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Conseil de Sécurité des Nations Unies: Débat Ouvert

Maintien de la paix et de la sécurité internationales : respect de la Charte des Nations Unies

Le 9 janvier, 2020

Monsieur le Président, je vous remercie de consacrer ce premier débat ouvert de la décennie à l’histoire de la Charte des Nations Unies. Si vous me le permettez, j’aimerais partager l’histoire de ma grand-mère, dont la vie a coïncidé avec celle de la Charte.

Ma grand-mère était une femme remarquable : forte, confiante, déterminée et imperturbable. Elle appartenait à l’extraordinaire génération d’hommes, de femmes et d’enfants nés entre la Première et la Deuxième Guerre mondiales, dont bon nombre n’ont pas vécu assez longtemps pour voir la Charte se concrétiser.

Ma grand-mère est née à Lodz, en Pologne, en 1921, et elle était la 7e de 8 enfants. Ses parents l’ont appelée Bru'cha, ce qui signifie prière, en hébreu.

Elle avait 18 ans lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté et que la Pologne a été divisée. Avec l’aide d’un frère aîné, elle a réussi à se rendre en Union soviétique, un pays un peu plus sûr.

Les autorités ont tenté de la forcer à prendre la citoyenneté soviétique. Mais, dotée d’une volonté d’acier depuis sa naissance, elle a refusé, a été arrêtée et envoyée dans un camp de travail forcé.

Mon grand-père, Sam, et elle se sont rencontrés au camp, se sont mariés en secret et se sont échappés après trois ans de travaux forcés.

Pendant que la Charte des Nations Unies était en cours de négociation, Bru'cha vivait dans un camp de personnes déplacées en Autriche, avec son jeune fils (mon père) et sa fille qui venait tout juste de naître, à la recherche de membres de sa famille encore en vie.

Bru'cha, Sam et leurs enfants finirent par prendre le bateau, comme le font encore tant de réfugiés et de migrants, et arrivèrent à Québec sur le SS Samaria le 28 septembre 1948.

Mon grand-père est devenu presseur dans une buanderie. Ma grand-mère travaillait le quart de nuit dans une boulangerie au cœur de Montréal, où ils se sont finalement installés.

En 1956, quelques années après être devenue citoyenne canadienne, Bru'cha a appris comment Lester B. Pearson a conçu l’idée de la première véritable force de maintien de la paix des Nations Unies.

Elle a entendu parler du leadership du général Burns du Canada qui a dirigé cette force.

Bru'cha a peut-être eu l’impression que la communauté internationale avait pris un tournant. Les États aideraient au besoin, et par la force si nécessaire. Une nouvelle voie multilatérale était en train de se forger.

En 1960, ma grand-mère a appris que le nombre de membres de l’ONU avait connu la plus forte croissance de sa courte histoire, avec l’admission de 17 nouveaux États, dont 16 africains, et 15 qui venaient de gagner leur indépendance.

Comme bien d’autres personnes, elle observa comment la communauté internationale devenait plus forte, plus riche et plus ouverte à la diversité.

Les grandes étapes franchies par les Nations Unies dans les années 1960 et 1970 ont renforcé l’essence même de l’ONU, soit de mettre à profit la coopération pour résoudre les problèmes mondiaux.

En une période relativement courte, le PNUD a été créé, le TNP est entré en vigueur et les toutes premières conférences mondiales sur l’environnement, l’alimentation et les femmes ont été organisées.

La Charte continuait d’inciter la communauté internationale à travailler ensemble, tout en renforçant les limites du comportement des États.

En 1977, avec le Canada comme membre élu, le Conseil de sécurité a imposé un embargo obligatoire sur les armes à l’Afrique du Sud.

Une décennie plus tard, en 1987, le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone a été adopté dans la ville d’adoption de Bru'cha. Traité le plus réussi de tous les temps, le Protocole lui a donné le sentiment, à 66 ans, qu’une organisation établie quatre décennies auparavant était capable d’évoluer pour faire face à des enjeux imprévus.

En l’an 2000, à l’âge de 79 ans, ma grand-mère a assisté à l’adoption unanime de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Canada était alors lui aussi un membre élu du Conseil de sécurité, et son petit-fils (moi) était sur le point de se joindre au service extérieur canadien.

En 2014, avant son décès à 92 ans, Bru'cha allait apprendre qu’il y avait plus de réfugiés, de personnes déplacées et de demandeurs d’asile qu’à tout autre moment de l’histoire. Elle a vu une grande partie du début de sa vie redéfiler au petit écran, en temps réel, depuis différents endroits.

Ma grand-mère a échappé à la persécution en Pologne, a survécu à l’holocauste dans la Russie actuelle, a été déplacée et apatride en Autriche, est arrivée sans le sou au Canada, a travaillé fort, a élevé une famille, a sauvé, a prié, a aimé, a vécu et est décédée.

Évidemment, son histoire est spéciale pour moi, mais elle n’est pas unique, ni limitée dans le temps et dans l’espace.

En cette époque de résurgence de l’autoritarisme, d’antisémitisme croissant et de haine de toutes sortes, il n’est pas difficile de voir des parallèles. Mais une différence majeure réside dans l’avènement de la Charte des Nations Unies et du filet de sécurité mondial qu’elle visait à mettre en place.

Les valeurs de la Charte sont intemporelles et universelles. Elle énonce des principes de décence, de comportement étatique, de droits et d’obligations. La Charte nous dit ce qui devrait se passer en Syrie, pour les Rohingyas et pour le monde entier.

J’aime à penser que le meilleur hommage que nous puissions lui rendre, ainsi qu’à des personnes comme ma grand-mère, est de la respecter. De voir la Charte telle qu’elle est : un document vivant qui nous dirige et nous ancre, mais qui permet à l’ONU d’évoluer pour faire face aux enjeux émergents.

Il ne s’agit pas nécessairement de rouvrir la Charte. Il s’agit plutôt de revitaliser certaines de ses dispositions. Rien n’empêche de faire un usage créatif de l’article 99 pour appuyer la prévention des conflits.

Il est possible d’en faire davantage pour améliorer les mécanismes régionaux - ce qui, le Canada l’espère, occupera une place importante dans la séance d’information que le Vietnam a convoquée sur la coopération avec les organisations régionales et sous-régionales, y compris l’ANASE.

Il convient également de noter que les mesures envisagées à l’article 41 ne sont nullement exhaustives. Il appartient plutôt au Conseil de sécurité de déterminer la forme et la portée des mesures non militaires.

Le Canada y voit à la fois un atout et une obligation. Pour nous, faire respecter la Charte signifie la considérer comme suffisamment souple pour répondre aux défis d’aujourd’hui.

Et, cette semaine en particulier, cela signifie de tenir compte de l’appel que vient de lancer le Secrétaire général : « Arrêtez l’escalade. Faites preuve d’une retenue maximale. Relancez le dialogue. Renouvelez la coopération internationale ». Le Canada, comme toujours, est prêt à faire sa part.

Le premier ministre Trudeau est en étroite liaison avec ses homologues dans la région et ailleurs dans le monde, et leur communique essentiellement les mêmes messages.

Le Canada préconise sans cesse la protection du système international fondé sur des règles. Comme l’indique la Charte, le Conseil a un rôle crucial à jouer à cet égard. Tout comme chacun de nous.

Comme le Secrétaire général l’a souligné, et comme ma grand-mère l’a personnellement vécu, la population civile est la principale victime des conflits. C’est donc aux civils qu’il nous incombe de penser en premier.

Enfin, Monsieur le Président, les Canadiens ont le cœur lourd aujourd’hui, à la suite de l’écrasement du vol PS752 à Téhéran. Nous pleurons la mort de 176 personnes, dont 63 Canadiens et de très nombreux Iraniens et Ukrainiens ainsi que des ressortissants suédois, afghans, allemands et britanniques.

Alors que nous sommes plusieurs pays unis dans le deuil, le vol de correspondance en provenance de Kyiv est arrivé à Toronto hier avec 138 sièges vides : voilà qui montre l’ampleur de la perte pour le Canada – des citoyens, des résidents, des membres de la famille élargie et des étudiants étrangers.

Nous nous sommes associés à la déclaration faite hier au Conseil par l’Ukraine sur cette tragédie.

Nous sommes déterminés à privilégier la voie diplomatique avec l’Iran. Nous avons demandé la coopération de l’Iran pour permettre à des experts canadiens d’aider à l’identification des victimes et au rapatriement de leurs restes. Le premier ministre Trudeau a également demandé la tenue d’une enquête crédible et complète sur le vol PS752, notamment avec la participation d’experts canadiens.

Il s’agit d’une tragédie internationale qui touche de nombreux États membres. Ensemble, et guidés par la Charte et avec l’aide du système des Nations Unies, nous pouvons agir pour enquêter, apporter des réponses aux familles des victimes et empêcher qu’une autre tragédie de ce genre ne produise.

Je vous remercie.

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