Cadre éthique et méthodologique pour le suivi et l’analyse des données de sources ouvertesNote de bas de page 1
Mécanisme de réponse rapide du Canada
Centre pour la politique numérique internationale
Affaires mondiales Canada – Juin 2019
Table des matières
- Objet
- Contexte et mandat
- Enjeux et obstacles
- Seuils et protocoles
- Méthodologie et outils
- Approche axée sur les droits de la personne
- Principes et considérations éthiques
Objet
La théorie et la pratique des relations internationales contemporaines doivent tenir compte de l’évolution rapide de l’écosystème de l’information numérique. Cet écosystème, y compris les plateformes de médias sociaux et leurs algorithmes de classement du contenu, crée de nouvelles possibilités de croissance économique et de connectivité, tout en présentant une série de nouveaux défis pour la politique étrangère. La menace que représentent les acteurs étrangers malveillants, qui cherchent à tirer parti de certains aspects de cet écosystème pour mener des activités néfastes qui nuisent à nos systèmes démocratiques de gouvernance, est l’une des questions les plus urgentes auxquelles les démocraties comme le Canada doivent porter attention. Les gouvernements se dotent de nouvelles capacités pour mieux comprendre cette menace, notamment en tirant parti des outils et méthodes d’observation et d’analyse des données de sources ouvertes.
Le but du présent cadre est de décrire les principes éthiques et méthodologiques et les lignes directrices pour l’observation et l’analyse des données de sources ouvertes entreprises par le Mécanisme de réponse rapide du Canada (MRR Canada). Ces activités axées sur les données de sources ouvertes appuient le Mécanisme de réponse rapide (MRR) du G7, une initiative visant à défendre les démocraties du G7 contre les menaces étrangères, ainsi que les efforts du gouvernement du Canada pour protéger ses propres institutions et processus démocratiques, notamment ses élections générales. La nécessité d’un tel cadre découle, entre autres, des trois besoins suivants :
- Ancrer ces activités relativement nouvelles dans un contexte politique, juridique et réglementaire existant.
- Veiller à ce que les activités sont politiquement neutres, et respectent et renforcent les droits de la personne et les libertés fondamentales.
- Assurer la transparence et la reddition de comptes aux Canadiens et au G7.
Contexte et mandat
Appuyé par une équipe d’analystes de politiques et de données, MRR Canada est hébergé par Affaires mondiales Canada au Centre pour la politique numérique internationale. Le MRR a été annoncé au Sommet du G7 à Charlevoix en 2018 et réaffirmé à la réunion ministérielle du G7 à Dinard, en France, en 2019. Dirigé par le Canada sur une base continue, son mandat est de « renforcer [la] coordination afin d’identifier les menaces diverses et changeantes pour [les] démocraties [du G7] et d’y répondre » Note de bas de page 2. Plus précisément, les menaces étrangères que les membres du G7 se sont engagés à combattre visent à saper les institutions et les processus démocratiques par des « moyens coercitifs, malhonnêtes, détournés ou malveillants. »Note de bas de page 3.
Bien que le paysage de la menace couvert par le MRR soit vaste, la désinformation dans le contexte numérique occupe une place importante. Note de bas de page 4 Avant l’annonce du MRR, les ministres des Affaires étrangères et de la Sécurité ont reconnu la menace que représentaient les « actes ou mesures d’acteurs étrangers dans l’intention malveillante de saper la confiance dans les médias indépendants, de manipuler le discours public et de violer la vie privée » en incluant ces activités dans l’Engagement de Toronto, entre autres exemples clés.
De plus, MRR Canada appuie les efforts du gouvernement du Canada pour protéger les élections générales de 2019. Dans le cadre du Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections, MRR Canada collabore avec des organismes canadiens de sécurité et de renseignement pour « empêcher que des activités secrètes, clandestines ou criminelles n’influent sur le processus électoral au Canada ou ne s’ingèrent dans celui-ci ». Les autres membres du Groupe de travail sont le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Les activités axées sur les données de sources ouvertes de MRR Canada ont pour but d’appuyer le mandat de MRR de défendre les démocraties et d’aider à protéger les élections générales canadiennes de 2019 en comprenant mieux les menaces étrangères dans le contexte numérique, en faisant la lumière sur elles et en recommandant des options de réponse efficaces.
Enjeux et obstacles
L’un des principaux défis que pose la lutte contre l’ingérence étrangère dans les écosystèmes numériques des démocraties du G7 est de déterminer la nature étrangère des activités en ligne qui sont entreprises. Ce défi reflète les limites de l’utilisation, à des fins d’analyse, de l’information ouverte et accessible au publicNote de bas de page 5 provenant de plateformes de médias sociaux. En effet, des États étrangers et des intermédiaires de certains États exploitent l’anonymat offert par les plateformes numériques, « militarisent » des éléments de l’écosystème de l’information numérique et s’adaptent continuellement aux stratégies visant à les arrêter. Bien que l’anonymat puisse faire partie intégrante de la facilitation de discussions délicates en ligne (lorsque ces discussions sont découragées ou sont dangereuses pour les personnes qui s’y livrent), il s’agit également du même mécanisme exploité par les acteurs étrangers pour mener des activités coercitives, malhonnêtes, détournées ou malveillantes.
L’aspect peut-être le plus problématique de la distinction entre l’ingérence étrangère et le débat interne organique est que les acteurs étrangers ciblent les auditoires nationaux avec un contenu qui peut résonner avec les opinions et les visions du monde préexistantes de ces auditoires. Derrière ce ciblage, souvent effectué de manière détournée, se cache un acteur étranger qui crée un contenu destiné à semer la discorde ou à exploiter les différences sociales existantes au sein de la population nationale. Lorsque ce contenu étranger est reçu par les auditoires nationaux, il peut ensuite être amplifié davantage, que ce soit de façon délibérée ou involontaire. Cette séquence entremêle des récits étrangers et nationaux d’une manière difficile à démêler. Les acteurs étrangers peuvent aussi contraindre ou inciter les Canadiens à promouvoir un certain récit, mais ces ouvertures sont souvent cachées et difficiles à justifier.
Le défi de séparer l’ingérence étrangère du dialogue national risque de nuire par inadvertance à la jouissance des droits et libertés de la personne des Canadiens, en particulier la liberté d’expression et le droit à la vie privée. Pour éviter cette situation, les activités de collecte de données de sources ouvertes menées par MRR Canada sont assujetties à des seuils et à des protocoles clairs pour l’observation, l’analyse et la mise en commun de l’information.
Les seuils et protocoles de MRR Canada permettent de garantir que ses activités d’observation et d’analyse des données de sources ouvertes relèvent bien de son mandat, protègent et renforcent les droits de la personne et les libertés des Canadiens, sont politiquement neutres, conformes aux dispositions législatives et réglementaires pertinentes et respectent des normes éthiques élevées.
Seuils et protocoles
MRR Canada a établi des seuils en ce qui a trait aux activités considérées comme coercitives, malhonnêtes, détournées ou malveillantes, ainsi que des protocoles pour l’observation des données de sources ouvertes et les activités de mise en commun d’information. Pour faire l’objet d’activités d’observation de MRR Canada, un compte ou un réseau de comptes coordonnés doit présenter un certain nombre de caractéristiques décrites dans la méthodologie de MRR Canada. La méthodologie fixe des seuils élevés établis en coopération avec des experts de premier plan, des spécialistes de la sociologie informatique et des organismes de sécurité, de renseignement et d’application de la loi. D’autres facteurs relatifs aux activités de données de sources ouvertes comprennent la concurrence avec les sources secondaires et l’impact significatif sur le discours public.
Ces seuils éclairent les activités d’observation de MRR Canada, y compris son approche de l’analyse des comptes et réseaux suspects associés à l’ingérence étrangère. Ces seuils ne sont pas affectés par l’exactitude, l’acceptabilité perçue ou l’appartenance politique/idéologique du contenu diffusé par un compte ou un réseau. Si une connexion étrangère ne peut être établie dans un délai raisonnable, les activités d’observation cessent et aucune donnée n’est conservée. Toutefois, dans les cas où des activités suspectes peuvent potentiellement atteindre des seuils criminels ou relatifs à la sécurité nationale, les renseignements sont divulgués à des organismes de sécurité, de renseignement et d’application de la loi. Si des activités risquent de contrevenir à la Loi électorale du Canada, le commissaire aux élections fédérales en sera avisé par MRR Canada. Ces organismes déterminent de façon indépendante si une enquête est nécessaire ou non en vertu de leur mandat et cadre législatif respectifs.
De plus, en janvier 2019, le gouvernement du Canada a annoncé un certain nombre de nouvelles mesures pour protéger l’élection générale de 2019, y compris le Protocole public en cas d’incident électoral majeur. Ce protocole établit un processus clair et impartial permettant d’informer les Canadiens d’une menace à l’intégrité des élections qui survient pendant la période électorale.
Méthodologie et outils
MRR Canada examine les tendances, les anomalies et les nouveaux récits dans les conversations en ligne à travers l’écosystème de l’information numérique concernant des questions potentiellement controversées et des acteurs politiques publics qui pourraient être exploités par des acteurs étrangers malveillants, indépendamment de leur appartenance politique ou idéologique. En observant les structures de base de ce qui est considéré comme des conversations normales entourant les questions, au fur et à mesure qu’elles évoluent au fil du temps, il est possible de cerner les anomalies qui peuvent indiquer une opération d’information étrangère concertée. MRR Canada examine de multiples indicateurs de campagnes coordonnées d’ingérence étrangère, dont certains indiquent un comportement coercitif, malhonnête, détourné ou malveillant provenant de l’étranger.
La prudence est de mise dans la divulgation des indicateurs détaillés relatifs à la fixation des seuils afin d’éviter que des acteurs étrangers malveillants n’élaborent des contre-stratégies. Néanmoins, les indicateurs de comportement clandestin peuvent inclure l’amplification artificielle ou inauthentique de récits, par exemple. Les récits peuvent être amplifiés en employant différentes tactiques, y compris des robots, des réseaux de zombies et des trolls. MRR Canada utilise des indicateurs pour cerner les activités des robots et des trolls, ainsi que pour déterminer la nature étrangère des activités suspectes. Toutes les décisions sont fondées sur une échelle de confiance et les cas sont décelés à l’aide d’un langage estimatif.
Pour observer et analyser l’interférence étrangère potentielle, MRR Canada utilise des outils accessibles au public. La combinaison de ces outils n’est pas divulguée afin d’empêcher les acteurs étrangers malveillants d’élaborer des stratégies de riposte. En plus de ces outils, MRR Canada expérimente également la modélisation de données de sources ouvertes, le traitement du langage naturel, l’analyse des réseaux sociaux, l’apprentissage machine et les algorithmes, qui ne traitent que des données accessibles au public. Tout résultat automatisé obtenu grâce à ces technologies peut être expliqué de façon concrète. MRR Canada a évalué ces outils à l'aide de l'évaluation d'impact algorithmique du gouvernement du Canada (v.0.7), un questionnaire conçu pour vous aider à évaluer et à atténuer les risques associés au déploiement d'un système de prise de décision automatisé; un niveau d'impact de deux a été obtenu pour les outils utilisés par MRR Canada.Note de bas de page 6 Les décisions de niveau deux entraîneront souvent des impacts qui sont probablement réversibles et à court terme.Note de bas de page 7
Les méthodologies et les outils utilisés par MRR Canada sont conformes à ceux adoptés et employés par divers acteurs des secteurs privé et public ainsi que par des organisations non gouvernementales et des groupes de défense. Cela s’inscrit dans la foulée d’une prise de conscience croissante du fait que l’écosystème de l’information numérique est un espace politique, social, économique et culturel important.
Approche axée sur les droits de la personne
À la suite de l’annonce du MRR à Charlevoix, tous les ministres des Affaires étrangères et de la Sécurité du G7 ont approuvé une approche stratégique pour faire face aux menaces étrangères qui est conforme aux droits universels de la personne et aux libertés fondamentales. Le Canada s’est engagé à respecter ses engagements et ses obligations internationales, notamment en étant partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés protège un certain nombre de droits et libertés, y compris ceux qui sont manifestement les plus touchés par l’ingérence étrangère dans le contexte numérique, notamment le droit à la vie privée, la liberté d’expression et le droit à l’égalité.
Protection des renseignements personnels
Le sujet de l’observation et de l’analyse des données de sources ouvertes par MRR Canada se limite aux données accessibles au public. MRR Canada observe, analyse et partage les renseignements d’une manière conforme aux lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels, à la Loi sur l’accès à l’information et à l’Instruction du ministre visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements par des entités étrangères. Les pratiques de mise en commun de l’information d’Affaires mondiales Canada auxquelles adhère MRR Canada sont assujetties à l’examen de plusieurs intervenants, dont le Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire à l’information du Canada, le Bureau du vérificateur général et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Tous les analystes de MRR Canada sont tenus de suivre le cours Principes fondamentaux de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, afin de mieux comprendre ce qui est considéré comme des renseignements personnels et la meilleure façon de les protéger.
De plus, MRR Canada prend soin de limiter les préjudices involontaires et, par conséquent, est également guidé par des considérations éthiques et des principes fermes dans la mise en œuvre de pratiques responsables dans le traitement des données personnelles, même si elles sont accessibles au public. Le suivi et l’analyse des données de sources ouvertes de MRR Canada sont axés sur les tendances, les tactiques et les stratégies entreprises par des acteurs étrangers malveillants. Les questions auxquelles MRR Canada cherche à répondre sont les suivantes : Comment les États étrangers et leurs intermédiaires exploitent-ils les discussions en ligne? Quelles tactiques emploient-ils pour mener des activités coercitives, malhonnêtes, détournées ou malveillantes ? Comment utilisent-ils des tactiques telles que l’amplification artificielle ou inauthentique pour manipuler les discussions en ligne et quels types de stratégies de coordination emploient-ils? Comment ces tactiques et stratégies évoluent-elles avec le temps?
Liberté d’expression
MRR Canada cherche à déceler les activités étrangères ayant une dimension coercitive, malhonnête, détournée ou malveillante , qui tentent d’influencer l’opinion publique pour miner la démocratie canadienne. Afin d’atténuer les risques liés à la difficulté de séparer les activités étrangères et nationales et d’empiéter involontairement sur la liberté d’expression des Canadiens, MRR Canada :
- Se concentre sur la structure et le contexte des conversations, par opposition au contenu, pour comprendre quels indicateurs peuvent signaler une ingérence étrangère.
- S’appuie sur des protocoles d’observation des données de sources ouvertes qui établissent des seuils pour les activités étrangères et orientent l’échange d’information avec les organismes canadiens de sécurité, de renseignement et d’application de la loi ainsi qu’avec le commissaire aux élections fédérales.
- Exclut des rapports publics les renseignements permettant d’identifier des personnes. Dans certains cas, par exemple pour des raisons de sécurité nationale, ces renseignements sont communiqués à des organismes responsables de la sécurité.
- Ne prend aucune mesure active et ne noue le dialogue d’aucune façon avec les créateurs de contenu ou ceux qui partagent du contenu.
Égalité entre les sexes
MRR Canada adopte une approche fondée sur l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) lorsqu’il entreprend des activités d’observation et d’analyse des données de sources ouvertes. Les acteurs malveillants ciblent, exploitent et cooptent parfois les femmes et les groupes marginalisés dans leurs activités pour miner la cohésion sociale. Il est essentiel de comprendre comment ces processus se déroulent et comment ils influent différemment sur ces groupes pour contrer l’ingérence étrangère et protéger les droits de la personne.
L’approche méthodologique s’appuie également sur des universitaires et des organisations de la société civile qui sont des experts des questions de genre et d’intersectionalité. Plusieurs de ces interlocuteurs mènent des recherches qui appuient directement le mandat de MRR Canada. Enfin, tous les analystes de MRR Canada doivent suivre le cours en ligne sur l’Analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) et intégrer systématiquement l’approche dans leur travail.
Principes et considérations éthiques
MRR Canada a intégré des principes et des considérations éthiques au-delà des considérations juridiques et politiques existantes afin d’améliorer son approche d’observation et de l’analyse des données de sources ouvertes qui est efficace pour protéger les Canadiens, tout en limitant les préjudices indus et non intentionnels.
Transparence et responsabilisation
MRR Canada s’engage à travailler en mettant la transparence et l’ouverture à l’avant-plan. Notre engagement se reflète dans les actions suivantes :
- Traitement des données ouvertes et accessibles au public uniquement.
- Accent mis sur les tactiques, les stratégies et les tendances.
- Utilisation d’outils accessibles au public, d’algorithmes explicables et d’autres technologies.
- Respect de l’éthique, des droits de la personne et la neutralité politique dans l’approche d’observation et de l’analyse.
- Établissement de seuils et de protocoles de mise en commun de l’information avec les organismes du gouvernement du Canada et les partenaires du G7.
- Collaboration systématique avec un vaste réseau d’experts, d’universitaires et d’acteurs de la société civile.
Supervision interne et partenariats
MRR Canada a mis au point un mécanisme d’examen interne pour assurer l’exactitude et la rigueur de l’analyse. Son équipe multidisciplinaire de spécialistes en sciences sociales, d’experts en données et d’analystes des politiques lui permet de faire preuve de souplesse et de faire face à l’évolution des menaces, tout en intégrant des perspectives plus larges dans ses activités axées sur les données de sources ouvertes. MRR Canada participe fréquemment à des fonctions d’examen critique ou à un processus d’examen par les pairs au sein du gouvernement du Canada. Il est ainsi possible de déterminer les conclusions finales au moyen d’un processus rigoureux qui permet de remettre en question les résultats obtenus par d’autres analystes et de réduire les possibilités de biais cognitifs ou d’autres types de biais. La collaboration au-delà du gouvernement du Canada est essentielle au développement d’une capacité novatrice d’observation et d’analyse des données de sources ouvertes. MRR Canada s’appuie sur une communauté grandissante d’experts qui comprend des représentants d’autres gouvernements, du milieu universitaire, de la société civile et d’organisations non gouvernementales.
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