Conférence mondiale sur la liberté de la presse : Résumé des consultations régionales dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord

Introduction

• Le Canada a organisé des consultations régionales sur la liberté de la presse pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en préparation à la deuxième Conférence mondiale sur la liberté de la presse. Le Canada a tenu 2 consultations, une en français le 7 octobre 2020 et une en anglais le 8 octobre 2020. Les discussions ont eu lieu conformément à la règle de Chatham House.
• Les participants ont évoqué un déclin de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et de l’espace civique dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Ils ont également fait état d’une érosion de la confiance envers les médias dans plusieurs pays, avec des publics souvent incapables de distinguer la fiction de la réalité (désinfodémie) et des journalistes confrontés à des risques accrus dans l’exercice de leur profession. Les participants ont discuté de la cohérence qui doit s’établir entre les politiques de liberté des médias et les politiques de soutien au développement, et ont noté une augmentation des cas de harcèlement sexuel envers les femmes journalistes.

La COVID-19 et la liberté de la presse

Certains participants ont soutenu que la déontologie du journalisme a reculé dans l’industrie des médias au profit des gouvernements qui gardent le contrôle absolu de l’information concernant la COVID-19 et favorisent la désinformation pour protéger leurs intérêts. Il est souvent difficile de vérifier les faits, ce qui incite le public à s’informer sur les réseaux sociaux. Le manque de journalistes spécialisés sur les questions scientifiques pour couvrir la pandémie ne fait qu’aggraver la situation. La polarisation et la politisation des médias, dont plusieurs réseaux sont détenus par des gens d’affaires aux intérêts partisans, nuisent davantage à la liberté de la presse.

Dans plusieurs pays de la région, les forces de sécurité commettent des crimes contre des journalistes avec impunité. Il est souvent difficile d’obtenir une carte de presse et ce type de document n’est pas toujours respecté par les autorités.

Les restrictions aux droits de la personne mises en œuvre en réponse à la COVID-19 ainsi que la précarisation du secteur des médias ont une incidence sur la pérennité du journalisme dans plusieurs de pays. Les restrictions économiques et sociales imposées en raison de la pandémie ont également entraîné des licenciements de journalistes. L’interdiction des journaux en format papier, ordonné par certains gouvernements pendant la pandémie, a durement touché le secteur. Le monopole exercé par les géants du Web (Google [Alphabet], Apple, Facebook, Amazon) sur les revenus publicitaires et sur l’utilisation du contenu journalistique sans paiement de redevances est également perçu comme étant au cœur du problème.

L’intelligence artificielle, la technologie numérique et la liberté de la presse

L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) a ébranlé le secteur des médias. Certains participants ont évoqué les lacunes des journalistes au niveau de la sécurité informatique et dénoncent les violations de données personnelles par certains organes de l’État. On déplore le manque d’éthique sur les réseaux sociaux et l’usage abusif de l’IA par les services de sécurité pour pister les journalistes. Le pouvoir exercé par les géants du Web a créé un chaos informationnel amenant la privatisation de la censure par l’intermédiaire des processus algorithmiques générés par ces compagnies.

L’IA présente également de nouvelles possibilités à saisir. Les partenariats publics-privés et les entreprises en démarrage locales pourraient faciliter l’utilisation de l’IA pour les enquêtes journalistiques. Avant tout, l’IA doit être mise au service des droits de la personne et faire la promotion d’approches multisectorielles, inclusives et ouvertes.

La liberté de la presse et l’aide internationale

Les participants ont soulevé le besoin d’établir plus de cohérence entre les politiques de liberté des médias et les politiques de soutien au développement pour favoriser la liberté de la presse et la protection des journalistes.

Des participants ont fait valoir que l’aide internationale devrait se concentrer davantage sur les personnes les plus vulnérables, par exemple les femmes journalistes dans les zones rurales. Le journalisme en est encore à ses débuts dans plusieurs pays de la région et l’absence d’un code de conduite des journalistes entraîne des perceptions très divergentes des enjeux.

Le journalisme et le genre

Les femmes journalistes subissent constamment des agressions verbales ou physiques. On perçoit également une augmentation des cas de harcèlement sexuel envers les femmes journalistes et des attaques envers les journalistes qui défendent les droits de la personne en situation de minorité. Dans plusieurs pays, les femmes sont exclues du métier de journaliste ou comme expertes sur les plateaux de télévision.

Suggestions des participants

Les participants ont recommandé les mesures suivantes pour favoriser la liberté de la presse dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord :

• créer ou renforcer un cadre juridique et réglementaire favorable à la pratique du journalisme, à la liberté de la presse et à la pérennité du secteur journalistique;
• protéger la pratique du journalisme en luttant contre l’impunité des forces de l’ordre pour les actes répressifs ou criminels posés contre les journalistes;
• rappeler systématiquement à l’ordre les gouvernements autocratiques sur la répression de la liberté de la presse;
• assurer une cohérence entre les politiques publiques des États donateurs ou vendeurs et le respect par les États receveurs de la liberté de la presse et des droits de la personne;
• amorcer une discussion mondiale sur la responsabilité sociétale des plateformes d’IA et les géants du Web, notamment pour assurer la juste rémunération pour usage des contenus journalistiques, la transparence des algorithmes de recherche et la survie économique des médias indépendants;
• interdire la vente de technologie de surveillance ou d’IA aux États autocratiques qui bafouent les droits de la personne et compromettent la liberté de la presse;
• sensibiliser et former les journalistes aux pratiques de cybersécurité;
• inaugurer un mandat de Conseiller spécial de l’ONU pour la protection des journalistes;
• instaurer des dispositions législatives offrant une forme d’immunité aux journalistes.