Déclaration commune de la Coalition pour la liberté en ligne sur l’Intelligence Artificielle et les Droits de la Personne
La Coalition pour la liberté en ligne regroupe 32 pays fermement déterminés à promouvoir et à protéger les droits de la personne et les libertés fondamentales, en ligne et hors ligne. Nous sommes résolus à travailler ensemble pour assurer la liberté sur Internet et les droits de la personne pour les individus dans le monde entier — y compris les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, ainsi que les droits liés à la vie privée.
La Coalition pour la liberté en ligne reconnaît que les systèmes d’intelligence artificielle (IA)Note de bas de page 1 offrent des possibilités sans précédent en matière de développement humain et d’innovation, et qu’ils peuvent être une source d’avantages sociaux et économiques, en plus de contribuer à protéger et à promouvoir les droits de la personne et les libertés fondamentales. Lorsque développés et utilisés dans le plein respect des droits de la personne, les systèmes d’IA peuvent compléter les efforts humains dans des domaines comme la santé publique, la santé de précision et les sciences de l’environnement, et cela de manière à améliorer la vie des gens et à soutenir les objectifs de développement durable des Nations Unies. Le rôle des États est essentiel pour que tous bénéficient de ces avantages.
Comme c’est le cas pour d’autres technologies numériques, les systèmes d’IA peuvent également être développés ou utilisés de manière à présenter des risques importants pour les droits de la personne, la démocratie et l’état de droit. La Coalition pour la liberté en ligne est particulièrement préoccupée par l’utilisation avérée et persistante des systèmes d’IA à des fins répressives et autoritaires, notamment les techniques d’identification biométrique à distance, comme la technologie de reconnaissance facialeNote de bas de page 2, et la modération automatique du contenu. Certains États utilisent ces systèmes d’IA, souvent en déployant des outils du secteur privé, pour faciliter et/ou imposer des pratiques de surveillance et de censure arbitraires ou illégales, en violation du droit international des droits de la personne. L’utilisation de ces systèmes à des fins répressives et autoritaires peut faciliter et accentuer les violations et les abus des droits de la personne.
L’utilisation de l’identification biométrique à distance et de la modération automatique du contenu, surtout lorsqu’elles sont utilisées par les États de manière illégale ou arbitraire, peuvent entraver la jouissance des droits de la personne, y compris le droit à une protection égale de la loi sans discrimination et les droits liés à la vie privée. En particulier, l’utilisation abusive de l’identification biométrique à distance à des fins répressives et autoritaires peut menacer l’exercice du droit à la liberté de religion, de conviction, d’association et de réunion pacifique, et à la liberté de mouvement. De même, l’utilisation de la modération automatique du contenu à des fins répressives et autoritaires menace encore davantage la jouissance du droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de chercher, de recevoir et de communiquer des informations de toutes sortes, et la liberté de ne pas être inquiété pour ses opinions. Cela peut avoir un effet dissuasif sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’expression dans les espaces en ligne, ainsi que porter atteinte à l’intégrité des processus électoraux démocratiques.
L’utilisation et le déploiement de systèmes d’IA d'une manière qui viole les droits de la personne, et en particulier à des fins répressives et autoritaires, menacent les espaces démocratiques et civiques en ligne et hors ligne, y compris la dissidence politique et le travail important accompli par les journalistes et les autres travailleurs des médias, les défenseurs des droits de la personne et les membres de la société civile dans le monde. Cela peut également marginaliser et opprimer de manière disproportionnée certaines personnes ou certains groupes tels que les femmes et les membres de communautés ethniques et religieuses, ainsi que d’autres minorités déjà confrontées à des formes de discrimination multiples et croisées.
Comme première étape vers la promotion et la protection des droits de la personne, les États et le secteur privé devraient s’efforcer de promouvoir et d’accroître la transparence, la traçabilité et la responsabilité concernant la conception, le développement, l’acquisition et l’utilisation de systèmes d’IA, et prévoir des protections appropriées en matière de droits de propriété intellectuelle. Cela peut contribuer à réduire l’opacité, l’impénétrabilité et l’imprévisibilité de certains systèmes d’IA et aider les parties prenantes à mieux comprendre comment les systèmes d'IA semi-autonomes prennent leurs décisions. La gouvernance, le développement et l’application de systèmes d’IA fondés sur le respect des droits de la personne favoriseront la confiance du public pour le bien de l’humanité à long terme.
La Coalition pour la liberté en ligne réaffirme que les États doivent respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international en matière de droits de la personne afin de garantir le plein respect et l’entière protection de ces droits. Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies le précisent également : « Les États ont l’obligation de protéger lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux droits de l’homme sur leur territoire et/ou sous leur juridiction. »Note de bas de page 13 Nous nous réjouissons de l’attention que de nombreuses parties prenantes accordent à cette question dans les enceintes internationales.
Appels à l’action:
Dans le but de promouvoir le respect des droits de la personne, de la démocratie et de la primauté du droit dans la conception, le développement, l’acquisition et l’utilisation de systèmes d’IA, la Coalition pour la liberté en ligne demande aux États de travailler à mettre en œuvre les mesures suivantes en collaboration avec le secteur privé, la société civile, les milieux universitaires et toutes les autres parties prenantes:
- Les États doivent prendre des mesures pour s’opposer à l’utilisation des systèmes d’IA à des fins répressives et autoritaires, et s’abstenir d’en faire une telle utilisation, y compris le ciblage ou la discrimination des personnes et des collectivités vulnérables et marginalisées, et des défenseurs des droits de la personne, en violation du droit international en matière de droits de la personne.
- Les États doivent s’abstenir de toute ingérence arbitraire ou illégale dans le fonctionnement des plateformes en ligne, y compris celles qui utilisent des systèmes d’IA. Les États ont la responsabilité de veiller à ce que toute mesure ayant des répercussions sur les plateformes en ligne, y compris la législation relative à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité nationale, soit conforme au droit international, dont le droit international en matière de droits de la personne. Les États ne devraient restreindre le droit à la liberté d’opinion et d’expression, y compris en ce qui concerne la dissidence politique et le travail des journalistes, de la société civile et des défenseurs des droits de la personne, qu’en conformité avec le droit international, en particulier le droit international en matière de droits de la personne.
- Les États doivent favoriser la participation multipartite internationale afin d’élaborer des normes, des règles et des critères pertinents relatifs au développement, à l’acquisition, à l’utilisation, à la certification et à la gouvernance des systèmes d’IA qui, à tout le moins, sont conformes aux lois internationales en matière de droits de la personne. Les États devraient accueillir favorablement la contribution à ces efforts d’un groupe élargi et géographiquement représentatif de parties prenantes et d’États.
- Les États doivent veiller à ce que la conception, le développement et l’utilisation des systèmes d’IA dans le secteur public soient conformes à leurs obligations internationales en matière de droits de la personne. Ils doivent en outre respecter leurs engagements et veiller à ce que toute ingérence en matière de droits de la personne soit conforme au droit international.
- Les États, ainsi que tout acteur du secteur privé ou de la société civile travaillant avec eux ou en leur nom, doivent protéger les droits de la personne lors de l’acquisition, du développement et de l’utilisation de systèmes d’IA dans le secteur public par l’adoption de processus tels que la diligence raisonnable et l’évaluation des incidences, et rendre ces processus transparents dans la mesure du possible. Ces processus devraient donner l'occasion à toutes les parties prenantes, en particulier celles qui sont confrontées à des effets négatifs disproportionnés, de donner leur avis. Les évaluations des incidences de l’IA doivent, à tout le moins, tenir compte des risques que l’utilisation des systèmes d’IA fait peser sur les droits de la personne, et faire l’objet d’une évaluation continue avant le déploiement et tout au long du cycle de vie des systèmes afin de tenir compte des conséquences imprévues ou involontaires en matière de droits de la personne. Les États doivent offrir des recours efficaces contre les violations présumées des droits de la personne.
- Les États doivent encourager le secteur privé à observer les principes et les pratiques de la conduite responsable des entreprises (CRE) dans l’utilisation des systèmes d’IA pour l’ensemble de leurs activités et de leurs chaînes d’approvisionnement et de valeur, de manière cohérente et dans tous les contextes. Lorsqu’elles intègrent la CRE, les entreprises sont mieux outillées pour gérer les risques, cerner et résoudre les problèmes de manière proactive, et adapter les activités en conséquence pour une assurer leur réussite à long terme. Les activités de CRE, tant de la part des États que du secteur privé, doivent être conformes aux cadres internationaux tels que les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies et Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationalesNote de bas de page 4.
- Les États doivent se pencher sur la façon dont les lois, la réglementation et les politiques nationales peuvent contribuer à déterminer, à prévenir et à atténuer les risques menaçant les droits de la personne que posent la conception, le développement et l’utilisation de systèmes d’IA, et prendre les mesures qui s’imposent. Il peut notamment s’agir de stratégies nationales en matière d’IA et de collecte d’information, de codes des droits de la personne, de lois sur la vie privée, de mesures de protection des données, de pratiques commerciales responsables et d’autres mesures susceptibles de protéger les intérêts des personnes ou des groupes confrontés à des formes multiples et croisées de discrimination. Les mesures nationales doivent tenir compte des orientations fournies par les organes de suivi des traités et les initiatives internationales en matière de droits de la personne telles que les principes d’une IA centrée sur l’humain et découlant de la Recommandation du Conseil sur l’intelligence artificielleNote de bas de page 5, qui ont également été adoptés par le G20Note de bas de page 6. Les États devraient favoriser l’inclusion significative des personnes ou des groupes susceptibles d’être touchés d'une manière néfaste et disproportionnée, ainsi que de la société civile et du milieu universitaire, afin de déterminer s’il convient d’utiliser les systèmes d’IA dans différents contextes (en évaluant les avantages potentiels par rapport aux répercussions possibles sur les droits de la personne et en prévoyant des garanties adéquates) et la façon dont ils devraient être utilisés.
- Les États doivent travailler avec le secteur privé, la société civile et tous les autres acteurs concernés afin de promouvoir la transparence et la responsabilité en lien avec l’utilisation des systèmes d’IA, y compris par des approches qui encouragent fortement le partage de l’information avec les différentes parties prenantes, par exemple sur les aspects suivants:
- la confidentialité des utilisateurs, y compris l’utilisation des données des utilisateurs pour affiner les systèmes d’IA, le partage des données recueillies par les systèmes d’IA avec des tiers, et lorsque cela est raisonnable, le moyen de refuser la collecte, le partage ou l’utilisation des données générées par les utilisateurs
- la modération automatique du contenu généré par l’utilisateur, y compris, sans toutefois s’y limiter, le retrait, le déclassement, le signalement et la démonétisation du contenu
- des mécanismes de recours ou d’appel, lorsque le contenu est retiré à la suite d’une décision automatisée
- des mécanismes de surveillance, tels que la surveillance humaine des répercussions potentielles sur les droits de la personne
- Les États, tout comme le secteur privé, doivent œuvrer en faveur d’une transparence accrue, ce qui pourrait inclure l’accès aux données et aux renseignements appropriés au profit de la société civile et du milieu universitaire, tout en assurant la protection de la vie privée et de la propriété intellectuelle, afin de faciliter la recherche collaborative et indépendante sur les systèmes d’IA et leurs répercussions potentielles sur les droits de la personne, notamment dans le but de cerner, de prévenir et d’atténuer les partis pris lors du développement et de l’utilisation des systèmes d’IA.
- Les États doivent promouvoir l’éducation sur les systèmes d’IA et leurs répercussions possibles sur les droits de la personne auprès du public et des parties prenantes, y compris les développeurs de produits et les décideurs politiques. Les États doivent s’efforcer de favoriser l’accès de tous aux connaissances de base sur les systèmes d’IA.
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