Conférence mondiale sur la liberté de la presse : Résumé des consultations régionales en Asie du Sud
Introduction
- Le 19 octobre 2020, le Canada a co-organisé une table ronde régionale pour l’Asie du Sud en prévision de la prochaine Conférence mondiale sur la liberté de la presse. La séance a été organisée conjointement avec le Commonwealth Human Rights Institute. La consultation a réuni un échantillon diversifié de 21 journalistes chevronnés et de dirigeants de la société civile de la région. L’événement s’est déroulé selon les règles de Chatham House.
- Les organisations de médias et les journalistes en Asie du Sud sont exposés à des menaces croissantes pour leur sécurité et leur viabilité, ce qui a des implications négatives pour la liberté d’expression et la démocratie.
- La pandémie de COVID‑19 a entraîné une hausse des restrictions imposées aux journalistes et un accès limité à l’information en raison à la fois de la rareté des ressources gouvernementales et du brouillage délibéré effectué par certains gouvernements.
- Les gouvernements déploient un éventail de plus en plus vaste de lois et de réglementations, qui ont trait notamment à la sédition, aux technologies de l’information et à la diffamation, dans le but de faire pression sur les journalistes et les médias indépendants.
- Les plateformes de médias sociaux, en particulier Facebook et Google, ont considérablement remodelé le paysage médiatique.
La COVID‑19 et la liberté des médias
La COVID‑19 a créé diverses contraintes sur la capacité des journalistes à accéder à l’information à un moment critique pour les démocraties régionales. De nombreux participants ont fait remarquer que les confinements ont restreint leur accès aux zones critiques, les empêchant de faire des reportages sur d’autres questions importantes. Les ministères gouvernementaux ont émis des directives décourageant la communication avec les journalistes, et certains participants ont décrit des cas où l’accès aux données et aux informations leur a été refusé. Dans d’autres cas, le détournement par le gouvernement de ressources publiques limitées pour répondre à la COVID‑19 a entraîné des retards importants dans les processus d’accès à l’information légalement protégés. Un participant a mentionné l’exemple d’autorités qui accusent des journalistes ou qui leur imposent des amendes pour ne pas avoir porté correctement leur masque ou pour avoir transgressé des protocoles relatifs à la COVID‑19.
Sur le plan politique, la COVID‑19 a dominé le discours, détournant l’attention d’autres questions politiques importantes. Il en résulte que les gouvernements continuent à prendre des décisions importantes avec une couverture et une analyse réduites. Un participant a fait remarquer que le soutien de la communauté internationale à la liberté des médias a diminué depuis la pandémie, car la communauté internationale a concentré ses ressources sur la réponse à la COVID‑19.
La technologie numérique et la liberté des médias
Les médias traditionnels – les journaux, la radio et la télévision – restent une source d’information importante dans toute l’Asie du Sud, plus que sur les marchés des médias nord-américains et européens. Cela dit, conformément aux grandes tendances mondiales, les médias numériques érodent rapidement la clientèle et les modèles de revenus de ces médias traditionnels. Les plateformes de médias sociaux qui offrent des contenus gratuits, dont une grande partie a été décrite comme piratée à partir de sources de médias traditionnels, le font sans aucune conséquence et détournent le flux de revenus connexes (tant les abonnés que les annonceurs) de ces sources. Facebook et Google ont été cités en particulier pour avoir reproduit le contenu de médias traditionnels, et pour avoir tiré des profits indus en empochant des revenus publicitaires, et aucun mécanisme n’est actuellement en place pour décourager ou pénaliser ces pratiques. Un participant a plaidé en faveur de lois et de réglementations visant à responsabiliser les entreprises de médias sociaux, mais il a mis en garde que ces lois ne devraient pas être utilisées pour réprimer davantage l’accès et la liberté des médias.
Les gouvernements se servent de la loi à leurs propres fins
Malgré les garanties juridiques de la liberté des médias, de nombreux participants ont décrit leur système juridique comme une source de menaces plutôt que de protection. Dans de nombreux pays de la région, les gouvernements et d’autres intervenants puissants se sont servis de nombreuses lois, souvent obscures et sans lien avec le journalisme, pour intimider et compromettre les journalistes et les organisations de médias. Ces lois comprennent non seulement la sédition et la sécurité nationale faisant l’objet d’une grande publicité, mais aussi des mécanismes juridiques apparemment inoffensifs. Les poursuites accrues contre des journalistes signifient qu’ils consacrent souvent du temps et des ressources à se battre contre les accusations devant les tribunaux au lieu d’accomplir leur travail. Les participants ont également décrit une hausse de la censure, qu’elle soit imposée par l’État ou par eux-mêmes.
Les effets néfastes d’un environnement numérique non réglementé et qui prolifère rapidement peuvent s’étendre aux organismes de médias traditionnels et à leur personnel et, de manière plus générale, au bon fonctionnement de la démocratie. Certains participants ont déploré que si les médias sociaux peuvent être un outil de démocratisation très utile, ils ont souvent été utilisés à la place pour le trollage et la diffusion de désinformation.
Le recul démocratique exacerbe les tendances
Les participants de certains pays ont exprimé leur préoccupation quant à l’érosion des institutions démocratiques et de la liberté d’expression résultant de la montée de dirigeants populistes très en vue et charismatiques. La marginalisation des corps législatifs en tant que contrôles de l’organe exécutif permet à ces dirigeants populistes de propager de puissants discours d’État sans véritable contestation politique, ce qui place les médias indépendants dans une position vulnérable où ils sont de plus en plus isolés lorsqu’il s’agit de faire contrepoids à la rhétorique gouvernementale.
Le rôle de la communauté internationale
Un journaliste a exprimé sa déception face à la réticence de la communauté internationale à exprimer son opinion sur la liberté des médias et à ce qu’il a décrit comme un « silence assourdissant » sur la répression des journalistes et la liberté d’expression. Il a fait valoir que les pays développés hésitent à mettre en péril les accords commerciaux et les relations économiques en prenant position sur les droits de la personne et en protégeant les minorités. Toutefois, un autre participant a fait remarquer que le rôle de la communauté internationale n’est pas nécessairement d’intervenir mais plutôt de créer des « espaces sécuritaires » pour que les journalistes puissent explorer et relever leurs défis.
Les recommandations des participants
Les participants ont recommandé plusieurs mesures pour accroître la liberté des médias dans la région de l’Asie du Sud :
- Dynamiser et promouvoir le journalisme communautaire local;
- Développer et propager des modèles de revenus durables à but non lucratif pour les organisations de médias;
- Mieux réglementer les sociétés de médias sociaux afin de garantir un partage équitable des revenus et une plus grande obligation de rendre des comptes à l’égard des campagnes de désinformation;
- Former les journalistes contre les menaces liées à la surveillance numérique;
- Plaider en faveur de lois pour la protection physique efficace des journalistes;
- Faire tomber les barrières régionales et les divisions politiques et culturelles en Asie du Sud, et promouvoir un échange d’information sur ce qui se passe dans les différents pays de la région;
- Renforcer les valeurs démocratiques fondamentales auprès des jeunes et des jeunes adultes;
- Promouvoir la culture de l’information, en mettant l’accent sur la distinction entre les faits et les fausses nouvelles.
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