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Liberté de la presse et COVID-19

Ravi R. Prasad, Institut international de la presse

Avis : Les vues et les positions exprimées dans le présent rapport n’engagent que leur auteur et ne représentent pas nécessairement celles du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement ou du gouvernement du Canada. Ce document est la traduction de l’original anglaise.

Résumé

La pandémie de COVID-19 pose des défis sans précédent et amène les gouvernements et les médias en territoire inconnu. Jamais une crise sanitaire n’a pris de telles proportions, sévissant dans tous les pays du monde et paralysant l’économie mondiale.

En situation d’urgence, les journalistes et les médias jouent un rôle essentiel dans la diffusion de l’information nécessaire pour aider à contenir la crise. Une information fiable est essentielle quand on affronte une pandémie, et les médias permettent de la diffuser. Une population bien informée peut aider les gouvernements à gérer les crises. L’absence d’information fiable permet aux « fausses nouvelles » et à la désinformation d’influer sur l’opinion publique.

Tandis que se propageait la COVID-19, les journalistes et les organes médiatiques ont su se montrer à la hauteur de la tâche, tout en composant avec les limites que le virus imposait à leur travail. En diffusant l’information sur la crise sanitaire, les médias ont aussi exposé les lacunes des mesures gouvernementales et donné l’heure juste aux autorités.

Toutefois, face à la crise, de nombreux gouvernements ont imposé des mesures sévères pour contrôler le discours public sur la pandémie et dissimuler leur impuissance. Ils ont muselé les médias pour contrôler l’information et le débat public sur la pandémie. Ils ont aussi adopté des règlements au titre des mesures d’urgence, en plus d’utiliser des lois, nouvelles ou existantes, contre la désinformation et les fausses nouvelles pour bâillonner les médias indépendants. Dans plusieurs pays, des journalistes des médias indépendants se sont vu refuser l’accès à des points de presse, et des règlements ont été imposés pour obliger les médias à diffuser les données fournies par le gouvernement.

Selon les données recueillies par l’Institut international de la presse (IIP), au moins 426 atteintes à la liberté de la presse en lien avec la COVID-19 ont été commises dans le monde du 5 février au 13 août 2020.Note de bas de page 1 Dans 192 cas, des journalistes ont été arrêtés ou des accusations ont été portées contre eux; dans 134 autres, les autorités ont invoqué la pandémie pour refuser de remplir leurs obligations en matière d’accès à l’information; enfin, 17 pays ont adopté des lois « anti-fausses nouvelles » de large portée, sous le prétexte de lutter contre la désinformation liée à la pandémie, entre autres catégories. L’IIP a aussi relevé 104 agressions verbales, physiques et virtuelles contre des journalistes. Ces données témoignent d’un effort concerté des gouvernements pour limiter l’information indépendante, alors que celle-ci répond à un besoin criant.

Pour surmonter la crise, les gouvernements doivent abolir immédiatement toutes les mesures limitant la couverture par des médias indépendants et l’égalité d’accès à l’information. Ils doivent aussi cesser d’invoquer la crise comme prétexte pour restreindre la liberté de la presse et la liberté d’expression.

Introduction

L’éclosion de la pandémie de COVID‑19 a provoqué un problème de santé publique d’une ampleur jamais vue depuis des décennies. Dans des périodes de crise comme celle que nous traversons actuellement, il est plus important que jamais que l’information indépendante circule librement. Cela permet non seulement d’informer le public des mesures essentielles à prendre pour contenir le virus, mais aussi de maintenir un dialogue et un débat ouverts sur la pertinence et l’efficacité de ces mesures. Un tel dialogue est essentiel afin que les efforts des gouvernements pour lutter contre la pandémie inspirent la confiance voulue au sein de la population.

Malheureusement, face à la propagation du virus, de nombreux gouvernements, tant dans les démocraties que dans les régimes autoritaires, ont cherché à museler les médias pour contrôler l’information et le discours public sur la COVID-19, suscitant des préoccupations concernant la liberté de la presse.Note de bas de page 2 Pour cela, ils ont adopté une multitude de nouvelles lois draconiennes, souvent en tant que mesures d’urgence, qui restreignent l’accès à l’information ou criminalisent la publication de contenus contredisant les messages officiels. Des journalistes indépendants du monde entier ont été arrêtés, poursuivis en justice et, dans certains cas, victimes de violence pour avoir tenté de parler du virus et de ses répercussions. L’IIP surveille systématiquement les atteintes à la liberté de la presse en lien avec la pandémie.Note de bas de page 3

En outre, afin de prévenir la propagation du virus, de nombreux gouvernements ont adopté de nouvelles mesures de surveillance étendues pour suivre et retracer les infections par la COVID‑19, notamment des applications pour téléphones mobiles et des logiciels de reconnaissance biométrique et faciale. Une surveillance étendue menace la vie privée des journalistes, ainsi que leur droit et leur devoir de protéger leurs sources.

« Certains États profitent de l’épidémie du nouveau coronavirus pour restreindre l’information et étouffer les critiques », a déclaré la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet. « La liberté de la presse est toujours essentielle, mais nous n’en avons jamais eu autant besoin que durant cette pandémie, alors que tant de personnes sont isolées et craignent pour leur santé et leurs moyens de subsistance. Des reportages crédibles et précis sont pour nous tous une véritable bouée de sauvetage ».Note de bas de page 4

Les appels du Secrétaire général des Nations UniesNote de bas de page 5 et des rapporteurs spéciaux des Nations Unies, de la Commission interaméricaine des droits de l’homme et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe en faveur de la liberté de la presse et de la protection des journalistes sont restés sans réponse, pendant que les gouvernements poursuivaient sur leur lancée face à des médias publiant une information exacte et factuelle au sujet de la crise sanitaire.Note de bas de page 6

Incidence de la COVID-19 sur la liberté de la presse

Au début de 2020, les gouvernements du monde entier se sont démenés pour contrer la propagation rapide de la COVID‑19. D’une part, ils ont déployé des efforts pour préparer le matériel et les établissements médicaux, et instaurer des mesures de confinement. D’autre part, les autorités ont cherché de plus en plus à contrôler le discours public à mesure que le nombre de morts augmentait et que se multipliaient les reportages des médias critiquant les lacunes des mesures prises.

La Chine, où le virus est apparu, a été le premier pays à restreindre la couverture médiatique de la contagion. Après avoir cherché activement à museler les médecins qui ont sonné l’alerte les premiers, le gouvernement n’a pas tardé à contrôler la circulation de l’information sur la propagation du virus, en ciblant les quelques reporters indépendants qui avaient osé exposer l’étendue de l’infection. Plusieurs journalistes citoyens qui ont fait état de la situation dans le pays ont disparu, et on craint qu’ils soient détenus par le gouvernement.Note de bas de page 7 Dans le même temps, des messages déplorant la situation ont été retirés des médias sociaux,Note de bas de page 8 et les autorités ont bloqué de plus en plus l’accès aux nouvelles étrangères transmises par des réseaux privés virtuels.Note de bas de page 9

Les restrictions imposées aux médias se sont vite répandues à l’échelle de la planète.Note de bas de page 10 Dans de nombreux pays, ces mesures témoignent d’une volonté délibérée d’invoquer le virus comme prétexte pour renforcer de contrôle de l’information par l’État. Dans d’autres, les autorités ont répondu à de véritables impératifs de santé publique, mais en négligeant clairement le rôle de la liberté de la presse dans la protection de la santé publique.

Ce sont les journalistes et les médias qui ont le plus souffert de ces restrictions. Non seulement ont-ils été assujettis à de nouveaux règlements et à de nouvelles lois, mais ils ont été confrontés à des restrictions en matière d’accès à l’information et d’accès aux données publiques, aux travailleurs de la santé, aux fonctionnaires et aux conférences de presse. Ils ont aussi été victimes d’attaques physiques, d’arrestations et d’intimidation tandis que les gouvernements tentaient de contrôler le discours et le débat publics sur la crise sanitaire. Dans une déclaration commune, les rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont condamné le recours excessif à la force au nom des mesures de sécurité face à la COVID‑19.Note de bas de page 11

Par ailleurs, la pandémie a causé de graves difficultés financières aux médias indépendants. Dans un contexte de baisse des revenus tirés de la diffusion et de la publicité, de nombreux organes médiatiques ont procédé à des mises à pied, tandis que plusieurs autres ont abandonné la publication papier au profit de la publication en ligne.

Données clés

Selon les données recueillies par l’Institut international de la presse, qui ont été largement citées, notamment par la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, en date du 13 août 2020, 426 violations de la liberté de la presse avaient été signalées dans le monde.Note de bas de page 12 Les exemples d’attaques et de restrictions recensés par l’IIP dans les premiers mois de la pandémie indiquent un effort concerté de nombreux gouvernements pour limiter l’information indépendante. Malgré les efforts intenses de l’IIP, d’autres attaques et d’autres restrictions n’ont peut-être pas été signalées.

Les gouvernements ont beau avoir affirmé qu’ils considéraient les médias comme un service essentiel, les données montrent qu’ils ont adopté des mesures excessives pour empêcher les journalistes et les médias de faire leur travail. Ils ont restreint l’accès à l’information, empêché les journalistes de se déplacer pour recueillir des nouvelles et en ont arrêté ou accusé plusieurs en raison de reportages critiques à l’endroit des autorités. Ils ont fait adopter de nouvelles lois et modifier des lois existantes pour criminaliser la désinformation et les fausses nouvelles, ce qui a eu pour effet de limiter la liberté de la presse.

Au Zimbabwe, le journaliste réputé Hopewell Chin’ono a fait 45 jours de prison pour un reportage sur la corruption dans l’approvisionnement en fournitures liées à la COVID‑19. En Ouganda, 3 journalistes ont été arrêtés pour des reportages sur les restrictions en lien avec la COVID‑19, et, au Nigéria, un autre journaliste a été détenu pour son reportage sur l’effondrement allégué d’un centre de traitement de la COVID‑19 dans l’État septentrional de Kogi.

Quelque 17 pays ont adopté des lois excessives sur les fausses nouvelles ou modifié des lois existantes pour combattre la désinformation. L’Algérie, par exemple, a modifié son code pénal pour criminaliser les « fausses nouvelles », tandis qu’aux Philippines, le président Duterte a signé une loi lui donnant des pouvoirs spéciaux, qui comprennent l’imposition de peines d’emprisonnement et d’amendes pour la propagation de « fausses nouvelles ». Au Turkménistan, le gouvernement a simplement interdit l’utilisation du mot « coronavirus ».Note de bas de page 13

En Europe, où les pays sont habituellement des champions de la liberté d’expression et des droits de la personne, on a constaté un nombre alarmant de violations de la liberté de la presse. Un document d’information de l’IIP traitant « des violations de la liberté de la presse dans l’UE en contexte de COVID‑19 » cite des États membres de l’UE et des pays candidats à l’UE, comme la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, l’Italie, la Slovénie, l’Espagne, la Croatie, l’Allemagne, la Turquie, la Serbie, l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine en tant que pays où une réglementation régressive et des restrictions de l’information ont entravé la liberté de la presse.Note de bas de page 14 La Turquie, qui compte 77 journalistes en prison, est restée sourde aux appels d’organisations de défense des droits de la personne et a refusé de libérer ces journalistes malgré le risque d’infections dans les prisons.

Les journalistes russes qui couvrent la gestion publique de la pandémie de COVID‑19 font toujours face à des amendes et à des enquêtes découlant des nouvelles lois sur les « fausses nouvelles ».Note de bas de page 15 Pendant la pandémie du coronavirus, l’organisme national de réglementation des médias a émis des douzaines d’ordonnances de retrait et de correction et menacé de bloquer les sites Web d’actualités.

L’Égypte, qui compte plus de 60 journalistes détenus dans tout le pays, a libéré plusieurs centaines de prisonniers après que les infections à la COVID‑19 ont explosé dans les prisons, mais a toujours refusé de libérer les journalistes. Mohamed Mounir, journaliste de renom, est mort de la COVID‑19 qu’il avait contractée en prison.Note de bas de page 16

Les outils de surveillance mis au point pour suivre la pandémie n’ont souvent pas comporté de garanties suffisantes de confidentialité pour les journalistes, ce qui a mis en péril leur capacité de protéger leurs sources. Des inquiétudes ont également été exprimées au sujet de l’absence de dispositions de temporisation quant à l’utilisation de ces outils de surveillance, lesquels pourraient survivre à l’urgence sanitaire actuelle. Dans une importante affaire qui fait jurisprudence, le syndicat national des journalistes en Israël s’est adressé à la justice pour contester la localisation des téléphones mobiles des journalistes, et le tribunal a tranché en leur faveur.Note de bas de page 17

Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a réclamé une surveillance publique rigoureuse et transparente des entreprises de surveillance qui voudraient se lancer dans le domaine de la surveillance de la COVID‑19.Note de bas de page 18

Recommendations

D’abord et avant tout, il est clair que la pandémie de COVID‑19 entraîne un vaste problème de santé publique à l’échelle mondiale, et les gouvernements prennent des mesures sans précédent — y compris des restrictions massives des droits fondamentaux — pour bloquer la propagation du virus. Cependant, en ces temps difficiles, la libre circulation des nouvelles indépendantes est plus précieuse que jamais, à la fois pour informer le public des mesures essentielles visant à contenir le virus et pour maintenir un dialogue et un débat ouverts sur la pertinence et l’efficacité de ces mesures. Ce dialogue est essentiel pour gagner la confiance et la coopération du public, qui sont nécessaires à l’application des mesures de santé publique.

Les principales recommandations à cet égard sont les suivantes :

  • Les États doivent reconnaître le rôle essentiel que joue le journalisme indépendant dans la protection de la santé publique et traiter les professionnels des médias comme des travailleurs essentiels.
  • Il faut, sans tarder, mettre fin aux restrictions imposées à la publication des données sur la COVID‑19 provenant de sources indépendantes et aux restrictions en matière d’accès à l’information. Les États doivent veiller à donner aux organes médiatiques un accès égal aux fonctionnaires et aux données détenues par le gouvernement. Tout obstacle formel ou informel à l’accès des médias aux travailleurs de la santé doit être levé.
  • Toutes les mesures d’urgence destinées à combattre la crise de santé publique et qui portent atteinte aux droits fondamentaux doivent être nécessaires, proportionnées, temporaires et limitées au dénouement de la crise sanitaire immédiate. Les restrictions de mouvement doivent prévoir des exceptions appropriées pour permettre aux journalistes de faire leur travail.
  • La police doit cesser toute forme d’intimidation et d’attaque contre les journalistes en raison de leur couverture de la pandémie. Les accusations contre tous les journalistes et tous les travailleurs des médias doivent être retirées.
  • Les agents de l’État doivent, conformément à leurs obligations juridiques nationales et internationales et à leurs devoirs publics, veiller à diffuser des informations fiables sur les sujets d’intérêt public, en particulier sur la pandémie.
  • Les États doivent abroger les mesures juridiques ou administratives disproportionnées censées limiter la propagation de la désinformation, mais qui empêchent les médias de fournir au public une information indépendante et exacte sur la COVID‑19.
  • Les forces de l’ordre doivent enquêter sans tarder sur les attaques physiques dont sont victimes les journalistes couvrant la pandémie. Les responsables publics doivent mettre fin aux tentatives visant à salir la réputation des journalistes, notamment par des attaques verbales.
  • Toute mesure de surveillance imposée par les États doit être limitée dans le temps, strictement proportionnelle et nécessaire pour atténuer les risques pour la santé publique découlant de la pandémie, et doit être assortie de mesures de protection contre les abus et assurer le respect des droits fondamentaux, comme la liberté de la presse et la protection des sources journalistiques.
  • De nouveaux moyens d’aide financière aux médias indépendants, y compris par les fonds publics, devraient être envisagés. Toutefois, toute aide gouvernementale d’urgence aux médias doit être strictement encadrée par des critères clairs, transparents et objectifs, viser à promouvoir un journalisme de qualité et la diversité des sources de nouvelles, et être distribuée par des intermédiaires indépendants.
Text version

COVID-19 : Nombre de violations de la liberté de la presse par région

Violations de la liberté de la presseAsie et dans le PacifiqueAmériquesEuropeMENAAfrique
Les arrestations et les accusations102834939
Les restrictions d'accès à l'information2981145
La censure9 328 
Les réglementations excessives sur les fausses nouvelles6 5  
Pour les agressions verbales ou physiques371525 26

Source : Suivi de International Press Institute (IPI) sur les violations de la liberté de la presse liées à la couverture du COVID-19.

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