des É.-U. et de la Coalition. L’une des bases aériennes ciblées se trouvait à Irbil, où des militaires canadiens étaient présents, et l’autre était la base aérienne al-Asad, à l’ouest de Bagdad.Note de bas de page 3

Les renseignements disponibles sur la durée de cette attaque sont contradictoires. L’Iran a affirmé qu’elle s’est terminée approximativement cinq minutes après avoir débuté à 02:05 HT le 8 janvier 2020Note de bas de page 4 (22:35 TUC le 7 janvier 2020), alors que des sources des É.-U. rapportent que cette attaque a duré environ deux heures.Note de bas de page 5 Peu importe la durée de cette attaque, il s’agissait des premiers tirs de missiles balistiques contre des forces des É.-U. au Moyen-Orient depuis la guerre du golfe Persique en 1990. Étant donné qu’il s’attendait à une riposte de la part des É.-U., l’Iran avait déplacé temporairement des lance-missile sol-air mobiles dans Téhéran.Note de bas de page 6

Forces armées iraniennes en état d’alerte élevée

À titre de commandant en chef des forces armées et de guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei avait le pouvoir d’approuver les opérations militaires et l’a fait, en janvier 2020, par l’entremise du Conseil suprême de la sécurité nationale (ci-après le Conseil suprême). Le Conseil suprême alerte les dirigeants des forces armées, qui à leur tour transmettent les ordres par l’intermédiaire de la chaîne de commandement de la Force régulière (Artesh) ou du CGRI (voir l’annexe B pour consulter les renseignements détaillés sur la structure des forces armées et la planification de la défense de l’Iran). Le CGRI a la mission de protéger le régime et son système de gouvernement islamique contre toutes les menaces étrangères et intérieures et il demeure la principale entité qui influence et met en œuvre la politique sur la sécurité de l’Iran.Note de bas de page 7 Le ministère des Routes et du Développement urbain de l’Iran, une autorité civile, est responsable de l’Organisation de l’aviation civile de l’Iran, qui surveille les aéroports et les transporteurs aériens.

En prévision d’une éventuelle riposte militaire de la part des É.-U., l’Iran avait placé son système de défense aérienne en état d’alerte élevée et déployé des lance-missile dans les environs de l’aéroport IK, à Téhéran. Le commandant de la force aérienne du CGRI, le brigadier-général Amir Ali Hajizadeh, l’a confirmé lorsqu’il a indiqué que dans la nuit du 7 au 8 janvier 2020, les forces du CGRI étaient en état d’alerte maximale et des lance-missile avaient été déplacés « … en prévision d’une guerre ».Note de bas de page 8 Le rapport final du Bureau d’enquête de l’Iran indique également que les forces armées de l’Iran étaient sur un pied d’alerte immédiatement après avoir procédé aux tirs de missiles.Note de bas de page 9 Malgré l’ampleur des tensions, la seule mesure que les forces armées de l’Iran ont prise pour protéger l’aviation civile à Téhéran a été d’accroître leur contrôle aux procédures concernant les vols civils en procédant à l’autorisation de ces vols.Note de bas de page 10

L’avion affecté au vol PS752 a quitté l’aéroport Imam Khomeini à Téhéran un peu plus de quatre heures après que l’Iran a procédé à des tirs de missiles en Irak.

Puisque l’Iran s’attendait à une riposte de la part des É.-U., les règles d’engagement de sa force de défense aérienne autorisaient probablement la délégation de pouvoirs.Note de bas de page 11 Lorsque de grandes menaces planent, la plupart des forces armées délèguent l’approbation des attaques contre des cibles hostiles à des échelons inférieurs. L’Iran a toutefois indiqué que le pouvoir d’autoriser les tirs des missiles n’avait jamais été délégué à l’opérateur du lance-missile. De fait, le rapport final de l’Iran indique que la procédure du CGRI obligeait l’opérateur accusé d’avoir tiré les missiles en direction de l’avion à communiquer avec un centre de coordination pour vérifier l’identification des cibles et obtenir l’autorisation (l’ordre) de procéder aux tirs.Note de bas de page 12

Gestion de l’espace aérien et diffusion internationale d’avis aux navigants

Selon le rapport final de l’Iran, trois mesures ont été prises pour atténuer les risques que faisait peser sur l’aviation civile l’état d’alerte élevé des forces armées le 8 janvier 2020 et le positionnement ou repositionnement de systèmes mobiles de défense aérienne. Toutefois, seule la troisième mesure concernait directement l’avion effectuant le vol PS752 et ses opérations prévues :

  • Évacuation de quatre voies aériennes parallèles dans l’ouest du pays;
  • Interdiction de circulation entre la région d’information de vol de Téhéran et celle de Bagdad;
  • Coordination avec le secteur de la défense aérienne avant d’autoriser le démarrage des avions s’apprêtant à décoller.Note de bas de page 13

L’Iran a décidé de laisser la majorité de son espace aérien ouvert à l’aviation civile, mais n’a pas communiqué le niveau de risque accru aux transporteurs et aux pilotes empruntant son espace aérien dans la nuit et le début de matinée du 7 et du 8 janvier 2020. L’Équipe d’enquête estime que cette omission contrevient aux normes internationales, qui exigent la diffusion d’avertissements lorsqu’il existe des risques pour l’aviation civile.

En aucun temps l’Iran n’a envoyé d’avis aux navigants (NOTAM, de l’anglais notice to airmen) ni de circulaire d’information aéronautique aux transporteurs aériens dans la région de Téhéran. Les États utilisent pourtant couramment les NOTAM et les circulaires d’information aéronautique pour communiquer de l’information sur la sécurité de leur espace aérien. Compte tenu du danger qui prévalait en Iran, des NOTAM devaient être diffusés pour informer les aéronefs civils des manœuvres militaires en cours. Les NOTAM A0086/20 (interdiction de circulation entre l’Iran et l’Irak) et A0087/20 (évacuation de quatre voies aériennes parallèles) dont il est question dans le rapport final de l’Iran ne sont pas pertinents, car ils n’ont été diffusés qu’à 09:19 HT et à 10:23 HT le 8 janvier 2020, soit plusieurs heures après la tragédie. En fait, malgré les mesures d’atténuation que l’Iran affirme avoir prises, hormis les quatre voies aériennes dans l’ouest, la majeure partie de son espace aérien est demeuré ouvert aux aéronefs civils à destination ou en partance des aéroports iraniens ainsi qu’aux aéronefs qui survolaient le pays sans y faire escale. (L’Annexe C contient d’autres renseignements sur les exigences internationales et les NOTAM.)

C’est durant cette période où les risques étaient élevés et où les forces armées iraniennes étaient sur un pied d’alerte que l’avion du vol 752 d’UIA a décollé de l’aéroport IK le 8 janvier 2020 à 02:42 TUC (06:12 HT) pour se diriger vers le nord-ouest en direction de Parand, en Iran. (L’Annexe D contient d’autres renseignements sur l’avion.)

Les faits : qu’est-il arrivé le 8 janvier 2020? - L’écrasement

Circulation aérienne au-dessus de Téhéran le 8 janvier 2020

La circulation aérienne du 8 janvier 2020 au-dessus de la région d’information de vol de Téhéran et de l’aéroport IK était normale. Avant le départ de l’appareil du vol PS752, 21 avions en partance d’Europe (notamment de Kyiv et Londres), d’Asie (notamment de Shanghaï et Delhi) et du Moyen-Orient (notamment de Nadjaf et Doha) ont atterri à l’aéroport IK le matin du 8 janvier. Le dernier était le vol W570 de Mahan Air depuis Delhi à Téhéran, qui a atterri à 05:37 HT. (La liste complète des arrivées et des départs se trouve à l’Annexe E.)

Neuf appareils ont décollé de l’aéroport IK le 8 janvier avant celui du vol PS752 : le premier a été l’avion effectuant le vol 9006 d’Azerbaijan Airlines à destination de Bakou, en Azerbaïdjan, à 01:37 HT, et le dernier a été celui du vol 8408 de Qatar Airways à 05:39 HT. L’Équipe d’enquête a confirmé que le vol 899 à destination d’Istanbul, en Turquie, de Turkish Airlines et deux vols en direction de Nadjaf, en Irak – les vols 5042 et 5062 de Mahan Airlines – dont le départ était prévu avant celui du vol PS752, ont été annulés. Bien que l’Équipe d’enquête n’ait pas pu cerner de façon définitive la raison de ces annulations, celle du vol de Turkish Airlines est probablement attribuable à la fermeture de l’aéroport d’Istanbul survenue précédemment. Et les vols à destination de Nadjaf, en Irak, ont probablement été annulés en raison de la fermeture, à partir de 05:15 HT environ le 8 janvier 2020, de l’espace aérien de l’Iran le long de sa frontière avec l’Irak.Note de bas de page 14

Comme le confirme le rapport final de l’Iran, tous les systèmes de bord de l’avion fonctionnaient normalement, et celui-ci suivait son itinéraire. Selon les indications, le décollage, l’ascension vers le nord-ouest, la vitesse, l’altitude et la trajectoire étaient tous normaux. Le cap de décollage de l’appareil était habituel et semblable aux trajectoires de vol suivies par les avions d’UIA pendant des mois avant la tragédie. De plus, la trajectoire était semblable à celle d’avions d’autres transporteurs qui avaient décollé de l’aéroport IK ce matin-là.Note de bas de page 15

Rien d’indique que l’équipage ait fait quoi que ce soit d’inhabituel durant le décollage et l’ascension. Selon le rapport final de l’Iran, le vol a été retardé en raison du déchargement de bagages excédentaires,Note de bas de page 16 ce qu’a confirmé UIA.Note de bas de page 17 Il est fréquent que la présence d’un excédent de bagages cause des retards dans l’aviation commerciale, et l’Équipe d’enquête n’a trouvé aucune information laissant croire que ce retard est lié à la tragédie.

L’Équipe d’enquête a confirmé auprès des autorités ukrainiennes que deux détenteurs de billets ne sont pas montés à bord. L’un d’eux ne s’est pas rendu à l’aéroport, l’autre ne s’est pas enregistré pour des raisons personnelles. L’Équipe d’enquête n’a trouvé aucune information corroborant l’affirmation selon laquelle deux autres personnes ont manqué l’avion. On a affirmé que d’autres personnes ont été avisées de ne pas monter à bord en raison d’une intention d’abattre l’avion, mais l’Équipe d’enquête n’a pas trouvé de renseignements pouvant soutenir cette affirmation ni de renseignements selon lesquels des passagers auraient été avisés de descendre de l’appareil avant son départ. L’Équipe d’enquête a conclu que les faits liés à l’absence des deux passagers ne sont pas pertinents au regard de l’écrasement de l’avion.

Sur la foi des renseignements qui précèdent, tout était normal dans les opérations de l’avion du vol 752 d’UIA et des autres transporteurs dont des appareils devaient atterrir à l’aéroport IK ou en décoller le 8 janvier 2020. Une chronologie détaillée des événements liés au vol PS752 et à son écrasement suit. L’Équipe d’enquête n’a trouvé aucune information permettant de mettre en doute les heures indiquées dans cette chronologie qui sont tirées des rapports officiels iraniens.

Chronologie détaillée des événements du 8 janvier 2020

00:01 HT (approximativement)

Le lance-missile arrive à son emplacement à l’ouest de Téhéran vers minuit le 8 janvier 2020 selon les déclarations que le brigadier-général Hajizadeh du CGRI a faites le 11 janvier 2020.Note de bas de page 18

02:00 HT (approximativement)

L’Iran lance des missiles balistiques vers deux bases irakiennes accueillant des troupes américaines.Note de bas de page 19

03:40 HT

La Federal Aviation Administration (États-Unis) diffuse un NOTAM qui interdit aux transporteurs américains de circuler dans la région d’information de vol de Téhéran en raison « d’activités militaires et de tensions politiques en hausse au MoyenOrient, ce qui cause des risques non intentionnels pour l’aviation civile américaine étant donné le risque d’erreur de calcul et d’identification »Note de bas de page 20 [traduction libre]. Ce NOTAM concerne uniquement les transporteurs aériens des États-Unis, et UIA ne figure pas dans la liste de distribution.

04:00 HT (approximativement)

Les forces armées iraniennes se chargent elles-mêmes d’autoriser le démarrage des avions civils devant décoller de l’aéroport IK.Note de bas de page 21

05:00 HT

L’avion effectuant le vol QR491 de Qatar Airways Flight décolle de l’aéroport IK.

05:07 HT

L’avion effectuant le vol TK874 de Turkish Airlines décolle de l’aéroport d’IK.

05:17 HT

L’avion effectuant le vol KK1185 d’Atlas Global décolle de l’aéroport d’IK.

05:39 HT

L’avion effectuant le vol QR8408 de Qatar Airways décolle de l’aéroport d’IK.

05:51 HT

L’avion demande au contrôle de la circulation aérienne de l’aéroport IK l’autorisation de mettre les moteurs en marche.Note de bas de page 22

05:52 HT

Le contrôle de la circulation aérienne transmet l’autorisation au centre de coordination des opérations aériennes de Téhéran des forces armées.Note de bas de page 23

05:54 HT

La demande d’autorisation est transmise au centre de coordination des opérations civilomilitaire.Note de bas de page 24

05:55 HT

Le démarrage et le refoulement de l’appareil sont autorisés.Note de bas de page 25

05:56:18 HT

Le démarrage des moteurs étant effectué, l’enregistreur de conversations de poste de pilotage se met en marche.Note de bas de page 26

06:10:20 HT

L’avion reçoit l’autorisation de décoller du contrôle de la circulation aérienne de l’aéroport IK.Note de bas de page 27

06:12 HT

Après avoir obtenu l’autorisation de décoller des autorités civiles et militaires, l’avion décolle avec 167 passagers et 9 membres d’équipage.Note de bas de page 28 UIA confirme que le départ a été reporté afin que les bagages empêchant l’avion de respecter la masse maximale au décollage de 72 500 kg soient déchargés.Note de bas de page 29

06:13:56 HT

L’opérateur d’un lance-missile sol-air iranien confond l’avion de passagers qui s’envole de l’est vers l’ouest avec un missile de croisièreNote de bas de page 30 lancé de l’ouest vers l’est.

Compte rendu des faits du 11 juillet 2020 du Bureau d’enquête de l’Iran : « L’opérateur du lance-missile a analysé l’information observable et déterminé que la cible détectée constituait une menace »Note de bas de page 31 [traduction libre].

06:14:19 HT

Rapport final de l’Iran : « …l’opérateur a décrit les caractéristiques de la cible détectée au centre de coordination pertinent au moyen du réseau de communication. Le message n’a pas été relayé au centre. En fait, il n’avait pas été consigné dans les messages enregistrés du centre de coordination »Note de bas de page 32 [traduction libre]. L’Équipe d’enquête n’a pas pu confirmer que cette supposée communication avait réellement eu lieu.

06:14:39 HT

Rapport final de l’Iran : « Sans recevoir de réponse (d’ordre) de la part du centre de coordination, l’opérateur a conclu que la cible observée constituait une menace et a lancé un missile en sa direction à 06:14:39 HT »Note de bas de page 33 [traduction libre].

06:14:56 HT

Rapport final de l’Iran, renvoyant à la lecture de l’enregistreur de conversations de poste de pilotage : « Un bruit fort, mais bref, semblable à une détonation, est enregistré »Note de bas de page 34 [traduction libre]. Ce bruit correspond à l’arrêt de l’enregistreur de données de vol.Note de bas de page 35

Rapport final de l’Iran, faisant état des renseignements suivants obtenus de l’enregistreur : « L’équipage a réalisé la présence de conditions inhabituelles après le bruit entendu. Il a alors entrepris de poser les gestes nécessaires pour maîtriser la situation et le comportement de l’appareil. »Note de bas de page 36

06:15:09 HT

Un deuxième missile est dirigé vers l’avion.Note de bas de page 37

06:15:15 HT

L’enregistreur de conversation de poste de pilotage s’arrête 19 secondes après l’enregistreur de données de vol.Note de bas de page 38

06:15:22 HT

Selon le rapport final de l’Iran, la dernière communication entre le deuxième missile et le système de défense est enregistrée à proximité de la trajectoire de l’avion. Le système reçoit un message selon lequel la cible a été manquée, et l’avion disparaît du verrouillage radar après quelque temps.Note de bas de page 39

06:16:11 HT

Un feu prend naissance dans l’avion et gagne en intensité.Note de bas de page 40

06:18:23 HT

L’avion s’écrase au sol et explose à Khalajabad, près de Shahriar, au sud-ouest de Téhéran.Note de bas de page 41 Tous les passagers et membres d’équipage périssent.Note de bas de page 42

07:49 HT

Les vols sont interrompus pendant un certain temps après l’écrasement. Ils reprennent avec l’envol d’un Airbus A330 d’Iran Air assurant le vol IR 721 à destination de Francfort, en Allemagne.

Pilote du transporteur iranien Aseman Airlines

Des témoignages crédibles de l’écrasement ont été recueillis et publiés sur Internet. Le 1er février 2020, une émission hebdomadaire de la télévision ukrainienne (TSN.Tyzhden)Note de bas de page 43 a rendu publique la transcription d’un échange survenu au moment de l’écrasement entre la tour de l’aéroport Imam Khomeini et un pilote à bord d’un l’avion du transporteur iranien Aseman Airlines sur le point d’atterrir après avoir effectué le vol EP3768 de Chiraz à Téhéran.Note de bas de page 44 Dans l’échange, le pilote dit avoir vu les missiles en vol. Le contrôleur de la circulation aérienne manifeste de la surprise et tente activement d’obtenir plus de renseignements du pilote.

La transcription de cette conversation figure dans le rapport final de l’Iran, mais n’est pas reproduite ici.Note de bas de page 45 En plus présenter le témoignage d’une personne ayant vu l’écrasement, elle porte à croire qu’aucune information selon laquelle l’avion serait pris pour cible par les forces armées iraniennes n’avait été communiquée au contrôle civil de la circulation aérienne. Après avoir été informé de la situation, celui-ci a, dans un énervement croissant, tenté de reprendre contact avec l’avion du vol PS752. Pour sa part, l’avion effectuant le vol EP3768 a atterri sans incident à 06:31 HT. Le rapport final de l’Iran ne dit rien du fait que ce témoignage en direct était immédiatement et facilement accessible aux autorités civiles, y compris l’Organisation de l’aviation civile iranienne, une accessibilité qui rend les dénégations faites par l’Iran durant les trois jours suivant l’écrasement d’autant plus déconcertantes.

Information publiée en ligne

Avant même que l’Iran admette sa culpabilité, des témoignages, des vidéos et des analyses crédibles diffusés dans l’espace public laissent peu de doute sur le fait que deux missiles sol-air avaient été lancés à Téhéran le matin du 8 janvier.Note de bas de page 46

Bellingcat, un regroupement international de chercheurs, d’enquêteurs et de citoyens journalistes, a mené la première enquête issue de sources ouvertes sur l’écrasement. Examinant la première vidéo non corroborée de l’incident publiée sur Telegram,Note de bas de page 47 Bellingcat a utilisé la géolocalisation et l’imagerie par satellite pour situer l’impact à Parand. Au même moment, ses renseignements ont été corroborés par d’autres renseignements en libre accès, notamment dans une analyse de données de l’itinéraire de vol et de vidéos obtenues par The New York Times.

Le 9 janvier 2020, The New York Times a publié une vidéo (affichée sur le site Web de Global News le 14 janvier 2020) d’un résident montrant l’explosion d’un missile dans le ciel. On y voit la déflagration d’un petit objet (le missile) près d’un second objet (l’avion du vol PS752), puis une explosion.Note de bas de page 48 Le même jour, le journal a mis en ligne d’autres vidéos sur l’écrasement de l’avion au sol qu’il avait authentifiées et une vidéo de personnes marchant sur le site de l’écrasement.Note de bas de page 49

Le 14 janvier 2020, The New York Times a publié une vidéo provenant d’une caméra de sécurité située sur le toit d’un immeuble, près du village de Bidkaneh.Note de bas de page 50 Cette vidéo a montré le parcours complet des deux missiles lancés à 30 secondes d’intervalle, puis un objet en feu (l’avion) se dirigeant vers le sol. Elle confirme que l’appareil semble avoir fait demitour pour revenir à l’aéroport, mais qu’il s’est écrasé avant d’arriver. The New York Times a aussi publié une vidéo provenant d’une caméra de sécurité située dans un deuxième stationnement montrant le lancement du deuxième missile de même que des images d’une troisième caméra de sécurité montrant les éclats lumineux causés par l’impact de l’avion au sol.Note de bas de page 51 Ces vidéos ont aussi été utilisées par d’autres médias, notamment Global News,Note de bas de page 52 de qui nous avons obtenu les images suivantes.

Ciel noir au-dessus d’un site de construction, immeubles et sources de lumière à distance. Un rond de lumière vive dans le ciel noir, avec une traînée de lumière à sa suite. Il s’agit du premier missile qui a été lancé sur le vol PS752.

Figure 2 : Global News – Caméra de stationnement montrant le lancement du premier missile

Ciel noir au-dessus d’un site de construction, immeubles et sources de lumière à distance. Un rond de lumière vive dans le ciel noir, avec une traînée de lumière à sa suite. Il s’agit du deuxième missile qui a été lancé sur le vol PS752. On aperçoit aussi un peu de lumière provenant du PS752, dans la trajectoire du missile.

Figure 3 : Global News – Caméra de stationnement montrant le lancement du deuxième missile

Ciel noir au-dessus d’un site de construction, immeubles et sources de lumière à distance. Boule de lumière vive dans le ciel – PS752 en feu après l’explosion du missile.

Figure 4 : Global News – Caméra de stationnement montrant l’avion en feu

Capture d’écran de la vidéo d’une caméra de sécurité au sol du moment où le PS752 s’est écrasé et a explosé. L’image est dominée par le feu, dans lequel on aperçoit des débris.

Figure 5 : The New York Times – Impact de l’avion au moment de l’écrasement, filmé par une caméra de sécurité au sol

D’autres images authentifiées et publiées par The New York Times ont montré le site de l’écrasement et des secouristes effectuant des recherches parmi les débris répandus dans un rayon de 1500 pieds autour d’un petit parc, d’un verger et d’un terrain de soccer. L’Équipe d’enquête n’a aucune raison de douter de l’authenticité des vidéos mises en référence. Celle de Global News a été particulièrement utile, car elle a montré, dans une séquence ininterrompue, les deux missiles lancés à 30 secondes d’intervalle environ, puis l’avion suivant une trajectoire descendante. Les moments des lancements des missiles sont en adéquation avec les admissions faites par l’Iran dans ses rapports officiels.

Site de l’écrasement

Débris d’avion dispersés dans un champ. Un grand nombre de personnes se déplacent parmi les décombres. Un terrain de soccer partiellement détruit occupe la partie supérieure, et un bulldozer est à l’œuvre.

Figure 6 : Recherches sur le site de l’écrasement – AP Photo/Ebrahim Noroozi par l’entremise de CBC News, 8 janvier 2020.Note de bas de page 56

Les personnes ayant vu le site de l’écrasement ont rapporté la présence d’un grand nombre de secouristes et de militaires en uniforme de même que de personnes sans uniforme. Des représentants des médias et des citoyens ordinaires, qui ont publié des photos dans les réseaux sociaux, ont remarqué que plusieurs bulldozers étaient sur les lieux. Les médias iraniens ont publié de nombreuses photos d’enlèvement de morceaux d’avion, de pillage et de passage au bulldozer survenus dans les heures suivant la tragédie.Note de bas de page 53 Certaines des images originales publiées en ligne sont maintenant disparues. Selon les journalistes étrangers arrivés sur le site le matin du 10 janvier 2020, la plupart des morceaux de l’avion avaient été enlevés, et rien n’indiquait que les organes de sécurité iraniens avaient interdit l’accès aux lieux.Note de bas de page 54 L’enlèvement rapide des débris correspond aux photos qui ont été prises du site de l’écrasement par de multiples sources.

Le fait que l’Iran n’ait pas protégé le site de l’écrasement soulève beaucoup de questions et de préoccupations. L’enlèvement rapide des débris et des signes de perturbation a empêché les représentants accrédités de bien examiner le site et l’épave sur les lieux de l’écrasement.Note de bas de page 55

Morceau froissé de l’aile du PS752 entouré de débris dans un champ. En arrière-plan, le soleil se couche.

Figure 7 : Agence de presse des étudiants iraniens, par l’entremise de Tom Podolec Aviation (Twitter) – Débris d’avion

Deux hommes sont devant un bulldozer. La pelle de celui-ci est remplie de pièces de métal et de débris du PS752. L’homme à gauche, le bras droit levé, semble dire à l’opérateur de l’appareil de partir.

Figure 8 : Zuma/Alamy, par l’entremise de The Guardian – Bulldozer récupérant des morceaux de l’avion sur le site de l’écrasement, 9 janvier 2020Note de bas de page 57

Débris de missile

Dans les heures qui ont suivi l’incident, des Iraniens ont pris des photos de débris de missile. Certaines sont reproduites dans le présent document. Il a été établi que les photos montrant le site de l’écrasement le 8 janvier 2020 ont été prises près de Khalajabad, au sud-ouest de Téhéran.

Il n’a pas été possible de vérifier de manière indépendante l’origine des photos du débris de missile, car leurs auteurs et les personnes qui les ont mises en ligne ne se sont pas manifestés publiquement. Selon Bellingcat, le débris gisait probablement dans un quartier résidentiel près de Parand,Note de bas de page 58 à plus de 40 km du site principal de l’écrasement, lequel se trouve près de Khalajabad.

Des comparaisons visuelles entre le débris de missile et les plans de conception connus du missile SA15 révèlent une correspondance marquée et donc l’authenticité probable du débris. Le rapport final de l’Iran confirme que le système antiaérien qui a abattu l’avion était un SA15 Gauntlet (aussi appelé Tor M1).Note de bas de page 59

Après examen de toutes les données vidéo, géographiques et photographiques disponibles, l’Équipe d’enquête, d’examen et d’évaluation du Canada évalue que l’avion effectuant le vol 752 d’Ukraine International Airlines a été abattu par au moins un missile sol-air tiré d’un système de défense aérienne SA-15 iranien. L’étendue des dommages causés par le second missile n’a pu être confirmée.

Comparaison entre les débris d’un missile trouvés dans un quartier résidentiel des environs de Parand et la conception connue du missile SA-15. Intact, le nez vert et noir de l’engin gît dans un fossé rempli d’herbe morte et de pierres. Sa partie postérieure semble brûlée. Un missile complet de coloration et de conception semblables est montré à titre de comparaison.

Figure 9 : T-Intelligence. Photos non vérifiées d’un débris de missile probablement tiré sur l’avion

Missile Tor M-1/2 2M330 intact

Figure 10 : Weapons Systems.net : Missile Tor M-1/2 9M330 intact

Compte rendu des événements par l’Iran

Réaction initiale

La réaction initiale de l’Iran a semblé manquer de coordination, différentes déclarations publiques étant faites par des fonctionnaires et des ministres. Les déclarations initiales ont été les suivantes :

  • Ali Abedzadeh, chef de l’Organisation de l’aviation civile iranienne, a indiqué à l’agence de presse semi-officielle de l’Iran (Mehr News Agency) que le pilote de l’avion n’avait pas communiqué avec la tour de contrôle de l’aéroport pour signaler quelque problème que ce soit. Il a ajouté que les « boîtes noires » – l’enregistreur de conversation de poste de pilotage et l’enregistreur de données de vol – avaient été retrouvées, mais qu’elles ne seraient pas remises à Boeing ou aux Américains.Note de bas de page 60
  • Un porte-parole du ministère des Routes et du Développement urbain de l’Iran a déclaré le 8 janvier 2020 qu’un feu ayant pris naissance dans un moteur s’était propagé à l’ensemble de l’appareil et que le pilote avait perdu la maîtrise de celui-ci.Note de bas de page 61
  • Une autre agence de presse semi-officielle iranienne, l’Agence de presse des étudiants iraniens, a annoncé le 8 janvier 2020 que l’avion s’était écrasé en raison de difficultés techniques.Note de bas de page 62
  • Dans une démarche distincte de la précédente, l’Organisation de prévention et de gestion des catastrophes de l’Iran a elle aussi déclaré que selon les premières évaluations, l’écrasement résultait d’un problème technique.Note de bas de page 63
  • Le directeur du Centre de communication et d’information du ministère iranien des Routes et du Développement urbain, Qasem Biniaz, a déclaré le 8 janvier 2020 « qu’il semble qu’un feu ait pris naissance dans un moteur. Le pilote a alors perdu la maîtrise de l’appareil et celui-ci s’était écrasé au sol. »Note de bas de page 64 [traduction libre] Il a nié les rumeurs selon lesquelles l’avion avait été frappé par un missile.
  • Le 8 janvier 2020, le brigadier-général Abolfazl Shekarchi, porte-parole des forces armées iraniennes, a rejeté les affirmations des médias occidentaux selon lesquelles un missile avait atteint l’avion ukrainien.Note de bas de page 65 Assimilant ces affirmations à la « guerre psychologique » des Américains, Shekarchi les a qualifiées de « ridicules ».
  • Le 9 janvier 2020, de nombreux autres représentants iraniens ont déclaré à des organes de presse étatiques (Fars News et Iran News Network) que les allégations d’une attaque par missile relevaient de la « guerre psychologique » contre l’Iran. Par exemple, Ali Abedzadeh, chef de l’Organisation de l’aviation civile iranienne, a déclaré à la presse que « ce qui est évident pour nous et que nous pouvons affirmer, c’est que l’avion n’a été frappé par aucun missile. »Note de bas de page 66 [traduction libre]
  • Dans les heures précédent l’admission par l’Iran de sa culpabilité le 10 janvier 2020, Ali Abedzadeh a dit dans une conférence de presse télévisée qu’il était « certain qu’aucun missile n’avait frappé l’appareil » et que celui-ci n’avait pas été abattu. « Si les gouvernements occidentaux sont persuadés du contraire, qu’ils montrent des éléments de preuve fondés scientifiquement et techniquement s’ils en ont le courage. »Note de bas de page 67 [traductions libres]

Admission de responsabilité

Dans la soirée du 10 janvier 2020 à Téhéran, l’Iran, devant les faits irréfutables présentés par le Canada, a publiquement admis que ses forces armées avaient abattu l’avion par suite d’une « erreur humaine ». Cette admission est survenue après trois jours de réfutations fermes.

  • Le président Hassan Rouhani a alors déclaré sur Twitter que « l’enquête interne des forces armées a permis d’en arriver à la regrettable conclusion que des missiles tirés en raison d’une erreur humaine sont à l’origine de l’écrasement de l’avion ukrainien et de la mort de 176 personnes innocentes. Les enquêtes visant à éclaircir les faits entourant cette terrible tragédie et intenter des poursuites relativement à cette erreur impardonnable se poursuivent. #PS752. »Note de bas de page 68 [traduction libre]
  • Le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, également sur Twitter le 10 janvier 2020 : « Journée sombre. Conclusions préliminaires de l’enquête interne des forces armées : une erreur humaine commise dans un moment de crise causé par l’aventurisme américain est à l’origine de la catastrophe. » Note de bas de page 69 [traduction libre]
  • Le 11 janvier 2020, le brigadier-général Amir Ali Hajizadeh, commandant de la Division aérospatiale du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), a déclaré dans une conférence de presse télévisée que « …le soldat a confondu l’avion avec un missile de croisière. Il a eu 10 secondes pour décider de tirer ou non, et a pris la mauvaise décision. »Note de bas de page 70 « Malheureusement, a-t-il ajouté, à cause de la décision prise à la hâte par une seule personne, cette grande tragédie est survenue. »Note de bas de page 71 Un contexte de guerre prévalait le matin du 8 janvier 2020, a dit Hajizadeh. D’autres systèmes de défense avaient été déployés dans la région de Téhéran, notamment le système de défense aérienne en cause, qui est arrivé à son poste (Bidkaneh), à l’ouest de la capitale, vers minuit.Note de bas de page 72 Selon Hajizadeh, le système iranien de défense aérienne intégrée a, à plusieurs reprises, détecté des missiles de croisière en approche et en a appelé à la vigilance de toutes les unités. Il a admis que « les systèmes étaient en état d’alerte maximale, et qu’il ne restait qu’à appuyer sur le bouton pour faire feu. »Note de bas de page 73 Il a aussi dit que lorsque l’opérateur du système de défense aérienne de Bidkaneh a tenté de communiquer avec son superviseur, le système de communications a défailli… « En raison d’une congestion dans le réseau ou d’un brouillage intentionnel, il a été incapable d’établir la communication », a dit le brigadier-général.Note de bas de page 74
  • Le 14 janvier 2020, le président Hassan Rouhani a déclaré qu’un tribunal spécial examinerait l’incident et a promis que son gouvernement mettrait tout en œuvre pour mener cette affaire à terme.Note de bas de page 75

L’Iran a d’abord déclaré que six Iraniens avaient été accusés de diverses infractions.Note de bas de page 76 Le 20 juin 2020, il a fait part des arrestations, ajoutant que trois accusés avaient été libérés sous caution alors que les trois autres demeuraient en détention.Note de bas de page 77 Plus récemment, les médias ont rapporté que dix responsables avaient été formellement accusés,Note de bas de page 78 citant comme suit le procureur militaire iranien Gholam Abbas Torki : « Le processus judiciaire entourant l’affaire de l’avion ukrainien a été lancé, et une enquête sérieuse et minutieuse a été menée. Des accusations formelles ont été portées contre dix personnes fautives.Note de bas de page 79 [traduction libre] Aucune information n’a été donnée sur l’identité de ces personnes, sur leurs actions ou sur leur degré de responsabilité. L’Iran n’a rien dit de la preuve qu’elle possède contre les accusés, de la défense de ceux-ci et du processus judiciaire par lequel leur culpabilité ou leur innocence sera déterminée.

Enquête effectuée par l’Iran en application de la Convention de Chicago

L’Iran étant l’État d’occurrence de l’accident, c’est le Bureau d’enquête de l’Organisation de l’aviation civile de ce pays qui a mené l’enquête prévue à l’article 26 de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Convention de Chicago) et à son Annexe 13. L’enquête, qui devait respecter les normes et les pratiques recommandées de l’Organisation de l’aviation civile internationale, visait à déterminer les causes de la tragédie et les facteurs qui y ont contribué, et à produire des recommandations permettant d’éviter que des événements semblables ne se reproduisent. Les enquêtes prévues à l’Annexe 13 n’ont pas pour but d’attribuer un blâme ou une responsabilité.

Le Bureau d’enquête a publié cinq rapports, dont le plus récent est le rapport final publié le 15 mars 2021 et rendu public le 17 mars 2021. Malgré ses nombreuses lacunes sur le plan de la sûreté de l’aviation, le rapport final du Bureau d’enquête est le plus récent et le plus complet compte rendu fait par l’Iran de la séquence des événements et des facteurs ayant entraîné l’écrasement.

Dans son rapport final, le Bureau d’enquête reconnaît que l’écrasement a été causé par les dommages subis par l’appareil à la suite de l’explosion du premier des deux missiles tirés par le lance-missile sol-air.Note de bas de page 80 Il conclut également que les mesures d’atténuation (qui visaient à protéger les avions civils des menaces posées par les forces de défense iraniennes) n’ont pas permis de prévenir l’écrasement, le lance-missile ayant commis « des erreurs imprévues dans la détermination des menaces »Note de bas de page 81 [traduction libre]. Selon le rapport, l’erreur consistant à prendre l’avion pour une cible hostile et le tir de missiles sur celui-ci ont découlé de la séquence d’événements suivant :Note de bas de page 82

  1. L’alignement du lance-missile sur le nord a été décalé de 105 degrésNote de bas de page 83 en raison d’une erreur humaine. Par conséquent, l’opérateur observait la direction de la cible à partir de données inexactes;
  2. La communication entre le lance-missile et le centre de coordination a été rompue;
  3. L’opérateur a mal identifié l’avion pour une cible hostile;
  4. L’opérateur a tiré sur l’avion sans approbation, contrevenant à la procédure de lancement de missile établie par le commandement des forces armées.

Il est vrai que le transporteur aérien doit évaluer lui-même les risques, mais le rapport final de l’Iran jette excessivement le blâme sur UIA en laissant entendre que le transporteur aurait dû s’informer des événements qui survenaient dans la région au moyen des médias sociaux et prendre des mesures pour assurer la sécurité du vol. Le rapport concède toutefois qu’aucun des transporteurs qui offraient des vols en partance l’aéroport IK la journée de la tragédie n’a imposé de restriction à ses vols à la suite d’une évaluation des risques.Note de bas de page 84

Le rapport final de l’Iran décrit de façon incomplète le rôle joué par les forces armées. Pourtant, les actions du CGRI ont joué pour beaucoup dans la tragédie, et la protection militaire était au centre des mesures devant empêcher que les avions civils soient mal identifiés et pris pour cibles. Malheureusement, le Bureau d’enquête de l’Iran dit que selon lui, les actions des forces armées dépassaient la portée de son enquête.Note de bas de page 85 Selon le rapport, l’examen des questions militaires relevait uniquement des forces armées de la République islamique d’Iran.Note de bas de page 86 Le Bureau de la sécurité des transports du Canada a exprimé son désaccord sur l’exclusion par l’Iran du rôle des forces armées dans son enquête prévue par l’Annexe 13.Note de bas de page 87

Le rapport final du Bureau d’enquête présente donc le compte rendu de seulement certaines activités des forces armées en lien avec la tragédie et ne porte sur rien d’autre que les actes posés par l’opérateur du lance missile et les tirs de missiles vers l’avion. Il repose en grande partie sur la version des faits des forces armées et ne présente que des renseignements généraux sur la coordination entre les autorités des forces armées et les autorités civiles dans le cadre de la gestion de l’espace aérien. De plus, il ne dit rien sur l’influence que cette coordination a eue sur les événements et exclut toute constatation sur les activités des forces armées qui auraient permis d’éviter les erreurs d’identification dans le cas des avions civils. Sous réserve d’une analyse juridique plus poussée, l’Équipe d’enquête estime que le rapport final du Bureau d’enquête ne satisfait pas aux exigences de l’Annexe 13 à la Convention de Chicago en raison de ces manquements et parce qu’il ne détermine pas de façon rigoureuse les causes de la tragédie et les facteurs qui y ont contribué.

Bien qu’il semble manifeste que les gestes posés par l’opérateur du lance missile ont grandement contribué à l’écrasement de l’avion, l’Équipe d’enquête est d’avis que ces gestes auraient pu être évités. N’eût été un certain nombre de lacunes dans la planification, l’atténuation des risques et la prise de décisions, l’opérateur n’aurait pas pris l’avion pour cible. L’explication fournie jusqu’ici par l’Iran, notamment dans le rapport final de son Bureau d’enquête, manque de contexte et omet l’éventail de causes ayant mené à l’écrasement et des facteurs qui y ont contribué. En effet, l’analyse qui suit démontre que les autorités civiles et militaires de l’Iran, par leurs actes et omissions, ont directement mis l’avion et d’autres aéronefs civils en danger en créant les conditions dans lesquelles il a été possible pour l’opérateur de tirer des missiles en leur direction et en omettant de prendre les mesures préventives qui s’imposaient pour réduire le risque élevé à cet égard.

Tragédie du vol PS752 : Analyse des éléments et facteurs cruciaux

L’Iran n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de son espace aérien et informer les transporteurs aériens de la présence de risques

Constatations

  • L’Iran a décidé de laisser la majorité de son espace aérien ouvert à l’aviation civile malgré le niveau d’alerte militaire élevé les 7 et 8 janvier 2020. Son rapport final contient de l’information sur cette décision et sur l’évaluation selon laquelle le risque était faible pour tous les avions décollant de l’aéroport IK. Il ne dit toutefois rien de l’information contraire selon laquelle les risques étaient beaucoup plus élevés. L’Équipe d’enquête estime que cette évaluation et la décision correspondante de l’Iran de laisser l’espace aérien de Téhéran ouvert étaient mal fondées et ne correspondaient pas du tout aux normes internationales sur la sécurité de l’espace aérien.
  • L’Iran affirme avoir planifié et mis en place avec succès des mesures pour éviter le risque d’une erreur d’identification des avions le matin du 8 janvier 2020. Or, la seule mesure qui semble avoir été appliquée pour les vols en partance de l’aéroport IK est une exigence d’obtenir une approbation de décollage des forces armées. L’Iran reconnaît que les niveaux de risque étaient supérieurs aux prévisions et que les mesures de protection n’ont pas permis d’empêcher la tragédie, mais le rapport final ne relève aucune déficience particulière dans les décisions ou actions des autorités civiles ou dans leur coordination avec les autorités des forces armées. Par conséquent, l’Iran ne donne pas assez d’information pour expliquer l’inefficacité de la seule mesure liée au vol PS752 à avoir été mise en œuvre. De plus, il n’explique pas pourquoi des mesures préventives de base qui auraient pu éviter la tragédie n’ont pas été prises.
  • L’Équipe d’enquête n’a trouvé aucun avis officiel envoyé par l’Iran aux transporteurs aériens avant le départ de l’avion. L’Iran ne fait pas mention de la diffusion d’un NOTAM ou d’une autre communication informant les transporteurs de la situation des activités militaires en cours le 8 janvier 2020. Cette absence de communication claire envoyée aux compagnies aériennes sur les risques de vol ce jour-là constitue probablement une non-conformité aux normes internationales.
  • Selon le rapport final, les « circonstances temporaires » et les erreurs de l’opérateur de lance-missile n’ont pas été prises en considération dans l’évaluation déficiente qu’a effectuée l’Iran des risques qui pesaient sur l’aviation civile. L’Iran a indiqué que l’inclusion de ces facteurs n’aurait pas changé sa conclusion que l’avion pouvait voler en toute sécurité ou que des mesures de protection supplémentaires devaient être prises à son égard. La suite des événements a montré clairement que les conditions étaient beaucoup plus dangereuses et que l’Iran a commis une erreur de jugement.

Dans les heures précédant le tir de missiles balistiques sur des positions américaines en Irak, les forces armées iraniennes ont été mises sur un pied d’alerte et le CGRI a déployé des lance-missile près de l’aéroport IK à Téhéran.Note de bas de page 88 L’Iran n’ignorait pas que les tensions militaires, une posture de défense renforcée et le déploiement de lance-missile près d’un aéroport utilisé par l’aviation civile augmenteraient les risques courus par celle-ci. Malgré cela, l’Iran, sur la foi de son évaluation selon laquelle les risques étaient faibles, a décidé de mettre en place une seule mesure d’atténuation des risques et de laisser cet espace aérien ouvert à l’aviation civile.

Les décideurs iraniens pouvaient s’inspirer des lignes directrices et des recommandations internationales pour élaborer leur plan de gestion des risques que les activités du CGRI faisaient courir à l’aviation civile. Le niveau de risque a été démontré par l’histoire récente, tout particulièrement lorsque l’avion du vol MH17 de Malaysia Airlines a été abattu au-dessus de l’Ukraine en 2014. L’Iran disposait également des directives de l’OACI pour gérer les risques que les activités des forces armées dans les zones de conflit représentaient pour l’aviation civile.Note de bas de page 89 Enfin, l’Iran avait acquis une connaissance directe de ces risques lorsque l’avion effectuant le vol d’Iran Air IR655 avait été abattu en 1988, un événement qui avait entraîné la création de directives de l’OACI sur la gestion des activités des forces armées susceptibles de causer des risques pour les opérations aériennes civiles.

Analyse des risques

Selon le droit international, il incombe à l’Iran de veiller à ce que la sécurité des opérations de l’aviation civile effectuées dans son espace aérien ne soit pas compromise, y compris par des risques militaires.Note de bas de page 90 Des normes et des pratiques recommandées figurent dans les annexes à la Convention de Chicago pour aider les États membres à s’acquitter de cette responsabilité.

Selon le rapport final de l’Iran, les forces armées iraniennes ont effectué une évaluation exhaustive des risques avant de lancer des missiles en direction des positions américaines en Irak le matin du 8 janvier 2020,Note de bas de page 91 mais rien n’est dit dans le document au sujet d’une évaluation des risques qu’aurait réalisée l’Organisation de l’aviation civile de l’Iran ou le fournisseur de services de navigation aérienne.

Selon l’évaluation des forces armées, le risque était faible que les forces de défense iraniennes commettent une erreur d’identification au regard d’un avion civil en partance de l’aéroport IK tel que celui du vol PS752.Note de bas de page 92 L’Iran affirme que c’est sur la foi de cette évaluation qu’il a décidé de laisser ouvert l’espace aérien de Téhéran durant cette période de tensions accrues, faisant valoir les mesures de protection qu’il a prises pour protéger les transporteurs. L’une d’elles aurait été l’obtention par les transporteurs d’une approbation des forces armées avant de décoller. L’Équipe d’enquête ne dispose d’aucune autre source d’information qui puisse corroborer les affirmations de l’Iran quant à réalisation de son évaluation des risques, mais on sait que l’Iran n’a pas transmis d’information à cet égard à UIA avant le décollage de l’avion affecté au vol PS752.

Par comparaison, il est indiqué dans le rapport du Bureau d’enquête que l’évaluation a permis de déterminer la présence d’un risque d’erreur d’identification très élevé pour les avions traversant la frontière irano-irakienne et un risque élevé pour ceux empruntant quatre corridors de vol parallèles d’orientation nord-sud situés dans le sud de l’Iran, à proximité de la frontière.Note de bas de page 93 Selon le rapport du Bureau d’enquête, l’espace aérien iranien aurait été fermé et les départs des aéroports du pays auraient été annulés en cas de conflit.Note de bas de page 94

L’Équipe d’enquête a examiné la circulation aérienne du 8 janvier 2020 dans les quatre corridors situés à proximité de la frontière irano-irakienne (UT430, UM317/L319, UL223 et UT301). Son examen lui a permis de constater que le contrôle de la circulation aérienne a cessé d’utiliser les quatre corridors vers 05:15 HT.Note de bas de page 95 Le contrôle de la circulation aérienne a géré la circulation dans ces corridors sans diffuser de NOTAM informant les transporteurs des risques, contrevenant ainsi aux directives internationales.Note de bas de page 96 Cette fermeture de l’espace aérien le long de la frontière avec l’Irak ne concernait pas l’avion du vol PS752, puisque celui-ci décollait de l’aéroport IK, à Téhéran, à 06:12 HT. En fait, la majorité de l’espace aérien est demeuré ouvert aux aéronefs civils à destination et en partance des aéroports de l’Iran ainsi qu’à ceux qui survolaient le pays sans y faire escale. Ce n’est que plusieurs heures après le départ de l’avion d’UIA qu’un NOTAM a été diffusé au sujet de la fermeture de cet espace aérien.

Selon le rapport final de l’Iran, en raison d’un risque élevé d’erreur d’identification dans l’espace aérien situé près de la frontière irano-irakienne, la circulation aérienne a été interrompue, car il n’y aurait pas eu assez de temps pour diriger les avions en lieux sûrs advenant une frappe aérienne de représailles des États-Unis.Note de bas de page 97 Cependant, cette mesure n’a été prise que trois heures environ après l’attaque par missiles des bases américaines en Irak. De plus, le moment, le lieu, le nombre de cibles et la vitesse des représailles américaine auraient été difficiles à prévoir. L’Équipe d’enquête estime que ces facteurs auraient représenté des difficultés de gestion de l’espace aérien semblables pour des avions décollant de l’aéroport IK et empruntant l’espace aérien iranien. Le rapport final de l’Iran donne très peu d’information pour justifier cette différence substantielle dans les niveaux de risque, et l’Équipe d’enquête n’a trouvé aucune explication pour ces non-concordances.

L’Équipe d’enquête a analysé des facteurs tels que les tensions élevées entre les États et la mise en état d’alerte des lance-missile stationnés près de l’aéroport IK, et a déterminé que les risques pour les avions civils n’étaient pas faibles. Le rapport final de l’Iran ne tient pas compte des renseignements selon lesquels le niveau de risque applicable à l’avion du vol PS752 était en fait beaucoup plus élevé. Sur la foi des renseignements disponibles, l’Équipe d’enquête conclut que l’évaluation des risques de l’Iran et sa décision de laisser ouverte la majorité de son espace aérien comportaient d’importantes lacunes. L’Iran a été très loin de respecter les normes utilisées et reconnues à l’échelle internationale pour assurer la sécurité des espaces aériens, car il n’a pas pris les mesures préventives exigées par le degré élevé de danger que présentait la situation.

Lorsqu’un état d’alerte élevé a été adopté en Iran dans les heures précédant le tir de missiles balistiques vers les positions américaines en Irak, la préparation de la défense a inclus le déploiement, par le CGRI, de lance-missile orientés directement dans la trajectoire de vol des avions à destination et en partance de l’aéroport IK.Note de bas de page 98 Ces manœuvres indiquent clairement que l’Iran prévoyait une contre-attaque rapide des États-Unis et que les hauts gradés des forces armées jugeaient que les environs de l’aéroport IK pouvaient être pris pour cible.

Le 11 janvier 2020, le brigadier-général Amir Ali Hajizadeh, commandant des forces aérospatiales du CGRI, a déclaré que « depuis plus d’une semaine, les conditions dans la région et les possibilités de conflit étaient sans précédent depuis le début de la révolution ».Note de bas de page 99 Il a ajouté qu’une « situation de guerre » prévalait dans la matinée du 8 janvier 2020 et que le système de défense aérienne intégré de l’Iran avait détecté plusieurs missiles en approche et averti toutes les unités d’être vigilantes. Il a admis que « les unités étaient en état d’alerte maximale et qu’il ne restait qu’à appuyer sur le bouton pour tirer ».Note de bas de page 100 [traductions libres]

Dans des déclarations publiques, l’Iran a soutenu que l’expérience qu’elle avait acquise de la gestion sécuritaire de son espace aérien durant les huit années de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et durant différentes périodes de tensions régionales élevées montrait de façon probante que sa décision de laisser l’espace aérien de Téhéran ouvert était justifiée.Note de bas de page 101

L’Équipe d’enquête a déterminé que les conditions qui prévalaient en Iran le 8 janvier 2020 étaient celles d’une zone de conflit selon la définition que donnent de ce terme les lignes directrices de l’OACI : « Espaces aériens au-dessus des zones où se déroule ou est susceptible de se dérouler un conflit armé entre des parties militarisées, y compris les espaces aériens au-dessus des zones où des parties militarisées sont à un niveau élevé d’alerte ou de tension militaire, ce qui pourrait mettre en danger les aéronefs civils. » Les défenses aériennes de l’Iran, qui étaient sur un pied d’alerte, constituaient à ce moment un danger manifeste pour l’aviation civile. Le niveau de risques n’a pas été évalué convenablement, et l’Iran n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger les avions civils.

Les normes et pratiques recommandées et les lignes directrices de l’OACI soulignent l’importance de protéger les aéronefs civils dans les zones de conflit. L’enquête effectuée par les Pays-Bas à la suite de l’écrasement de l’avion effectuant le vol MH17 s’est traduite par l’adoption d’autres pratiques recommandées susceptibles d’aider la communauté internationale à prévenir de telles tragédies dans l’aviation civile. Ces pratiques mettent en évidence l’importance d’effectuer une solide évaluation des risques, de fermer l’espace aérien ou d’en restreindre l’utilisation en temps opportun. Elles mettent aussi en relief l’importance que les États communiquent rapidement aux transporteurs des renseignements précis sur les menaces causées par les manœuvres militaires. Il ressort de l’analyse de l’Équipe d’enquête que la gestion faite par l’Iran de son espace aérien n’a pas respecté ces normes et recommandations internationales.

Mesures d’atténuation et NOTAM

Selon le rapport final de l’Iran, la détermination des risques de l’Iran était solide, et des mesures d’atténuation ont été prises pour que le niveau de risque soit acceptable.Note de bas de page 102 Le document indique également que les forces armées iraniennes ont réévalué les risques et intégré des éléments absents de sa détermination initiale (les circonstances temporaires et la suite d’événements ayant mené à la tragédie). Cette réévaluation a donné lieu à la même conclusion, et il demeurait sécuritaire pour l’avion de voler. Les forces armées ont aussi déterminé que le plan du 8 janvier 2020 visant à protéger les avions civils d’une erreur d’identification par le CGRI demeurait valide et ont indiqué qu’aucune mesure d’atténuation des risques supplémentaire n’aurait été nécessaire compte tenu de l’itinéraire de l’avion. La suite des événements a clairement montré que l’Iran faisait erreur. L’Équipe d’enquête estime que ces déterminations et le plan de protection des avions civils comportaient des lacunes importantes, les conditions étant beaucoup plus dangereuses que ce que prétend l’Iran.

Le plan d’atténuation des risques de l’Iran incluait l’exigence que les avions obtiennent une approbation des forces armées pour décoller de l’aéroport IK. De l’aveu même de l’Iran, l’objectif de cette exigence était que l’identification des avions civils par le réseau de défense iranien soit exacte et que ces avions ne soient pris pour cibles par erreur.Note de bas de page 103 Le rapport final de l’Iran indique également que les actions suivantes concernant spécifiquement l’avion du vol PS752 ont été posées comme prévu, et qu’aucune erreur n’a été commise par les autorités civiles :

  • Transmission du plan de vol de l’avion aux forces armées;
  • Autorisation des forces armées pour le démarrage des moteurs et le décollage transmise au contrôle civil de la circulation aérienne;
  • Réception par le centre de coordination des opérations civilo-militaire (CCOCM) d’information sur la surveillance radar civile, y compris la description du vol de l’avion.Note de bas de page 104

L’Iran a affirmé que les secteurs civil et militaire coordonnaient la gestion de l’espace aérien par l’entremise du CCOCM pour assurer la sécurité des aéroports et pour assurer une distinction entre « les aéronefs commerciaux et les aéronefs anonymes et hostiles. »Note de bas de page 105 [traduction libre] l’Iran a également affirmé que le CCOCM était dirigé par les forces armées depuis le centre de contrôle de la région de Téhéran, un organisme civil chargé de transmettre de l’information aux forces armées sur tous les vols civils. Selon le rapport final de l’Iran, cette structure était en place et opérationnelle au moment du départ de l’avion.Note de bas de page 106

L’Iran n’a fourni aucun renseignement permettant d’étayer son affirmation selon laquelle la coordination civilo-militaire indiquée dans le rapport final de l’Iran a bel et bien eu lieu au regard de l’avion ukrainien. Cependant, si les contrôleurs aériens civils ont réellement fourni des renseignements sur le vol aux autorités militaires et ont coordonné leurs actions avec celles-ci avant d’envoyer des autorisations de démarrage aux avions,Note de bas de page 107 il importe de savoir si une information aussi cruciale a été communiquée aux lance-missile et à leurs structures de commandement sur le terrain. Si elle était disponible, elle aurait dû permettre à l’opérateur de lance-missile et à son commandement de déterminer que l’avion était un appareil civil. Et si elle n’a pas été transmise au personnel du CGRI, y compris à l’opérateur, pourquoi ne l’a-t-elle pas été? L’Équipe d’enquête n’a pas été en mesure de trouver de l’information pour répondre à ces questions importantes, et l’Iran n’a pas fourni d’éclairage compte tenu de sa décision d’exclure les constatations concernant les forces armées dans son rapport final.

Comme cela a déjà été mentionné, les États sont responsables de la sécurité des opérations de l’aviation civile réalisées dans leur espace aérien. Or, les transporteurs ont également un rôle à jouer dans la détermination du moment où un vol sera sécuritaire. En effet, selon les normes et pratiques recommandées de l’OACI, les transporteurs doivent s’assurer, par tous les moyens dont ils disposent, de la sécurité d’un vol avant de l’entreprendre.Note de bas de page 108 Des évaluations des risques doivent être réalisées avant le décollage et des mesures d’atténuation des risques doivent être mises en place pour assurer la sûreté du vol, y compris lorsque celui-ci s’effectue dans des zones de conflit. Cependant, selon les normes et lignes directrices de l’OACI, ce sont les États qui sont responsables de la coordination et de la publication appropriées des événements survenant sur son territoire qui présentent des risques pour l’aviation civile. Eux seuls ont accès à la planification militaire et aux évaluations des risques. Les lignes directrices de l’OACI stipulent également que les « autorités nationales devraient diffuser les publications avertissant des dangers suffisamment à l’avance pour permettre à tous les aéronefs de l’aviation civile internationale de planifier leur itinéraire afin d’éviter ces zones. »Note de bas de page 109

Si les transporteurs aériens ne reçoivent pas ces renseignements à temps, un élément crucial manquera à leur évaluation. On trouvera à l’annexe B du rapport final de l’Iran une description détaillée fournie par UIA de l’évaluation des risques qu’elle a réalisée avant le départ de l’avion.Note de bas de page 110

Le 7 janvier 2020 à 23:50 TUC (03:20 HT le 8 janvier), la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis a restreint les opérations des transporteurs américains dans la région d’information de vol de Bagdad en raison de l’accroissement des manœuvres militaires et de la hausse des tensions politiques au Moyen-Orient. Peu après, le 8 janvier 2020 à 00:10 TUC (03:40 HT), soit 2 heures et 32 minutes avant le départ de l’avion, la FAA a décrété un NOTAM interdisant aux transporteurs américains de circuler dans la région d’information de vol de Téhéran. Dans une réunion avec des représentants de l’Équipe d’enquête et de Transports Canada le 23 octobre 2020, l’Autorité de l’aviation civile d’Ukraine a indiqué qu’elle n’avait pas pu tenir compte des NOTAM diffusés par la FAA les 7 et 8 janvier 2020 dans son évaluation des risques, car elle ne les avait pas reçus. Cela s’explique par le fait que l’Ukraine ne figure pas dans la liste de distribution de la FAA. UIA a confirmé ce fait dans la déclaration de l’Ukraine en réponse au rapport final de l’Iran : « Le NOTAM de la FAA (…) n’aurait pas pu être inclus dans la trousse d’information de navigation du vol PS752… »Note de bas de page 111 [traduction libre]

D’après l’analyse effectuée par l’Équipe d’enquête, il est probable qu’UIA et les pilotes de l’avion avaient peu d’information sur les activités des forces armées et sur les risques découlant de celles-ci les 7 et 8 janvier 2020. Des entrevues menées avec des représentants de l’Autorité de l’aviation civile d’Ukraine et des reportages dans la presse ukrainienne laissent entendre que les tensions élevées entre l’Iran et les États-Unis dans la région étaient très connues compte tenu de la mort du major-général Soleimani cinq jours avant. Cependant, l’Équipe d’enquête n’a rien trouvé qui indique qu’UIA et les pilotes savaient que les risques avaient augmenté considérablement en raison des activités militaires de l’Iran près de Téhéran et de l’état d’alerte de l’Iran à la suite de ses tirs de missiles en direction de forces américaines en Irak à peine un peu plus de quatre heures avant le décollage de l’avion. Les pilotes des autres transporteurs dont des avions ont décollé de l’aéroport IK avant l’avion du vol PS752 n’étaient vraisemblablement pas au fait de la situation non plus. (L’Annexe E énumère les départs qui ont précédé celui du vol PS752.)

Les médias iraniens ont commencé à rapporter le lancement de missiles vers l’Irak (l’Opération Shahid Soleimani) annoncé par le CGRI tôt le 8 janvier 2020 (à 02:27 HT sur un compte Twitter de Fars News AgencyNote de bas de page 112 et à 03:20 HT sur un site de Mehr News AgencyNote de bas de page 113). Toutefois, l’Iran n’a pas fourni d’avertissement officiel et rapide que les risques avaient considérablement augmenté pour les avions civils. Le rapport final de l’Iran indique qu’UIA a demandé des NOTAM à l’Autorité de l’aviation civile d’Iran, mais le transporteur affirme que ni l’équipage de l’avion ni lui-même n’ont reçu de l’information ou des avertissements des services de circulation aérienne d’Iran, des entités militaires ou de l’aéroport IK.Note de bas de page 114

L’Équipe d’enquête n’a rien trouvé qui fasse état de NOTAM ou d’autres avis envoyés par les autorités iraniennes aux transporteurs aériens avant le départ de l’avion. L’absence d’information pertinente sur les menaces a privé les transporteurs tels qu’UIA du portrait global et à jour des conditions dont ils avaient besoin pour juger s’il serait sécuritaire de voler ou si des mesures supplémentaires seraient nécessaires pour gérer les risques. Tout comme le fait de ne pas fermer l’espace aérien, celui de ne pas informer les transporteurs que l’utilisation de celui-ci comportait des risques clairs ce jour-là montre que l’Iran n’a pas pris les précautions raisonnables et attendues pour assurer la protection de la circulation aérienne civile. Ces omissions contrastent nettement avec des situations précédentes où l’Organisation de l’aviation civile iranienne a diffusé des NOTAM informant les utilisateurs de son espace aérien que des risques étaient présents en raison d’exercices militaires.Note de bas de page 115

L’Iran n’a également fourni aucune information sur ses décisions d’interrompre puis de reprendre les opérations à l’aéroport IK après la tragédie. Il n’a pas indiqué si un examen a été effectué immédiatement après la tragédie, si cet examen a inclus une recherche des risques que les activités des forces armées pouvaient faire courir aux usagers de l’espace aérien et si des mesures ont été mises en place pour assurer la sécurité des avions décollant de l’aéroport IK après la tragédie.

Selon le rapport final de l’Iran, le Conseil suprême de la sécurité nationale est partie prenante à la coordination et à l’intégration des questions touchant les organismes de sécurité et de renseignement de l’Iran – tant militaires que civils. L’importance du rôle joué par le Conseil suprême est mise en évidence dans le commentaire suivant : « Si la portée de la question dépasse les compétences d’un organe donné, les mesures pertinentes sont prises au moyen de la capacité du Conseil suprême. »Note de bas de page 116 Il est très probable que les décisions seraient ultimement revenues au Conseil suprême en ce qui concerne les questions d’importance stratégique comme les plans de défense et la gestion de l’espace aérien.

Cela conclut l’analyse faite par l’Équipe d’enquête du premier niveau d’examen des mesures adoptées par l’Iran dans la gestion de son espace aérien. Dans la section suivante, l’importance des actions et des décisions de l’opérateur de lance-missile dans la tragédie est analysée.

Séquence des événements concernant l’opérateur du lance-missile surface-air

Constatations

  • Le lancement des missiles était délibéré et voulu, mais selon l’information à la disposition de l’Équipe d’enquête, l’opérateur du CGRI a vraisemblablement confondu l’avion avec une cible hostile.
  • L’opérateur a posé une série de gestes et pris des décisions qui ont entraîné l’écrasement de l’avion. L’Équipe d’enquête estime probable qu’il ait mal aligné le conservateur de cap de l’appareil (un lance-missile SA 15) ou qu’il n’ait pas détecté le défaut d’alignement pendant les six heures qui ont suivi le déploiement de l’unité et son état opérationnel probable.
  • Après analyse, l’Équipe d’enquête a conclu qu’un défaut d’alignement de 105 degrés aurait vraisemblablement pu créer l’illusion que l’avion s’approchait de l’opérateur à partir du sud-ouest (de l’Irak) au lieu de la direction réelle, de l’aéroport IK, c’est-à-dire du sud-est. Toutefois, l’Équipe d’enquête estime qu’en contexte de manœuvres militaires, un défaut d’alignement de cette ampleur aurait dû être détecté.
  • À la suite de délais et de faux-fuyants durant les jours suivant la tragédie, en particulier des nombreuses déclarations trompeuses des représentants civils et militaires iraniens (notamment du CGRI), l’Iran affirme maintenant considérer que l’avion a été abattu par erreur. L’Équipe d’enquête n’a pas trouvé d’information de nature à contredire les comptes rendus officiels de l’Iran selon lesquels l’opérateur a fait feu sans avoir obtenu les approbations nécessaires de son commandement et contrôle. En outre, elle n’a pas trouvé d’éléments laissant croire que les responsables iraniens ont ordonné que l’avion soit abattu ou que l’acte était prémédité.
  • Cependant, compte tenu du nombre et de l’enchaînement des décisions, actes et omissions constatés par l’Équipe d’enquête, l’Iran n’a pas donné l’information ou les explications qui apporteraient des réponses à des questions plus générales sur la compétence de l’opérateur, la qualité de sa formation, le processus de validation de la cible et la supervision qui est faite des opérateurs placés dans des situations semblables.
  • Sans explications crédibles et transparentes des faits, y compris des causes liées aux manœuvres militaires, l’Équipe d’enquête estime que la communauté de l’aviation internationale ne peut avoir l’assurance que cette tragédie ne se reproduira plus dans le ciel iranien.

Lance-missile SA-15

Missile lancé à la verticale à partir d’une unité SA-15 dans un champ verdoyant, pendant une journée ensoleillée. Le SA-15 est une unité de combat constituée d’un seul véhicule.

Figure 11 : Lance-missile sol-air SA-15 ou Tor-M1Note de bas de page 117

Le système de défense aérienne qui a abattu l’avion est un lance-missile sol-air russe de courte portée SA-15 (ou Tor-M1).Note de bas de page 118 Ce système est muni d’un radar d’acquisition d’objectif, d’un radar de poursuite et de missiles.Note de bas de page 119 Deux radars lui permettent de détecter des aéronefs, des hélicoptères, des missiles et d’autres armes à guidage de précision.Note de bas de page 120 Un équipage de trois ou quatre personnes (dont un commandant de véhicule, un opérateur de système et un conducteur) est généralement requis pour son fonctionnement.Note de bas de page 121

Le SA-15 a une portée de 12 à 16 km et peut tirer sur des cibles à 6 km d’altitude. La vitesse de ses missiles atteint jusqu’à trois fois celle du son.Note de bas de page 122 Les missiles en vol sont téléguidés par le système de poursuite radar du SA-15.Note de bas de page 123 Placée en retrait dans le projectile, l’ogive explose lorsqu’elle arrive à proximité de la cible, projetant sur celle-ci une multitude d’éclats.

Ces lance-missile ont été conçus en 1986, et différentes mises à jour ont été effectuées au fil des ans.Note de bas de page 124 On ne connaît pas avec certitude l’âge de la flotte actuelle de l’Iran, mais on sait que celui-ci a acheté certains de ses appareils en 2007 de la RussieNote de bas de page 125 et d’autres aussi récemment que 2015.Note de bas de page 126 En 2018, l’Iran disposait, semble-t-il, de 29 lance-missile SA15.Note de bas de page 127

Étant donné que les batteries antiaériennes telles que les SA-15 posent une menace mortelle, elles sont habituellement ciblées en premier par l’attaquant, ce qui induit une pression psychologique intense pour les équipages en période de conflit potentiel.Note de bas de page 128 L’utilisation de ces engins est facile, mais exige une formation. L’Équipe d’enquête ne dispose pas d’information sur l’âge exact du lance-missile SA15 qui a été utilisé ni sur la qualité et la durée de la formation suivie par les responsables iraniens du tir des missiles en direction de l’avion.Note de bas de page 129 Cependant, l’Équipe d’enquête a obtenu des renseignements selon lesquels l’opérateur du lance-missile pourrait avoir donné de la formation sur l’utilisation du SA-15. La confirmation de ces renseignements rendrait les actes et décisions de cette personne d’autant plus préoccupants.

Constatation de l’Équipe d’enquête : Les spécifications de ce système correspondent aux images de la tête de missile intacte, car l’ogive de proximité est logée en retrait dans ce type de projectile.

Les experts militaires mentionnent que les lance-missile sol-air sont normalement utilisés au sein d’une structure de défense antiaérienne intégrée. Selon la mission, le déploiement peut comprendre plusieurs SA-15 (une batterie) travaillant ensemble dans le but de défendre des cibles situées dans une zone particulière. Ils sont accompagnés d’un poste de commandement, qui assume les fonctions de commande et contrôle et qui, souvent, intègre la batterie dans les structures d’un système de défense antiaérienne.Note de bas de page 130 Le rapport final de l’Iran indique que l’opérateur de lance-missile devait communiquer avec un centre de coordination (ou centre de commandement) pour faire confirmer les cibles et obtenir l’approbation pour tirer. Cependant, l’Iran n’a pas fourni assez d’information pour que l’Équipe d’enquête détermine définitivement si le lance-missile qui a abattu l’avion faisait partie d’une batterie. De plus, il n’a donné aucun renseignement permettant de savoir si le centre de coordination était un poste de commandement de batterie, de connaître sa position précise et d’en savoir plus sur son rôle ou sa position au sein de la structure de commandement de la défense aérienne du CGRI.

Compte tenu de cette absence d’explication claire de l’Iran, l’Équipe d’enquête utilise l’expression « C2 immédiat du lance-missile » dans son analyse des fonctions de commandement et de contrôle du CGRI. Ce C2 immédiat occupait l’échelon supérieur suivant de la chaîne de commandement par rapport à celui du lance-missile et de son opérateur. Les experts militaires consultés par l’Équipe d’enquête ont indiqué que le C2 immédiat devait superviser le lance-missile, y compris toute action posée par l’opérateur, et était intégré à la structure de défense antiaérienne des CGRI pour assurer une connaissance de la situation.

Dans son rapport final, l’Iran attribue la cause principale de la tragédie aux actes de l’opérateur, qui aurait tiré sur l’avion à la suite d’une série d’événements imprévus. L’Iran fait état d’erreurs dans l’alignement du lance-missile, d’une communication défaillante avec le centre de coordination, du fait que l’avion a été pris pour une menace et de tirs lancés sur l’avion sans égard aux procédures militaires.Note de bas de page 131

L’Équipe d’enquête a évalué ces affirmations et conclut qu’elles donnent une explication incomplète des événements. L’Iran n’a pas présenté d’information susceptible d’expliquer de façon convaincante comment et pourquoi chacune des prétendues erreurs est survenue. Fait important, l’Iran n’a présenté aucune information sur la procédure que l’opérateur a suivie ou n’a pas suivie pour déterminer si l’appareil était un avion civil ou une menace. De plus, le rapport final ne reconnaît pas la pertinence des fonctions de commandement et contrôle par rapport aux prétendues erreurs de l’opérateur ni ne traite de la qualité de la formation ou de la supervision. Même si ces facteurs constituent une cause immédiate importante de la tragédie et un élément essentiel à résoudre pour éviter une répétition des événements, l’Iran les a exclus de son rapport final et n’a présenté aucun renseignement sur d’autres actions des forces armées que celles de l’opérateur. L’Équipe d’enquête a trouvé de l’information crédible sur les actions de l’opérateur et de son commandement. Cette information est présentée dans la section suivante (Ratés du commandement et contrôle).

Acte no 1 de l’opérateur : défaut d’alignement

Lorsqu’ils sont en bon état et bien utilisés, les tracteurs lanceurs radar de défense aérienne comme le SA-15 permettent à l’opérateur de distinguer un missile de croisière d’un avion civil de grande dimension. En outre, les systèmes de défense aérienne ont des capacités supérieures lorsqu’ils sont intégrés et que leurs données sont régulièrement transmises au commandement et contrôle (C2), puisque la connaissance de la situation est normalement meilleure lorsque la défense est constituée en réseau.

Les experts en systèmes de missiles consultés par l’Équipe d’enquête ont indiqué qu’il était concevable que l’opérateur commette un désalignement de 105 degrés. Mais ils ont ajouté que des forces armées aussi avancées que celles d’Iran auraient dû fournir à leurs opérateurs des procédures sur la mise en place des lance-missile sur le théâtre des opérations. Si l’opérateur n’a pas suivi ces procédures, il est possible qu’un défaut d’alignement survienne.

Le lance-missile SA-15 peut être déployé à son poste sur le champ de bataille par ses propres moyens ou être remorqué. Ce sont des considérations liées à la défense ou à la logistique qui déterminent son mode de transport. Les procédures militaires standard exigent normalement que ces engins soient éteints lorsqu’ils sont remorqués. Cela entraîne parfois une perte d’orientation, auquel cas l’opérateur doit, lors de la remise en marche, vérifier que le système de navigation par inertie est orienté vers le nord. L’alignement doit être exact pour que l’affichage de l’opérateur rende avec précision la direction physique vers laquelle pointe l’engin. Bien que ce scénario soit possible, l’Équipe d’enquête n’a pas trouvé d’information permettant de confirmer qu’il a effectivement été à l’origine du désalignement.

Le lance-missile est arrivé à son poste, à l’ouest de Téhéran, vers minuit HT le 8 janvier 2020 selon des déclarations faites par le brigadier-général Hajizadeh du CGRI le 11 janvier 2020.Note de bas de page 132 Le rapport final de l’Iran mentionne que l’engin a été déplacé de 100 mètres pour des raisons tactiques à 04:54 HT le 8 janvier 2020, et que c’est à ce moment qu’il a été désaligné. Par ailleurs, l’Iran affirme que l’engin est resté en mode veille jusqu’à 06:07 HT, soit cinq minutes avant le départ de l’avion, et que c’est à ce moment qu’il a été mis en mode de fonctionnement.Note de bas de page 133 Les experts des systèmes de missiles consultés par l’Équipe d’enquête ont indiqué que les « mode veille » et « mode de fonctionnement » renvoient à différents états de préparation au combat dans lesquels les systèmes de radar et les capacités de détection des cibles sont en marche (mode de fonctionnement) ou à l’arrêt (mode veille). L’Équipe d’enquête estime que l’explication de l’Iran souffre d’un important manque de crédibilité compte tenu de la posture de menace élevée dans laquelle étaient les lance-missile à ce moment. La prétention voulant que l’engin ait été en mode veille ou inactif pendant plus d’une heure ne cadre pas avec les nombreuses déclarations de l’Iran selon lesquelles ses forces de défense aérienne étaient sur un pied d’alerte. De plus, elle implique que le niveau de menace était moindre que ce que les actions du lance-missile – nommément son tir de missiles vers l’avion – montrent clairement. L’Iran, qui n’a pas fourni d’autres renseignements sur ces questions, se doit de présenter des éléments probants et concrets pour rendre crédible une affirmation si déterminante.

Si le lance-missile a effectivement été déplacé à 04:54 HT, il a probablement effectué par ses propres moyens un si court trajet. Le rapport final de l’Iran n’explique pas pourquoi ce n’est qu’après ce déplacement mineur que le système d’orientation, qui n’a normalement pas besoin d’être recalibré après un si court trajet, aurait été désaligné. L’Équipe d’enquête conclut que l’Iran doit mieux expliquer la raison du désalignement pour que son affirmation soit crédible. Si ce désalignement est survenu au moment du déplacement, la question du respect des procédures du CGRI par l’équipage du lance-missile se pose, question à laquelle l’Iran n’apporte aucune réponse.

Selon l’analyse de l’Équipe d’enquête, comme l’illustre la figure 12, en raison du désalignement de 105 degrés dont il est question dans le rapport final de l’Iran, l’opérateur a fort probablement eu l’impression que l’avion arrivait du sud-ouest (Irak) au lieu du sud-est, d’où il provenait véritablement, en provenance de l’aéroport IK.

L’Équipe d’enquête considère cependant que dans un contexte d’opérations militaires, un défaut d’alignement de cette nature aurait dû être détecté. De plus, d’autres systèmes et procédures empêchant une erreur d’identification sont en place. Par conséquent, le désalignement n’aurait pas dû à lui seul entraîner le tir de missiles. Avec les outils dont le SA-15 est muni et une communication avec un système de C2 opérationnel, l’opérateur aurait dû être en mesure de bien identifier l’avion.

L’aéroport international Imam-Khomeini – IKA – est situé dans le coin inférieur gauche de la carte. Une ligne rouge continue allant vers le haut et la gauche décrit la trajectoire du vol PS752 depuis son décollage.  À mi-parcours, la ligne devient pointillée, ce qui indique l’emplacement du PS752 au moment de l’impact probable du missile et de la fin des données transpondeur, à 6 h 15 heure locale. La ligne rouge pointillée courbe alors vers le haut et la droite, ce qui indique la trajectoire après le premier missile et la tentative de retour à IKA. Elle se termine à l’endroit de l’écrasement, survenu à 6 h 18, heure locale. Trois points de lancement probables de missiles sol-air sont identifiés par de petites maisons bleues ornées de drapeaux dans le coin supérieur gauche. Deux lignes vertes continues montrent de quelle façon l’opérateur de missiles aurait perçu de désalignement de 105 degrés et la trajectoire du PS752.

Figure 12 : Trajectoire de vol et désalignement prétendu

Acte no 2 de l’opérateur : identification erronée

L’image montre un écran radar circulaire type provenant d’une unité de missiles sol-air. Deux lignes droites blanches balayant l’écran délimitent une partie du cercle. Les repères de distance, ou cercles de distance, sont des cercles affichés à l’écran avec une série de petits cercles blancs à l’intérieur du grand cercle rouge. Des nuages sont représentés par des taches blanches. Des interférences apparaissent sous forme de taches blanches alors que les cibles sont représentées par des ovales blancs.

Figure 13 : Exemple d’écran radar

Selon des experts des systèmes de missiles, le défaut d’alignement n’aurait pas dû avoir d’effet sur la perception qu’a eue l’opérateur du mouvement vertical de l’avion et de sa vitesse anémométrique (le mouvement d’un avion en ascension étant différent de celui d’un missile de croisière en approche). Ce désalignement aurait simplement donné à l’opérateur l’impression que l’avion arrivait d’une autre direction (du sud-ouest au lieu du sud-est). On ignore la précision et le mode de fonctionnement de l’altimètre du SA15 qui a abattu l’avion, mais ils auraient pu influer sur la capacité de l’opérateur de faire la distinction entre un avion en ascension, un avion qui conserve la même altitude et un avion en descente. L’Iran n’a fourni aucun renseignement qui indique si l’opérateur a tenu compte de ces facteurs au moment d’identifier sa cible ni de quelle façon il aurait pu en tenir compte.

La figure 13 illustre l’écran type d’un radar de lance-missile. On voit que le radar effectue un balayage de la zone à laquelle le lance-missile fait face; le balayage rotatif s’affiche à l’écran de l’opérateur simultanément avec le balayage du radar. Selon les paramètres et algorithmes du radar, les objets qu’il détecte (appelés « contacts ») apparaissent comme des cibles à l’écran de l’opérateur lorsque ces objets remplissent des critères très précis. Lorsque le dispositif d’identification ami ou ennemi envoie un signal d’interrogation à un contact, celui-ci s’affiche à l’écran. Dans le cas présent, le statut du contact est inconnu, car on ignore encore s’il est hostile ou ami. Des experts militaires ont expliqué que l’écran principal de ces radars ne montre normalement qu’une icône dans le cas des objets non identifiés. Les radars peuvent souvent indiquer la force du signal de retour, ce qui peut donner une indication de la taille relative de la cible. Cependant, on ne sait pas avec certitude si l’opérateur avait accès à cette information et si, le cas échéant, elle aurait pu l’aider à faire la distinction entre un avion de ligne et un missile de croisière. L’Iran n’a donné aucun renseignement pour éclaircir ce point ni pour expliquer comment l’opérateur a conclu que l’avion était une menace.

Les repères de distance, ou cercles de distance, qui apparaissent à l’écran de l’opérateur permettent de connaître la distance approximative qui sépare un contact du radar. Ils aident également l’opérateur à évaluer la vitesse relative à laquelle le contact se rapproche ou s’éloigne. Une cible qui s’approche s’affiche à l’écran lorsqu’un contact remplit les critères qui servent à identifier les cibles et montre qu’il se dirige vers le radar. Le radar détecte également l’altitude des cibles et la variation de celle-ci. Un secteur (de responsabilité) de radar est une zone définie par des lignes ayant souvent la forme d’une pointe de tarte qui indiquent les limites gauche et droite du secteur qu’un opérateur de radar doit surveiller et défendre.

L’intérieur d’une unité SA-15 constitué d’écrans, de boutons et de modules externes.
L’intérieur d’une unité SA-15 constitué d’écrans, de boutons et de modules externes.

Figure 14 : Intérieur d’un lance-missileNote de bas de page 134

Si l’opérateur du SA15 s’était vu assigner un tel secteur d’engagement, ce secteur aurait probablement semblé correspondre à une zone en direction de l’Irak et non pas à une zone en direction de Téhéran en raison du désalignement de 105 degrés. Les experts consultés par l’Équipe d’enquête ont conclu que l’opérateur a peut-être alors fixé son attention sur les cibles qui se trouvaient dans le secteur d’engagement qui lui avait été assigné sans tenir compte des autres facteurs qui lui auraient permis de faire la distinction entre un avion commercial en décollage et une cible paraissant s’approcher de Téhéran en provenance de l’Irak.

Comme pour la plupart des systèmes de défense aérienne, certains modèles du SA-15 sont munis d’un dispositif d’identification ami ou ennemi. Les avions s’identifient à titre d’appareils civils au moyen de signaux diffusés par leur transpondeur. Les opérateurs de lance-missile ont la capacité d’envoyer des signaux d’interrogation à une cible potentielle, et si celle-ci est un aéronef civil, elle s’identifiera comme telle en transmettant des signaux au dispositif d’identification ami ou ennemi du lance-missile. Selon le rapport final de l’Iran, le transpondeur de l’avion d’UIA fonctionnait correctement. Les signaux qu’il a transmis au radar secondaire du contrôle de la circulation aérienne ont fait état d’une altitude et d’une trajectoire normales jusqu’à la détonation du premier missile.Note de bas de page 135

Les dispositifs d’identification ami ou ennemi sont des dispositifs de sécurité utiles, mais l’Équipe d’enquête a déterminé qu’ils ne fonctionnent pas toujours comme prévu, et que même lorsqu’ils fonctionnent comme il se doit, ils sont parfois insuffisants pour déterminer définitivement qu’un aéronef est une cible hostile ou un aéronef civil. Les experts civils consultés par l’Équipe d’enquête ont indiqué que des dispositifs d’identification ami ou ennemi russes installés sur des lance-missile tels que le SA-15 sont potentiellement incompatibles avec les transpondeurs utilisés pour identifier les avions civils comme le Boeing 737-800 (l’appareil du vol PS752). Pour répondre aux signaux d’interrogation, les avions de ligne civils comme celui qui a été abat-tu envoient des signaux dans la bande L standard de l’OACI alors que les dispositifs d’identification ami ou ennemi russes envoient des signaux d’interrogation dans la bande S. En d’autres termes, les deux dispositifs n’utilisent pas le même langage.Note de bas de page 136

L’Équipe d’enquête n’a pas été en mesure de déterminer si le lance-missile qui a abattu l’avion était muni d’un dispositif d’identification ami ou ennemi russe standard, si des problèmes de compatibilité se sont présentés et, dans la négative, si le dispositif était fonctionnel et activé. Une planification militaire responsable suppose qu’on veille à ce que des lance-missile déployés à proximité immédiate d’un aéroport international disposent d’un moyen quelconque (dispositif d’identification ami ou ennemi, réseau de transmission, etc.) pour reconnaître les aéronefs amis et les aéronefs civils. L’Iran n’a pas donné accès aux enregistreurs du lance-missileNote de bas de page 137 ni n’a fourni d’information dans ses rapports officiels qui permettrait de savoir si le lance-missile disposait d’un tel dispositif d’identification et, dans l’affirmative, de connaître le rôle qu’il a joué dans les événements.

L’Équipe d’enquête a relevé d’autres mesures qui auraient pu contribuer à bien identifier la cible. Les experts militaires qu’elle a consultés ont mentionné que certains pays disposant d’anciens lance-missile inscrivent manuellement les couloirs de circulation aérienne civile sur les écrans des radars de recherche, et que leurs procédures d’identification incluent la vérification de ces couloirs avec le C2 immédiat. De plus, on sait que les lance-missile SA15 sont équipés d’un système de poursuite optique par télévision en plus de ses appareils radar. Si ce système avait été utilisé et qu’il était fonctionnel à la noirceur, l’opérateur aurait peut-être pu apercevoir les feux anticollision clignotants de l’avion. Les experts militaires ont indiqué que l’éclairage ambiant associé à la proximité d’un aéronef civil avec l’horizon au décollage affecte parfois la précision de la caméra, ce qui peut influer sur la capacité de l’opérateur d’identifier la cible et de détecter le clignotement dans l’obscurité.

L’Équipe d’enquête a déterminé que l’opérateur n’aurait probablement pas été en mesure d’effectuer une confirmation visuelle directe, car il était à l’intérieur de l’engin et se concentrait sur les instruments. Outre la tentative de communication avec le centre de coordination, aucune information concrète n’a été fournie par l’Iran sur la façon dont l’opérateur a confirmé l’identité de l’avion. Par conséquent, l’Équipe d’enquête n’a pas été en mesure de savoir si l’opérateur a eu recours à l’une ou l’autre des mesures susmentionnées lorsqu’il a déterminé que l’avion était une menace, ni à quel point il a suivi ou ignoré les procédures opérationnelles standard du CGRI.

Sans égard aux actions posées par l’opérateur, la procédure de défense standard exigerait que les lance-missile fassent partie d’une structure intégrée et que de l’information soit échangée régulièrement entre les éléments complémentaires du C2. Sur la foi des renseignements disponibles, l’Équipe d’enquête conclut que l’unité de commandement aurait dû savoir qu’une erreur importante d’alignement avait été commise et en informer l’opérateur.

De plus, si un lance-missile est mal aligné, l’information sur la direction de la cible envoyée par le C2 et l’information affichée dans l’engin ne correspondront probablement pas. Habituellement, l’information sur le cap de la cible circule entre le lance-missile et le C2 immédiat au moyen d’un réseau de données numériques et/ou de communications vocales.

Le lance-missile est arrivé à sa position, à l’ouest de la capitale, vers minuit le 8 janvier 2020.Note de bas de page 138 Après avoir été installé, il aurait été opérationnel pendant plus de six heures avant l’écrasement de l’avion d’UIA. Compte tenu du fait que neuf avions ont décollé de l’aéroport IK avant celui du vol PS752 ce jour-là, dont huit après que l’Iran a lancé des missiles vers l’Irak, le C2 aurait dû avoir amplement l’occasion de détecter et de corriger l’erreur d’alignement.

Acte no 3 de l’opérateur : lancement de missiles sans autorisation

Dans les zones de conflit, le lance-missile SA-15 est efficace contre les menaces rapprochées. Toutefois, sans aide, il ne fait pas facilement la distinction entre des avions de ligne, des aéronefs militaires et des missiles de croisière.Note de bas de page 139 Selon les experts, les forces armées qui utilisent ces engins les intègrent habituellement dans un système de commandement de défense aérienne qui possède une meilleure connaissance de la circulation aérienne civile. Lorsque tel est le cas, une permission doit normalement être obtenue du C2 de la défense aérienne avant qu’un opérateur ne lance un missile contre une cible.Note de bas de page 140

Outre les rapports officiels de l’Iran, l’Équipe d’enquête ne pas trouvé d’information laissant entendre que l’opérateur de lance-missile a demandé ou reçu l’autorisation de tirer sur l’avion. De plus, selon ces rapports officiels de l’Iran et les déclarations publiques de celui-ci, l’autorisation de tirer n’a jamais été donnée, et l’opérateur a agi sans permission.Note de bas de page 141

Selon les experts militaires consultés par l’Équipe d’enquête, il est courant que les forces de défense aérienne lancent deux missiles, souvent l’un après l’autre, puis évaluent les dommages subis par la cible. Dans le cas présent, l’opérateur semble plutôt avoir utilisé une stratégie de deuxième attaque : il aurait tiré un premier missile, aurait constaté que celui-ci n’a pas détruit la cible, puis aurait tiré une seconde fois, comme l’indique le rapport final.Note de bas de page 142 L’Iran n’a fourni aucune information permettant d’étayer ces hypothèses ou de déterminer si la décision de lancer un deuxième missile était conforme aux procédures du CGRI.

L’Équipe d’enquête a évalué la pertinence des ratés qu’il y aurait eu selon l’Iran dans les communications entre l’opérateur et son C2 immédiat. On ignore s’il y a véritablement eu des ratés, mais dans l’affirmative, le problème aurait empêché l’opérateur d’améliorer sa connaissance de la situation et de recevoir l’autorisation de tirer. De plus, les autres opérateurs auraient eux aussi été affectés. Le commandant des forces aérospatiales du CGRI a mentionné qu’une saturation (ou surcharge du système de communication), et non des facteurs externes, aurait été à l’origine du problème.Note de bas de page 143 Selon Gholam Abbas Torki, procureur militaire pour Téhéran, « …des hypothèses de cyberattaque, de piratage du système de défense, de perturbation des systèmes de l’aéronef et du réseau de défense ont été formulées, mais aucune n’a été appuyée par des explications solides. »Note de bas de page 144 [traduction libre] L’Équipe d’enquête n’a trouvé aucune donnée probante au sujet d’une cyberattaque.

Autres affirmations

L’Équipe d’enquête a aussi analysé l’affirmation de l’Iran selon laquelle « la dernière communication entre le deuxième missile et le système de défense a été enregistrée à proximité de la trajectoire de l’avion » et le lance-missile a affiché « un message mentionnant que le deuxième missile a raté sa cible, et l’avion est disparu du verrouillage radar après quelque temps. »Note de bas de page 145 PPar ailleurs, le rapport final de l’Iran indique que les enquêteurs n’ont pas été en mesure d’en arriver à une conclusion au sujet de la détonation et de l’effet du deuxième missile en raison des incertitudes entourant l’information et l’analyse.Note de bas de page 146 Les experts des systèmes de missile ont expliqué à l’Équipe d’enquête que l’opérateur aurait probablement pu empêcher le missile en vol de frapper sa cible en arrêtant le guidage radar, et ce, à tout moment jusqu’à l’interception. Or, selon l’analyse de l’Équipe d’enquête et les déclarations de l’Iran, cela n’est pas arrivé. L’analyse de la vidéo des tirs effectuée par l’Équipe d’enquête laisse croire que le deuxième missile a bel et bien explosé. Bien qu’on ne sache pas de quelle façon cela est survenu, les experts en systèmes de missile indiquent qu’il est possible que le missile ait poursuivi sa course sans trajectoire guidée et que le signal au geste de la fusée de proximité ait déjà été envoyé ou que le missile ait détoné en atteignant l’avion. L’ampleur des dommages causés par le deuxième missile n’a pu être déterminée.

Selon ce que l’on sait des lance-missile SA-15, un effectif de trois ou quatre personnes, dont un chef de véhicule, un opérateur de système et un conducteur, est généralement requis pour son fonctionnement.Note de bas de page 147 Le rapport final de l’Iran ne traite que des actes posés par l’opérateur; il ne dit rien du rôle des autres membres de l’équipage et de l’influence qu’ils ont eue sur la chaîne d’événements. Pourquoi n’y a-t-il eu personne au sein du CGRI – dans l’engin ou au niveau de commandement suivant – pour constater le défaut d’alignement ou vérifier que les procédures étaient suivies lorsqu’on a déterminé que la cible était hostile et qu’on a lancé des missiles sans approbation? La responsabilité et la compétence de l’opérateur sont en cause, mais ceux du reste de l’équipage le sont également. L’Équipe d’enquête n’a pu établir si ces manquements représentent un cas isolé ou s’ils reflètent un problème systémique dans les forces de défense aérienne de l’Iran. Ces considérations sont quelques-unes des questions cruciales qui sont en suspens et auxquelles seul l’Iran peut apporter des réponses.

Les responsables des différentes entités du CGRI – y compris les membres du commandement – ont presque assurément su tout de suite que l’Iran était responsable de la tragédie. Cependant, on ignore qui parmi les responsables et cadres supérieurs civils l’ont su, et à quel moment et de quelle façon l’information a été gérée. L’Équipe d’enquête n’est pas en mesure de confirmer l’information des médias selon laquelle le président Rouhani n’a lui-même été informé que deux jours après les faits (le 10 janvier 2020) par les forces armées.Note de bas de page 148 Toutefois, le brigadier-général Hajizadeh a déclaré dans une conférence de presse publique qu’il avait été informé qu’une cible avait été frappée au-dessus de Téhéran, mais qu’il « n’avait pas la permission de dire quoi que ce soit à quiconque » [traduction libre] y compris aux responsables civils avant que la situation ne soit évaluée.Note de bas de page 149

Le 9 février 2021, CBC News a publié un article tiré d’un enregistrement audio dans lequel, selon les sources du diffuseur, on entendrait le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif. Dans l’enregistrement examiné par CBC News, la personne identifiée comme Zarif, qui s’exprime en persan, dit que l’écrasement de l’avion est un accident. Mais plus tard, il ajoute qu’il existe des milliers de possibilités, notamment celle d’un acte posé sciemment par d’éventuels « infiltrateurs », dont il ne serait jamais informé.Note de bas de page 150 Sur la foi de l’évaluation par l’Équipe d’enquête de ce reportage et d’autres déclarations, on estime que les commentaires sur les explications possibles et sur la possibilité que la vérité ne soit jamais dévoilée étaient de nature hypothétique.

Après avoir analysé l’ensemble de l’information disponible,Note de bas de page 151 l’Équipe d’enquête a conclu que même si l’acte de tirer était un geste délibéré, il est hautement improbable que l’opérateur ait abattu l’aéronef tout en sachant que celui-ci était un avion civil. Il aurait plutôt pris l’aéronef pour une cible hostile. Malgré la série de gestes portant à conséquence qu’a posée par l’opérateur, la tragédie aurait pu être évitée par un commandement et contrôle efficace. Cela est analysé dans la section suivante.

Ratés du commandement et contrôle

Constatations

  • Le défaut d’alignement de 105 degrés mentionné par les autorités iraniennes aurait dû être facilement constaté par le commandement et contrôle (C2) immédiat du lance-missile. La procédure militaire standard exige que le lance-missile n’agisse pas en vase clos et fasse plutôt partie d’une structure de défense aérienne intégrée améliorant la connaissance de la situation et le processus décisionnel du C2. Les lance-missile iraniens devaient faire appel à leur C2 pour distinguer les cibles hostiles des aéronefs commerciaux et obtenir la permission de tirer.
  • Selon les protocoles de l’Iran, on peut raisonnablement conclure que les procédures d’identification des avions qui ont décollé de l’aéroport IK avant celui du vol PS752 ont fort probablement nécessité de nombreuses interactions avec le C2. En fait, la totalité de l’information disponible amène l’Équipe d’enquête à conclure que l’Iran a suivi de multiples cibles, mais qu’il ne pouvait pas faire la distinction entre un avion de passagers et des menaces légitimes. L’Iran a finalement lancé deux missiles, qui ont abattu une cible non identifiée qui s’est par la suite révélée être l’avion du vol PS752. Par conséquent, il est très probable que le C2 immédiat de l’opérateur du lance-missile ait manqué de nombreuses occasions de constater que ce n’était pas des cibles qui étaient suivies, de corriger l’alignement incorrect du lance-missile et, surtout, de retirer l’opérateur du théâtre jusqu’à ce que l’alignement soit rectifié.
  • Compte tenu du désalignement probable, on peut raisonnablement conclure que les avions précédents ont eux aussi semblé venir d’une autre direction (sud-ouest). Si, pour ces avions, l’opérateur a suivi la même procédure que l’Iran dit qu’il a suivie pour le PS752, il a dû demander l’aide du C2 pour déterminer s’ils étaient des cibles hostiles ou des avions commerciaux.
  • L’Iran affirme que la communication entre l’opérateur et le C2 a été rompue et que cela a contribué aux erreurs dans la prise de décisions. Toutefois, l’interruption des communications aurait touché tous les opérateurs de lance-missile, et pas uniquement celui qui a abattu l’avion d’UIA. Pourtant, l’Iran n’a pas mentionné que tel a été le cas. Par conséquent, si à un moment ou un autre les communications ont été interrompues, rien ne prouve qu’un brouillage intentionnel ou qu’une guerre électronique en ait été la cause.
  • Comme l’ont mentionné les responsables des forces armées iraniennes, cette interruption des communications pourrait avoir résulté de la saturation ou de la surcharge des systèmes des C2. Cette hypothèse soulève la possibilité de lacunes des systèmes de communication des C2 iraniens. Le cas échéant, les communications n’arrivaient pas à leur destinataire en raison de la surcharge des systèmes (p. ex. à cause d’une largeur de bande insuffisante) ou de la surcharge de travail du C2 immédiat de l’opérateur du lance-missile qui empêchait le C2 de traiter l’information à son arrivée.
  • L’Iran a reconnu que les risques dépassaient les prévisions et que les mesures d’atténuation prévues n’ont pas suffi à prévenir évité, mais l’analyse des ratés potentiels sur le plan militaire présentée dans le rapport final ne s’intéresse qu’à l’opérateur. L’Iran n’a présenté aucune information concrète sur les mesures des militaires qui auraient contribué à réduire le risque connu d’erreur d’identification et qui auraient dû prévenir évité. Le rapport final ne fournit pas d’éclairage sur les événements survenus, notamment sur la surveillance de la circulation aérienne civile faite par les militaires, sur la communication des renseignements obtenus durant cette surveillance aux effectifs en première ligne et sur l’efficacité de la supervision, par la structure de commandement, du lance-missile et de son opérateur.

Le rapport final de l’Iran exclut intentionnellement les causes fondamentales du côté des forces armées et est dépourvu d’analyse sur l’efficacité et les lacunes du commandement et contrôle du lance-missile et de l’opérateur de celui-ci malgré l’importance que revêt cette question. Après avoir analysé toute l’information disponible, l’Équipe d’enquête a déterminé que les manquements du commandement et contrôle immédiat du lance-missile ont eu une importance primordiale dans la suite des choses et que les supérieurs de l’opérateur ont très probablement manqué de nombreuses occasions de prévenir évité.

Selon le rapport final de l’Iran, les structures de coordination civilo-militaires permettant d’intégrer la gestion de la circulation aérienne étaient en place le 8 janvier 2020. Ces structures auraient inclus un centre de coordination des opérations civilo-militaire (dirigé par les forces armées) dont la tâche expresse était de transmettre au secteur de la défense tous les renseignements sur les vols civils afin que ceux-ci soient identifiés comme tels. Le rapport final de l’Iran indique que les responsables de ce centre devaient communiquer avec leurs homologues civils pour échanger les données communiquées de vive voix, par messages et par radar. L’Iran mentionne que cette information devait être transmise par l’intermédiaire des responsables de sa défense aérienne, notamment de son centre d’opérations de la défense aérienne, des secteurs de la défense aérienne (responsabilité sectorielle) et des coordonnateurs de la défense aérienne dans certains aéroports. L’Iran n’a fourni aucune information permettant de situer le lance-missile et son C2 immédiat au sein de ces structures de coordination.Note de bas de page 152

Pour pouvoir établir que l’avion du vol PS752 était un avion civil, il aurait fallu que l’opérateur du lance-missile dispose d’information précise et récente sur la circulation aérienne civile par l’intermédiaire des structures de coordination et de commandement des forces armées. Le rapport final indique que le CCOCM avait accès aux données de la surveillance radar des autorités civiles ainsi qu’à l’information sur le vol PS752.Note de bas de page 153 Cependant, le rapport ne présente aucune analyse ni aucun fait qui permettent de déterminer si les forces armées de l’Iran ont transmis ou non ces renseignements cruciaux à l’opérateur du lance-missile qui a abattu l’avion ou à son C2 immédiat. Il faudra que l’Iran fasse preuve de davantage de transparence pour que l’on trouve réponse à cette question cruciale.

Comme on le mentionne plus haut, une erreur d’alignement de 105 degrés aurait invariablement faussé la perception de l’opérateur quant à la provenance de la cible : les cibles lui auraient semblé provenir du sud-ouest (de l’Irak) plutôt que du sud-est (de Téhéran et de l’aéroport).

En raison de ce désalignement, il se peut que l’opérateur ait également jugé que les avions qui avaient décollé précédemment de l’aéroport IK étaient des « cibles hostiles » et qu’il ait ainsi tenté de les signaler à son C2. Si l’on part du principe que le C2 immédiat de l’opérateur du lance-missile avait une meilleure connaissance de la situation que ce dernier, comme c’est le cas de la plupart des centres de commandement des échelons supérieurs, le C2 immédiat de l’opérateur aurait dû disposer de renseignements détaillés et connaître la position précise de tous les avions qui s’approchaient et qui décollaient de l’aéroport IK. Il s’agissait, après tout, de l’objectif énoncé de la seule mesure d’atténuation que l’Iran a prise. Par conséquent, le C2 aurait dû détecter l’erreur d’identification de l’opérateur dans le cadre de ses échanges d’information précédents avec celui-ci et il aurait dû intervenir pour la corriger. L’Iran n’a fourni aucune information qui explique pourquoi le C2 du lance-missile a omis de relever cette erreur et d’ordonner à l’opérateur de suspendre ses activités jusqu’à ce que le problème soit réglé.

L’Équipe d’enquête a analysé l’affirmation contestable et non corroborée de l’Iran selon laquelle le lance-missile a été désaligné lors de son déplacement sur une distance de 100 mètres à 04:54, puis placé en veille jusqu’à 06:07, soit jusqu’à cinq minutes avant le départ de l’avion du vol PS752.Note de bas de page 154 Des experts des systèmes de missile ont expliqué à l’Équipe d’enquête que si le lance-missile était bel et bien en mode de veille, son radar aurait forcément été éteint, et il aurait ainsi été difficile de relever le défaut d’alignement. Cependant, le rapport final ne précise pas quels actes ont été posés, n’explique pas les implications de ceuxci et ne présente pas de faits à l’appui de ses affirmations. Ainsi, l’Iran doit fournir des preuves concrètes s’il veut clairement rendre crédibles des affirmations aussi importantes.

L’Équipe d’enquête a déterminé que le lance-missile était vraisemblablement opérationnel immédiatement après son présumé déplacement, comme on s’y attendrait compte tenu des sérieuses menaces qui planaient. En fait, la totalité de l’information disponible amène l’Équipe d’enquête à conclure que l’Iran a suivi de multiples cibles, mais qu’il ne pouvait pas faire la distinction entre un avion de passagers et une menace légitime. L’Iran a finalement lancé deux missiles, qui ont abattu une cible non identifiée qui s’est par la suite révélée être l’avion du vol PS752. Quatre avions ont quitté l’aéroport IK entre 04:54 TT et l’heure du départ de l’avion du vol PS752. En conséquence, même si on estime que le lance-missile a bel et bien été déplacé comme l’Iran l’affirme, l’opérateur du lance-missile et son commandement et contrôle immédiat ont fort probablement eu de multiples interactions qui auraient dû permettre de relever que ce n’était pas une cible qui était suivie et de corriger l’alignement.

Les quatre avions qui ont décollé entre 04:54 HT et 06:12 HT, soit l’heure du décollage de l’avion affecté au vol PS752, étaient affectés aux vols suivants : QR491 de Qatar Airways Flight, TK873 de Turkish Airlines, KK1185 d’Atlas Global et QR8408 de Qatar Airways. Étant donné que la trajectoire de ces avions à leur décollage de l’aéroport IK était similaire à celle de l’avion du vol PS752 et que l’Iran affirme que le lance-missile a été désaligné durant son déplacement à 04:54 HT, ces avions auraient fort vraisemblablement pu être aussi identifiés incorrectement. Cette constatation devrait sérieusement préoccuper tous les pays dont des transporteurs aériens et des citoyens ont voyagé via l’aéroport IK le matin de évité. En effet, en raison des actes et des omissions de l’Iran, tous les autres avions auraient pu connaître le même sort que celui de l’avion du vol PS752.

La chaîne de commandement du CGRI avait établi des règles d’engagement, que l’opérateur n’a apparemment pas suivies. La chaîne de commandement immédiate de l’opérateur n’est pas intervenue pour corriger les erreurs de procédure de l’opérateur et n’a pas non plus remis en question les comptes rendus erronés de l’opérateur avant qu’il ne procède aux tirs des missiles. Si son C2 l’avait fait, la série d’actes qui a mené à l’écrasement de l’avion aurait été interrompue. Cette situation montre que des ratés évidents sur le plan tactique du commandement ont contribué à créer les circonstances qui ont amené l’opérateur du lance-missile à prendre une si mauvaise décision. L’information disponible n’a pas permis à l’Équipe d’enquête de déterminer si ces ratés constituent une situation isolée ou s’ils sont plutôt le signe d’un problème systémique au sein des structures de commandement des forces armées de l’Iran. Quoi qu’il en soit, les actes et les omissions du C2 immédiat de l’opérateur du lance-missile ont également contribué à l’écrasement de l’avion.

Dans son rapport final, l’Iran indique que les communications ont été interrompues pendant que l’avion se dirigeait vers l’emplacement de l’opérateur du lance-missile, ce qui a mené à la décision de ce dernier de tirer. Le brigadier-général Hajizadeh a déclaré que les communications ont été interrompues en raison d’un brouillage intentionnelNote de bas de page 155 ou de la surcharge du système de communication.Note de bas de page 156 Cependant, des sources médiatiques ont cité l’Organisation de l’aviation civile iranienne, qui a déclaré qu’aucun signe d’un brouillage intentionnel n’avait pu être trouvé.Note de bas de page 157 Gholam Abbas Torki, le procureur militaire de Téhéran, a aussi indiqué que cette hypothèse n’était pas corroborée.Note de bas de page 158

L’Équipe d’enquête n’a trouvé aucune preuve selon laquelle un brouillage intentionnel aurait pu interrompre les communications. La cause la plus probable serait plutôt l’incapacité à traiter le volume de communications qu’a généré l’état d’alerte élevée des forces de défense de l’Iran. Si tel était le cas, soit que les communications radio n’étaient pas reçues en raison d’une surcharge du système (p. ex. de la bande passante insuffisante), ou que le C2 de l’opérateur du lance-missile n’arrivait pas à traiter l’information à mesure qu’il la recevait en raison de sa charge de travail trop lourde.

Par ailleurs, le fait que cette interruption soit survenue soulève des questions quant à l’absence de systèmes d’urgence ou quant au caractère inadéquat de ces systèmes. En effet, l’Iran n’a fourni aucune explication crédible qui permette de savoir pourquoi les planificateurs militaires n’auraient pas établi de lignes de communication de rechange pour maintenir la communication entre les opérateurs et leur C2, particulièrement étant donné le nombre d’avions civils qui circulaient dans l’espace aérien de l’Iran durant cette période où les tensions militaires s’étaient accrues.

L’Annexe F contient des détails sur les préoccupations soulevées quant à la trajectoire d’un vol d’Atlas Global Airlines, et l’Annexe G présente d’autres théories sur l’écrasement de l’avion du vol PS752.

Conclusion

L’Équipe d’enquête a entrepris un mandat de grande envergure dans le cadre de l’engagement du gouvernement du Canada à garantir transparence, responsabilité et justice à la suite de la tragédie du 8 janvier 2020. Elle a examiné et évalué tous les renseignements disponibles ainsi que des documents classifiés afin d’établir les circonstances de la tragédie et de déterminer les éléments et facteurs cruciaux qui y ont contribué. L’Équipe d’enquête a reçu l’appui de l’ensemble du gouvernement dans la réalisation de son évaluation crédible des faits entourant l’écrasement. Comme il a été mentionné, des renseignements manquent toujours. Seul l’Iran a entièrement accès aux preuves, à l’emplacement de l’écrasement, aux témoins et aux ultimes responsables, et il lui incombe donc de fournir ces renseignements de toute urgence en faisant preuve de transparence.

Selon l’ensemble des renseignements auxquels l’Équipe d’enquête a eu accès, bien que l’opérateur ait selon toute vraisemblance pris l’avion pour une cible hostile, son commandement et contrôle immédiat a fort vraisemblablement raté de nombreuses occasions de repérer et de corriger l’alignement incorrect du lance-missile, de relever les risques durant la période où le lance-missile était en fonctionnement et, surtout, de retirer l’opérateur du théâtre jusqu’à ce que le désalignement puisse être corrigé.

L’opérateur ainsi que le commandement et le contrôle ont effectivement posé des gestes inadéquats, mais les autorités civiles et militaires iraniennes des échelons supérieurs ont également commis des actes et des omissions qui ont contribué à l’écrasement, car ils ont considérablement augmenté les risques pour la circulation aérienne civile :

  • Les autorités ont lancé une attaque préméditée contre des positions des É.-U. en Irak et elles s’attendaient, comme elles l’ont elles-mêmes admis, à une riposte des États-Unis.
  • Elles ont planifié la façon dont elles réagiraient à la riposte qu’elles prévoyaient que les États-Unis déclenchent.
  • Elles ont placé leur défense aérienne dans l’état d’alerte le plus élevé et ont vraisemblablement délégué à un échelon inférieur le pouvoir d’autoriser les tirs contre des cibles aériennes.
  • Elles ont placé leurs systèmes de défense aérienne sur un pied d’alerte à proximité d’un aéroport international et donné à des effectifs du CGRI la tâche de surveiller un espace aérien où des avions civils s’apprêtaient à décoller et à atterrir.
  • Elles ont réalisé une analyse grandement erronée selon laquelle le risque était « faible » que les forces de défense aérienne de l’Iran prennent l’avion civil pour une cible hostile.
  • À la suite de cette analyse et malgré la menace militaire à proximité, elles ont décidé de laisser l’espace aérien ouvert au-dessus de Téhéran. Elles n’ont diffusé aucun avis officiel aux aéronefs civils et elles n’ont pris qu’une seule mesure pour prévenir les erreurs d’identification qui s’appliquait au vol PS752. Et cette mesure a échoué en raison des ratés qui allaient suivre au sein des forces armées.

L’Équipe d’enquête est d’avis que lorsqu’ils ont pris ces décisions erronées, les responsables de la gestion de l’espace aérien iranien n’ont pas respecté les normes sur la sécurité de l’espace aérien qui sont en vigueur et reconnues à l’échelle internationale. Selon l’Équipe d’enquête, la décision de l’Iran de considérer que les risques étaient « faibles » et sa décision consécutive de laisser l’espace aérien au-dessus de Téhéran ouvert étaient erronées, tout comme l’était sa décision de ne pas informer officiellement les transporteurs aériens et les pilotes de la hausse des risques avant le départ de l’avion. Le rapport final de l’Iran n’explique en rien pourquoi ces mesures de prévention élémentaires qui auraient pu permettre d’éviter la tragédie n’ont pas été prises.

L’Iran n’a pas non plus tenu compte des recommandations formulées dans l’enquête des Pays-Bas sur l’écrasement de l’avion du vol MH17. Depuis l’accident du vol MH17, la communauté internationale insiste sur l’importance pour les États de protéger les avions civils en fermant ou en restreignant sans tarder leur espace aérien ainsi qu’en communiquant rapidement aux transporteurs aériens de l’information précise sur les menaces que représentent les opérations militaires. En dehors de la désignation d’une approbation militaire pour les départs d’avions d’IKA, l’Équipe d’enquête n’a trouvé aucun renseignement démontrant une quelconque tentative d’atténuation des risques pour la circulation aérienne civile de Téhéran.

Dans son rapport final, l’Iran ne reconnaît pas qu’il faut tenir compte du contexte général pour déterminer la façon dont cet événement tragique s’est produit. Les actes de l’opérateur sont présentés dans le cadre d’une série de décisions, d’actes et d’omissions des autorités civiles et militaires. Dans son compte rendu des faits, y compris dans son rapport final, l’Iran ne donne pas de portrait complet et transparent de l’ensemble des causes de l’écrasement et des facteurs qui y ont contribué, notamment de la surveillance de la circulation aérienne civile par les forces armées, de la communication des renseignements aux effectifs de première ligne et de l’efficacité de la supervision du lance-missile et de son opérateur par la structure de commandement.

L’Équipe d’enquête a déterminé que l’Iran n’est pas parvenu à expliquer de façon crédible comment et pourquoi le CGRI a abattu l’avion. L’Équipe d’enquête est d’avis que la l’identification incorrecte de la cible a joué un rôle important dans l’écrasement. Cependant, le gouvernement iranien ne peut pas s’attendre à ce que la communauté internationale et les familles des victimes ignorent les autres causes et facteurs manifestes, directs et systémiques de l’écrasement. Bien que l’Équipe d’enquête n’ait trouvé aucune preuve selon laquelle les tirs de missiles étaient prémédités, n’exonère nullement l’Iran de sa responsabilité à l’égard des mesures qu’il a prises, ou omis de prendre, et qui ont causé l’écrasement de l’avion. L’Iran est responsable d’avoir omis de protéger les victimes civiles et d’avoir omis de faire preuve de transparence par la suite.

Le présent rapport énonce le plus de causes et de facteurs possibles et indique, lorsqu’elles étaient disponibles, les preuves qui sous-tendent l’analyse de l’Équipe d’enquête. Toutefois, il incombe à l’Iran de fournir des preuves solides pour établir la crédibilité de son compte rendu et lever tout doute sur l’enchaînement des événements qui ont conduit à cette tragédie. En l’absence d’un compte rendu crédible et transparent des faits, la communauté internationale de l’aviation ne peut pas avoir l’assurance qu’une telle tragédie ne se reproduira pas dans le ciel de l’Iran.

De plus, dans le rapport final de son Bureau d’enquête, l’Iran affirme avoir pris des mesures en réponse aux conclusions de son enquête, mais ces mesures ne sont ni précisées ni corroborées. L’Iran n’a pas réussi à démontrer clairement en quoi consistaient ces mesures et n’a pas indiqué quelles sont celles qui devaient être prises pour remédier aux nombreux ratés qui ont causé l’écrasement et qui y ont contribué. Ce qui est le plus troublant, c’est que l’Iran n’a pas indiqué que ses forces armées avaient pris des mesures concrètes pour s’attaquer à la cause déclarée de la tragédie, à savoir le lancement de missiles en direction d’un avion civil.

Pour la suite des choses, il sera particulièrement important pour les familles des victimes, le Canada et la communauté internationale que l’Iran explique de façon transparente et crédible l’écrasement de l’avion et présente des faits pour corroborer ses affirmations. En l’absence de réponses aux nombreuses questions cruciales qui subsistent, la communauté internationale ne peut pas conclure que les lacunes ont été corrigées. Elle n’a donc d’autre choix que d’assumer que les aéronefs civils qui circulent dans l’espace aérien de l’Iran s’exposent encore à des risques, particulièrement alors que l’Iran renforce sa posture de défense en cette période de grandes tensions.

Annexe A : Enquêtes de la Gendarmerie royale du Canada

Vol PS752 : Plaintes en raison de possibles actes d’intimidation ou de harcèlement

Contexte

À la suite de la tragédie, des plaintes ont été reçues de membres des familles des victimes, qui disent avoir été – et continuer d’être – la cible d’intimidation et de menaces. Certaines de ces plaintes ont été formulées en public et d’autres ont été reçues par d’autres moyens.

Pour des raisons de sécurité publique, il a été demandé aux éventuelles victimes d’intimidation de communiquer avec leur service de police local pour que toute préoccupation immédiate en matière de sécurité soit prise en considération. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) prend toutes les déclarations sérieusement. Elle souhaite connaître l’ensemble des circonstances entourant chaque plainte afin d’identifier les auteurs et de déterminer si des accusations criminelles seraient  appropriées.

Enquête et réponse de la GRC

La GRC est régulièrement en communication avec les services de police de l’ensemble du pays pour recenser tous les cas connus de membres de famille ayant pu faire l’objet d’intimidation ou de harcèlement en lien avec cette affaire. En collaboration avec ces services de police, les efforts se poursuivent pour déterminer s’il existe des preuves pouvant soutenir des accusations criminelles portées contre des individus ou groupes connus pour se livrer à ces activités.

Afin de protéger les renseignements personnels et de maintenir l’intégrité des enquêtes, la GRC doit s’abstenir de donner plus de détails opérationnels touchant des plaintes en particulier. Toutefois, il est possible de dire que les activités prétendues sont survenues au Canada et à l’étranger, qu’elles ont été réalisées en personne, en ligne et par téléphone, et que les efforts se poursuivent pour relier les incidents rapportés à des responsables.

Prochaines étapes

La GRC continue d’enquêter sur toutes les plaintes connues d’intimidation et invite toute personne possédant de l’information à se manifester.

Le texte suivant a été publié sur le portail des familles des victimes du vol PS752. Il convient de le retranscrire pour le présent rapport : La GRC est au courant des allégations d’intimidation des familles endeuillées relativement à l’écrasement de l’avion, et nous prenons ces plaintes au sérieux. Nous voulons nous assurer que toute personne qui se sent intimidée ou qui craint pour sa propre sécurité puisse immédiatement communiquer avec la police locale pour signaler de tels incidents. Après avoir communiqué avec la police locale, les familles doivent transmettre à la GRC le numéro de dossier et le nom du service de police local afin que la GRC puisse faire un suivi. La GRC collabore avec les corps de police locaux sur ces questions. Un officier de liaison auprès des familles appuie les familles des victimes du vol PS752 et reçoit de l’information à ce sujet.

Annexe B : Structure des forces armées et planification de la défense de l’Iran

L’image est un organigramme du commandement et contrôle national et militaire de l’Iran. Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, occupe le sommet. Le reste de la structure est constitué de trois niveaux d’entités civiles ou militaires. Pour chaque entité, les noms des dirigeants, leur rang et leurs responsabilités sont indiqués.

Figure 15 : Organigramme de l’état-major des forces armées et de la direction des autorités civiles de l’Iran en janvier 2020Note de bas de page 159

Version texte

Le premier niveau sous l’image du guide suprême est le Conseil suprême de la sécurité nationale, qui comprend :

  • Hassan Rouhani, président de l’Iran et président du Conseil suprême
    • Ministre de l’Intérieur : Abdolreza Rahmani Farzi
      • Forces de l’ordre : brigadier-général Hossein Ashtari (commandant) (CGRI)
  • Ali Shamkhani (secrétaire)

Le deuxième niveau est occupé par deux entités de haut commandement des forces armées :

État-major des forces armées

  • Major-général Mohammed Badheri (CGRI) (chef)
  • Brigadier-général Mohammad Reza Ashtiani (Artesh) (sous-chef)

Quartier général central de Khatemolanbia

  • Major-général Gholam Ali Rashid (CGRI) (chef)
  • Major-général Hassani Sadi (Artesh) (sous-chef)

Le troisième niveau présente deux structures parallèles de commandement des forces armées. La première est la structure de commandement des forces régulières (Artesh) :

  • Major-général Ahdolrahim Musavi (chef)
    • Quartier général de la défense aérienne de Khatemolandia
    • Brigadier-général Mohammad Hossein Dadras (sous-chef)
      • Forces terrestres de la République islamique d’Iran : brigadier-général Kiomars Heidari (commandant)
      • Marine de la République islamique d’Iran : contre-amiral Hossein Khanzadi (commandant)
      • Forces aériennes de la République islamique d’Iran : brigadier-général Aziz Nasirzadeh (commandant)
      • Forces de défense aérienne de la République islamique d’Iran : brigadier-général Alireza Sabahi Fard (commandant)

L’autre décrit la structure de commandement du Corps des gardiens de la révolution islamique (Sepah-e Pasdaran) :

  • Major-général Hossein Salami (chef)
    • Rear Admiral Ali Fadavi (sous-chef)
      • Force aérospatiale du CGRI : brigadier-général Amir Ali Hajizadeh (commandant)
      • Marine du CGRI, commandant : contre-amiral Alireza Tangsiri (commandant)
      • Forces terrestres du CGRI : brigadier-général Mohammad Pakpour (commandant)
      • Force de mobilisation de la résistance (Basij) du CGRI : brigadier-général Gholamreza Soleimani (commandant)
      • Force Al-Qods du CGRI : brigadier-général Esmail Ghani (commandant)
      • Centre de contrôle des missiles Al-Ghadir : brigadier-général Mahmud Bagheri Kazemabad (commandant)

Organigramme de l’état-major des forces armées et de la direction des autorités civiles de l’Iran

Selon la répartition des pouvoirs dans le pays que prévoit la constitution iranienne, le guide suprême est le commandant en chef des forces armées. Il a le pouvoir de déclarer la guerre et la paix, approuve les opérations militaires et assume le commandement et le contrôle. Lorsqu’il décide de recourir à la force militaire, il informe le Conseil suprême de la sécurité nationale de sa décision, qui avise l’état-major des forces armées et le quartier général central de Khatemolanbia (QGCK).Note de bas de page 160 Ceux-ci transmettent les ordres aux responsables de la Force régulière (Artesh) ou du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), qui les font suivre à la chaîne de commandement de leur armée respective. Comme l’indique ce qui précède, l’état-major des forces armées a techniquement autorité sur le Corps des gardiens de la révolution islamique.

Le CGRI demeure le principal – mais non le seul – organe d’influence et de mise en œuvre de la politique de sécurité de l’Iran. Les ministères et organismes civils, y compris le président et le ministère des Affaires étrangères, ont moins d’influence que le CGRI sur les décisions prises dans les contextes où les intérêts de l’Iran relèvent de la sécurité. Cependant, ils ont plus d’influence lorsque les décisions concernent les relations de l’Iran avec la communauté internationale.

La bureaucratie de l’Iran, comme bien d’autres, affiche une division des rôles et un chevauchement des pouvoirs. Au sein des forces armées, l’Artesh assure la défense nationale contre les menaces externes alors que la mission du CGRI est de défendre le régime et son système de gouvernement contre toute menace extérieure et intérieure. L’Artesh et le CGRI disposent chacun de leur propre force terrestre, force navale, force aérienne et force de défense aérienne, selon des sources libres d’accès.Note de bas de page 161

Compte tenu de cette division de la structure militaire entre l’Artesh et le CGRI, il est difficile d’apporter une réponse définitive à certaines questions. Ainsi, il n’est pas facile de savoir qui, dans les faits, exerce le contrôle de l’espace aérien de l’Iran durant les périodes d’alerte élevée. De plus, on ne sait pas avec certitude s’il existe une bonne coordination entre l’Artesh et le CGRI, ni comment ceux-ci interagissent avec les autorités civiles, comme le ministère des Routes et du Développement urbain, par exemple dans les questions de gestion de l’espace aérien en temps de crise.

Quelle est la différence entre l’Artesh et le CGRI? L’Artesh assure la défense nationale alors que la priorité du CGRI est la survie du régime. On estime que l’Artesh compte environ 420 000 conscrits, dont le service est généralement de 18 à 24 mois. Le CGRI, avec ses quelque 190 000 membres possédant une formation spécialisée, est considéré comme la force militaire dominante.

Annexe C : Normes de l’aviation internationale et NOTAM

Normes de l’aviation internationale et pratiques recommandées

La Convention relative à l’aviation civile internationale (la Convention de Chicago), dont l’Iran est partie, exige des États qu’ils s’acquittent de leurs responsabilités à l’égard de la sécurité des opérations d’aviation civile effectuées dans leur espace aérien.

Les normes figurant à l’Annexe 17 de la Convention décrivent les mesures que doivent prendre les États pour surveiller en continu le niveau et la nature des menaces qui pèsent sur l’aviation civile dans leur espace aérien, et pour établir des politiques et des procédures visant à les éliminer. Bien que le libellé de l’Annexe ne fasse pas mention des menaces militaires, on s’attend à ce que cellesci fassent partie de toute analyse de risques responsable portant sur des avions civils qui traversent ou survolent des zones de conflit.

L’Annexe mentionne également que les États s’emploieront à « partager des informations de manière pratique et opportune, selon qu’il convient, avec les exploitants d’aéroports, exploitants d’aéronefs, fournisseurs de services de la circulation aérienne et autres entités concernées, afin de les aider à effectuer des évaluations des risques efficaces concernant leurs opérations. »

Les lignes directrices de l’Organisation de l’aviation civile internationale (ICAO) aident les États à satisfaire à ces normes lorsque la menace est de nature militaire et que l’espace aérien est considéré comme étant dans une zone de conflit. La définition de l’expression « zone de conflit » qu’on y trouve est la suivante : « Espace aérien au-dessus des zones où un conflit armé se déroule ou risque de se dérouler entre des parties militarisées, et […] espace aérien au-dessus des zones où ces parties sont dans un état d’alerte ou de tension militaire accrues, ce qui pourrait mettre en danger les aéronefs civils ». Il est recommandé dans ces lignes directrices que les États évaluent les menaces à l’aviation civile dans une zone de conflit et informent les exploitants d’appareils civils de la nature et de la portée de ces menaces ainsi que des mesures à prendre pour les atténuer, au moyen d’avis aux navigants (NOTAM) ou d’autres avis.

Selon le risque, les États membres de l’OACI ont la possibilité d’interdire ou de limiter l’accès à leur espace aérien en période de conflit militaire ou de tension élevée – une mesure généralement prise au moyen d’un NOTAM. La décision de diffuser un NOTAM relève habituellement de l’autorité de l’aviation civile de l’État membre – dans le cas présent, l’Organisation de l’aviation civile iranienne (ministère des Routes et du Développement urbain). Cependant, en Iran, le Conseil suprême de sécurité nationale – le principal organe gouvernemental dans lequel les dirigeants militaires et civils élaborent des recommandations sur les priorités clés de Téhéran qui seront soumises à l’approbation du guide suprême – est également partie prenante à la décision.Note de bas de page 162

Il est arrivé que des États membres suivent les normes internationales et les pratiques recommandées et ferment leur espace aérien ou en réduisent l’accès pendant des conflits armés.Note de bas de page 163Les États membres de l’OACI n’ont pas convenu d’établir des lignes directrices précises sur la façon dont les États doivent gérer les restrictions dans l’espace aérien. En d’autres termes, il n’existe pas dans l’aviation civile internationale « d’exigences claires précisant le moment où un État doit fermer son espace aérien.Note de bas de page 164 » [traduction libre]

C’est pour cette raison que le Bureau de la sécurité des Pays-Bas a recommandé, à la suite de son enquête sur l’abattage du vol MH17 de Malaysia Airlines au-dessus de l’Ukraine en 2014, que les États « reçoivent assez d’incitation et d’appui dans ces situations pour assumer cette responsabilité.Note de bas de page 165 » [traduction libre] Le Canada a enchaîné en proposant une stratégie sur la sécurité aérienneNote de bas de page 166, qui vise à établir des pratiques communes pour l’échange d’information, la diffusion des avertissements et des restrictions au sujet des zones de conflit ainsi que l’amélioration des pratiques de gestion des risques de l’industrie de l’aviation.

Qu’est-ce qu’un NOTAM?

Les NOTAM et les circulaires d’information aéronautique sont le plus couramment utilisés pour transmettre de l’information sur la sécurité des vols, notamment les avis et les restrictions dans les zones de conflit. La principale différence entre les deux publications est leur durée. Les NOTAM sont généralement utilisés pour aviser les pilotes d’événements à court terme et ne sont pas conçus pour être valides pendant plus de trois mois. En revanche, une AIC est généralement utilisée pour communiquer des renseignements à long terme de nature purement explicative ou consultative qui auraient une incidence sur la sécurité des vols. Jusqu’à maintenant, les États ont adopté différentes approches pour diffuser aux exploitants aériens de l’information et des avis sur les zones de conflit. Par exemple, au Canada, les NOTAM et les AIC sont utilisés de façon complémentaire pour assurer le transfert le plus efficace possible de l’information sur une zone de conflit. Pour les menaces imminentes, le Canada diffuse des NOTAM qui sont, au fil du temps, remplacées par des AIC.

Iran

L’Iran n’a pas diffusé de NOTAM dans les jours et les heures précédant la tragédie. De plus, il n’a diffusé aucun NOTAM au sujet du risque élevé dans son espace aérien. Il a diffusé les NOTAM A0086-20 et A0087/20 des heures après l’écrasement de l’avion dans le seul but de communiquer les changements apportés quant à la gestion de la circulation aérienne.

En effet, le NOTAM A0086/20 a été diffusé le 8 janvier 2020 à 05:49 TUC (09:19 HT) pour annoncer l’interruption de la circulation aérienne civile dans l’espace aérien compris entre PAXAT, RAGET et BOXIX, des points de repère dans l’espace aérien entre l’Iran et l’Irak. Le second NOTAM, A0087/20, a été diffusé peu de temps après, à 06:53 TUC (10:23 HT) pour rediriger la circulation aérienne civile en provenance de certaines régions d’information de vol (p. ex. OBBB – Bahreïn et LTAA – Ankara) dans l’ouest de Téhéran près de la frontière avec l’Irak.

Transports Canada a indiqué qu’il est dans les habitudes de l’Iran de décréter des NOTAM au sujet d’activités et d’exercices militaires planifiés près de ses aéroports, mais il n’a trouvé aucun cas de fermeture de l’espace aérien de l’Iran attribuable à des opérations militaires actives ou à des augmentations de tension avec d’autres États (y compris les tensions accrues avec les États-Unis en juin 2019 et après).

Ukraine

L’Autorité de l’aviation civile d’Ukraine n’avait pas décrété de NOTAM avant l’écrasement de l’avion, et c’est le 8 janvier 2020 (15:35 TUC / 19:05 HT) qu’elle en a décrété un. Le NOTAM ukrainien A0033/20 a signifié aux exploitants aériens ukrainiens l’interdiction de vol dans l’espace aérien iranien et irakien. Un NOTAM interdisant aux exploitants aériens de l’Ukraine de se trouver dans l’espace aérien iranien demeure en vigueur (NOTAM A4481/20).Note de bas de page 167

Union européenne

Les façons de faire dans l’Union européenne (UE) varient selon les États membres. L’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) ne diffuse pas de NOTAM ni de circulaires d’information aéronautique. Elle diffuse plutôt des bulletins d’information sur les zones de conflit (CZIB, de l’anglais « Conflict Zone Information Bulletin ») à partir d’une évaluation des risques pour l’UE.

Le premier CZIB de l’AESA concernant l’espace aérien iranien a été décrété le 17 janvier 2020. Avant cela, l’organisme avait transmis deux recommandations aux autorités de l’aviation civile de l’UE. La première avait été formulée le 8 janvier pour mettre les autorités au courant de la situation et recommander que l’espace aérien irakien soit évité par mesure de précaution. Une mise à jour avait suivi le 10 janvier, dans laquelle on évaluait que le risque opérationnel dans l’espace aérien irakien était élevé (« HIGH ») à toutes les altitudes et élevé dans l’espace aérien iranien à un niveau de vol inférieur à 250. Des renseignements s’ajoutant sur l’incident, d’autres mises à jour, accompagnées de directives supplémentaires, ont été diffusées le 11 janvier et le 28 janvier. Le 23 avril 2021, l’AESA a rediffusé le CZIB au sujet de l’Iran. Ce bulletin met en garde contre le risque pour l’aviation civile. Ce bulletin demeure en vigueur au moment de la publication du présent rapport. On évalue que le risque opérationnel est élevé aux niveaux de vol inférieurs à 250.Note de bas de page 168

États-Unis

Compte tenu du risque élevé attribuable aux fortes tensions à la suite des frappes de missile que l’Iran a lancées en représailles en direction de bases de la coalition en Irak le 7 janvier 2020 à 23:50 TUC (03:20 HT 8 janvier 2020), la Federal Aviation Administration (FAA) des É.-U. a décrété des interdictions de vol dans la région d’information de vol de Bagdad pour empêcher les transporteurs américains « de survoler la région en raison des importantes activités militaires et des tensions élevées sur la scène politique au Moyen-Orient ». [traduction libre] Peu de temps après, le 8 janvier 2020 à 00:10 TUC (03:40 HT), soit 2 heures et 32 minutes avant le décollage de l’appareil affecté au vol PS752, la FAA a diffusé un NOTAM qui interdisait aux transporteurs des É.-U. de survoler la région d’information de vol de Téhéran.

Les responsables de Transports Canada ont confirmé à leurs homologues de la FAA que les NOTAM des É.-U. sont diffusés à plusieurs endroits en ligne et que certains sont publiés instantanément tandis qu’il faut un certain temps avant que d’autres figurent dans l’ensemble des systèmes. Pour illustrer cette situation, le 7 janvier 2020 à 20:52 HNE (8 janvier 01:52 TUC / 05:22 HT et 03:52 EET à Kyiv), la FAA a publié dans son compte Twitter, @FAANews, qu’elle avait décrété deux NOTAM qui restreignaient les vols au-dessus de l’Irak, du golfe Persique et du golfe d’Oman. Lors du vol PS752, l’appareil a décollé de l’aéroport international Imam Khomeini (ci-après l’aéroport IK) juste 50 minutes plus tard.

Des outils de production de rapports de sources ouvertes comme OpsGroup et OSPREY relaient habituellement les NOTAM et envoient des alertes. Cependant, seules les personnes inscrites à ce type de service reçoivent les alertes. La FAA a également tenu une conférence téléphonique au sujet de ce NOTAM avec les responsables des transporteurs aériens des É.-U. et l’Association du transport aérien international, mais aucun autre pays n’y a participé. Cette information a également été transmise au Groupe d’expert de l’information sur les risques pour les vols en zone de conflitNote de bas de page 169 et à d’autres partenaires étrangers comme le Canada et elle a aussi été diffusée au moyen d’une liste de diffusion à laquelle des transporteurs aériens et des partenaires étrangers sont inscrits.

Responsabilités du commandant de bord quant aux NOTAM

L’annexe 2, Règles de l’air, de la Convention relative à l’aviation civile internationale de l’OACI stipule que le pilote commandant de bord est « le pilote désigné par l’exploitant [… ] comme étant celui qui commande à bord et qui est responsable de l’exécution sûre du vol ».

Avant le décollage, le commandant de bord reçoit une trousse d’information qui comprend entre autres les NOTAM pertinents et les plans de vol. Conformément aux normes de l’OACI, il incombe au commandant de bord de lire cette information et de prendre connaissance de « tous les renseignements disponibles utiles au vol projeté ».

La plupart des transporteurs aériens ont recours à des systèmes de planification des vols qui repèrent les NOTAM qui s’appliquent. Les régulateurs de vol utilisent ces systèmes pour établir les plans de vol, qui, une fois vérifiés, sont transmis électroniquement avant le vol.

L’OACI diffuse également des directives au sujet du rôle de l’exploitant aérien (également appelé transporteur aérien) et de celui du commandant de bord en cas d’éruption de violence armée. Le document 9554, Manuel concernant les mesures de sécurité relatives aux activités militaires pouvant présenter un danger pour les vols des aéronefs civils, explique que lorsque les procédures de coordination habituelle entre les autorités civiles et militaires ne sont plus suivies en raison d’une soudaine éruption de violence, l’exploitant aérien doit évaluer la situation au moyen de l’information dont il dispose et prendre des mesures afin de protéger la sécurité, notamment en modifiant les itinéraires ou en interdisant les décollages.

Annexe D : Renseignements détaillés sur l’appareil du vol PS752

Boeing 737-800 appartenant à Ukraine International Airlines

L’avion affecté au vol PS752 était un Boeing 737-800 appartenant à Ukraine International Airlines (UIA). Il portait le numéro de série 38124Note de bas de page 170, l’immatriculation UR-PSRNote de bas de page 171et le numéro de chaîne de production 5977.Note de bas de page 172 Il avait 3,6 années d’existence. Il a été construit à Renton, dans l’État de Washington, aux États-Unis.Note de bas de page 173 Sa constructionNote de bas de page 174 et son premier vol sont datés du 21 juin 2016.Note de bas de page 175 Le fabricant l’a livré au transporteur le 19 juillet 2016.Note de bas de page 176 Sa dernière date d’entretien prévue était le 6 janvier 2020.Note de bas de page 177

Historique de vol de l’avion – UR-PSR. L’avion est un Boeing 737-8KY, code de type B738, mode S 508377. La compagnie aérienne est l’Ukraine International Airlines, numéro de série 38124. Âge, juin 2016, quatre ans. La fiche indique que le vol PS752 était le 8 janvier 2020, de Téhéran (IKA) à Kyiv (KBP). Durée de vol 03:42. STD 01:45, ATD 02:42 et STA 06:00. Statut, atterri à 06:24.

Figure 16 : Immatriculation et numéro de série de l’appareil affecté au vol 752 d’UIA, FlightRadar24Note de bas de page 178

Les vols directs, sans escale, d’UIA entre Kyiv et Téhéran ont débuté en 2014.Note de bas de page 179 Le transporteur aérien a accru la fréquence des vols en 2016 étant donné la popularité de cet itinéraire.Note de bas de page 180

Avant le 8 janvier 2020, d’autres appareils Boeing 737 de la flotte d’UIA avaient aussi effectué l’itinéraire entre Kyiv et Téhéran, dont les appareils portant les immatriculations suivantes : URPSJ, UR-PSE, URPSF et URPSI.Note de bas de page 181

Déroulement du vol PS752

Selon UIA, lors du vol PS752, l’appareil a emprunté un cap de décollage courant similaire à celui emprunté par d’autres appareils d’UIA durant les mois qui ont précédé la tragédie. La trajectoire de vol était également similaire à celle d’autres transporteurs qui effectuaient des vols à partir de l’aéroport IK.Note de bas de page 182

Le 8 janvier 2020, les trois pilotes de l’avion cumulaient ensemble 31 200 heures de vol à bord d’appareils Boeing 737.Note de bas de page 183 L’avion a décollé avec une masse au décollage de 72 468 kgNote de bas de page 184 après un retard à l’occasion duquel des bagages de passagers ont dû être déchargés afin que l’avion respecte la masse maximale au décollage de 72 500 kg. Tous les systèmes de l’avion fonctionnaient correctementNote de bas de page 185, et celui-ci n’a pas dévié de sa trajectoire qui avait été approuvée au préalable.Note de bas de page 186

Annexe E : Arrivées et départs à l’aéroport IK

ArrivéesNote de bas de page 187

Du : 8 janvier 2020 à 00:04, heure de Téhéran
Au : 8 janvier 2020 à 06:31, heure de Téhéran

No.VolTransporteurDernier point de départHeure prévueHeure réelleAéronef
1.J29005Azerbaijan AirlinesBakou, Azerbaïdjan00:25Atterrissage 00:04E190
2.W5115Mahan AirIstanbul, Turquie00:45Atterrissage 00:49A310
3.PS751Ukraine International AirlinesKyiv, Ukraine00:55Atterrissage 00:57B738
4.TK874Turkish AirlinesIstanbul, Turquie00:50Atterrissage 01:17A321
5.IR750Iran AirRimini, Italie03:18Atterrissage 01:52A310
6.IR5318Iran AirNadjaf, IrakAtterrissage 01:59A306
7.W5143Mahan AirDamas, SyrieAtterrissage 02:13A310
8.IR710Iran AirLondres, R.-U.02:00Atterrissage 02:16A332
9.SU512AeroflotMoscou, Russie02:45Atterrissage 02:19A320
10.IR768Iran AirIstanbul, Turquie02:30Atterrissage 02:37A306
11.KK1184Atlas GlobalIstanbul, Turquie03:20Atterrissage 02:56A321
12.QR490Qatar AirwaysDoha, Qatar3:35Atterrissage 03:18A333
13.B99717Iran AirtourIstanbul, TurquieAtterrissage 03:26A306
14.QR8408Qatar AirwaysDoha, Qatar03:25Atterrissage 03:34B77L
15.TK872Turkish AirlinesIstanbul, Turquie03:50Atterrissage 03:47A321
16.QB2214Qeshm AirIstanbul, Turquie02:50Atterrissage 03:49A306
17.IR726Iran AirOurmia, Iran03:55Atterrissage 03:55A332
18.W582Mahan AirKuala Lumpur, Malaisie03:31Atterrissage 04:15A343
19.W576Mahan AirShanghaï, Chine04:00Atterrissage 04:55A346
20.TK878Turkish AirlinesIstanbul, Turquie05:35Atterrissage 05:33A333
21.W570Mahan AirDelhi, Inde05:20Atterrissage 05:37A343
22.EP3768Aseman AirChiraz, Iran06:25Atterrissage 06:31Fokker 100

Départs de l’aéroport IK avant et après le décollage de l’appareil qui effectuait le vol PS752Note de bas de page 188

Du : 8 janvier 2020 à 01:37, heure de Téhéran
Au : 8 janvier 2020 à 07:49, heure de Téhéran

No.VolTransporteurDestinationHeure prévueHeure réelleAéronef
1.J2 9006Azerbaijan AirlinesBakou, Azerbaïdjan01:2501:37E190
2.LX 4021 /
LH 601
Swiss/LufthansaFrancfort, Allemagne02:2502:43A330
3.TK 875Turkish AirlinesIstanbul, Turquie03:0003:35A321
4.OS 872Austrian AirlinesVienne, Autriche03:4504:23A320
5.SU 513AeroflotMoscou, Russie04:3004:32A320
6.QR 491Qatar AirwaysDoha, Qatar04:4505:00A320
7.TK 873Turkish AirlinesIstanbul, Turquie04:4505:07A321
8.KK 1185Atlas GlobalIstanbul, Turquie05:1505:17A330
9.QR 8408Qatar AirwaysHong Kong05:1505:39B777
10.PS 752Ukraine International AirlinesKyiv, Ukraine05:1506:12Boeing 737-800
11.IR 721Iran AirlinesFrancfort, Allemagne07:1507:49Note de bas de page 189A330

Annexe F : Vol KK1185 d’Atlas Global : trajectoire inhabituelle?

En réponse à une préoccupation qu’a exprimée un membre de la famille de l’une des victimes de la tragédie du vol PS752 à l’effet de laquelle le vol KK1185 d’Atlas Global pourrait avoir délibérément évité les installations militaires de l’Iran, l’équipe chargée de l’enquête s’est penchée attentivement sur ce vol, qui a quitté l’aéroport IK près d’une heure avant l’appareil qui effectuait le vol PS752. L’image ci-dessous tirée de Flightradar24 illustre un itinéraire très anormal, mais il est extrêmement improbable que le vol KK1185 d’Atlas Global ait réellement suivi l’itinéraire illustré. En effet, les avions de ligne ne peuvent pas effectuer de virages à angle droit ni aucun autre mouvement brusque que la conception des appareils habituels empêche d’effectuer. L’itinéraire irrégulier du vol d’Atlas Global Airlines capté par Flightradar24 que l’on voit ci-dessous est probablement attribuable à un problème technique du logiciel ou à une erreur du transpondeur. Flightradar24 explique que ce genre de représentation inexacte résulte de « bogues » courants. Il arrive que « les transpondeurs produisent des erreurs en transmettant des données aléatoires ou incorrectes au sujet de la position de l’appareil », ce qui donne lieu à des « trajectoires de vol impossibles, souvent en dents de scie.Note de bas de page 190 » [traduction libre]

Capture d’écran du radar de vol 24 décrivant une trajectoire très inhabituelle pour le vol KK1185.

Figure 17 : Flightradar24 – Trajectoire du vol KK1185 d’Atlas Global le matin du 8 janvier 2020.

Annexe G : Autres théories et déclarations officielles pouvant expliquer pourquoi l’espace aérien de l’Iran est demeuré ouvert

Les médias et des membres de la famille des victimes de la tragédie du vol PS752 suggèrent d’autres théories voulant que les autorités civiles et militaires de l’Iran aient laissé l’espace aérien de Téhéran ouvert en raison de diverses autres considérations :

  • Étant donné que des engagements militaires et même des menaces d’engagement ont dans le passé provoqué des fluctuations marquées après que des Iraniens ont transféré des capitaux à l’étranger, on affirme possible que les responsables iraniens aient tenu compte de considérations d’ordre économique pour éviter la dérive de capitaux vers l’étranger ou la dévaluation de la devise du pays dans l’éventualité où des citoyens voudraient mettre leurs avoirs à l’abri dans des marchés stables.Note de bas de page 191 L’équipe chargée de l’enquête a été incapable de déterminer avec certitude si les responsables avaient accordé la priorité à des considérations économiques au détriment d’autres considérations au moment de prendre leurs décisions au sujet de l’espace aérien de l’Iran durant la période du 7 au 8 janvier 2020.
  • L’Iran craignait peut-être que le fait de fermer son espace aérien pendant une quelconque période signale aux Américains son intention d’attaquer des positions des É.-U. en Irak. Dans la conversation audio que CBC a obtenue entre un membre de la famille d’une victime au Canada et Hassan Rezaeifar, alors dirigeant de l’enquête de l’Iran sur l’écrasement de l’avion, ce dernier explique que la fermeture de l’espace aérien au-dessus de Téhéran aurait pu signaler aux É.-U. que l’Iran avait l’intention de procéder à des tirs de missiles balistiques en direction de bases aériennes en Irak.Note de bas de page 192 En fait, des responsables iraniens ont dit à leurs homologues irakiens qu’ils allaient tirer des missiles balistiques en direction de positions des É.-U. en Irak des heures avant de procéder aux tirs, et ils s’attendaient à ce que les Américains en soient informés.Note de bas de page 193 La raison que Rezaeifar a donnée pourrait expliquer pourquoi l’Iran n’a pas fermé son espace aérien avant de lancer son attaque de représailles, mais elle n’explique certainement pas pourquoi l’Iran ne l’a pas fermé à l’aviation civile après coup.
  • D’autres explications suggèrent que les responsables iraniens ont laissé leur espace aérien ouvert pour que la circulation de l’aviation civile dissuade les Américains de contre-attaquer. L’équipe chargée de l’enquête n’a trouvé aucune information qui confirme que l’Iran calculait alors que l’utilisation de « boucliers humains » dissuaderait les Américains de lancer une  attaque. .

Déclarations officielles sur la gestion de l’espace aérien

  • • Dans une entrevue publiée le 24 janvier 2020 dans Der Spiegel, le ministre des Affaires étrangères iranien, Javad Zarif, a indiqué que la décision de ne pas fermer l’espace aérien « était une décision technique ainsi qu’une décision politiqueNote de bas de page 194 » [traduction libre].
  • Après que l’Iran a admis avoir abattu l’appareil, le général Amir Ali Hajizadeh, commandant de la Force aérospatiale du Corps des gardiens de la révolution islamique, a déclaré que ses unités avaient demandé à des responsables à Téhéran de fermer l’espace aérien et d’interdire tous les décollages, mais en vain.Note de bas de page 195 L’équipe chargée de l’enquête a été incapable de trouver de l’information qui corrobore cette affirmation.
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