Droit international applicable dans le cyberespace
Table des matières
- Introduction
- Application générale du droit international
- Souveraineté
- Non-intervention
- Diligence raisonnable
- Responsabilité de l’État
- Faits internationalement illicites
- Attribution
- Contre-mesures
- Droit international en matière de droits de la personne (DIDP)
- Règlement pacifique des différends
- Menace ou emploi de la force
- Légitime défense face à une agression armée
- Droit international humanitaire (DIH)
- Conclusion
Introduction
- L’augmentation récente des activités malveillantes en ligne et l’évolution rapide des capacités cybernétiques ont conduit les États à s’interroger sur la manière dont le droit international s’applique aux activités des États dans le cyberespace.
- Le Canada appuie l’ordre international fondé sur des règles (OIFR), ancré dans le respect du droit international. Le Canada considère que l’OIFR devrait encadrer le comportement des États dans le cyberespaceNote de bas de page 1. C’est pourquoi le Canada a participé activement aux efforts multilatéraux visant à créer un cadre destiné à guider le comportement responsable des États dans le cyberespaceNote de bas de page 2.
- Le Canada est déterminé à renforcer l’application du droit international dans le cyberespace et à s’appuyer sur l’acquis international en matière de comportement responsable des États réitéré l’année passée par le Groupe d’experts gouvernementaux (GEG) et le Groupe de travail à composition non limitée (GTCNL) des Nations UniesNote de bas de page 3. Le Canada estime que le droit international établit les paramètres essentiels du comportement des États dans le cyberespaceNote de bas de page 4 et qu’il continuera de contribuer à assurer la stabilité et la sécurité dans le monde.
- Le Canada appuie les appels lancés aux États pour qu’ils élaborent et publient leurs points de vue nationaux sur la manière dont le droit international s’applique dans le cyberespace. Les États ont commencé à répondre à ces appels et à formuler des déclarations sur leurs points de vue nationaux. Le Canada est maintenant en mesure de le faire lui-même, et ce, à l’issue de plusieurs années de consultations intensives, de réflexion sur les points de vue exprimés par divers États, et de participation à des processus officiels et informels avec d’autres États et interlocuteurs clésNote de bas de page 5.
- Le Canada estime que la formulation de positions nationales sur la manière dont le droit international s’applique à l’activité de l’État dans le cyberespace permettra d’intensifier le dialogue international et de développer une compréhension commune et un consensus sur ce qui constitue un comportement acceptable et licite de l’ÉtatNote de bas de page 6. Des déclarations de cette nature peuvent contribuer à réduire les risques de malentendus et d’escalade entre les États occasionnés par les cyberactivités.
- Le Canada continue de préconiser avec force le renforcement des capacités en matière d’application du droit international dans le cyberespace. Nous sommes résolus à faire en sorte que le plus grand nombre possible d’États participent effectivement à l’examen de ces importantes questions, qui touchent de plus en plus l’ensemble des États.
- La présente déclaration présente le point de vue actuel du Canada concernant les principaux aspects du droit international applicables dans le cyberespace, et explique la manière dont ils s’appliquent. Dans la mesure du possible, nous avons inclus des exemples pour mieux illustrer notre position sur les aspects abordés. Les défis liés au cyberespace sont accentués par les avancées technologiques rapides et la multiplication incessante des activités d’acteurs malveillants. Conscient de l’évolution constante des technologies, le Canada continuera de préciser et de communiquer ses points de vue, y compris dans le cadre de dialogues avec d’autres États et interlocuteurs.
Application générale du droit international
- Le Canada affirme que le droit international s’applique aux activités de chaque État dans le cyberespace. Cela comprend la Charte des Nations UniesNote de bas de page 7 dans son intégralité et le droit international coutumier Le Canada reconnaît les obligations qui incombent à chacun des États du fait du principe de souveraineté, à savoir : s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force; régler les différends par des moyens pacifiques; et s’abstenir de toute intervention dans les affaires intérieures d’un autre État. Le Canada reconnaît en outre les obligations découlant, entre autres, du droit international en matière de droits de la personne (DIDP), du droit international humanitaire (DIH) et du droit de la responsabilité des États.
- Le Canada soutient des normes non contraignantes convenues sur une base facultative en matière de comportement responsable des États dans le cyberespaceNote de bas de page 8, en complément du droit international, et continue d’en promouvoir la mise en œuvre par tous les ÉtatsNote de bas de page 9. Ces normes facultatives ne viennent ni remplacer ni modifier les obligations contraignantes ou les droits des États au titre du droit international : elles apportent des orientations plus précises sur ce qui constitue un comportement responsable des ÉtatsNote de bas de page 10.
Souveraineté
- La souveraineté est un élément fondamental du droit international et des relations internationales. Il va de soi que le principe de souveraineté s’applique dans le cyberespace, au même titre qu’ailleurs. Ce principe sous-tend plusieurs obligations qui incombent à tous les États.
- Dans les relations entre États, la souveraineté signifie l’indépendance. Elle confère à chaque État le droit exclusif d’exercer les fonctions de l’État sur son territoireNote de bas de page 11.
- Ce concept trouve aussi son expression dans la jurisprudence canadienne, le plus haut tribunal du Canada ayant conclu que la « souveraineté » s’entend des « différents pouvoirs, droits et obligations que confère la qualité d’État en droit internationalNote de bas de page 12 » et qu’elle est « l’un des principes fondateurs des relations entre les États indépendantsNote de bas de page 13 ».
- La souveraineté territoriale est une règle du droit internationalNote de bas de page 14. Chaque État doit respecter la souveraineté territoriale de chacun des autres États. Les États jouissent d’une souveraineté sur leur territoire, y compris sur les infrastructures qui s’y trouvent et les activités connexes. Une atteinte à l’intégrité territoriale de l’État touché, une ingérence dans les fonctions intrinsèquement gouvernementales de l’État touché, ou encore une usurpation de ces fonctions, constituerait une violation de la souveraineté territorialeNote de bas de page 15.
- Pour évaluer une éventuelle atteinte à la souveraineté territoriale d’un État, plusieurs facteurs clés doivent être pris en compte. La portée, l’ampleur, les répercussions ou la gravité de la perturbation causée, y compris la perturbation des activités économiques et sociétales, des services essentiels, des fonctions intrinsèquement gouvernementales, de l’ordre public ou de la sécurité publique, doivent être évaluées pour déterminer si une violation de la souveraineté territoriale de l’État touché a eu lieu.
- En général, les répercussions ou la gravité des cybereffets seront évaluées de la même façon et selon les mêmes critères que pour les activités tangibles. Les cyberactivités dont les effets dépassent le seuil du négligeable ou de minimis, qui entraînent des effets dommageables importants sur le territoire d’un autre État sans le consentement de ce dernier, pourraient constituer une violation de la règle de souveraineté territoriale à l’égard de l’État touché. Il importe également de noter que les cyberactivités ayant des effets dans un autre État ne constituent pas une présence physique sur le territoire de cet État. Par conséquent, la souveraineté territoriale n’est pas violée du seul fait que des activités à distance ont été menées à partir de ou via la cyberinfrastructure située sur le territoire d’un autre État. De plus, les cyberactivités menées à distance à partir du Canada qui ont des effets négligeables dans un État étranger ne donnent pas lieu à un exercice extraterritorial de la compétence d’exécution par le Canada.
- Les cyberactivités qui entraînent une perte de fonctionnalité en lien avec une cyberinfrastructure située sur le territoire de l’État touché peuvent également constituer une violation de la souveraineté territoriale si la perte de fonctionnalité qui en résulte entraîne des effets dommageables importants similaires à ceux causés par des dommages physiques à des personnes ou à des biens. À titre d’exemple, il y aura violation de la souveraineté territoriale lorsque la cyberactivité crée un effet dommageable important qui nécessite la réparation ou le remplacement de composantes physiques de la cyberinfrastructure dans l’État touché. La perte de fonctionnalité des équipements physiques qui dépendent de l’infrastructure touchée pour fonctionner pourrait également faire partie de la violation. L’évaluation des effets porte à la fois sur les conséquences intentionnelles et les conséquences non intentionnelles qui atteignent le seuil requis pour constituer une violation.
- La règle de souveraineté territoriale n’exige pas le consentement pour chaque cyberactivité qui entraîne des effets, y compris une certaine perte de fonctionnalité, dans un autre État. Les activités ayant des effets négligeables/de minimis ne constitueraient pas une violation de la souveraineté territoriale, qu’elles soient menées dans un contexte cybernétique ou non. La règle de souveraineté territoriale n’empêche pas non plus les États de prendre des mesures ayant des effets négligeables/de minimis pour se défendre contre l’activité nuisible de cyberacteurs malveillants ou pour protéger leurs intérêts en matière de sécurité nationale. À titre d’exemple, le Canada considère qu’une cyberactivité qui nécessite le redémarrage ou la réinstallation d’un système d’exploitation ne constitue probablement pas une violation de la souveraineté territoriale.
- L’autre critère essentiel pour évaluer une violation de la souveraineté territoriale est de savoir si une cyberactivité constitue une ingérence dans les fonctions intrinsèquement gouvernementales d’un autre État ou une usurpation de ces dernières. Les cyberactivités qui ont des effets dommageables importants sur l’exercice de fonctions intrinsèquement gouvernementales constitueraient un fait internationalement illicite. Pour le Canada, cela comprendrait les activités gouvernementales dans des domaines tels que les services de santé, l’application de la loi, l’administration des élections, la perception des impôts, la défense nationale et la conduite des relations internationales, ainsi que les services dont ces activités dépendent. Il peut y avoir une violation de la souveraineté territoriale en raison des effets produits sur les fonctions gouvernementales, qu’il y ait ou non des dommages physiques, un préjudice ou une dégradation fonctionnelle. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une cyberactivité qui interrompt la prestation de soins de santé en bloquant l’accès aux dossiers médicaux des patients ou aux services d’urgence, entraînant ainsi un risque pour la santé ou la vie des patients.
- Il importe de souligner que certaines cyberactivités, comme le cyberespionnage, ne constituent pas une atteinte à la souveraineté territoriale, et ne donnent donc pas lieu à une violation du droit internationalNote de bas de page 16. Elles peuvent toutefois être interdites par la législation nationale d’un ÉtatNote de bas de page 17.
- Il est possible qu’une série de cyberactivités entraîne des effets dommageables importants qui constituent une violation de la règle de souveraineté territoriale, et ce, même si la cyberactivité prise isolément n’atteint pas ce seuil.
- Le Canada évaluera au cas par cas si une violation de la souveraineté territoriale s’est produite. Comme il est indiqué ci-après, le Canada estime que la portée du droit coutumier dans ce domaine sera précisée au fil du temps tant par la pratique des États que par l’opinio juris. En tout état de cause, le Canada considère que les différentes approches en voie d’élaboration ne devraient pas empêcher les États de convenir que certaines cyberactivités malveillantes constituent des faits internationalement illicites.
Non-intervention
- Les cyberactivités menées par un État peuvent enfreindre le principe fondamental du droit international interdisant toute intervention dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre État. Cela se produit lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
- les activités sont menées dans le but de s’ingérer dans les affaires intérieures ou extérieures de l’État touché relevant de ses fonctions intrinsèquement souveraines, c.-à-d. de son domaine réservéNote de bas de page 18;
- les activités ont des effets coercitifs qui privent l’État touché d’un résultat ou visent à obtenir ou à imposer un résultat à l’État touché sur des questions dont il devrait pouvoir décider librementNote de bas de page 19.
- Dans sa forme la plus grave, la contrainte peut se traduire par un recours à la menace ou à l’emploi de la force, mais il peut aussi s’agir d’une cyberactivité qui vise à priver l’État touché de sa liberté de choix. La contrainte ne doit pas être confondue avec d’autres pratiques telles que la diplomatie publique, la critique, la persuasion et la propagande.
- À titre d’exemple, une intervention interdite pourrait prendre la forme d’une cyberactivité malveillante de piratage qui paralyse les systèmes de la commission électorale d’un État quelques jours avant un scrutin, empêchant un grand nombre de citoyens d’aller voter, et influençant ainsi le résultat des élections. Un autre exemple serait celui d’une cyberactivité malveillante qui perturberait le fonctionnement d’un important gazoduc, obligeant ainsi l’État touché à modifier sa position dans des négociations bilatérales sur un accord énergétique international.
- La question de savoir si une cyberactivité donnée répond aux critères requis pour constituer une violation de la règle relative à la souveraineté territoriale, ou si elle donne plutôt lieu à une violation de la règle de non‑intervention, sera examinée au cas par cas. Le Canada estime que, tout comme les critères applicables aux violations de la souveraineté territoriale, les critères relatifs à la règle de non‑intervention et la portée du droit coutumier dans ce domaine seront précisés au fil du temps par la pratique des États et par l’opinio juris.
Diligence raisonnable
- Aucun État ne devrait permettre sciemment que son territoire soit utilisé aux fins d’actes contraires aux droits d’autres ÉtatsNote de bas de page 20. Cette obligation s’applique aussi dans le cyberespace. On s’attend à ce qu’un État qui a connaissance d’une cyberactivité malveillante prenne toutes les mesures adéquates, possibles et raisonnables dans une situation donnée pour arrêter des cyberactivités en cours ou imminentes qui entraînent ou entraîneraient des effets dommageables importants ayant une incidence sur les droits d’un autre État.
- Le seuil précis déclenchant cette attente dépendra de l’ensemble des circonstances dans une situation donnée. Il s’agira notamment de savoir si l’État a connaissance des faits illicites, de quelles capacités techniques et autres il dispose pour détecter ces faits et les arrêter, et de ce qui est raisonnable dans ce cas. Par exemple, on ne s’attendrait vraisemblablement pas à ce qu’un État disposant de capacités techniques limitées réagisse s’il n’a pas détecté une cyberactivité malveillante menée à partir d’une infrastructure informatique située sur son territoire ou via celle-ci. Toutefois, dès que l’État en aura connaissance, il devra agir.
Responsabilité de l’État
- Le droit international de la responsabilité des États s’applique à l’ensemble des domaines de fond du droit international, y compris au cyberespace. Il régit des questions telles que l’attribution de faits internationalement illicites à des États. Il traite également des circonstances excluant l’illicéité, y compris les contre-mesures, et des recours possibles. Le droit de la responsabilité des États n’aborde pas la question de la légalité de l’emploi de la force, y compris en cas de légitime défense, qui est un domaine distinct du droit international.
- Le Canada est d’avis que cet ensemble de règles bien établies en droit international est non seulement applicable, mais aussi très pertinent au regard des cyberactivités contemporaines. Jusqu’à maintenant, les États ont largement considéré qu’aucune des cyberactivités malveillantes connues publiquement n’a atteint le seuil (ou les seuils) requis pour constituer un recours à la menace ou à l’emploi de la force, ou une attaque armée.
Faits internationalement illicites
- Dans le contexte du cyberespace, un fait internationalement illicite désigne une action ou une omission liées à une activité de nature cybernétique qui :
- d’une part, enfreint une obligation juridique internationale, que ce soit envers un autre État ou la communauté internationale dans son ensemble;
- d’autre part, est attribuable à un État en vertu du droit international.
- Le droit international reconnaît des exceptions à ce qui constituerait par ailleurs un fait internationalement illicite, par exemple les cas de légitime défense et la prise de contre-mesures.
Attribution
- Le Canada applique le droit international coutumier sur la responsabilité des États pour attribuer des actes illicites commis dans le cyberespace. L’attribution, qui constitue un élément important du droit sur la responsabilité des États, implique la désignation de l’État légalement responsable d’un fait internationalement illicite. Un État peut être responsable directement ou indirectement lorsqu’un acteur non étatique a agi sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet ÉtatNote de bas de page 21. Ainsi, un État ne peut échapper à sa responsabilité en droit à l’égard d’un fait internationalement illicite commis dans le cyberespace en le perpétrant par l’intermédiaire d’acteurs non étatiques agissant sur ses instructions ou ses directives ou sous son contrôleNote de bas de page 22.
- L’attribution au sens juridique est bien entendu distincte de l’identification technique (attribution technique) du responsable d’une activité malveillante dans le cyberespace, qu’il s’agisse d’un État ou d’un acteur non étatique, ainsi que de la dénonciation publique du responsable (attribution politique). De plus, le Canada est d’avis que l’attribution dans la sphère publique de faits internationalement illicites comporte d’autres considérations d’ordre politique allant au-delà de l’attribution technique. À cette fin, les États ne sont pas tenus de communiquer publiquement les éléments sur lesquels ils se fondent pour attribuer un acte donné.
Contre-mesures
- Le Canada considère que les États ont le droit de recourir à des contre-mesures en réponse à des faits internationalement illicites, y compris dans le cyberespace. Le droit international coutumier sur la responsabilité des États fixe des limites à l’exercice du droit de prendre des contre-mesures, puisqu’il s’agit d’actions qui seraient par ailleurs illicitesNote de bas de page 23. Les contre-mesures ne peuvent pas être prises à titre de représailles, mais seulement pour obtenir l’exécution des obligations, et elles doivent être dirigées contre l’État responsable du fait internationalement illicite. Les contre-mesures ne peuvent pas constituer un recours à la menace ou à l’emploi de la force, et elles doivent être proportionnelles et conformes aux autres normes impératives du droit international.
- Les contre-mesures licites prises en réponse à des faits internationalement illicites commis dans le cyberespace ne doivent pas nécessairement être de nature cybernétique, et peuvent comprendre des cyberopérations menées en réponse à des faits internationalement illicites qui n’ont pas été commis dans le cyberespace.
- L’État qui impose des contre-mesures n’est pas tenu de fournir des renseignements détaillés répondant à des normes de preuve équivalentes à celles applicables à une procédure judiciaire pour justifier les contre-mesures qu’il prend dans le cyberespace ; toutefois, cet État devrait avoir des motifs raisonnables de croire que l’État auquel on reproche d’avoir commis le fait internationalement illicite est responsable de celui-ci. La portée précise de certains aspects procéduraux des contre-mesures, comme la notification, devra être définie de manière plus approfondie par la pratique des États, compte tenu de la nature unique du cyberespaceNote de bas de page 24.
- Une assistance peut être fournie à la demande d’un État lésé, par exemple lorsque ce dernier ne dispose pas de toute l’expertise technique ou juridique requise pour réagir à un fait internationalement illicite commis dans le cyberespace. Toutefois, les décisions concernant les réactions possibles relèvent exclusivement de l’État lésé. Le Canada s’est penché sur le concept de « contre-mesures collectives dans le cyberespace », mais estime que la pratique des États et l’opinio juris ne permettent pas, à l’heure actuelle, de conclure que de telles mesures sont permises en vertu du droit international. Le Canada établit une distinction entre les « contre-mesures collectives dans le cyberespace » et les mesures prises pour assurer la « légitime défense collective », y compris celles prises dans le cyberespace.
Droit international en matière de droits de la personne (DIDP)
- Il est incontestable que le droit international en matière de droits de la personne s’applique aux activités dans le cyberespace. Depuis de nombreuses années, le Canada soutient invariablement le principe selon lequel tous les individus jouissent des mêmes droits de la personne, et les États sont liés par les mêmes obligations en matière de droits de la personne, et ce, en ligne et hors ligneNote de bas de page 25. Les activités des États dans le cyberespace doivent être conformes à leurs obligations internationales en matière de droits de la personne, telles qu’elles sont exprimées dans les traités internationaux relatifs aux droits de la personne auxquels ils sont parties et dans le droit international coutumier.
- Le Canada note que, en vertu de l’article 2(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiquesNote de bas de page 26, chaque État partie est tenu de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans cet instrument, sans distinction aucune.
- Les droits de la personne internationalement reconnus qui suscitent des préoccupations particulières en ce qui concerne le cyberespace comprennent le droit à la liberté d’expression sans crainte d’être inquiété pour ses opinions, la liberté d’association et de réunion pacifique, le droit d’être libre de discrimination et le droit de ne pas faire l’objet d’interférence arbitraire ou illégale dans sa vie privée ou sa correspondance.
Règlement pacifique des différends
- L’obligation de chercher à régler les différends par des moyens pacifiques qui incombe à chacun des États en vertu de la Charte des Nations Unies constitue une règle centrale, et parfois oubliée, du droit internationalNote de bas de page 27. Cette obligation est étroitement liée à l’interdiction de recourir à la menace ou à l’emploi de la forceNote de bas de page 28. À l’instar de cette dernière, elle s’applique dans le cyberespace comme partout ailleurs. Ainsi, le Canada estime que, comme le prévoit la Charte des Nations Unies, les États peuvent rechercher la solution de leurs différends par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix.
- L’obligation de chercher à régler les différends par des moyens pacifiques n’est cependant pas illimitée, et elle ne restreint pas les autres droits ou obligations juridiques internationaux, comme le droit naturel de légitime défense.
- Le Canada considère qu’un État peut toujours répondre à un acte inamical ou à un fait internationalement illicite par des actes inamicaux à condition que ceux-ci ne soient pas contraires au droit international.
Menace ou emploi de la force
- L’article 2(4) de la Charte des Nations Unies requiert que les États s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. Cette obligation s’applique aussi dans le cyberespace. En règle générale, une cyberactivité est illicite si elle constitue un recours à la menace ou à l’emploi de la force.
- Le Canada estime qu’une cyberactivité peut constituer un recours à la menace ou à l’emploi de la force lorsque son ampleur et ses effets sont comparables à ceux d’autres opérations qui constituent un emploi de la force en droit international. Le Canada évaluera au cas par cas les cyberactivités qui pourraient constituer un recours à la menace ou à l’emploi de la force.
Légitime défense face à une agression armée
- Le Canada considère que le droit naturel de légitime défense d’un État face à une agression armée s’applique également dans le cyberespaceNote de bas de page 29.
- Le Canada réagira aux cyberactivités qui constituent une agression armée d’une manière conforme au droit international, y compris en recourant à des cyberopérations s’il y a lieu. Le droit de légitime défense des États est à la fois individuel et collectif.
Droit international humanitaire (DIH)
- Le DIH s’applique aux cyberactivités menées dans le contexte des conflits armés internationaux et des conflits armés non internationaux, il régit la conduite des hostilités, et protège les victimes des conflits armésNote de bas de page 30. Dans un conflit armé, le droit des parties de choisir les moyens et méthodes de guerre n’est pas illimité.
- Les cyberactivités constituent une attaque au sens du DIH, qu’elles soient menées à titre offensif ou défensif, lorsque leurs effets sont raisonnablement susceptibles de causer la mort ou des blessures à des personnes ou la dégradation ou la destruction d’objetsNote de bas de page 31. Cela pourrait comprendre des effets nocifs dommageables supérieurs à un seuil de minimis lorsqu’il s’agit de la cyberinfrastructure ou des systèmes qui en dépendent. Les cyberactivités de ce type doivent respecter les règles du DIH conventionnel et coutumier applicables aux attaques, y compris celles relatives au principe de distinction, à la proportionnalité et à l’obligation de prendre des précautions lors d’une attaque.
- Les États parties au Protocole additionnel I aux Conventions de Genève sont tenus d’examiner les nouvelles armes et les nouveaux moyens ou méthodes de guerre pour s’assurer de leur conformité au DIHNote de bas de page 32. Cette obligation s’applique dans le contexte des capacités et activités cybernétiques, même si toutes les capacités et activités de ce type ne constituent pas une arme ou un moyen ou une méthode de guerre.
- Le Canada tient à souligner que la reconnaissance du fait que le DIH s’applique aux cyberactivités lors des conflits armés ne contribue pas à la militarisation du cyberespace et ne vient pas légitimer les cyberactivités illicitesNote de bas de page 33.
Conclusion
- En publiant la présente déclaration, le Canada se joint aux nombreux États qui ont fait connaître publiquement leurs points de vue concernant la manière dont le droit international s’applique dans le cyberespace. Nous espérons que les États qui ne l’ont pas encore fait envisageront de publier eux aussi leurs propres déclarations et contribueront ainsi à l’émergence d’une compréhension commune.
- À cette fin, le Canada continuera de soutenir activement le renforcement des capacités en matière de droit international et de cyberespace. Le processus de consultations qui a abouti à la présente déclaration nous a permis de beaucoup mieux comprendre la manière dont le droit international s’applique dans le cyberespace.
- Le Canada estime qu’il est essentiel pour tous les États de dépasser les discussions sur les concepts généraux, et de développer une interprétation commune de vues sur ce qui constitue un comportement illicite dans le cyberespace. Le Canada continuera de développer et de communiquer ses positions, y compris au moyen d’un dialogue avec d’autres États et interlocuteurs, dans le cadre des efforts constants qu’il déploie pour contribuer à la sécurité et à la stabilité dans le cyberespace.
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