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Évaluation de la programmation de l’aide internationale en Haïti
2016-2017 à 2020-2021

Version PDF (1.5 Mo)

Rapport d’évaluation

Préparée par la Direction de l’évaluation (PRA)
Affaires mondiales Canada
Juin 2023

Table des matières

Acronymes et abréviations

ACDI
Agence canadienne de développement international
ACS Plus
Analyse comparative entre les sexes plus
AMC
Affaires mondiales Canada
ANP
Académie nationale de police
APD
Aide publique au développement
BDC
Banque de développement des Caraïbes
BID
Banque interaméricaine de développement
BINUH
Bureau intégré des Nations Unies en Haïti
BIRD
Banque internationale pour la reconstruction et le développement
CAD
Comité d’aide au développement (de l’OCDE)
CARICOM
Communauté caribéenne
DPI
Direction des processus de programmation et coordination de l’aide internationale
ECOSOC-AHAG
Groupe consultatif ad hoc du Conseil économique et social des Nations Unies sur Haïti
ÉG
Égalité des genres
FCIU
Fonds central d’intervention d’urgence
FIPCA-PNH
Formation initiale et perfectionnement des cadres de la Police Nationale d’Haïti
FMI
Fonds monétaire international
FNUAP
Fonds des Nations Unies pour la population
GAR
Gestion axée sur les résultats
IFM
Secteur de la sécurité internationale et affaires politiques
KFM
Secteur des partenariats pour l’innovation dans le développement
MCFDF
Ministère à la Condition féminine et aux droits des femmes en Haïti
MENFP
Ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle en Haïti
MFM
Secteur des enjeux mondiaux et du développement
MHD
Assistance humanitaire internationale
MINUJUSTH
Mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti
MINUSTAH
Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti
NDH
Direction d’Haïti
NGM
Secteur des Amériques
OBNL
Organisme à but non lucratif
OCDE
Organisation de coopération et le développement économique
OCHA
Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU
OEA
Organisation des États américains
OIF
Organisation internationale de la Francophonie
OIM
Organisation internationale pour les migrations
OMS
Organisation mondiale de la santé
ONG
Organisation non-gouvernementale
ONU
Organisation des Nations Unies
OPS
Organisation panaméricaine de la santé
OSC
Organisation de la société civile
PAIF
Politique d’aide internationale féministe
PAM
Programme alimentaire mondial
PAMREF
Projet d’appui à la mobilisation des recettes fiscales en Haïti
PARGEP
Projet d’appui au renforcement de la gestion publique
PATH
Projet d’appui technique en Haïti
PIRFH
Informatisation du registre foncier en Haïti
PNFPS
Plan d’action national du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité
PNH
Police Nationale d’Haïti
PNUD
Programme des Nations Unies pour le développement
PRA
Direction de l’évaluation de l’aide internationale
PRISMA II
Prise en charge intégrée de la santé de la mère et de l’enfant dans l’Artibonite
PSAT
Projets de services d’appui sur le terrain
PSDH
Plan stratégique de développement d’Haïti
PSOP
Programme pour la stabilisation et les opérations de paix
SGF
Gestion financière des subventions et contributions
SMNE
Santé des mères, des nouveau nés et des enfants
SYFAAH
Système de financement et d’assurances agricoles en Haïti
UNICEF
Fonds des Nations Unies pour l’enfance
USAID
Agence des États-Unis pour le développement international

Sommaire exécutif

La Direction de l’évaluation (PRA) d’Affaires mondiales Canada a mené une évaluation du programme d’aide internationale du Canada en Haïti de 2016-2017 à 2020-2021 afin de déterminer dans quelle mesure l’aide a été adaptée aux priorités et optimisée en vue des objectifs de développement dans un contexte de fragilité persistante. L’évaluation sert à appuyer la prise de décision sur la direction future du programme en vue de l’améliorer. Les questions portaient sur la pertinence en regard des priorités du pays et de la PAIF, l’efficience d’exécution, la cohérence entre les filières d’aide et parmi les donateurs, et l’atteinte des résultats.  

Le profil de l’aide canadienne a montré un alignement de facto sur les priorités sociales et institutionnelles du Plan de développement d’Haïti (Vision 2030), en l’occurrence par un financement important de partenaires multilatéraux, conformément aux priorités nationales. Cependant, le programme constamment confronté à la détérioration de la situation politique et de sécurité était fortement réactif aux priorités ministérielles canadiennes et n’a développé un plan stratégique qu’en fin de période. Il n’y a pas eu d’analyse globale pour ancrer la collaboration entre les filières et prendre en compte systématiquement les vulnérabilités multiples, les risques de conflits et de catastrophes, et les conditions affaiblissant les structures de gouvernance. Une analyse stratégique sur la question environnementale dans l’effort de développement du Canada, compte-tenu des vulnérabilités du pays, a manqué comme cadre pour les projets qui ont peu pris en compte ces enjeux malgré des initiatives valables qui ont inclues des éléments d’atténuation et de prévention des risques. Les modalités pour faire avancer l’égalité des genres (ÉG) n’ont que peu pris en considération de manière transversale les filières humanitaire, de sécurité et de développement (perspective de triple nexus). L’approche de planification et de gestion par projets, appuyant des initiatives pertinentes, mais de courte durée, a résulté en faiblesse uniforme à atteindre ou à démontrer des résultats au-delà des extrants.

Depuis 2017, le programme a beaucoup investi en vue de faire progresser l‘ÉG dans l’ensemble des filières, en conformité avec la PAIF. AMC a exercé un leadership important sur le programme de l’ÉG dans la programmation globale, notamment aux tables sectorielles et dans les collaborations multi-donateurs. Ceci a amplifié l’impact d’AMC au-delà des projets canadiens, mais limité l’influence sur les programmes et modalités relatifs à l’ÉG dans les partenariats multilatéraux. Néanmoins, les résultats en matière d’ÉG sont restés mitigés, difficilement mesurables, et de nature plus pratiques (provision de services, formations, etc.) que transformateurs dans une perspective féministe, bien que l’enjeu soit maintenant incontournable dans le programme global de développement en Haïti et des politiques du gouvernement haïtien en partie grâce à ces efforts.

L'utilisation d'une approche fondée sur le triple nexus dans un pays comme Haïti pourrait maximiser la cohérence et l'impact de l'aide. Or, les divers secteurs ont eu peu d’incitatifs et de mécanismes encourageant le travail en collaboration et ont opéré généralement en silos, sans objectifs arrimés entre eux. Des progrès tangibles réalisés grâce aux initiatives de gouvernance, d’appui à l’agriculture durable et de santé, ont été tempérés par des durées trop courtes (4,3 ans en moyenne), l’absence de plans de fin de projets pour consolider les acquis, ainsi que le contexte d’instabilité et d’insécurité croissantes. Les objectifs souvent ambitieux ont fait face à des défis opérationnels et des carences de suivi limitant l’atteinte de résultats et mettant en doute la durabilité. Cependant, la programmation dans ce contexte à grands défis a réussi à donner des résultats positifs immédiats et des extrants qui pourraient être exploités grâce à un soutien durable et à une vision plus ciblée et à plus long terme, y compris un engagement plus systématique avec des partenaires haïtiens sélectionnés dès que la situation le permet.

Sommaire des recommandations

  1. NDH devrait focaliser le programme en Haïti, ciblant un nombre restreint d’axes d’intervention et une approche programmatique à plus long terme susceptibles d’optimiser l’impact de l’aide canadienne au niveau du renforcement structurel, de la stabilité et de la gouvernance, et de la durabilité.
  2. NDH devrait assurer une collaboration soutenue et renforcée avec les parties prenantes haïtiennes (acteurs crédibles et légitimes de l’État haïtien, de la société civile haïtienne et des collectivités locales) dans la planification de l’aide, afin de favoriser l’appropriation des projets, l’usage de solutions endogènes et la durabilité des résultats dans une optique de localisation de l’aide.
  3. NDH devrait mobiliser les secteurs actifs en Haïti (IFM, KFM, MFM) en vue de développer une analyse collective du contexte de fragilité et de vulnérabilité permettant d’améliorer l’arrimage entre les composantes de programme dans une approche du triple nexus, et l’efficacité de la programmation. 
  4. NGM devrait développer une stratégie de ressources humaines propre à doter l’administration centrale et la mission des capacités et des compétences requises, par exemple en identifiant une capacité de pointe pour répondre aux charges de travail plus importantes et en priorisant le recrutement de personnel ayant une expérience de la gestion de programme de développement en lien avec le triple nexus.

Contexte du programme

Contexte d’Haïti

Figure 1 :

Version texte

Figure 1 : Carte d’Haïti et ses 10 départements.

Divisions administratives en Haïti

Haïti est divisé en 10 départements, chacun étant sous-divisé à trois échelles : en arrondissements (42), en communes (145) et en sections communales (571).

La section communale est la plus petite entité territoriale administrative. Chaque section communale est administrée par un organe exécutif, le Conseil d’administration de la Section communale (CASEC), et par un organe délibérant, l’Assemblée de Section communale (ASEC).

Un pays aux ressources économiques limitées, en proie à de fréquentes catastrophes naturelles

Haïti, le pays le plus pauvre des Amériques et l’un des plus pauvres au monde, a vu au cours des dernières années son économie fragile se détériorer, avec un produit intérieur brut (PIB) en décroissance depuis 2019 et une monnaie (la gourde haïtienne) fortement dévaluée. Le revenu national brut per capita en 2021 était de 1 420 $ US comparativement à une moyenne régionale de 15 092 $ US. En 2021, on estimait que 87 % de la population vivait dans la pauvreté. Les transferts de la diaspora haïtienne et la rémunération des travailleurs internationaux en Haïti représentaient 23,8 % du PIB en 2020, illustrant la difficulté à générer des ressources par l’activité économique nationale.

Haïti est le 3e pays au monde à avoir été le plus affecté par des événements climatiques extrêmes entre 2000 et 2019. Entre 2016 et 2021, le pays a connu 22 catastrophes naturelles ou événements climatiques, dont les plus meurtriers furent l’ouragan Matthew en octobre 2016 et le tremblement de terre du 14 août 2021. Plus de 96 % de la population est extrêmement vulnérable. La difficile situation économique couplée à ces catastrophes ont contribué au recul constant depuis 2017 de l’Indice de développement humain (IDH) pour lequel Haïti se classe au 163e rang sur 191 pays.

Une situation politique et sécuritaire dégradée

Au plan politique, la dernière décennie a vu les reports et l’annulation d’élections (report des élections sénatoriales de 2012 à 2014, l’annulation des élections de 2015, report des élections générales de 2019). La présidence de Jovenel Moïse, investi en février 2017, a été marquée par le scandale PetroCaribe de détournement des revenus pétroliers, de manifestations subséquentes paralysant le pays (Peyilock), la hausse de contrôle par des bandes armées et l’augmentation des violences criminelles et politiques (massacre de la Saline en 2018, 71 morts). Depuis l’assassinat du président Moïse le 7 juillet 2021, la crise multidimensionnelle politique, économique, humanitaire et sécuritaire continue de s’aggraver : improbable retour à l’ordre constitutionnel, absence de gouvernance élue à tous les niveaux de l’État, détérioration des conditions de sécurité et de vie de la population, exode massif vers l’étranger, résurgence de l’insécurité alimentaire et du choléra, et contrôle de zones stratégiques par les bandes criminelles.

Une société perturbée par les inégalités économiques et l’inégalité des genres

Une élite haïtienne nantie et fortement influente, vivant en milieu urbain, représente 20 % de la population du pays, mais contrôlait en 2014 plus de 64 % de la richesse totale. Haïti est le pays qui affiche les plus fortes inégalités de genres dans les AmériquesNote de bas de page 1. Bien que les principes d’égalité entre hommes et femmes soient inscrits dans une politique et dans le plan stratégique de l’État, les femmes sont victimes d’exclusion des systèmes productifs et de gouvernance, souffrent de violation de leurs droits et vivent des conditions de vulnérabilité physique et économique affectant leur existence en permanence : de 2000 à 2017, le taux de mortalité maternelle a augmenté; on estime que 26 % des femmes haïtiennes subissent de la violence domestique dans leur vieNote de bas de page 2; et les femmes sont plus susceptibles d’occuper un emploi précaire que les hommes (81,3 % contre 65,6 %), même si l’écart dans le taux d’emploi selon le genre s’est rétréci depuis 20 ans. Si 35 % des Haïtiens avaient accès à l’internet en 2020, seulement 7% des femmes et filles y avaient accès, ce qui limitait leur accès à l’information et aux ressources.Note de bas de page 3

Contexte

Événements et étapes marquantes en Haïti

AnnéeÉvénementÉtapes manquantes

2016

Ouragan Matthew

  • Impacts sur la population haïtienne: Ouragan de catégorie 4; 12,9 % de la population sinistrée.
  • Impacts sur la mission canadienne en Haïti: La mission mise en état d’urgence (évacuation de sept. à oct.).

2017

Élection Jovenel Moïse

  • Missions d’appui internationales: La Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) remplacée par la Mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH) le 15 octobre.

Déploiements ONU

2018

Scandale PetroCaribe

  • Impacts sur la population haïtienne: Désordre civil et protestations dus au détournement des revenus pétroliers.
  • Impacts sur la mission canadienne en Haïti: La mission mise en état d’urgence (évacuation volontaire de 10 jours en juillet).

2019

Peyilock

  • Impacts sur la population haïtienne: Protestations généralisées perturbant le pays à la suite de la pénurie de carburant.
  • Impacts sur la mission canadienne en Haïti: La mission en état d’urgence (évacuation) du 29 sept. au 3 déc. en raison des troubles civils généralisés.
  • Missions d’appui internationales: La MINUJUSTH devient le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) le 15 octobre.

Fin MINUJUSTH

2020

Pandémie COVID-19

  • Impacts sur la population haïtienne: Pandémie COVID-19, l’OMS rapporte 34 202 cas depuis janvier 2020.
  • Impacts sur la mission canadienne en Haïti: La mission évacuée en mars (pandémie de COVID-19 et détérioration de la sécurité en Haïti).

2021

Assassinat Jovenel Moïse

  • Impacts sur la population haïtienne: Le président assassiné le 7 juillet est remplacé par Ariel Henry, non élu mais nommé, accélérant crises et insécurité dans le pays.
  • Impacts sur la population haïtienne : Tremblement de terre : magnitude de 7,2 (2 207 morts, 12 000 blessés ; 650 000 personnes affectées).
  • Impacts sur la mission canadienne en Haïti: La mission en état d’urgence (évacuation du 7 juillet au 27 juillet) à la suite de l’assassinat.
  • Impacts sur la mission canadienne en Haïti: La mission en état d’urgence (évacuation du 14 au 24 août) à la suite du tremblement de terre.

Séisme

Relations avec les donateurs

Le Canada a été le 2e donateur bilatéral en importance après les États-Unis, et le 5e donateur dans l’ensemble de l’aide publique au développement (APD) déboursée en Haïti de 2016 à 2021.

L’APD nette reçue en Haïti est passée de 1,1 G$ US à 947 M$ US de 2016 à 2021. En 2019, elle est tombée à son plus bas niveau depuis 2007, soit 696 M$ US.

Figure 2 :

Version texte

Figure 2 :

Aide publique au développement (APD)Décaissements ($US)

États-Unis

2 019 $

Institutions de l’UE

598 $

Banque mondiale

596 $

BID

438 $

Canada

421 $

France

258 $

Fonds mondial

203 $

Suisse

150 $

Japon

140 $

Nations Unis

139 $

FMI

138 $

Source : Versements d'APD nette vers les pays et régions, OECD.Stat, en millions de dollars américains, de 2016 à 2021.

Relations bilatérales

Le Canada a une longue histoire de liens avec Haïti, fondée sur une solidarité établie par le clergé et des intellectuels du Québec d’abord au début du XXe siècle, qui a évoluée en un lien diplomatique formel par l’échange d’ambassadeurs en 1954. Des collaborations culturelles, académiques et institutionnelles ont construit les bases d’un appui continu au développement en Haïti. À l’origine façonnés par la forte influence commune de l’Église et de l’héritage francophone, les liens organiques ont été facilités par la proximité géographique, l’établissement d’une importante diaspora haïtienne au Canada, surtout à partir de la dictature duvaliériste, et le nombre croissant depuis les années 1970 d’organisations canadiennes de développement et humanitaires (ONG) intervenant en Haïti pour appuyer les efforts de développement. Le Canada préside le Groupe des Amis d’Haïti à l’Organisation des États américains (OEA) à la demande d’Haïti.

Haïti est le pays des Amériques où le Canada a investi le plus sur plusieurs années, avec 88,4 M$ déboursés en 2020-2021. L’aide est livrée dans le cadre de projets de développement menés par des partenaires d’exécution (multilatéraux, gouvernementaux, organismes sans but lucratif, institutions et secteur privé). L’appui budgétaire direct en Haïti est inexistant.

Les échanges commerciaux sont restés modestes depuis un premier accord économique en 2003. Les investissements directs canadiens en Haïti se limitent aux secteurs agro-alimentaire et textile aux fins d’importation au Canada. La croissance des liens commerciaux est entravée par la situation instable, la corruption et la faiblesse des infrastructures.

Relations multilatérales

Au niveau des liens avec les organismes internationaux, le Canada et Haïti sont tous deux membres de l’OEA, de l’Organisation des Nations Unies (ONU), de la Communauté caribéenne (CARICOM) et de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Le Canada s’est positionné en appui aux besoins d’Haïti au sein de la CARICOM où Haïti représente le seul pays francophone et celui ayant la plus nombreuse population. 

Le Canada appuie depuis 1993 les différentes missions de paix de l’ONU en Haïti, telles que la mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), la mission des Nations Unies pour l'appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH), et depuis 2019, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). Le Canada préside également le Groupe consultatif ad hoc du Conseil économique et social sur Haïti (ECOSOC-AHAG).

Le Canada participe activement à plusieurs plateformes de coordination des donateurs en Haïti. Le Canada est membre du CORE Group (incluant la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, le Représentant spécial de l’OEA et 7 ambassadeurs), créé en 2004. Le Canada a présidé la table de concertation sur la mobilisation des recettes fiscales, et coprésidé avec ONU-Femmes le Groupe de travail en Égalité Hommes Femmes, qui vise à mieux coordonner le travail des partenaires internationaux travaillant en égalité des genres (ÉG) en Haïti.

En réponse à la pandémie de COVID-19 en 2020, le Canada a collaboré avec l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’accès aux vaccins en livrant 180 000 doses par le mécanisme COVAX.

Profil de programmation

Figure 3 :

Décaissements (en %) par champs d’action de la PAIF, de 2016-2017 à 2020-2021

Version texte

Figure 3 :

  • Dignité humaine : 53 %
  • Gouvernance inclusive : 21 %
  • Croissance au service de tous : 14 %
  • Environnement et action pour le climat : 6 %
  • Paix et sécurité : 4 %
  • ÉG et renforcement du pouvoir des femmes et des filles : 2 %

Source : CFO-Stats (2022-02-18), AMC.

Figure 4 :

Décaissements (en %) par types de partenaires d’exécution, de 2016-2017 à 2020-2021

Version texte

Figure 4 :

  • Institutions multilatérales : 50 %
  • ONG canadiennes : 33 %
  • ONG internationales : 6 %
  • Secteur privé : 5 %
  • Gouvernement et paragouvernemental : 6 %

Source : CFO-Stats (2022-02-18), AMC.

Décaissements des programmes

Au cours de la période d’évaluation, Haïti était le principal bénéficiaire de l’aide internationale canadienne des Amériques, oscillant entre le 4e et le 13e pays en volume de l’APD canadienne (9e au cumulatif moyen des déboursés), avec un décaissement total de 436 M$. Quatre secteurs de programmes ont été impliqués : Amériques (NGM) (66 % des déboursés totaux), Partenariats pour l’innovation dans le développement (KFM) (17 %), Enjeux mondiaux et développement (MFM) (9 %) et Sécurité internationale et affaires politiques (IFM) (8 %). De 2016-2017 à 2020-2021, l’aide canadienne a principalement financé la santé (111,8 M$), le renforcement de l’État et de la société civile (110,8 M$), l’éducation (58,9 M$), l’aide humanitaire (46,2 M$) et l’agriculture (26,6 M$).

Figure 5 :

Version texte

Figure 5 :

Bannière représentant les quatre Secteurs de programmes d’AMC impliquer dans l’aide international pour Haïti et leur décaissement total.

  • NGM : 289 M$
  • KFM : 75 M$
  • IFM : 33 M$

Secteur des Amériques (NGM)

Avec des décaissements annuels moyens de 58 M$, NGM a principalement investi dans le renforcement de l’État et de la société civile (76,1 M$), la santé (68,7M$) et l’éducation (51,9 M$). Les projets Cantines scolaires et achats locaux du Programme alimentaire mondial (PAM), à hauteur de 24,7 M$, et Améliorer les services de santé intégrés pour les femmes, les adolescentes et les enfants du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), à hauteur de 19,6 M$, ainsi que la contribution aux fonds fiduciaires de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) allouée au projet Améliorer l'accès des filles au secondaire, ont été les engagements programmatiques importants du programme bilatéral sur la période d’évaluation.

Secteur des Partenariats pour l’innovation dans le développement (KFM)

KFM a principalement investi dans la santé (57 % de ses décaissements) et l’agriculture (16 %). Les 45 projets ont été appuyés en réponse à des appels de propositions multi-pays et livrés par des organisations canadiennes (ONG). Les principaux partenaires de KFM en volume financier ont été l’Université de Montréal (12 M$), Médecins du Monde Canada (8,8 M$) et Plan International Canada (7,2 M$).

Secteur des Enjeux mondiaux et du développement (MFM)

Ce secteur a essentiellement investi dans l’aide humanitaire en réponse aux catastrophes naturelles et à la résurgence du choléra, qui ont constitué 98 % des déboursés par le secteur. L’aide a été déployée par des appuis au PAM (18,9 M$), à l’UNICEF et à Médecins du Monde Canada (5,1 M$ chacun).

Secteur de la Sécurité internationale et des affaires politiques (IFM)

Les déboursés d’IFM ont été versés à 93 % pour le renforcement de l’État et de la société civile, surtout par l’entremise du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix (PSOP), à des projets du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) (3 projets – 8,1 M$), de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) (1 projet – 6,2 M$), et de Mercy Corps (1 projet – 5,8 M$).

Portée de l'évaluation et méthodologie

Portée et objectifs de l’évaluation

Portée de l’évaluation 

L’évaluation couvre le programme d’aide canadien en Haïti pour la période de 2016-2017 à 2020-2021, et met l’accent sur les dernières années marquées par des fluctuations budgétaires et des changements structurels significatifs. À la fin de la période couverte, la pandémie de COVID-19 a entraîné subitement des ajustements nécessaires dans les modalités de gestion et de programmation, servant à l’observation de l’adaptabilité du programme à postériori pour l’évaluation. La dernière évaluation organisationnelle du programme canadien en Haïti, datant de janvier 2015, couvrait la période de 2006 à 2013 et posait 9 recommandations sur la direction et la consolidation programmatique, la durabilité, la sensibilité à l’environnement, l’appui aux structures étatiques et la capacité à démontrer des résultats.

Un échantillon de 42 projets exécutés par 36 partenaires représentatifs des quatre secteurs de programme et de la diversité dans la typologie de partenaires a servi de base pour l’analyse documentaire. L’évaluation n’a pas couvert en profondeur la programmation humanitaire qui a été largement exécutée par des organismes multilatéraux, ni le PSOP en Haïti qui a été l’objet d’une étude de cas approfondie récemmentNote de bas de page 4.

L'évaluation couvre l'aide publique au développement (APD) déboursée en majorité par quatre secteurs d’Affaires mondiales Canada (AMC) au cours de la période : Amériques (NGM), Partenariats pour l’innovation dans le développement (KFM), Enjeux mondiaux et développement (MFM) et Sécurité internationale et affaires politiques (IFM).

Objectifs

L’évaluation a pour objectif de déterminer dans quelle mesure le programme d’aide internationale du Canada en Haïti a été adapté aux priorités du pays et a usé de stratégies et de modalités d’intervention optimales pour l’avancement de ses objectifs compte tenu du contexte de fragilité persistante durant la période. 

Elle constitue une évaluation formative substantielle, dont les conclusions et les recommandations pourraient conduire à un meilleur ciblage du rôle du Canada dans la coopération internationale en Haïti et à une amélioration de la programmation, de la gestion et de la coordination au sein des filières et entre les filières de la programmation d’AMC au pays.

Approche de l’évaluation

L’évaluation a été menée à l’interne par la Direction de l’évaluation (PRA), avec le soutien d’une consultante externe pour la réalisation de deux études de cas. Initialement prévue pour 2020 au Plan quinquennal d’évaluation 2020-2021 à 2024-2025 du Ministère, l’évaluation du programme d’aide internationale du Canada en Haïti a été reportée d’un an, puis lancée en février 2022. Elle a été précédée d’une analyse d'évaluabilité menée de novembre 2021 à janvier 2022.

L'évaluation a porté sur cinq des critères du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE pour l’évaluation de l’aide au développement, soit la pertinence, l’efficience, la cohérence interne et externe et certains aspects de l'impact du programme d’aide internationale du Canada en Haïti. Elle examine les résultats programmatiques en vue d’appuyer la mise en œuvre de la nouvelle Stratégie de programme en Haïti du Canada (2021-2022 à 2027-2028).

Questions de l’évaluation

CritèresThèmes prioritairesQuestions

Pertinence

  • Conception de programme alignée sur les besoins et priorités documentés
  • Capacité d’adaptation du programme aux changements
  • Pertinence dans le contexte de l’aide globale en Haïti

Q1. Dans quelle mesure l’aide internationale était-elle adaptée aux priorités et au contexte de fragilité en Haïti ?  Les causes et vulnérabilités qui déterminent la pauvreté ont-elles été adéquatement prises en compte ?

Efficience

  • Sélection de partenaires en réponse aux objectifs
  • Modalités de gestion pour résultats
  • Facteurs affectant l’efficience

Q2. Les mécanismes de livraison de l’aide internationale ont-ils été optimaux pour obtenir les résultats ?

Cohérence (interne)

  • Défis et possibilités pour une approche de triple nexus

Q3. Quel est le niveau de coordination et de collaboration entre les programmes de développement, de sécurité et de réponse humanitaire d’AMC en Haïti ?

Cohérence (externe)

  • Rôle stratégique et participation du Canada au sein des donateurs, et aux tables nationales et régionales
  • Apport du Canada au programme de l’aide internationale

Q4. Quel a été l’impact de la Politique d’aide internationale féministe du Canada par rapport aux priorités des principaux donateurs depuis 2015 ?

Q5. Quelle est la valeur de la collaboration du Canada au sein des donateurs en matière d'appui aux objectifs et initiatives d'aide humanitaire, de paix et sécurité et de développement ?

Impact

  • Considération des leçons tirées de la programmation passée pour la planification
  • Facteurs à l’appui et obstacles à l’atteinte de résultats (ÉG, santé, gouvernance, paix et sécurité)

Q.6 De quelles manières les leçons collectées au fil du temps issues du programme d’aide en Haïti alimentent-elles la stratégie actuelle de programme ?

Méthodologie

L'évaluation a utilisé une approche mixte et les données collectées à partir de sources diversifiées ont été triangulées en utilisant cinq méthodes : 

Revue documentaire

Analyse des documents internes d'Affaires mondiales Canada :

Revue de littérature

Analyse des documents externes :

Études de cas

  1. Gouvernance : analyse des interventions du Canada dans le domaine de la gouvernance en Haïti (à divers niveaux étatique, municipal, OSC) afin d’analyser les facteurs de succès, l’impact, ainsi que les défis rencontrés.
  2. Méta-analyse des évaluations décentralisées réalisées au courant de la période et touchant une variété d’initiatives sectorielles, afin d’en faire ressortir les constats transversaux et leçons informant les résultats programmatiques.

Groupes de discussion

Deux groupes de discussion ont été menés auprès de partenaires d’exécution sélectionnés sur la base de leurs initiatives en Haïti sur la gouvernance et sur l’agriculture et le développement rural (N=11 partenaires au total).

Entrevues semi-structurées

Des entrevues individuelles semi-structurées (N = 57) menées auprès de divers intervenants internes d'Affaires mondiales Canada et d'intervenants externes :

Limites et mesures d’atténuation

LimitesMesures d’atténuation

Disponibilité des répondants

La dégradation de la situation politique et sécuritaire en Haïti a entravé la disponibilité et les dispositions de nombreux répondants en Haïti avec qui l’équipe d’évaluation avait initialement prévu de discuter.

  • L’équipe d’évaluation a réitéré les invitations et offert des options flexibles pour obtenir la participation des interlocuteurs clés.
  • Les entrevues ont fait usage de moyens technologiques divers (téléphone, Teams, Google Meet, WhatsApp) convenables pour les répondants.

Disponibilité des données

La disponibilité en temps opportun des données de programme provenant de la Direction générale géographique n’a pas été optimale. Des informations financières, de ressources humaines ou en lien avec les mécanismes de sélection n’ont pu être obtenues, soit à cause de carences dans la gestion de l’information, ou des charges de travail liées à la crise sévissant en Haïti durant la période.

  • Des données secondaires ont été utilisées dans les cas où il n’était pas possible d’accéder à la source primaire des données.
  • L’échéancier pour l’obtention des données requises a été élargi afin de faciliter la réponse du personnel surchargé.

Impossibilité de collecte de données sur le terrain

La situation de sécurité précaire en Haïti depuis 2021 a empêché l’équipe d’évaluation de se rendre sur place pour faire de l’observation, réaliser des entretiens individuels et animer des groupes de discussion en personne.

  • Une méta-analyse des évaluations de projets financées par AMC sur la période a permis de colliger des résultats d’évaluations et de suivis réguliers faits surtout par des missions d’évaluateurs qualifiés en Haïti, donc garants de qualité professionnelle.

Pertinence des constats dans le contexte actuel

Le contexte politique, de sécurité et de développement a beaucoup changé en Haïti depuis 2021. Étant donné que l'évaluation couvre la période de cinq ans allant de 2016-2017 à 2020-2021, les conclusions de l’évaluation s’appuient sur la programmation d’AMC avant la crise dans son profil actuel. La pertinence des constats peut dans cette optique ne pas refléter exhaustivement les problématiques de l’aide au développement générées par le contexte chaotique du pays depuis 2021.

  • L’équipe d’évaluation a extrait parmi les constats des éléments qui offrent de l’information pertinente au Groupe de travail sur Haïti afin d’appuyer ses réflexions sur l’orientation du programme compte tenu du contexte actuel.
  • Les recommandations ont été formulées à la suite de la prise en compte du contexte décisionnel actuel auquel fait face le programme en Haïti et de la stratégie pays de 2021 afin d’assurer une haute pertinence pour la programmation à venir

Constats : Pertinence

Réponse aux besoins et aux priorités d’Haïti

Figure 6 :

Décaissements d’APD nette (dons) par secteurs d’intervention en Haïti, en millions de dollars américains, de 2016 à 2020

Version texte

Figure 6 :

Secteurs d’interventionTotal autres donateurs (millions d'USD)Canada (millions d'USD)

Santé

296

39

Éducation

205

39

Aide humanitaire

225

3

Gouvernance et société civile

158

50

Santé sexuelle et reproductive

116

38

Environnement

44

0,2

Conflit, paix et sécurité

7

5

Source : Aid Atlas. Stockholm Environment Institute (SEI), 2019.

Le large éventail des priorités du Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH) a permis un alignement par défaut de l’aide canadienne.

Le gouvernement haïtien s’est doté en 2012 du PSDH qui développe sous quatre grands chantiers de refonte (territoriale, économique, sociale et institutionnelle) et leurs 32 programmes, la vision à long terme pour le développement du pays qui se relève alors du tremblement de terre de 2010. Le plan cible l’atteinte d’une société plus juste et égalitaire, où les besoins de la population sont satisfaits grâce au développement économique, à la restructuration des institutions étatiques et à l’encadrement par un État fort et responsable. De 2016 à 2021, la planification de l’aide canadienne en Haïti n’a pas fait l’objet d’un exercice délibéré et systématique d’alignement sur le PSDH. Dans un énoncé ministériel de 2018 étaient posés les principes qui guideraient l’engagement canadien en Haïti : « Le Canada accompagne Haïti sur son chemin vers l’émergence économique. Sous le leadership haïtien et avec la participation accrue des femmes, le Canada contribue à renforcer la gouvernance et l’État de droit et à améliorer la qualité de vie des plus pauvres de manière à accroître la confiance du peuple, des partenaires et des investisseurs ». Le profil de l’aide canadienne a démontré un alignement de facto sur les priorités surtout sociales et institutionnelles attribuable au large éventail de priorités du PSDH plutôt que sur une consultation stratégique avec l’État haïtien. Le haut niveau de financement aux organismes multilatéraux et aux initiatives multidonateurs a renforcé cet alignement du fait que ces initiatives cadrent dans les priorités définies avec l’État haïtien.

L’aide canadienne a été guidée par les engagements ministériels et par les priorités de la Politique d’aide internationale féministe (PAIF) plutôt que par une stratégie de programmation pays.

Un plan stratégique de programmation pays a été développé à la fin de la période, en 2021 : au cours des cinq ans couvant l’évaluation, la programmation canadienne n’a pas eu de cadre programmatique articulé sur le long termeNote de bas de page 5 et a été axée sur la réponse aux engagements ministériels (programme Santé maternelle et infantile de 2016 à 2021; « Sa voix, son choix » de 2017 à 2020; « Voix et leadership des femmes » de 2017 à 2021). La programmation est demeurée en grande partie dans la continuité historique de l’aide canadienne, mais avec un accent plus prononcé encore sur la santé des femmes et des enfants en particulier. Dans les champs d’action de la PAIF, les investissements au chapitre de la dignité humaine ont été marqués par une composante importante de prestation de services directs en santé et en éducation. La pertinence en réponse à ces besoins n’est pas à questionner : seulement 4,7 % du budget d’Haïti a été alloué à la santé entre 2016 et 2020Note de bas de page 6, Haïti figurant en dernière position sur 34 pays pour ce qui est des investissements en santé en 2017Note de bas de page 7. L’accroissement des investissements dans les initiatives de santé a occasionné un transfert de financement, décroissant de 33 % les fonds alloués à une programmation liée à la protection de l’environnement et l’adaptation aux changements climatiques (comparativement à la période de 2011 à 2015) qui signale aussi le dilemme d’investir dans les objectifs de changements systémiques à long terme en faveur de projets à plus courts termes ciblant des programmes de services vitaux. C’est là un défi particulièrement constant dans les États fragilisés où ces choix difficiles doivent être faits. Le secteur de la gouvernance inclusive a vu pour sa part une hausse modeste de 4 % sur la période précédente. Le contexte chaotique de gouvernance et l’instabilité durant la période se sont reflétés dans les choix programmatiques, soit une tendance vers une réponse aux besoins de base.  

Prise en compte des causes de vulnérabilités

Le modèle de Désastre de Pression et Relâchement (PAR) explique le désastre comme l’interaction entre les facteurs sociaux, économiques et la véritable catastrophe naturelle (type, intensité, densité).

À l’aide du modèle PAR, l’anthropologue Mark SchullerNote de bas de page 8 a analysé comme suit la situation en Haïti :

« Reconstruire en mieux ne signifie pas seulement un changement des conditions dangereuses (…) mais certaines choses doivent changer aussi à un niveau plus profond. En bref, changer les conditions dangereuses, réduire la pression dynamique et attaquer les causes fondamentales »Note de bas de page 9.

Le cadre programmatique axé sur les résultats a permis de la flexibilité dans l’exécution des projets, mais les mesures ont été décidées en réaction aux événements plutôt qu’inscrites dans une stratégie de gestion des risques.

Une analyse approfondie des enjeux de vulnérabilité et des causes de l’inégalité de genre n’a pas été faite à l’échelle du programme en appui à ces objectifs du Plan d’action national du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité (PNFPS) : une telle analyse aurait pu mieux cibler l’intégration et la planification du travail sur l’égalité des genres (ÉG) dans toutes les sphères d’action d’AMC, incluant des analyses sectorielles, comme bases d’une stratégie programmatique sur l’ÉG.

Bien qu’AMC ait su effectivement user de flexibilité lorsque les conditions et événements posaient des défis de taille à l’exécution des projets, le programme a peu démontré dans son ensemble une approche stratégique de gestion et d’atténuation des risques. Ceci a été probant en ce qui a trait aux risques environnementaux liés aux catastrophes naturelles dont le pays a été victime de façon récurrente au cours des dernières décennies. Si le critère d’impact environnemental était inclus dans les modalités de proposition de projets, les considérations se limitaient à l’impact plausible et à son atténuation concernant l’initiative elle-même : le programme canadien ne s’est pas doté d’analyse stratégique couvrant plus largement la question environnementale dans l’effort de développement du Canada en Haïti, qui aurait permis d’identifier des tendances, moyens et opportunités où le Canada aurait considéré aborder ces défis dans une approche programmatique.

L’absence jusque tard dans la période d’un exercice de planification stratégique au niveau du programme pays et le faible niveau d’introspection des leçons apprises par AMC suite aux événements et aux projets ont été quelques-uns des facteurs inhibant la prise en compte des causes et risques de vulnérabilités dans une perspective plus large que sur la base de projets singuliers.

Néanmoins, au niveau des activités, plusieurs initiatives de partenaires ont été conçues avec un objectif important touchant la résilience aux changements climatiques. Ces projets ont inclus des composantes d’atténuation et de prévention des risques (filière agricole et technologies transformatives adaptées; assurance agricole; modes et intrants de production à résistance élevée aux catastrophes naturelles, etc.), mais le niveau de risque de catastrophes naturelles et leurs impacts auraient justifié une vision programmatique accompagnée de modes de financement à plus long terme par le gouvernement canadien afin de mieux assurer la continuité et la préservation des acquis de développement.

Constats : Efficience

Sélection des partenaires : mécanismes et adaptation

Figure 7:

Principaux partenaires d’exécution de l’aide internationale canadienne en Haïti, en millions de dollars, de 2016-2017 à 2020-2021

Version texte

Figure 7 :

Institutions multilatérales

  • PAM: 55,7 M$
  • UNFPA: 42,5 M$
  • UNICEF: 33,4 M$
  • PNUD: 30,4 M$
  • OIM: 19,9 M$
  • Banque mondiale: 15,5M$

ONG et OBNL

  • Développement international Desjardins: 17,3 M$
  • Médecins du monde Canada: 15,5 M$
  • Avocats sans frontières Canada: 13,4 M$
  • Fédération Canadienne des municipalités : 12,9 M$

Source : DPF-stats (2022-02-18), AMC.

L’efficience quant au choix de partenaires a été adaptée en regard du contexte.

Le Canada a exécuté le programme par l’entremise de 38 organismes à but non-lucratif (OBNL) canadiens et de 29 OBNL internationaux, dont 17 agences d’exécution multilatérales. Ces dernières ont reçu 50 % des déboursés totaux et 59 % des déboursés de NGM. Les 38 OBNL canadiens ont reçu 33 % des financements, notamment 29 % des fonds bilatéraux et 99 % des fonds de KFM. Les OBNL canadiens, pour la majorité établis de longue date en Haïti, avaient un historique de programmation avec l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et AMC. Les études de rapports de projets et les évaluations décentralisées ont démontré que ces partenaires ont apporté une solide connaissance des enjeux du pays et en particulier de leurs zones géographiques d’intervention et un réseau de contacts locaux étendus par leur travail direct auprès des communautés et organisations de la société civile haïtienne. Selon plusieurs informateurs, ceci a permis de démarrer les activités et de les reprendre suite aux interruptions avec efficience malgré des retards encourus dans les approbations (au niveau d’AMC et/ou des structures étatiques de tutelle). Les agences multilatérales ont eu pour leur part une ampleur plus large de couverture à la fois géographique et thématique, une solide capacité de résilience dans le contexte de vulnérabilités multiples, mais des ancrages moins solides au niveau communautaire notamment pour la prise en charge suite aux projets.

Le mécanisme d’initiatives par le Ministère pour la sélection de projets par la Direction d’Haïti (NDH) a été largement adapté au partenariat avec les organismes multilatéraux, mais le programme de la Politique d’aide internationale féministe (PAIF) s’y est trouvé diffus.

Le nombre élevé de projets réalisés par des organismes multilatéraux (comparable aux déboursés en pays hautement vulnérables) explique la prépondérance du mécanisme de « proposition initiée par le Ministère » pour la sélection (52 % des projets et 13 initiatives du Ministère). De 2014 à 2021, il y a eu 3 appels à propositions par NDH qui ont généré peu de projets : Les femmes en tant qu’agentes de changement dans les Amériques en 2019 (3 propositions, aucune approbation), Améliorer la participation citoyenne dans le secteur de la santé en Haïti en 2018 (14 propositions, 2 approbations) et Renforcer les chaînes de valeur agroalimentaires et l’adaptation aux changements climatiques en 2017 (24 propositions, 4 approbations). Dans ce contexte, le mécanisme de « propositions initiées par le Ministère » a ciblé plus efficacement et effectivement des priorités reconnues de développement en Haïti, mais a limité le niveau de priorisation du travail sur l’ÉG car les partenaires multilatéraux mettent l’accent sur les priorités nationales larges. Bien que AMC ait bénéficié de l’administration multilatérale des projets (rapide démarrage de projets, l’efficience de gestion), ces partenaires et projets n’étaient pas configurés pour assurer un rapportage en alignement avec les attentes de AMC et de la PAIF, ce qui a restreint la capacité de mesurer la contribution de ces projets aux priorités du Gouvernement du Canada.

Les appels à propositions faits par le secteur des Partenariats pour l’innovation dans le développement (KFM) ont généré des projets répondant aux priorités ministérielles, mais parfois lents dans la mise à exécution. 

Huit appels à propositions ont été lancés entre 2014 et 2021 par KFM pour une programmation multinationale, à la suite d’engagements ministériels thématiques, surtout en santé. Douze des 18 projets ainsi sélectionnés ont débuté durant la période : si les appels à proposition ont été efficaces pour le tri des partenaires et projets les mieux alignés sur les thématiques, les processus ont été peu prévisibles dans leur durée et leur complexité administrative.

Sélection des partenaires : point de mire de la PAIF

Figure 8 :

Niveau d’intégration substantielle de l’ÉG (en nombre de projets), de 2016-2017 à 2020-2021

Version texte

Figure 8 :

Pré-PAIF

  • Intégration ÉG : 38
  • Aucune intégration : 91

Post-PAIF

  • Intégration ÉG : 33
  • Aucune intégration : 26

Source : CFO-Stats (2022-02-18), AMC.

Figure 9 :

Intégration ÉG de NDH (2016-17 – 2020-21)

Version texte

Figure 9 :

  • Spécifique : 2 %
  • Intégrée : 50 %
  • Limitée : 36 %
  • Aucune : 12 %

Source : CFO-Stats (2022-02-18), AMC.

Figure 10 :

Version texte

Figure 10 :

  • Spécifique : 4 %
  • Intégrée : 33 %
  • Limitée : 32 %
  • Aucune : 31 %

Source : CFO-Stats (2022-02-18), AMC.

Les délais liés à la clôture de la sélection et des processus contractuels ont affecté négativement les plans, la gestion et les partenariats des projets.

Les processus de sélection rigoureux ont assuré un choix de projets et de partenaires d’exécution ayant de bonnes capacités techniques et fiduciaires. Cependant, les délais encourus entre la soumission de propositions et le début des projets (de 1 à 4 ans pour 5 appels à propositions) ont soulevé, pour plusieurs partenaires, des défis de planification, de rétention des ressources humaines, de budgétisation et de liens avec les communautés et partenaires locaux entravant la responsivité aux besoins en temps opportun. Il en est de même pour l’extension de projets : de longs délais avant confirmation ont affecté le maintien des structures de gestion, les liens continus avec les bénéficiaires et la stabilité, voire la faisabilité du projet (par ex., PCM, Vivre ensemble, PRISMA). Des délais décisionnels ont entravé des possibilités de financements complémentaires ou d’expansion (par ex., PCM, suite de PIRFH, PRISMA).  

L’adoption de la PAIF et sa mise à exécution dans le contexte et le programme en Haïti ont soulevé plusieurs types de défis malgré certains gains observables.

L’absence de perspective à long terme de travail sur l’ÉG en Haïti, qui aurait misé sur une analyse des enjeux d’ÉG spécifique au contexte de crise prolongée, a limité la perspective stratégique en appui à la PAIF. La Politique et ses visées ont été insérées dans le programme de manière réactive, résultant en une faible cohérence et une vision limitée sur les enjeux prioritaires et stratégiques pour maximiser les résultats. L’ÉG a été considérée sur la base de projets individuels.

La sélection des projets à partir de 2017 a été faite en effet avec une attention spécifique à l’intégration de l’ÉG. Ainsi, la proportion de projets intégrant substantiellement l’ÉG est passée de 29,5 % avant l’adoption de la PAIF à 55,9 % pour les projets ultérieurs à juin 2017. Plusieurs partenaires ont aligné plus fortement leurs projets sur le renforcement de l’ÉG : une occasion pour certains, une adaptation plus exigeante pour d’autres. La PAIF a reçu un accueil très mitigé auprès de plusieurs partenaires étatiques de même qu’au niveau communautaire où les rôles et dynamiques de pouvoir traditionnels ont créé une résistance à prioriser les efforts envers l’ÉG. Il est à noter que le système de cote et la codification par champ d’action prioritaire n’a pas rendu un profil précis du travail sur l’ÉG :  l’application de la politique a mis du temps à se traduire en projets sur le terrain; l’interprétation d’une cote sur les projets existants a été compliquée; des projets à dimension importante sur l’ÉG ont été classés dans divers champs d’action.  

Les partenaires ont fait face à des défis multiples, axiologiques et opérationnels, citant par exemple la difficulté de planifier des projets systémiques transformateurs (cote ÉG-3) perçus, à tort ou à raison, comme priorisés par AMC, dans un contexte social et institutionnel à traditions peu favorables. Des répondants ont déploré l’offre tardive de ressources en appui à l’exécution de la PAIF, des interprétations variables des attentes par AMC et du système de codage. 

Cependant, des gains notables ont été soulevés. Par exemple, des projets ne visant pas spécifiquement l’intégration de l’ÉG ont quand même développé, à la suite à d’analyses comparatives selon le genre (ACS Plus), des outils pour mesurer leurs résultats en ÉG (p. ex. UNICEF, Equitas). L’approche fondée sur la masculinité positive partagée par 5 projets de SMNE visant l’engagement des hommes a généré un soutien accru des hommes aux femmes dans leur décision d’avoir recours aux services de SMNE, et une meilleure reconnaissance des droits des femmes dans les zones des projets.

Structure et ressources humaines

Figure 11 :

Taux de postes vacants (en %), variation trimestrielle, de 2016-2017 à 2020-2021

Version texte

Figure 11 :

NDH

  • Septembre 2016: 51%
  • Septembre 2017: 13 %
  • Juin 2018: 17%
  • Septembre 2018: 30%
  • Mars 2019: 18 %
  • Septembre 2019: 39 %
  • Décembre 2019: 48 %
  • Mars 2020: 31 %
  • Septembre 2020: 48 %

NGH

  • Décembre 2016: 25%
  • Septembre 2017: 20%
  • Mars 2019: 15 %
  • Septembre 2019: 30 %
  • Mars 2020: 22 %
  • Septembre 2020: 21 %

Source : Données RH de PowerBI, AMC, février 2023.

Les défis constants de gestion de crise dans un contexte de ressources humaines restreintes ont fait obstacle à une planification stratégique jusqu’à la dernière année de la période couverte.

La première recommandation de l’Évaluation de la coopération Canada-Haïti 2006-2013 portait sur le développement d’un cadre pays tenant compte des priorités du gouvernement haïtien avec mise à jour des stratégies sectorielles. La Stratégie du Canada en Haïti a été développée et adoptée en janvier 2021. En l’absence de vision stratégique à moyen et long terme, le programme et son personnel ont essuyé crise après crise en mode réactif, une situation qui a affecté l’attractivité de personnel au programme. Les conséquences de la gestion de crise sur les ressources humaines ont été manifestes sur le personnel et au niveau de la Direction générale, dans la perte de mémoire institutionnelle. L’ensemble de ces conditions n’ont donc pas été optimales pour une gestion stratégique basée sur les connaissances et la planification.

Des défis importants de ressources humaines (recrutement, rétention et expertise) ont perturbé la gestion du programme d’Haïti (NDH) à l’administration centrale et à la mission.

La Direction générale géographique d’Haïti a eu, de manière quasi constante au cours de la période, des problèmes de recrutement et de rétention de personnel. Ceci a affecté les capacités de gestion et de programmation en raison du volume de travail à répartir sur un contingent de personnel limité, surtout prenant en compte les besoins et les perturbations au programme. Les changements fréquents dans les postes de haut niveau décisionnel ont, selon une majorité de répondants, affecté la stabilité dans l’approche de direction et la capacité de concevoir une programmation stratégique dans une vision claire et appuyée par l’ensemble des acteurs du programme.

Le taux trimestriel de postes à pourvoir au sein de NDH de juin 2016 à mars 2021 a montré d’importantes fluctuations (entre 13 % et 51 % avec une moyenne de 30 %) et a été le plus élevé de ce secteur (moyenne de 20 % pour NGM). En raison des changements d’allocations budgétaires, le nombre de postes a aussi chuté de 40 en 2016 à 25 en mars 2021. Ceci a eu pour conséquences une perte de stabilité, des lacunes en expertise et niveau d’expérience, et une situation perturbante de gestion en mode de crise, alors que le nombre de projets à gérer au cours de ces années est resté stable.

À la mission, le nombre de postes a été assez stable tant pour les postes canadiens que locaux. Toutefois, même à la mission, il y a eu des pourcentages de postes à pourvoir variant de 10 % (2016) à 43 % (2021). Les défis de sécurité et la difficulté d’attraction de personnel permutant qualifié se sont amplifiés depuis 2015. Des postes décisionnels importants n’ont pas toujours été comblés avec du personnel ayant les expertises appropriées au contexte et aux besoins. Le personnel local stable a joué un rôle important dans le suivi des activités de la mission tant lors des périodes où plusieurs postes canadiens étaient restés vacants que durant les situations de crises où des évacuations étaient requises.

La demande sur la gestion a donc été exacerbée par les effets cumulés de trois facteurs perturbateurs : le niveau de postes non comblés, le roulement fréquent de personnel limitant l’apport de l’expérience dans un programme complexe, et le niveau d’instabilité en Haïti rehaussant les pressions de gestion de crise, tant à l’administration centrale qu’à la mission.

Opération et suivi programmatique

Des occasions de renforcer les liens entre les initiatives canadiennes et en réseautage avec les donateurs ont été manquées.

Du point de vue de plusieurs répondants, la mission, bien qu’elle ait apporté des appuis ponctuels, n’a pas joué activement de rôle catalyseur entre les partenaires des projets canadiens et entre les partenaires et les autres donateurs, ce qui aurait pu avoir un effet de levier sur la programmation canadienne, augmenter les financements et prolonger des projets stratégiques. Des projets qui avaient construit de forts réseaux entre divers secteurs, par exemple le projet PIRFH avec son réseau de partenaires canadiens (Union des municipalités du Québec, chambres de commerce, Ville de Montréal, etc.) et son réseautage important auprès de donateurs comme la BID, USAID, l’ONU sur le terrain, auraient pu être accentués et élargis par un engagement de la mission en appui à ces effets de levier potentiels.

Plusieurs répondants ont également souligné que les rôles et responsabilités entre l’administration centrale et la mission n’étaient pas toujours appliqués de manière à bénéficier au maximum au programme et aux divers partenaires. Des décisions prises à l’administration centrale se sont heurtées parfois à la réalité du terrain, ont manqué d’analyse systématique et ponctuelle du contexte, et n’ont pas reflété de rôle proactif d’AMC pour créer des espaces de collaboration régulière entre des partenaires.

Les modalités pour le suivi et l’évaluation de la programmation ont été inégales et insuffisantes pour extraire adéquatement les leçons utiles à l’amélioration du programme.

Les observateurs affectés au suivi de certains projets, et le suivi terrain assuré par des experts attachés au projet de services d’appui sur le terrain (PSAT), ont généré des rapports utiles au programme. Toutefois, d’autres facteurs ont fait obstacle à la capacité de suivi, dont le contexte d’insécurité limitant les visites en régions, les postes vacants affectant la capacité du personnel, et le niveau élevé de sollicitation pour appui à l’externe que PSAT a reçu. A l’opposé de l’ancienne Unité d’appui aux projets, PSAT offrait des experts qui étaient souvent sollicités par d’autres donateurs ou mobilisés pour fournir des informations à l’administration centrale, donc qui avaient une disponibilité limitée. Le PSOP a assigné un agent de projet à l’administration centrale et un attaché politique à la mission comme point focal, mais l’agent local n’avait ni le mandat, ni l’expertise pour le suivi technique du PSOP et la coordination inter-donateurs sur la paix et la sécurité en Haïti. PSAT n’a pas eu de rôle formel dans l’appui au PSOP, ce qui a restreint l’activité et la visibilité du Canada à ce chapitre sur le terrain. 

De plus, les rapports sommaires de gestion (RSG) rédigés par les agents de projets à partir des rapports des partenaires ont été faiblement concordants avec les Indicateurs de rendement du Ministère, et ont peu servi à l’extraction significative de leçons à tirer des expériences afin d’améliorer la programmation. Le peu de disponibilité des agents de projets pour distiller les leçons apprises et disséminer les apprentissages des projets a fait qu’un savoir utile aux orientations et décisions programmatiques futures n’a pu circuler autant que souhaité et nourrir la réflexion collective sur des orientations stratégiques.

Capacité d’adaptation de la programmation

Figure 12 :

Version texte

Figure 12 :

Citation dans une bulle : « Les partenaires ont su faire preuve de créativité et d’innovation face aux limites et au contexte d’insécurité persistante. Par exemple, le PAM a exploré de nouvelles façons de transporter les vivres par bateaux, puisque les routes étaient constamment bloquées par la violence entre les gangs. Le Canada a financé aussi du transport par hélicoptère. En Haïti, on doit explorer des alternatives. » - Membre du personnel de la mission

Figure 13 :

Version texte

Figure 13 :

Citation dans une bulle : « On a été efficace et efficient dans la mise en œuvre du projet. Cependant, lorsqu’est arrivé le temps d’avoir une prolongation, suite à la demande même d’AMC, la machine bureaucratique était trop lente. Il fallait que ça bouge, sinon on était prêt à partir. Tant qu'il n'y a pas de signature, on ne peut continuer. On était en train de plier bagage lorsque la confirmation a finalement été conclue. » - Partenaire OBNL

Les processus de sélection et contractuels n’ont pas facilité les besoins d’adaptation rapide au contexte en Haïti, particulièrement en raison des standards distincts entre les mécanismes privilégiés par divers secteurs.

Le processus de sélection de projets de développement a été long et sa complexité bureaucratique a soulevé des défis de taille pour plusieurs partenaires de cette filière. Il n’en a pas été de même pour les projets humanitaires, selon les témoignages de partenaires ayant eu des financements des deux sources. Le secteur humanitaire ainsi que le PSOP ont eu des modalités de sélection et contractuelles plus rapides et plus efficaces. La capacité d’imbriquer aisément un projet de développement à la suite, par exemple, de la fin d’une réponse humanitaire, a été limitée compte tenu de ces standards distincts. Lors de délais d’attente prolongés mentionnés par un nombre de partenaires, les plans ont pu être adaptés éventuellement bien que le temps écoulé ait parfois occasionné plusieurs itérations de propositions et des va-et-vient en négociations avec l’administration de programme à AMC, limitant l’efficience et causant des périodes indûment inactives entre des initiatives qui auraient dû se succéder.

La programmation d’AMC a pu miser sur l’expérience de partenaires et de personnel local à la mission pour assurer la continuité et l’adaptation lors des perturbations.

Les partenaires expérimentés en Haïti, bénéficiant d’une vaste expérience de travail au niveau local et régional, ont eu des pratiques de plans de contingence en réponse aux situations de fragilité. Ces partenaires, ainsi que la stabilité du personnel local à la mission, ont été des facteurs ayant facilité la résilience et l’adaptation aux situations de crises.

Le cadre programmatique axé sur les résultats a pu faciliter des ajustements aux projets aux moments nécessaires.

Le cadre programmatique axé sur les résultats a permis d’ajuster des activités et des calendriers dans les projets en cours, ce qui a été utile lors des catastrophes naturelles, de la pandémie de COVID-19 et dans le contexte d’insécurité croissante. Plusieurs partenaires ont évoqué l’impact des changements de contexte fréquents en Haïti sur leur capacité à exécuter leurs activités telles que prévues en mentionnant que, outre leur connaissance du terrain, la flexibilité dont AMC a fait preuve pour adapter les projets les a aidés à opérer à travers les contraintes et à atteindre des objectifs.

Des mesures prises par AMC au moment de la pandémie, tant pour ajuster les activités de projets que leur suivi (production de rapports, prise de décision déléguée, réallocation de fonds, appui au télétravail, etc.), ont été efficaces et appréciées, démontrant que la flexibilité alors appliquée peut simplifier l’opérationnalisation du programme. Par contre, des mesures préconisées (port du masque, lavage des mains, incitation à la vaccination, etc.), malgré les efforts pour adapter ces mesures à l’environnement, ont eu peu d’acceptabilité sociale et ont été faiblement suivies. De plus, des adaptations matérielles qui auraient facilité le télétravail des partenaires locaux n’ont pu être mises en place faute de budget et de conditions logistiques essentielles, avec le résultat que des éléments de programme ont dû être interrompus ou annulés. 

Constats : Cohérence interne

Triple nexus

Haïti est le pays à plus haut niveau de vulnérabilité des Amériques. Ce contexte incite à une approche intentionnelle du triple nexus en vue de maximiser la cohérence et l’impact de l’aide internationale du Canada.

Bien que certaines initiatives de rapprochement aient démontré une volonté de connexion plus étroite, jusqu’à maintenant, les divers secteurs (développement, humanitaire, paix et sécurité) ont eu peu d’occasions et de mécanismes incitant à travailler en collaboration et ils ont opéré généralement en silos, sans vision partagée ni objectifs arrimés entre eux.

Il n’y a pas eu de processus de planification inter-filières qui aurait emporté l’adhésion collective des directions impliquées dans l’aide canadienne et favorisé l’organisation du travail entre les directions, l’effet de levier entre les programmes et les transitions logiques et ponctuelles entre les initiatives.

Dans un contexte de fragilité et de crise prolongées comme Haïti, un cadre de programmation fondé sur la vulnérabilité et la gestion de risque serait une base justifiée sur laquelle concevoir un plan unifié regroupant tous les secteurs sous des objectifs communs. Il y a eu un manque d’incitatifs ministériels, et la structure de gestion ne s’est pas prêtée pas de manière optimale à une approche réelle de triple nexus.

Malgré une convergence observable d’interventions entre le programme de développement et le PSOP, les filières de programme ont peu porté attention à la collaboration et à la complémentarité qui aurait pu appuyer leur efficience.

Comme il a été mentionné dans le rapport de suivi du PSOP en Haïti de mars 2020Note de bas de page 10, 13 projets du programme de développement (62 M$ de déboursés) ont porté sur des thématiques communes au PSOP (droits humains, droits des femmes, justice, police, élections, transparence et gouvernance locale). Il y a aussi eu convergence de partenaires ou de bénéficiaires entre le programme de développement et le PSOP : les projets Soutenir et renforcer la création de la Police Nationale des frontières haïtiennes (PSOP), Aide aux enfants et femmes vulnérables dans les régions frontalières en Haïti (NDH) et Programme de relocalisation et d'appui aux personnes déplacées en Haïti (NDH) ont tous eu pour partenaire d’exécution l’OIM tandis que les projets Appui à une meilleure intégration des femmes dans la police nationale d'Haïti (PSOP), et Formation initiale et perfectionnement des cadres de la Police Nationale d'Haïti (NDH) ont tous deux ciblé le renforcement de la Police Nationale d’Haïti (PNH). Malgré ces intersections, le programme de développement a semblé peu au fait des activités du PSOP et du Plan Intégré de Paix et de sécurité pour Haïti (IPSP), auquel NDH avait tout de même contribué lors de consultations. Le plan a été perçu comme étant celui du PSOP, malgré la concordance de ses objectifs avec les visées d’une programmation axée sur le renforcement de l’ÉG.

Le nexus humanitaire-développement a souvent été un défi opérationnel quant à la coordination entre la réponse d’urgence et la reprise des initiatives de développement mais la concordance de partenaires a aidé la coordination et la transition.

La coordination entre le programme humanitaire et le programme bilatéral est passé principalement par le financement d’initiatives complémentaires exécutées par le même partenaire. Le PAM a reçu du Canada 49,7 % des financements humanitaires qui ont mis en œuvre le projet Cantines scolaires et achats locaux pour le compte du programme de développement. Lors de l’ouragan Matthew, les discussions entre le programme humanitaire et le programme de développement ont permis de rendre disponibles les stocks alimentaires des cantines scolaires pour répondre aux besoins urgents des sinistrés. La subvention du programme humanitaire a ensuite permis de renflouer les stocks du projet de cantines scolaires. Les deux programmes ont également financé l’UNICEF de manière complémentaire : la lutte contre le choléra et le projet Assainissement, hygiène et approvisionnement en eau potable en Artibonite et Centre en Haïti. Médecins du Monde Canada a été partenaire tant pour un projet de développement sous financement de KFM, et intervenant en réponse humanitaire suite à l’ouragan Matthew. Cependant, malgré la capacité de certains partenaires d’exécuter une programmation dans plusieurs filières, la continuité dans temps entre la fin des interventions humanitaires et la reprise des projets de développement n’a pas été assurée. Parmi les facteurs, citons les délais d’approbation plus longs pour les projets bilatéraux que pour les projets humanitaires, par exemple, et le fait que les interventions requises n’ont pas été planifiées dans une optique plus large que ce que couvre chacun des secteurs selon ses propres modalités. Ce fût aussi problématique suite à la reprise après l’ouragan Matthew. L’effet de levier d’un programme vers un autre n’a donc pas toujours été maximisé.

Constats : Cohérence externe

Rôle du Canada au sein des donateurs

Figure 14 :

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Figure 14 :

Photo de la réunion du Comité des ambassadeurs du CARICOM en mai 2018.

Crédit photo : CARICOM, mai 2018.

La coordination entre donateurs a été plus efficace sur le plan politique que sur le plan opérationnel.

Le Canada a joué un rôle actif au sein du groupe des principaux donateurs bilatéraux et multilatéraux en Haïti (le « CORE group ») et a travaillé de façon continue en vue d’arriver à des consensus entre donateurs. Dans le contexte de crise multidimensionnelle, la coordination et le consensus des donateurs sont demeurés essentiels à la rationalisation des actions. La coordination des donateurs à ce niveau a visé la recherche collective de solutions en vue de la restitution d’une démocratie fonctionnelle en Haïti. Le Canada est de plus en plus actif au sein du Groupe des Amis d’Haïti de l’OÉA. La voix du Canada au niveau diplomatique s’est faite plus importante au cours de la période.

Sur le plan opérationnel, quelques mécanismes ont quelque peu favorisé la coordination entre les interventions de développement, notamment des tables thématiques, mais elles ont été inégalement actives et ont plutôt été utilisées pour le partage d’information (le Canada a coprésidé la table de concertation sur l’Égalité des genres). Il y a eu des exemples de complémentarité entre les interventions du Canada et celles des autres donateurs, tel que le financement américain de l’École de Police et celui par le Canada de l’Académie de Police (ANP), les deux contributions assurant un continuum de formation policière en Haïti. Des financements conjoints ont aussi appuyé le renforcement de la police frontalière, en collaboration avec l’OIM. La coordination inter-donateurs a été aussi assez fonctionnelle lors de réponses humanitaires sous la tutelle du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) à la suite des catastrophes naturelles durant la période. Les vastes interventions des partenaires multilatéraux co-financées ont été un atout pour la cohérence externe et ont fait partie d’une stratégie négociée dans le contexte humanitaire et de sécurité principalement.  

Cependant, le manque de ressources dédiées à la mission pour rehausser l’engagement du Canada auprès de diverses tribunes de concertation sur le terrain, ainsi que la réticence des différents donateurs à partager de l’information sur leurs interventions, ont limité le potentiel de collaboration inter-donateurs, particulièrement dans la filière de développement. Des distinctions de zones géographiques d’intervention des donateurs ont été observées, mais même cette complémentarité est demeurée floue et informelle.

Le Canada a continué d’exercer un rôle de leadership comme partenaire pour l’aide en Haïti, dans les institutions régionales et auprès des Nations Unies.

Le Canada a appuyé plusieurs initiatives en faveur d’Haïti au sein de la CARICOM, de la Banque de développement des Caraïbes (BDC) et de la Banque interaméricaine de développement (BID), et a plaidé pour un appui plus fort de ces institutions à l’égard d’Haïti. Ceci s’est traduit en projets d’accès à l’éducation de base, incluant infrastructures résistantes aux séismes et à l’accès par Haïti à des paiements d’assurance du CCRIF SPC (un mécanisme de la CARICOM et de la BDC) grâce à la contribution canadienne au fonds multi-donateurs suite à l’ouragan Matthew. Le Canada a eu d’ailleurs un rôle important dans la conception et la mise en place de fonds multi-donateurs, notamment le Fonds commun des Nations Unies en matière de sécurité et le Fonds pour la reconstruction dans le Sud : ces fonds multi-donateurs ont permis à l’aide canadienne d’avoir un impact plus large que les projets individuels, grâce à l’approche collective coordonnée par les Nations Unies (OCHA et PNUD). Haïti a misé sur l’appui du Canada à ces tables régionales et en a reconnu l’apport.

Résultats : Égalité des genres

Figure 15 :

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Figure 15 : Photo d’un atelier offert à Les Palmes, Haïti.

Crédit photo : Lucie Goulet, Les Palmes, Haïti, 2016.

Le Canada s’est distingué comme chef de file sur la cause de l’égalité des genres (ÉG) parmi les donateurs.

Le personnel d’AMC a élevé le niveau de considération de l’ÉG aux tables de travail sectorielles et a influencé sa prise en compte dans les interventions multilatérales ou cofinancées. La PAIF a été adoptée en 2017 et, suite aux délais de mise en œuvre, la plupart des projets approuvés sous la PAIF l’ont été vers la fin de la période, soit 2019 à 2021 : il a donc été présomptueux de conclure sur des résultats sur une si courte période. Toutefois, l’ÉG était déjà un thème transversal de la Politique en matière d’égalité entre les sexes de l’ACDI (2013) et une priorité dans la période précédant la PAIF. De 2016-2017 à 2020-2021, AMC a œuvré au renforcement du cadre des politiques en ÉG au niveau national en appuyant, par les projets PARGEP et PATH, la conception de la Politique d’Égalité Hommes Femmes du MCFDF (2015) et son Plan d’action, et en co-présidant avec ONU-Femmes du Groupe de travail des partenaires en Égalité Femmes Hommes (2017).

L’intégration de l’ÉG a été sujette à diverses interprétations et inégalement considérée dans les projets, mais surtout n’a pas été planifiée stratégiquement au niveau du programme.

Certains partenaires ont développé une stratégie en ÉG et procédé à des analyses comparatives selon le genre (ACS Plus) utilisées pour raffiner les initiatives. Par exemple, le projet FIPCA-PNH a ciblé la réduction des biais limitant l’accès des femmes au métier policier; des projets d’éducation aux droits de la personne ont aussi commencé par une analyse basée sur le genre. Toutefois, la plupart des projets ont abordé en surface les enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes en Haïti : peu d’analyses préalables solides utilisant l’ACS Plus ont été faites, les partenaires planifiant d’emblée des activités de renforcement et de sensibilisation, ou de livraison de services pour répondre aux besoins pratiques des femmes et des filles. Comme l’ont illustré les rapports, les indicateurs ont été largement basés sur le décompte d’activités et de participant(e)s. L’approche prédominante de l’ÉG axée sur l’augmentation du nombre de femmes bénéficiaires était peu stratégique en lien avec une transformation des rapports de pouvoir basés sur le genre. Ce constat illustre la complexité du travail d’ÉG dans un contexte où les barrières culturelles, sociales et politiques à l’émancipation ont été considérables, et la limite de l’approche par projet dans une optique de changement systémique. Le constat sur les résultats en matière d’ÉG se compare à celui de l’évaluation antérieure du programme d’Haïti (2006-2013) : « l’absence de système de mesure de rendement efficace » rend impossible l’identification de résultats au-delà d’extrants pour la quasi-totalité des projets.

Dans la programmation ciblée de Voix et leadership des femmes en Haïti, le projet « Pou Fanm Pi Djanm » a appuyé 30 organisations de défense des droits des femmes avec des fonds rapides de formation sur les droits des femmes. Le projet Réduction de la violence contre les femmes politiciennes en Haïti a pu former 272 candidates potentielles au leadership politique. Cependant, à ce stade, il y a aussi un manque de données démontrant des résultats au-delà des extrants.   

Dans l’ensemble, le suivi des résultats après le démarrage du projet a été faible. Trois observations sur l’intégration de l’ÉG sont ressorties de la méta-analyse des évaluations décentralisées de projets : certains projets ont développé des stratégies sur l’ÉG sans toutefois les mettre en œuvre (PAMREF) ou sans y allouer des fonds (Appui au processus électoral en Haïti), d’autres ont collecté des données de référence en ÉG sans les utiliser (Appui à la gouvernance locale et au développement territorial et Eau, Assainissement et Hygiène), tandis que d’autres ont atteint certains résultats en ÉG sans avoir planifié de stratégie à cet effet (autonomisation d’agricultrices à travers le projet SYFAAH).

Résultats : Santé – Éducation

Figure 16 :

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Figure 16 : Photo de Médecins du Monde Canada avec une famille en Haïti.

Crédit photo : Médecins du Monde Canada.

Une importante programmation en santé maternelle et infantile a apporté des résultats positifs au niveau des extrants, mais a été peu consolidée structurellement, et sa durabilité est questionnable.

La programmation en santé en Haïti a été dominée par cinq projets issus de l’appel de propositions de KFM pour le Partenariat pour le renforcement de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants (PRSMNE) à hauteur de 31,6 M$ contre 24,7 M$ investis par NGM. Les interventions ciblées au niveau de l’administration départementale ont réalisé la plupart de leurs activités et obtenu des extrants positifs, mais les résultats ont été difficile à mesurer dû à l’absence de données de références et de la faiblesse des indicateurs de santé maternelle et infantile à l’échelle départementale. Selon l’évaluation, des résultats positifs en renforcement des capacités techniques et matérielles des structures de santé appuyées ont été observés, mais la durabilité de ces acquis est questionnable sans appui continu. La performance mitigée a été attribuable à l’expertise inégale des partenaires en matière de gouvernance de la santé et à un engagement modéré de certaines directions sanitaires départementales. De plus, l’engagement minimal avec les autorités du ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) au niveau central a réduit plus encore la potentielle prise en charge.

NDH a maintenu une programmation importante en santé, mais le potentiel de durabilité des interventions a été tout aussi limité.

AMC a pris un engagement significatif avec l’Appel à l’action pour une coopération canadienne robuste en faveur du système de santé d'Haïti (2018), incluant ses partenaires majeurs intervenant en santé. Ceci a inclus 2 projets de 5 ans (SSIAF, Soutien aux sages-femmes) parmi d’autres. Le projet PRISMA 2 (19,5M$), a œuvré avec la Direction départementale de la santé de l’Artibonite depuis 2017 à la réduction du taux élevé de mortalité maternelle et a rapporté une hausse de fréquentation des établissements de santé pour les accouchements, du recours aux services de santé sexuelle et reproductive et un meilleur suivi nutritionnel des enfants. La Direction départementale a aussi été l'une des plus performantes en gestion de la COVID-19, et a intégré l’enjeu du genre dans ses plans et rapports.

La programmation de NDH en santé a visé d’autres sous-secteurs de la santé, notamment l’eau, l’assainissement et l’hygiène. Les résultats dans ce domaine ont été limités : le nombre de ménages et d’écoles dotés de systèmes d’eau potable et d’installations sanitaires a augmenté, mais la plupart ont cessé d’être fonctionnels. Aucun mécanisme d’entretien continu de ces points d’eau n’a été prévu, et le faible système de suivi n’a pas permis d’effectuer la sensibilisation et la mobilisation nécessaires à une prise en charge des infrastructures par les bénéficiaires.

Les initiatives en éducation ont appuyé effectivement l’alimentation des enfants en milieu scolaire et facilité l’accès de filles à l’éducation secondaire : les résultats rapportés sont positifs, mais les initiatives sont demeurées dépendantes de bailleurs de fonds.

Il y a eu 26 projets en éducation totalisant 58,9 M$ (NDH : 51,9 M$; KFM : 4,9 M$). Les projets du PAM des Cantines scolaires et achats locaux (23,2 M$) et Appui aux cantines scolaires en Haïti (4,5 M$), visaient le maintien à l’école des enfants et l’amélioration de leur nutrition, et l’adoption avec le MENFP d’une Politique et Stratégie nationale d’alimentation scolaire. Les résultats sont largement tributaires de la continuité de financement. Il n’y a pas de vérification possible de résultats du projet Améliorer l'accès des filles au secondaire (BIRD), qui était actif à la fin de la période.

Résultats : Gouvernance

AMC a contribué largement à l’objectif d’amélioration de la gouvernance, notamment par des projets visant à restaurer l’État de droit, et des initiatives de gouvernance transversale (renforcement des structures étatiques centrales et décentralisées), ainsi que des projets de gouvernance économique pour hausser la capacité de générer des recettes au niveau de l’État. Ces 3 secteurs ont déboursé 82,7 M$. Le total des décaissements en gouvernance pour la période de 2016-2017 à 2020-2021 étaient de 90,3 M$.

Figure 17 :

Décaissements par sous-secteurs de la gouvernance, en millions de dollars, de 2016-2017 à 2020-2021

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Figure 17 :

  • Processus démocratiques: 1.6 M$
  • Droits humains: 2.4 M$
  • Appui à la société civile: 3,6 M$
  • Gouvernance économique: 14.3 M$
  • Gouvernance transversale: 33.2 M$
  • État de droit: 35.2 M$

Source : CFO-Stats (2022-02-18), AMC.

Les investissements canadiens dans la gouvernance décentralisée ont renforcé des structures de gestion et de gouvernance locale et la participation communautaire.

La deuxième phase du Programme de coopération municipale Haïti-Canada (2014-2020) a renforcé les acquis de la 1e phase notamment les organes de gestion de la Région des Palmes dans le partage intercommunal des ressources, l’élaboration de plans d’aménagement et la réalisation de projets de développement économique local. Le projet a appuyé avec succès la participation citoyenne à la gestion des affaires municipales et au devoir fiscal, résultant à 38 % d’augmentation de paiement volontaire des taxes municipales de 2017 à 2018. Les projets en appui à la gouvernance décentralisée ont démontré le potentiel du renforcement du pouvoir à la base (communal) dans le développement d’un certain niveau de résilience locale dans un environnement ou la capacité du gouvernement central était compromise.

La programmation couvrant plusieurs secteurs de gouvernance a produit des résultats appréciables à quelques niveaux de l’appareil étatique haïtien, mais les résultats sont mitigés et à risque dans l’ensemble.

Un programme du PNUD auquel a contribué le Canada a montré des résultats préliminaires en matière d’offre de services de justice, notamment en mobilisant les institutions étatiques pour offrir une aide juridique aux populations vulnérables, en particulier les femmes et les enfants. Un projet d’Avocats sans frontières Canada (OBNL) a aussi rapporté des résultats positifs d’appui à la création d’un collectif d’avocats spécialisés en litige de droits humains et un appui aux OSC offrant des services d’aide juridique.

En gouvernance économique, le projet Informatisation du registre foncier en Haïti (PIRFH) a été marquant dans l’appui apporté à la Direction générale des Impôts (DGI) et a dépassé ses objectifs en numérisation de registre et la prise en compte, pour une première fois, de données propres au genre sur le foncier. Le projet a assuré l’opérationnalisation du registre dans 3 importantes juridictions du pays. Pour le projet PAMREF, si certains résultats en extrants ont été réels (amélioration du système de gestion, révision du code douanier, équipements, formations, recettes de douanes haussées de 17,4 % durant le projet), les résultats sont mitigés quant à la durabilité : retrait d’une institution haïtienne ciblée; fin d’un contrat avant la fin des installations techniques; peu de progrès, voire même un recul dans la pression fiscaleNote de bas de page 11.

Plusieurs de ces projets structurels ont trop peu duré pour ancrer les résultats, et certains avaient un potentiel d’amplification par des collaborations possibles avec d’autres donateurs mais les occasions n’ont pas été saisies à temps par AMC. Malgré le rapport inadéquat entre la durée du projet et les résultats escomptés, des résultats importants et pertinents ont été produit par le projet PARGEP, notamment par la création de l’École nationale d'administration publique (ENAP) en Haïti, et le renforcement institutionnel de certaines fonctions gouvernementales centrales. Par contre, le projet PATH n’a pas eu de résultats probants en regard des objectifs initiaux de renforcement des structures gouvernementales.

Les résultats prometteurs de certains projets de gouvernance ont été sérieusement mis en question quant à leur durabilité compte tenu tant de la situation d’insécurité qui a étranglé le fonctionnement du pays que de l’érosion de gouvernance à tous les niveaux qui a rongé la capacité de responsabilisation par l’État.

Résultats : Agriculture et environnement

Figure 18 :

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Figure 18 : Photo d’une production agricole en Haïti.

Les interventions du Canada pour améliorer l’agriculture ont touché plusieurs filières et composantes avec des résultats rapportés appréciables.

AMC a investi 26,6M $ dans le secteur agricole en réponse aux besoins croissants de sécurité alimentaire et en réponse à l’impact des crises répétées sur la production agricole. Ce domaine d’action a longtemps été, avec la santé, une pierre angulaire de l’aide canadienne. Les projets importants, notamment dans la Grand-Anse, ont varié en nature et types : productivité agricole, soutien à l’agriculture résiliente et adaptation aux changements climatiques, appuis à l’expansion des marchés et à l’accès local aux denrées, formation et insertion professionnelle. L’atténuation des impacts des changements climatiques et l’adaptation face aux désastres naturels sont essentielles pour l’ensemble du pays où le couvert forestier se dégrade rapidement (estimé en 2021 à 4,5% à 20%) et où l’érosion menace la production alimentaire. Selon les rapports et les évaluations, durant la période, les 23 projets exécutés majoritairement par des ONG ont permis entre autres d’améliorer les revenus de producteurs, d’adapter les cultures aux risques de catastrophes, de diversifier l’alimentation et d’accroître le pouvoir économique des petits producteurs. Des formations et appuis à l’entrepreneuriat ont contribué à des compétences mieux consolidées, notamment pour des femmes agricultrices. Enfin, les partenaires ont rapporté que les ententes auprès d’institutions financières ont facilité l’accès au crédit et à l’assurance agricole. A titre d’exemples, le projet Accroître la sécurité alimentaire et promouvoir la santé publique aurait permis de réduire la proportion de ménages en insécurité alimentaire élevée dans son périmètre d’intervention de 7 % à 4,2 % et celle des enfants en situation de malnutrition aigüe de 3,7 % à 1 %. Le projet Solutions adaptées et innovatrices aux opportunités de marchés agroalimentaires a permis la production 565,11 tonnes de maïs, de juillet 2020 à février 2021.

L’intégration des considérations environnementale à l’ensemble de la programmation est restée assez marginale et s’est limitée à l’échelle des projets.

Des projets à impact potentiel significatif ont été exécutés, par exemple pour développer des outils d’énergie plus propre pour les fours à cuisson, qui ont un impact important sur la déforestation, et pour la valorisation des déchets. Les projets de la filière agricole ont aussi été pertinents et alignés avec les cibles et champs d’action de la PAIF. L’intégration de l’environnement dans la programmation d’AMC s’est toutefois limitée à un cadre de projets, particulièrement en lien avec le développement de techniques et d’adaptations agricoles durables.

Aucune approche structurée pour prendre en compte l’environnement à l’échelle programmatique n’a pu être identifiée. L’ampleur et la durée des projets ont limité le potentiel de durabilité des gains. Des occasions de considérer à un niveau plus stratégique de la programmation les questions d’atténuation des impacts des changements climatiques et de l’adaptation aux catastrophes naturelles ont été manquées. Les recherches démontrent systématiquement l’importance d’une approche holistique en matière d’intervention sur l’environnement et l’impact climatique. Considérer l’interdépendance de divers facteurs permet d’identifier les risques et opportunités qui pourraient autrement passer inaperçus et offre un fondement solide favorable aux décisions les plus appropriées. Plusieurs évaluations de projets ont souligné une faiblesse importante à ce chapitre, même dans des domaines d’intervention où une telle stratégie aurait été appropriée (Eau, Assainissement et Hygiène et Système de financement et d'assurances agricoles en Haïti (SYFAAH)).

Résultats : Aide humanitaire et relèvement post-catastrophe

Figure 19 :

Principaux donateurs d’aide humanitaire en Haïti, en millions de dollars américains, de 2016 à 2021

Version texte

Figure 19 :

Donateurs d’aide humanitaireMillions (USD$)

États Unis

305 $

Institutions de l’UE

125 $

Banque mondiale  

106 $

UN – OCHA (FCIU)

48 $

Canada

44 $

Suisse

30 $

UNICEF

22 $

Allemagne

22 $

Suède

15

Royaume Uni

14

Le Canada a offert une réponse humanitaire rapide et cohérente aux catastrophes naturelles qui ont affecté Haïti.

L’aide humanitaire a représenté 10,6 % de l’aide internationale du Canada en Haïti (46,23 M$). Les épisodes de sècheresse provoqués par El Niño, l’ouragan Matthew, la crise du choléra et les séismes de 2018 et 2021 ont tous entraîné une réponse humanitaire canadienne, livrée surtout par des organismes multilatéraux (71,2 % des déboursés de MHD).

Plusieurs facteurs ont aidé à la rapidité de ces réponses humanitaires : la flexibilité des accords de subvention liant AMC aux organismes multilatéraux a permis d’allouer des fonds déjà disponibles aux réponses d’urgence, en attendant l’approbation de l’enveloppe humanitaire. Les partenariats de longue date avec les agences d’exécution humanitaires, comme le recours conjoint aux organismes multilatéraux et aux OSC d’expérience (Croix-Rouge canadienne, Médecins du Monde Canada, etc.) ont mis en place des interventions ciblées auprès des communautés.

La proximité géographique avec Haïti a facilité la réponse rapide : ainsi, il a été possible de faire usage de stocks de contingences de la Croix Rouge canadienne pour le déploiement rapide sur le terrain. En raison du faible nombre de donateurs en intervention humanitaire, le Plan de réponse humanitaire des Nations Unies (OCHA) a mis l’accent sur la complémentarité des interventions. Les fonds canadiens ont appuyé l’aide alimentaire, l’eau et l’hygiène, alors que les États-Unis ont investi principalement en sécurité alimentaire.

Des résultats valables ont été obtenus en matière de reconstruction et de réhabilitation suite aux catastrophes, mais leur durabilité a été peu assurée dans l’ensemble.

La transition entre l’humanitaire et le développement a été complexe tant en raison des modalités et des délais d’approbation de fonds que de la nature limitante de ces investissements de transition. Par exemple, NDH a financé le projet Renforcer les systèmes nationaux pour améliorer la gestion et la réponse aux catastrophes naturelles du PNUD à hauteur de 12 M$ US sur 30 M$ US. Lancé en 2018 suite à l’ouragan Matthew, le projet avait pour but d’améliorer la durabilité des efforts post-catastrophe, de renforcer l’autonomisation économique des personnes touchées, en particulier les femmes, et de favoriser les moyens d’existence durables et la protection de l’environnement. Si le projet a permis d’appuyer des microentreprises et coopératives pour leur relance économique, de nombreux défis ont marqué l’exécution et compromis plusieurs résultats : 3 unités distinctes du PNUD comme exécutant n’étaient pas toujours coordonnées,  9 bailleurs de fonds dont les délais d’approbation n’ont pas été concordants, de longs délais avant d’obtenir le financement, des décaissements compliqués par l’absence d’institution financière dans la zone du projet, ainsi que des retards accumulés dans des activités-clés comme le développement des plans de contingence et des plans communaux de développement. Enfin, la courte durée du projet (2 ans) n’a permis ni la finalisation des infrastructures à reconstruire, sauf les routes, ni l’appropriation par les autorités communales, ni l’appui aux mêmes autorités pour la finalisation de ces plans. La durée du projet a été, selon l’évaluation, irréaliste pour la quantité de résultats ciblés et les contraintes du milieu.

Résultats : Paix et sécurité

Les appuis stables et prolongés à la Police Nationale d’Haïti (PNH) par NDH et à sa police aux frontières par le PSOP ont amélioré les structures, les connaissances et les pratiques des corps policiers et ont eu un résultat positif sur l’image publique de la police en Haïti. 

Le projet Formation initiale et perfectionnement des cadres de la Police Nationale d'Haïti (FIPCA-PNH) a représenté un des engagements les plus longs (2010-2021) et les plus importants (22,5 M$) du bureau bilatéral. Il a permis la création de l’Académie nationale de police (ANP), le développement du curriculum, la formation incluant des modules sur le respect des droits humains et la lutte contre les violences fondées sur le genre. Le projet a également permis la collaboration et l’intégration des policiers canadiens de la police civile des Nations Unies (UNPOL) en vue de favoriser un meilleur appui à la police communautaire. L’évaluation de FIPCA-PNH a rapporté que les policiers formés étaient, à la suite du programme, mieux équipés pour leurs fonctions et que des changements de comportement professionnel des diplômés de l’ANP avaient rehaussé la confiance du public envers la police, même si la gestion n’a pas systématiquement appuyé des changements. D’autre part, l’appui du PSOP à la police des frontières a permis, en collaboration avec les États-Unis et ONU-Migration, de réhabiliter les infrastructures et d’améliorer au sein du corps policier la connaissance des droits et des mécanismes de protection des migrants.

Des cibles ont été atteintes et des progrès ont été observés, mais l’appui du Canada en matière de paix et sécurité s’est buté à l’escalade de la crise de gouvernance et de sécurité depuis 2019.

En conformité avec la PAIF, le processus d’analyse intégrée des conflits et de la fragilité (PAICF) a été adopté et un plan intégré de paix et de sécurité a été développé pour Haïti comme pays prioritaire du PSOP. L’analyse a articulé un cadre solide de programmation de paix et de sécurité et les interventions depuis 2019 ont été alignées sur les cibles définies. Par ailleurs, le Plan d’action national du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité (PNFPS) défini par le PSOP était en voie d’atteindre toutes les cibles liées aux priorités du PNFPS à l’exception d’une au sein de la 2e prioritéNote de bas de page 12 pour laquelle il était trop tôt pour se prononcer. 

La cible de l’intégration de l’ÉG (4e priorité) a été dépassée, 100 % des projets du PSOP ayant intégré en 2020-2021 une composante d’ÉG.

Le projet FIPCA-PNH a aussi développé et appliqué une stratégie de l’ÉG incluant l’intégration des femmes à la formation et à la sensibilisation visant à réduire la perception sociale négative par rapport à la place des femmes dans le corps policier. Cette priorisation a causé des résistances internes, les partenaires étatiques jugeant que la détérioration de la sécurité au pays appelait à d’autres priorités tactiques et matérielles. Ceci reflétait une faible adhésion des autorités et institutions haïtiennes à l’ÉG comme priorité, observée dans d’autres projets. Une posture réfractaire de la hiérarchie à l’application de nouvelles approches policières par les diplômés de l’ANP a aussi mis en doute les pratiques ultérieures. L’évaluation mi-parcours du projet Appui à la gouvernance locale inclusive en Haïti (2017-2021) a soulevé la fragilité des acquis et des doutes sur les capacités des institutions haïtiennes à maintenir les résultats immédiats sur le long terme.

Si les acquis des projets de renforcement ont été perceptibles, leur consolidation et leur pérennité ont posé problème : le budget de l’État haïtien a été minime pour le maintien des acquis au-delà de la durée des projets, et la croissance de la violence par les gangs depuis 2019, ciblant notamment la policeNote de bas de page 13, dans un contexte où les forces policières ont souvent même été privées de salaires, laissent entrevoir un scénario peu optimiste sans le renforcement et la prolongation des appuis.

Certaines initiatives ont permis la réalisation de microprojets par des organismes communautaires, favorisant la prise d’action et le leadership local.

Les projets Améliorer la sécurité par le renforcement des relations dans la communauté en Haïti et Sécurité communautaire et publique en Haïti du PSOP ont permis la réalisation par des organismes communautaires de microprojets axés sur la réduction de la violence dans les collectivités, la consolidation de la paix, la cohésion sociale, le renforcement du pouvoir des femmes et l’engagement citoyen à l’égard des décisions sur la sécurité et du travail de la Police. Ces projets, en contribuant aux 5 éléments de l’approche Building Blocks of Peace, ont eu des résultats importants, y compris dans l’amélioration des capacités des partenaires locaux. Ces axes d’intervention sont d’intérêt pour le programme de développement et ont un potentiel transformateur, si leur modèle pouvait être testé et éventuellement mis à l’échelle.

Résultats : Facteurs favorables et défis

Facteurs favorablesDéfis

Partenariats canadiens et internationaux diversifiés et stables en Haïti

Instabilité et contexte de crise multiforme prolongée en Haïti

Flexibilité d’AMC en réaction aux situations changeantes

Faiblesse des structures de l’État Haïtien et érosion du capital humain

Réputation positive et capital social du Canada auprès d’Haïti

Gestion et suivi des projets parfois déficients, court terme inadéquat pour démontrer des résultats

Engagement avec les acteurs locaux et ancrage des projets dans les structures communautaires

Manque de planification de fin de projets et de stratégies de transfert dans l’optique de la pérennité

Conclusions

L’aide internationale de 2016-2017 à 2020-2021 a répondu à des engagements ministériels en lien avec la PAIF, et en conformité de facto avec les priorités du Plan stratégique de développement d’Haïti (Vision 2030), mais n’était pas guidée par une stratégie pays qui aurait pu limiter l’éparpillement et approfondir certaines priorités.

Les engagements ministériels qui ont touché la période ont été nombreux, façonnant la quasi-totalité de la programmation de développement. Le programme était pertinent et a su se démarquer dans sa niche de priorisation de l’ÉG. Toutefois, une perspective axée sur une priorisation sélective permettant un travail de fond sur certaines niches aurait pu appuyer tant la mesure de résultats et la durabilité que la capacité de gestion plus équilibrée. Ce constat est aussi l’objet de deux des recommandations de l’évaluation précédente du programme en Haïti.

Le programme d’AMC a œuvré avec diligence pour intégrer l’ÉG dans la programmation. Cependant, la connexion entre les initiatives, le potentiel effet de levier et les liens entre les filières de l’aide canadienne (politique et triple nexus) n’ont pas été optimisés pour augmenter la pertinence et l’impact de l’aide.

Compte tenu du contexte de fragilité en Haïti, la pertinence peut se justifier dans tous les domaines, mais elle devient parfois questionnable quant aux choix et approches favorisés dans les projets et aux mesures visant la pérennité. Nombre d’observations ont soulevé l’impact limitatif que cause le travail en silo par les secteurs. Des occasions ont été manquées de connecter les initiatives et d’amplifier les projets d’un secteur par extension ou élargissement dans un autre secteur.

En réponse aux catastrophes largement attribuables aux changements climatiques dont Haïti est frappé régulièrement, AMC a agi rapidement pour les réponses humanitaires, mais le programme a démontré une faible capacité à considérer stratégiquement des mesures de réduction de risques et une approche programmatique adaptée au contexte de vulnérabilité.

Le programme s’est limité à envisager les impacts environnementaux au niveau des propositions de projets, mais n’a pas fait d’analyse stratégique pour prendre en compte plus largement la question environnementale dans l’effort de développement consenti par le Canada en Haïti. Les interventions humanitaires étaient basées sur les besoins de réponse aux crises (sanitaires, naturelles), mais avec une continuité faible vers la réhabilitation et le retour au développement. Des initiatives valables de partenaires incluaient des éléments d’atténuation et de prévention des risques, mais le niveau élevé de risque de catastrophes naturelles aurait justifié une approche systématique à l’échelle du programme afin de préserver les acquis de développement. D’ailleurs, ceci concernait déjà deux des neuf recommandations de l’évaluation précédente du programme en Haïti.

Le manque d’analyse stratégique à la base des choix programmatiques et de vision et direction à long terme ont affaibli l’influence et l’impact qu’auraient pu avoir plusieurs des investissements canadiens.

Malgré des engagements pluriannuels en appui à la gouvernance, une majeure partie de la programmation a été exécutée sur des termes assez courts pour un contexte aussi fragilisé qu’Haïti. Des demandes, des changements de priorités, des réductions budgétaires ont résulté en la dissémination des ressources sur plusieurs domaines mais à courts termes, limité la consolidation des acquis de projets porteurs et compromis le potentiel de durabilité des résultats. Des appuis de nature plus systémiques auraient pu être de meilleurs vecteurs de changement s’ils avaient été conçus dès le départ sur du plus long terme.

Le programme centralisé a été adéquat pour le partage de décisions et la complémentarité entre la mission et l’administration centrale, facilitant la dépolitisation des enjeux programmatiques sur le terrain, mais le programme a été affecté par un manque de stabilité, une difficulté persistante à recruter du personnel et à combler des postes avec du personnel possédant les expertises appropriées, particulièrement à la mission.

Le personnel local a été primordial et souvent indispensable pour combler certains manques, et notamment lors des rapatriements fréquents du personnel canadien en périodes de crises (COVID; périodes d’insécurité). AMC n’a pas remis en cause la diversité de ses engagements et sa dispersion programmatique en Haïti malgré la baisse du budget de NDH et du nombre de postes au sein de la direction. Cet état de fait combiné au niveau de travail découlant des crises à répétition en Haïti a exercé et exerce encore à ce jour une pression importante sur le personnel du programme.

L’interconnexion entre les secteurs de l’humanitaire, du développement et de la paix et de la sécurité (triple nexus) n’a pas été démontrée dans un contexte où cette coordination et la continuité entre les initiatives de ces secteurs sont essentielles à l’efficacité et à la pérennité de l’aide.

Haïti en tant que pays le plus vulnérable des Amériques incite à une approche du triple nexus en vue de maximiser la cohérence et l’impact de l’aide. Or, les divers secteurs avaient peu d’incitatifs et de mécanismes encourageant le travail en collaboration et ont opéré généralement en silos, sans vision ni objectifs arrimés entre eux. Ceci a illustré la faible capacité d’AMC à instaurer des mécanismes pour optimiser l’efficacité par une approche intentionnelle du triple nexus.

Au sein du groupe des donateurs, le Canada a joué un rôle actif dans certaines filières et a eu une participation plus modeste dans les discussions politiques.

AMC a exercé un leadership important dans la programmation globale de développement sur le programme de l’ÉG, notamment aux tables sectorielles, et au niveau des collaborations multi-donateurs, amplifiant ainsi son impact au-delà de la capacité qu’auraient eu des projets autonomes, mais a eu moins d’influence sur les modalités et décisions relatives à plusieurs initiatives de partenariats multilatéraux. Le Canada a été une voix importante en faveur des appuis à Haïti dans les institutions régionales (CARICOM) et auprès de Nations Unies, résultant en l’approbation de projets concrets, et sa participation au dialogue politique comme 2e donateur bilatéral en Haïti a été inégale, mais semble s’être améliorée vers la fin de la période.

La programmation du Canada en Haïti a produit des résultats positifs, mais au niveau des extrants, immédiats et donc partiels et fragiles, dans les secteurs du développement, de la gouvernance et de la sécurité. Les cadres de mesure de rendement, les pratiques de suivi et l’agrégation des résultats ne sont pas adéquats pour rendre compte de résultats à plus haut niveau ou de la pérennité.

AMC a systématiquement investi en vue d'avancer l‘ÉG, mais les résultats à cet égard restent mitigés, difficilement mesurables et plus superficiels que transformateurs dans une perspective féministe, bien que l’enjeu soit maintenant incontournable au niveau du programme global. Des progrès tangibles réalisés grâce aux initiatives de gouvernance ont été tempérés par la fin hâtive du financement, la durée trop courte pour consolider les acquis, le contexte croissant d’instabilité et l’insécurité. Les objectifs de projets ambitieux ont fait face à des défis opérationnels (systèmes de collecte de données, cibles floues et suivi déficient) limitant l’atteinte ou la capacité de démontrer des résultats. Pour certains projets aux résultats appréciables, le défi est celui de la durabilité à plus long terme et de la prise en charge par les structures haïtiennes, étatiques ou communautaires. L’absence de stratégies de fin de projets et de plans de sortie, tel que soulevé par la dernière évaluation du programme (2013-2016), ne favorise pas l’atteinte ou la mesure des impacts à long terme et l’accompagnement de l’État haïtien et des partenaires locaux vers la responsabilisation.

Recommandations et considérations

Recommandations

  1. NDH devrait focaliser le programme en Haïti, ciblant un nombre restreint d’axes d’intervention et une approche programmatique à plus long terme susceptibles d’optimiser l’impact de l’aide canadienne au niveau du renforcement structurel, de la stabilité et de la gouvernance, et de la durabilité. Dans cette optique, la planification et la gestion du programme dans le cadre de la Stratégie du Canada en Haïti adoptée en 2021 devrait :
    • évaluer sur la base des conditions de détérioration de l’État et de la stabilité en Haïti une programmation en séquences misant sur la collaboration multilatérale pour restaurer les conditions essentielles au travail de développement, et une programmation privilégiant des interventions stratégiques considérant l’expertise canadienne (par ex., travail sur la gouvernance dans le secteur de la santé, de la sécurité, etc.);
    • analyser et prendre en compte les facteurs de vulnérabilité liés aux risques environnementaux et à la susceptibilité aux catastrophes naturelles dans une perspective programmatique qui guiderait l’approche des projets;
    • évaluer les mesures à prendre pour renforcer le cadre et les méthodes de suivi et d’évaluation afin d’appuyer l’identification et la production de rapports sur les résultats;
    • faire en sorte que les projets développent systématiquement des plans de sortie et de transition réalistes pour une prise en charge locale.
  2. NDH devrait assurer une collaboration soutenue et renforcée avec les parties prenantes haïtiennes (acteurs crédibles et légitimes de l’État haïtien, de la société civile haïtienne et des collectivités locales) dans la planification de l’aide, afin de favoriser l’appropriation des projets, l’usage de solutions endogènes et la durabilité des résultats dans une optique de localisation de l’aide.
    • Quand le contexte le permet, AMC devrait collaborer plus délibérément et systématiquement avec les autorités légitimes et les structures de l’État central et décentralisées (Départements, Communes, etc.) ainsi que les OSC haïtiennes, par-delà la consultation, afin de paver la voie pour une meilleure appropriation locale du développement.
  3. NDH devrait mobiliser les secteurs actifs en Haïti (IFM, KFM, MFM) en vue de développer une analyse collective du contexte de fragilité et de vulnérabilité permettant d’améliorer l’efficacité de la programmation par l’arrimage entre les secteurs de programme dans une approche de triple nexus. Cette approche pourrait inclure :
    • une planification conjointe articulant sous des objectifs communs les contributions respectives des secteurs distincts;
    • l’identification de solutions et de pratiques pour améliorer sur une base continue la communication entre les secteurs et les connexions entre leurs interventions.
  4. NGM devrait envisager une stratégie de ressources humaines propre à doter le programme d’Haïti, tant à l’administration centrale qu’à la mission, des capacités et compétences requises, notamment en :
    • identifiant une capacité de pointe pour répondre aux charges de travail plus importantes (selon les périodes et événements) pour compenser les postes vacants;
    • priorisant le recrutement et en offrant des incitatifs pour recruter à la mission du personnel ayant une capacité établie de gestion de programmes de développement en lien avec le triple nexus.

Considérations

Dans un pays à niveau élevé de fragilité et de vulnérabilité, un programme d’aide internationale doit avoir des mécanismes assurant la flexibilité, la ponctualité de réaction aux changements et aux besoins, et la capacité accrue de partenaires locaux munis de moyens d’intervention leur permettant d’opérer pour maintenir les acquis en situations précaires.

AMC devrait appuyer NDH à travailler avec SGF, DPI et KFM pour cerner des solutions pour réduire les délais associés au Processus de programmation autorisé (PPA), augmenter la flexibilité de financement et les efforts inter-filières en réponse au contexte instable de programmation en Haïti, par exemple en :

Annexes

Annexe I : Résumé de la méta-analyse des évaluations décentralisées en Haïti

Contexte

Plusieurs projets ou programmes financés par AMC durant la période couverte ont fait l’objet d’évaluations. La Direction de l’évaluation (PRA) a commandé une synthèse des résultats et des constats transversaux de ces évaluations et des facteurs ayant influencé l’atteinte des résultats dans ces initiatives d’aide canadienne en Haïti de 2016-2017 à 2020-2021.

Constats transversaux

Capacités de l’égalité des genres (ÉG) et de l’environnement : L’ÉG et l’environnement ont été intégrés dans la programmation de manière inégale. Peu de projets ont fait des analyses comparatives selon le genre, les résultats rapportés ont été anecdotiques, limités aux extrants, et n’ont pas reflété de stratégie d’ÉG permettant de voir évoluer des tendances ou des résultats à plus haut niveau que les activités, comme l’aurait préconisé une approche concertée et systématique de la PAIF. Les projets ayant une composante en environnement ont été limités à des résultats d’activité mais peu de considération de l’environnement a été réellement prise en compte, et peu d’indicateurs et de traçage de résultats spécifiques ont été fait dans des projets où cela aurait dû être un enjeu central.

Facteurs de réussite : L’aide canadienne a donné des résultats et a permis un certain progrès. Des facteurs précis semblent avoir favorisé l’atteinte de résultats et influencé leur durabilité dont : les approches, les cadres conceptuels et opérationnels (« Building Blocks for Peace ») ancrés dans les structures locales et favorisant une réelle participation des autorités et de la population, et l’usage d’approche par compétence dans les projets de formation professionnelle.

Défis et obstacles à l’atteinte de résultats : Nombre d’initiatives du programme en Haïti ont fait face à des contraintes importantes dues à des facteurs contextuels, organisationnels et programmatiques, dont : la difficulté de réaliser comme prévu les projets dans un contexte chaotique (absence de gouvernance, sécurité, impact des catastrophes naturelles et sanitaires); la faiblesse de l’engagement avec les structures étatiques et de celles-ci dans les projets même lorsque planifiés avec elles; les projets conçus avec trop d’ambition et trop peu de temps compte tenu de la complexité du contexte; la faiblesse globale de la planification, des modes, méthodes et pratiques de suivi ne permettant pas de miser sur des indicateurs fiables ou de collecter des données probantes identifiant les changements souhaités.

Observations globales

La programmation en Haïti a produit certains résultats et bénéfices; toutefois, ces résultats vérifiables ont été limités au niveau des extrants et parfois des résultats immédiats. Les évaluations ont soulevé la question de la durabilité douteuse et du maintien des acquis ainsi que de la prolongation des résultats à une certaine échelle au-delà du projet. Le contexte local et persistant de vulnérabilités multiples a été une entrave majeure à la reprise et à la responsabilisation des acteurs locaux, et les changements ambitieux visés par les projets auraient demandé une durée plus longue d’appui et plus de stabilité dans les structures locales. Certains gains pourraient être revigorés lorsque l’environnement sera plus propice.

Considérations

1. Conception préalable des projets améliorés

Prendre en considération les capacités institutionnelles et les ressources à long terme du pays lors de la conception des programmes/projets d’aide internationale.

2. Suivi périodique

Élaborer un plan robuste de suivi périodique des projets comportant des cibles réalistes et atteignables et des outils adéquats comme des cadres de suivi.

3. Approche systématique en matière d’ÉG et d’environnement

S’assurer de l’intégration de l’ÉG et de l’environnement au sein des cadres de conception, de coordination des projets, et ce, dès le démarrage du projet jusqu'à sa clôture, en établissant des cibles à atteindre (ainsi qu’un suivi régulier des résultats atteints).

4. Coordination améliorée

Renforcer la gestion des projets par un cadre de coordination approprié.

5. Gestion des connaissances

Favoriser l’utilisation stratégique des connaissances afin de contribuer aux synergies entre les projets tout en générant la production de connaissances.

Annexe II : Résumé des résultats de la programmation en gouvernance en Haïti

Contexte

La Direction de l’évaluation (PRA) a commandé une étude de cas sur les initiatives du Canada en matière de gouvernance en Haïti sur la base d’un échantillon de projets exécutés entre 2016-2017 et 2020-2021 et touchant plusieurs sphères de gouvernance : État central et décentralisé, État de droit, gouvernance sectorielle, société civile, droits de la personne, gouvernance économique et appui aux processus démocratiques. Cette étude visait à faire ressortir les facteurs de succès, les résultats ainsi que les défis rencontrés et a permis de colliger des constats et des observations inhérentes à ce type d’intervention dans le contexte d’Haïti.

Constats

Pertinence et avancées : Les projets concernant la gouvernance étaient essentiels dans le contexte d’Haïti et cohérents avec les priorités de l’État haïtien. Les projets visant le renforcement de l’État de droit ont eu des résultats intéressants sur le plan de l’accès à des services juridiques, de renforcement de collectifs, de changements positifs de pratiques policières (projet FIPCA-PNH, de 2008 à 2017). Les projets sur les droits de la personne ont fait progresser la connaissance des droits, des outils de reconnaissance des droits et des politiques comme celle de l’ÉG en Haïti. La gouvernance économique a eu certains résultats, notamment pour le système foncier, mais les succès demeurent inégaux et incertains sur le plan de la durabilité, celle-ci étant tributaire de l’encadrement et de la consolidation qui ont souvent été faibles ou de trop courte durée.

Fragmentation : La fragmentation de la programmation en sous-secteurs et sans connexion entre des projets qui présentaient pourtant un potentiel de synergie a rendu difficile l’estimation des résultats de l’investissement en gouvernance, notamment en raison de l’absence de cadre de programmation réunissant les volets du programme et les résultats escomptés sous une stratégie définie par-delà des projets individuels.

Capacités d’ÉG : Les projets ont intégré l’ÉG de façon inégale; plusieurs montraient individuellement certains résultats, mais peu ont adopté et mis en œuvre une approche systématique en matière d’ÉG. De plus, plusieurs partenaires avaient une capacité limitée en matière d’ÉG, ce qui a réduit l’actualisation une fois le projet démarré et les chances de rapporter des résultats au-delà des activités.

Durée : Dans plusieurs cas, le rapport entre la durée de projet et l’ampleur des changements escomptés a semblé inadéquat, ce qui a affecté l’efficience de la mise en œuvre du programme et son efficacité. Les projets de plus courte durée ont été peu susceptibles de générer des résultats transformateurs durables en gouvernance, même si des progrès importants dans la mise en place de systèmes et de pratiques ont été réalisés.

Durabilité : Les contributions de plusieurs projets n’ont pas laissé de marques durables sur les institutions concernées en raison d’un ensemble de facteurs comme des échéanciers et durées de projets trop restreints pour obtenir des résultats vérifiables et stables, des ressources limitées, des modalités de livraison de l’appui technique lourdes et générant de la confusion chez les partenaires haïtiens.

Considérations

1. Cadre de programmation multi-secteurs

La conception d’une stratégie abordant la gouvernance comme un écosystème à plusieurs volets, permettrait de renforcer l’efficience de l’aide internationale en limitant sa fragmentation. Une telle stratégie, ancrée dans une vision de changement à long terme et dont les objectifs seraient harmonisés avec les moyens disponibles (personnel, budget, capacités analytiques et techniques), pourrait renforcer la synergie entre les sous-secteurs ainsi que la coordination interne entre les différentes filières d’AMC.

2. Approche ciblée en matière d’ÉG

Une approche de programme pays axée sur le renforcement de l’ÉG et fondée sur une analyse des enjeux contextuels de genre comportant une analyse ACS Plus, l’établissement de cibles à atteindre et une stratégie d’exécution, incluant le suivi régulier et la collecte de données désagrégées selon le genre, pourraient solidifier le travail sur l’ÉG dans les projets de gouvernance en Haïti.

3. Utilisation des outils de GAR

La pleine utilisation des outils de GAR, comme la collecte de données de référence et l’élaboration de cibles précises, et une meilleure articulation entre les changements à opérer, les ressources disponibles et la durée des programmes, pourraient mieux orienter la prise de décisions et renforcer l’efficacité de l’aide internationale en Haïti.

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