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Au Mali : donner une nouvelle vie aux manuels scolaires

Kadiatou, une réparatrice du centre d’animation pédagogique de Sebekoro, concentrée sur son travail de réparation lors de sa formation.

L’accès aux manuels scolaires en nombre impose de remplacer chaque année 33 % des manuels. C’est onéreux et hors des capacités financières de la majorité des pays africains.

Contexte du projet

L'idée d'implanter un mécanisme de réparation de manuels scolaires au Mali vient d'un constat fait à Djibouti par le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick (CCNB), une institution canadienne d'enseignement professionnel et technique. Une étude menée en 2000 par le CCNB, pour le compte de la Banque mondiale, mettait en lumière le fait que les manuels scolaires étaient complètement absents des tables-bancs, alors que dans le coin de la classe étaient empilés pêle-mêle des manuels inutilisables. À cette époque, au Nouveau- Brunswick, les manuels scolaires étaient réparés dans un atelier de réparateurs et réparatrices qui provenaient de groupes le plus souvent défavorisés par l'emploi, notamment des handicapés moteurs. Une idée venait de germer: le développement de capacités en réparation de manuels scolaires.

À cette époque, la coopération canadienne avait amorcé une contribution au secteur du manuel scolaire au Mali. Axée sur le renforcement des capacités des auteurs de manuels scolaires et l'appui à l'approvisionnement des écoles fondamentales, elle avait pour but de permettre à l'élève malien d'avoir accès à cet outil essentiel à son développement.

Le manuel scolaire est très manipulé et se détériore parfois très rapidement. De nombreuses études indiquent qu'en Afrique la durée de vie moyenne d'un manuel est de trois ans, et même moins pour ceux des petites classes. Cette détérioration diminue l'impact des investissements récurrents associés à l'acquisition des manuels scolaires : il devenait donc urgent pour les gouvernements malien et canadien de développer des stratégies d'amélioration de leur durée de vie.

Ces constats ont suscité des conditions propices à l'implantation d'un projet de développement de capacités en réparation de manuels scolaires. Celui-ci a d'abord pris la forme d'un projet pilote dans la région de Kayes, mené avec l'accompagnement technique du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick. À la lumière du projet pilote (2005 to 2008), le service de réparation de manuels scolaires a été généralisé à l'ensemble du territoire national (2010 to 2018), au plus grand bénéfice des élèves et des enseignants maliens.

Implication canadienne

Logo de la réparation de manuels scolaires

La base du projet de Développement de capacités en réparation de manuels scolaires (DCRMS) repose avant tout sur un partenariat entre le Canada, qui fournit les ressources financières pour sa mise en œuvre, le Mali, grâce aux ressources humaines essentielles à la gestion du service de réparation, et le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, agence d’accompagnement qui apporte son expertise et son savoir-faire.

La coopération canadienne a d’abord financé le projet pilote de réparation de manuels scolaires, mis en œuvre dans la région de Kayes de 2005 à 2008, pour une valeur de 1 million $ CA. Le financement a pris la forme d’une contribution directe au Gouvernement du Mali, qui a sollicité le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick comme partenaire technique. Riche des résultats probants, et à la demande du Mali, le Canada accordait en 2010 un nouveau financement de 8,5 millions $ CA, en vue de la généralisation de la réparation de manuels scolaires à l’échelle nationale jusqu’en 2018.

Le Gouvernement du Mali, à travers le ministère de l'Éducation nationale (MEN), a largement contribué à la mise en œuvre du projet. Toutefois, le financement du développement de capacités de réparateurs et réparatrices de manuels scolaires n'assure pas en soit la réussite de l'opération et sa pérennité. L'offre de service de réparation de manuels ne peut fonctionner qu'à la condition que les écoles disposent de crédits. Le MEN a bien compris la nécessité de financer les opérations de réparation : c'est pourquoi dès 2011 il annonçait qu'en réponse au risque associé au financement, il réservait un budget de 100 millions de FCFA pour la réparation de manuels scolaires dans les régions de Kayes et Koulikoro. Ce budget était appelé à couvrir les besoins pour 2011. Par la suite, l'instauration d'une ligne budgétaire permanente destinée à la réparation de manuels a permis au MEN d'accompagner l'implantation du service dans chacune des régions du Mali. Par l'inscription de cette ligne dans la Loi des finances, le Mali exprimait non seulement son adhésion au programme mais aussi son engagement à le soutenir afin de contribuer à l'amélioration de l'accès aux manuels scolaires. Pour l'année 2018, le budget du MEN dédié à la réparation de manuels scolaires se chiffre à 409 millions de FCFA.

Le MEN, à travers ses structures centrales et déconcentrées, a aussi largement participé à l'implantation du mécanisme. Au début de l'initiative, le développement des capacités en réparation de manuels prenait surtout la forme d'un projet classique. Progressivement, du projet pilote à la généralisation, le projet « canadien » est devenu un programme malien, géré par des Maliens et ancré dans le plan d'actions du MEN. Ainsi, les formateurs canadiens (responsables de la formation des réparateurs dans le cadre du projet pilote) ont formé des formateurs maliens, puisés parmi le bassin de réparateurs de manuels, qui ont pris la relève. Les agents du MEN, particulièrement les agents de la Division du manuel scolaire et du matériel didactique, ont progressivement pris en main la gestion et le suivi des opérations et sont désormais en mesure d'assurer la durabilité du mécanisme au-delà du projet. Des directeurs d'Académie d'enseignement, par exemple N'Golo Konaté, de l'Académie d'enseignement de Kayes au moment du projet pilote, ont pris personnellement la responsabilité de sensibiliser leurs partenaires régionaux à l'importance de la réparation de manuels scolaires, assurant ainsi leur adhésion au service et leur contribution à la mise en marche de la réparation des manuels. N'Golo Konaté n'est pas le seul : les agents des structures déconcentrées du MEN sont dorénavant pleinement impliqués dans le suivi dans leur circonscription.

En tant que partenaire opérationnel, et instigateur du projet, le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick a grandement contribué à la réussite de l'initiative, en donnant aux ressources techniques nécessaires à la mise en œuvre du projet, concepteurs de programmes de formation et d'outils de travail, réparateurs et réparatrices et formateurs maliens spécialistes, des formations en gestion axée sur les résultats, en approche par les compétences, en leadership etc. Le CCNB a surtout contribué à créer une culture du travail rigoureux et inclusif basée sur le suivi des résultats, la planification du désengagement et la prise en main par les partenaires maliens.

Implication des autres partenaires

Le projet de DCRMS a également profité de nombreuses contributions, directes ou indirectes, qui ont permis de compléter les conditions critiques liées à l'implantation d'un mécanisme pérenne.

Du début du projet pilote à 2011, le financement de la réparation de manuels scolaires a constitué un enjeu capital. Compte tenu du fait que l'approvisionnement en manuels était du ressort du niveau central du MEN, les écoles ne disposaient d'aucune source de crédits pour financer la réparation. C'est à cette époque que la Banque mondiale s'est inscrite comme partenaire indirect de la réparation de manuels scolaires. Elle mettait des fonds à la disposition des écoles en vue de financer l'achat de petits matériels associés à leur fonctionnement (fonds ADARS [Appui direct à l'amélioration des rendements scolaires]). Grâce à un dialogue entre partenaires, il a été admis que 10 % des fonds ADARS servent à la réparation de manuels, ce qui a permis la poursuite du processus d'appropriation du mécanisme.

Dans le cadre du partenariat tripartite MEN–Canada–UNICEF (2013 to 2015), une stratégie de communication visant à améliorer la durée de vie des livres a été développée. Elle portait sur le changement de comportement des directeurs d'école, des enseignants, des comités de gestion scolaire, des parents et des élèves vis-à-vis de l'entretien et de la conservation des manuels scolaires. Des messages ont été diffusés par les radios publiques et privées dans les localités de toutes les régions du Mali et dans les 11 langues nationales du pays.

Plusieurs partenaires de l'école se sont impliqués activement dans l'implantation de la réparation de manuels scolaires. Au premier chef, les comités de gestion scolaire ont adhéré au service et ont intégré son financement dans leur plan de travail axé sur la gestion de leur école. Les responsables de la scolarisation des filles ont largement contribué à la sensibilisation des femmes au métier de réparatrice, ce qui a eu une incidence significative sur le recrutement.

Par ailleurs, les collectivités ont largement participé à la viabilité du service. Plusieurs communes ont cru très tôt à sa pertinence et ont accordé un financement à la réparation sur fonds propres dans les écoles de leur circonscription. La commune de Yélimané, par exemple, en plus de financer 50 % des réparations de manuels, est allée jusqu'à solliciter les services d'un réparateur de manuels pour relier les archives communales, encourageant ainsi l'élargissement de son champ d'opération.

Enfin, si les réparateurs et réparatrices ont pu maintenir leurs opérations de réparation pendant la période de crise qui a suivi le coup d'État de 2012 (marquée notamment par la suspension des aides extérieures), c'est grâce à la société civile, qui a fait appel à leurs services pour la réparation de Corans, de dictionnaires ou de tout autre ouvrage imprimé. Ils ont alors compris que la réparation pouvait aller bien au-delà des manuels scolaires.

Résultats obtenus

Par les résultats qu'il a générés, le projet s'est révélé une initiative largement justifiée. Il a notamment permis de mettre en place un réseau de réparateurs et réparatrices de manuels scolaires, d'améliorer l'accès aux manuels scolaires en redonnant une nouvelle vie aux manuels abîmés et de réduire les coûts des manuels pour les familles et l'État. Le mécanisme repose sur le recrutement de réparateurs et réparatrices qui offriront leurs services dans les écoles de chacune des régions du pays. Ces candidats sont recrutés parmi les populations habituellement les moins favorisées par l'emploi, les jeunes et les femmes. Ils sont appelés à œuvrer à titre de travailleurs indépendants, en mettant en place et en gérant leur micro entreprise.

Le recrutement est effectué par un comité formé de représentants des structures déconcentrées de l'éducation sur la base de certains critères préétablis : âge (18 à 35 ans), niveau d'éducation (diplôme d'études fondamentales ou équivalent), connaissance du milieu, etc. Une fois recrutés, les réparateurs et réparatrices sont formés par le projet non seulement aux techniques de réparation de manuels et de livres, mais également à la gestion d'une activité génératrice de revenus. Ils sont accompagnés dans la gestion de leur entreprise, de l'offre de services à la gestion comptable, de façon à ce que leur travail s'inscrive dans le réseau des emplois formels, condition incontournable pour tout fournisseur de biens et de services financés par des fonds publics.

Au cours de la dernière décennie, un nombre important de réparateurs et réparatrices de manuels scolaires a été recruté et formé, ce qui fait autant de nouveaux emplois créés.

De 2006 à 2017, ce sont 343 réparateurs et réparatrices qui ont été formés par le projet et qui peuvent exercer un métier qui leur permet, à eux et à leur famille, de mieux vivre. Fait intéressant : alors qu'au début du projet pilote, les femmes ne représentaient qu'un timide 18 % du groupe, elles sont finalement 43 % à l'échelle nationale. Grâce aux efforts de sensibilisation des associations de femmes, dans le cadre des campagnes de recrutement, elles ont progressivement été plus nombreuses à intégrer le métier.

Certains réparateurs et réparatrices ont su démontrer une capacité exceptionnelle à exercer leur métier, tant dans la maitrise des techniques de réparation que dans l'offre de service. Grâce à une capacité remarquable à transmettre leur savoir-faire, quatre réparateurs sont eux-mêmes devenus formateurs. À partir de 2014, toutes les formations ont été assurées par des formateurs maliens provenant du bassin de réparateurs et réparatrices en exercice.

Kadiatou, une réparatrice du centre d’animation pédagogique de Sebekoro, concentrée sur son travail de réparation lors de sa formation.

L’installation de réparateurs et réparatrices sur l’ensemble du territoire national ne constitue pas en soi une garantie que le métier soit reconnu au-delà du projet. C’est pourquoi des efforts ont été accordés à la concertation entre les collectivités de réparateurs, afin de faciliter la mise en place d’associations (régionales et éventuellement nationale) de réparateurs, mandatées pour défendre la profession auprès des autorités. À cet effet, des passerelles ont également été créées avec les Chambres de métiers, afin que la réparation de manuels soit pleinement reconnue comme une activité formelle, au service notamment des institutions d’enseignement.

L’accès aux manuels scolaires en nombre impose de remplacer chaque année 33 % des manuels. C’est onéreux et hors des capacités financières de la majorité des pays africains.

Photo d’un lot de manuels abimés

La réparation des manuels a débuté lentement. Progressivement, grâce à la sensibilisation des acteurs de l’éducation, grâce également au travail des réparateurs et réparatrices, qui permettait de doubler la durée de vie des manuels, et à la satisfaction des clients, le nombre de manuels confiés pour réparation a augmenté progressivement. À partir de 2011, avec l’implication du gouvernement malien, le nombre de manuels réparés a augmenté de façon considérable et les services de réparation sont offerts aux écoles de tous les niveaux d’enseignement, aux écoles privées et même aux individus pour leurs propres ouvrages imprimés.

Photo d’un lot de manuels réparés

De 2006 à 2017, au terme du projet, environ 1,6 million de manuels et livres de bibliothèque auront été réparés, pour une valeur de près de 800 millions de FCFA (1,8 million $ CA). Le nombre est évidemment plus important dans les dernières années, compte tenu du nombre croissant de réparateurs et réparatrices. On peut dorénavant considérer qu’il sera possible de réparer annuellement environ 1,2 million de manuels scolaires. Ce rythme permettra également aux plus de 300 réparateurs et réparatrices en activité de vivre pleinement de leur métier, voire de développer des mécanismes pour initier d’autres jeunes sans emploi au métier, assurant ainsi une relève dans le corps professionnel.

À moindre coût

Un des grands avantages de l'initiative, c'est qu'elle donne rapidement des résultats visibles et mesurables. Quand on considère que le remplacement d'un manuel abimé coûte environ 4 000 FCFA (9 $ CA) alors que sa réparation coûte 500 francs (1,15 $ CA), le retour sur investissement est énorme, d'autant plus que le manuel réparé dure habituellement plus longtemps que le manuel neuf. En considérant les 1,6 million de manuels réparés de 2006 à 2017, soit environ 6,4 milliards de FCFA (15 millions $ CA), l'économie pour l'État malien a été de 5,6 milliards de FCFA (13 millions $ CA). L'État sera en mesure de continuer d'économiser des milliards de FCFA et d'accroître sa capacité à assurer l'accès à des manuels scolaires en quantités suffisantes pour permettre une éducation de qualité. La réparation de manuels scolaires permet de faire beaucoup plus avec beaucoup moins et a un impact majeur sur les finances publiques.

Au-delà de la création d'emplois et des économies dont peut profiter l'État malien, la réparation de manuels scolaires suscite de multiples retombées, dont certaines étaient inattendues au début du projet. Au départ, certains croyaient que le concept de travailleurs autonomes pour la réparation de manuels scolaires, offrant des services payants aux institutions d'enseignement, était voué à l'échec. L'expérience a démontré le contraire.

L'offre de services de réparation constitue l'un des rares partenariats public, privé opérant sur une base continue dans le système éducatif. Les réparateurs et réparatrices ne sont pas des employés du MEN, mais ils sont au service de l'éducation. Dans ce contexte, le défi est double. Il s'agit d'une part de les amener à préférer le statut de travailleur indépendant à celui d'employé et à composer avec les avantages et les inconvénients qui découlent de ce statut. D'autre part, il faut amener les intervenants du MEN (central et déconcentré) à respecter l'indépendance et l'autonomie des réparateurs et réparatrices, à respecter leur droit à tirer des revenus de leurs activités et à payer les services rendus en conséquence. Ces principes peuvent paraître évidents a priori, mais pourtant.

Au fil des ans, toutes les parties ont appris à devenir confortables avec ces règles partenariales, auxquelles elles n'étaient pas habituées et en sont venues à croire dans les bienfaits de l'innovation.

Les résultats concluants liés à l'instauration d'un mécanisme de réparation, à travers une stratégie innovatrice et audacieuse, font aujourd'hui la fierté de tout le système éducatif malien et des acteurs de la réparation. Ils constituent une contribution phare du Canada en matière de coopération dans le secteur éducatif.

Un nouveau corps de métier

Un groupe de réparateurs et réparatrices de Kayes (2015) pose pour une photo après avoir reçu leur certificat de formation.

Ce n’est pas tous les jours qu’on crée un nouveau métier. Rares sont les secteurs qui peuvent prétendre offrir de nouvelles solutions à des problèmes anciens et récurrents. C’est pourtant le cas pour la réparation de manuels scolaires telle qu’elle a été conçue sur mesure par le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick à l’intention du Mali.

Elle ne vise pas l’émergence d’activités génératrices de revenus périodiques : elle a permis la création d’un véritable corps de métier, reconnu légalement. Il a donc fallu concevoir un certain nombre d’outils pour perpétuer le métier au-delà de l’appui canadien et documenter chaque étape de l’instauration du mécanisme et de la formation des réparateurs et réparatrices, de façon à faciliter une prise en main toute naturelle par les milieux professionnels maliens. Les ingrédients sont en place pour la pérennisation du métier.

L'instauration d'un programme de réparation de manuels scolaires a constitué également un important défi pour les structures centrales et déconcentrées du MEN, défi bien relevé grâce à la collaboration de chacun, sous la coordination de la Division du manuel scolaire et du matériel didactique. Le contexte découlant de la crise de 2012 a amené le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick à clairement opter pour un transfert de responsabilités vers le MEN, avec la formation des agents de la Division du manuel scolaire et du matériel didactique. Ceux-ci ont été responsabilisés dans les dossiers de suivi et accompagnés dans la prise en charge progressive de la gestion du programme.

L'initiative est vite devenue un modèle en termes de prise en main par les partenaires maliens. L'impact institutionnel de la réparation de manuels scolaires s'est davantage fait sentir au niveau déconcentré. En effet, dès le projet pilote on a constaté que l'opérationnalisation de la réparation de manuels scolaires exigeait une concertation tout à fait nouvelle entre partenaires. Les Académies d'enseignement, les Centres d'animation pédagogique, les écoles, les comités de gestion scolaire, même les communes se sont concertés pour trouver des solutions au financement de la réparation de manuels. Ce sont désormais les communes qui gèrent les crédits associés à la réparation de manuels, accentuant ainsi la collaboration avec les structures de l'éducation. La gestion des manuels scolaires constitue souvent une première application concrète de la décentralisation de la gestion de l'éducation et plus spécifiquement de la gestion des manuels scolaires en mode décentralisé.

Image d’une couverture de manuel, offerte aux élèves par les réparateurs et réparatrices.

L’implication de chacun a aussi suscité une prise de conscience collective sur la valeur du manuel scolaire, son importance dans une éducation de qualité et sur la nécessité de son entretien. La réponse enthousiaste et généreuse de certaines communes démontre la réussite de cette stratégie de sensibilisation.

Dans certaines régions, lors de sa visite initiale à l’école, le réparateur ou la réparatrice apportait à l’intention des élèves un certain nombre de feuilles de papier destinées à la couverture des manuels. Y figuraient des messages destinés à l’élève sur les ennemis du livre et illustrant les meilleurs moyens de préserver son manuel. Grâce à ces outils, les élèves sont directement associés à la préservation de leurs manuels par des mesures concrètes et amusantes.

Un impact majeur

Grâce au projet de DCRMS, plus de 320 personnes sans emploi sont devenues des entrepreneurs indépendants. Ce changement radical dans leur vie a constitué un défi exigeant, défi qu'ils peuvent être fiers d'avoir relevé avec brio. Ils ont aujourd'hui un emploi valorisant et rémunéré qui leur permet de vivre décemment, avec leur famille, dans leurs communautés.

Un calcul rapide basé uniquement sur la ligne budgétaire accordée par le Ministère de l'éducation nationale pour 2018 (409 millions de FCFA) permet de calculer que le revenu moyen des réparateurs et réparatrices se rapproche de celui des enseignants, même s'ils doivent composer avec le coût des fournitures. On peut encore penser que leurs revenus potentiels peuvent également provenir d'autres sources de financement. Il est devenu évident que le caractère entrepreneurial privilégié dans le projet a largement contribué à la pérennisation de la réparation. Pendant les périodes où aucun budget du système éducatif n'était disponible pour le financement, ce sont les réparateurs et réparatrices qui ont travaillé afin de débloquer ce financement, dont ont pu profiter pleinement les écoles. Leur démarchage ne s'est pas limité aux collectivités territoriales et certains réparateurs ont fait preuve d'une capacité d'initiative exceptionnelle pour développer leur marché de service. Par exemple, des réparateurs ont sollicité, avec succès, des entreprises privées locales pour qu'elles contribuent à la réparation de manuels dans les écoles de leur communauté. Un réparateur de Bafoulabé est même allé jusqu'à offrir ses services de réparation en Guinée : il en est revenu surpris par l'ampleur des besoins et emballé par l'accueil qu'on lui a réservé.

Photo d’une réparatrice et un réparateur de Sanankoroba à l’œuvre, Aminata Bagayoko (gauche) et Cheick Oumar Traoré (droite), qui agit également à titre de formateur.

Rapidement, des fournisseurs locaux se sont intéressés à leur activité, ont été à l’écoute de leurs besoins et ont entrepris des démarches pour leur offrir sur place ces produits essentiels à la pratique de leur métier. Aujourd’hui, ces produits sont disponibles sur tout le territoire malien, ce qui suscite un développement économique régional périphérique à la réparation de manuels.

Les réparateurs et réparatrices ont par ailleurs développé des stratégies en vue d'élargir leur clientèle et la gamme de services offerts. Des documents administratifs ont été reliés, des archives ont été réparées. Il y a aussi des offres de services aux autres institutions éducatives, écoles secondaires, écoles privées, medersas, instituts d'enseignement technique, bibliothèques, etc.). Au-delà de la réparation de manuels, plusieurs réparateurs ont élargi leur champ d'activités à la fabrication de cahiers de dessins et de blocs-notes, illustrés aux goûts des jeunes élèves, qui sont vendus sur le marché scolaire.

Une initiative à répliquer

Le modèle de développement de capacités en réparation de manuels scolaires du Mali est nouveau et unique. Il n'existe nulle part ailleurs. Mais les résultats enregistrés ont rapidement retenu l'attention de pays voisins, dont le Sénégal. Sur la base d'une concertation entre les partenaires du projet et le Gouvernement du Sénégal, un Accord de contribution était récemment signé entre le CCNB et Affaires mondiales Canada, afin de reproduire au Sénégal l'expérience malienne. Le Projet pour la Préservation des manuels scolaires vit sa phase initiale, amorcée dans le cadre d'un projet pilote dans deux régions du Sénégal : Kaolack et Thiès.

Toutefois, l'apport malien ne se limite pas à l'importation d'une idée. Grâce à cette expérience, le Sénégal a pu profiter de nombreuses leçons et compter sur un nombre imposant d'outils de formation et de suivi qui pourront être adaptés au contexte.

Mais la contribution la plus intéressante du Mali réside dans le fait que pour le projet pilote les réparateurs et réparatrices du Sénégal seront formés par des formateurs maliens. La réparation de manuels scolaires débouchera sur une coopération Sud, Sud qui pourra servir de leçon et de modèle pour d'autres partenariats.

Défis rencontrés

La mise en place du programme de réparation de manuels scolaires a tout de même été confrontée à un certain nombre de problèmes, qui ont nécessité une adaptation constante de la stratégie d'intervention. L'implantation harmonieuse d'un mécanisme de réparation de manuels scolaires doit pouvoir compter sur un certain nombre de préalables à son bon fonctionnement. Or, pour de multiples raisons, certaines de ces conditions critiques n'étaient pas remplies.

Le premier défi a trouvé une solution en cours de projet: l'accès à un financement pour la réparation de manuels scolaires. Si cette garantie a été mise en péril pendant la période qui a suivi les événements de 2012, le financement sur budget national est dorénavant un acquis, qu'il faudra néanmoins protéger pour la pérennisation du programme. Pour l'année 2018, le MEN s'est engagé pour 409 millions de FCFA. La stabilisation de la ligne budgétaire et la confirmation du renouvellement automatique des crédits d'année en année permettront une meilleure prévisibilité.

Les engagements de l'État dans le processus de décentralisation de la gestion de l'éducation constituent également un préalable important. Malgré l'adoption de la Politique du manuel scolaire et du matériel didactique qui suppose la décentralisation des crédits associés à l'approvisionnement en manuels scolaires et à leur gestion, aucune avancée n'a été enregistrée à ce niveau. Il en résulte que les écoles, principales clientes de la réparation de manuels, ne sont pas gestionnaires des crédits qui leur permettraient de le faire et qu'elles ne disposent pas de ce pouvoir décisionnel. Les retards dans la décentralisation de la gestion des manuels ont constitué un défi important pour le projet et d'importants efforts de mobilisation des partenaires de l'école ont dû être déployés afin d'en réduire les effets.

Enfin, un autre défi non moins important découle de l'uniformisation du montant alloué à toutes les communes, sans tenir compte de leur taille. Alors que les crédits auraient dû être attribués en fonction des effectifs d'élèves, ils sont les mêmes partout, créant des iniquités.

Dimension égalité des genres

Photo d’une réparatrice de Tessalit, Andilla Fall, recevant fièrement son certificat de formation.

Au départ, il n’était vraiment pas évident que les femmes se sentiraient appelées par le métier de réparatrices de manuels. Lors de la campagne de recrutement de la toute première équipe dans la région de Kayes (2006), peu avaient soumis leur candidature et seulement deux femmes ont été sélectionnées sur un total de 11. Il semble qu’on ait notamment considéré que, compte tenu du fait que la réparation de manuels était un travail manuel et qu’elle impliquait le maniement d’outils, ce nouveau métier était tout naturellement un métier destiné aux hommes.

La réparation de manuels scolaires est rapidement devenue une activité intrigante : les résultats rapides et évidents étaient surprenants. Les ateliers de travail ont reçu de nombreux visiteurs et visiteuses, dont certaines ont rapidement constaté que la réparation de manuels scolaires était une activité qui pouvait tout aussi bien être exercée par des femmes.

Au fil du projet, grâce à une collaboration étroite des représentantes de la Scolarisation des filles avec les associations féminines locales, des activités de sensibilisation ont été menées auprès des femmes sans emploi pour les intéresser au métier. L’impact a été fulgurant! D’une année à l’autre, d’une campagne régionale à l’autre, le nombre de candidatures de femmes a augmenté considérablement. Lors du recrutement de réparateurs et réparatrices dans la région de Ségou, en 2016, 67 % des réparateurs étaient en fait des réparatrices. Sur l’ensemble du territoire malien, les femmes réparatrices sont 149, contre 194 hommes, soit 43 %; 149 femmes qui sont dorénavant autonomes financièrement et peuvent monter leur propre entreprise.

Leçons apprises

Chaque difficulté rencontrée impose la recherche de solutions. On peut donc penser que dans le cadre d'un projet qui vise à inventer un métier nouveau, à offrir un service qui n'existe nulle part ailleurs, dans un pays vaste comme le Mali, qui a connu des périodes d'instabilité et d'insécurité, les leçons tirées sont multiples.

Le coup d'État de 2012 et les difficultés politiques et économiques qui ont suivi ont imposé une remise en question de certaines modalités de travail. Même si la réflexion était déjà en cours depuis quelque temps, cette période a suscité le passage d'une approche de gestion de projet à une culture d'accompagnement à l'intention du partenaire malien, le ministère de l'Éducation nationale. Compte tenu de l'impossibilité pour les ressources canadiennes de se déplacer au Mali, des mesures ont été mises en place par le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick pour la responsabilisation des ressources maliennes et une plus grande prise en main du projet par la Division du manuel scolaire et du matériel didactique. Progressivement, le projet a été de moins en moins perçu comme étant canadien et de plus en plus comme un programme malien. Ce changement a largement contribué au succès de l'opération.

L'autre grande leçon se trouve dans le caractère privé de la profession de réparateur de manuels scolaires. La période de crise a montré qu'au moment où les activités des institutions publiques tournaient au ralenti, les réparateurs et réparatrices travaillaient d'arrache-pied pour maintenir les leurs, malgré l'absence presque générale de fonds. S'ils avaient été employés de l'État, on peut deviner qu'ils auraient été engloutis par le ralentissement généralisé et n'auraient pas cherché à développer d'autres marchés afin de maintenir un certain niveau d'activités. La réparation de manuels scolaires a pu traverser la crise de 2012 grâce au dynamisme entrepreneurial des réparateurs et réparatrices, grâce à leurs efforts pour le maintien de leur activité professionnelle indépendante.

Au terme du projet de Développement de capacités en réparation de manuels scolaires, la réparation de manuels scolaires devient complètement intégrée, sous forme de programme régulier du système éducatif malien. Par la même occasion, le Gouvernement du Mali se voit imputer la responsabilité d'en assurer la durabilité.

La première condition pour assurer cette durabilité, c'est de maintenir un accès aux manuels dans les écoles : pour réparer des manuels, il faut des manuels à réparer. Or, malgré l'absence de statistiques formelles, les acteurs terrain constatent une diminution progressive du nombre de manuels dans les classes, ce qui peut rendre précaire la viabilité du métier de réparateur ou de réparatrice de manuels scolaires.

La seconde condition, c'est qu'il y ait des fonds disponibles. Dans un premier temps, le ministère de l'Éducation nationale a le devoir de maintenir la ligne budgétaire dédiée en attendant de compléter l'implantation du processus de décentralisation de l'approvisionnement en manuels scolaires et de leur gestion, qui confiera définitivement aux collectivités territoriales le mandat de gérer les crédits associés.

Pour le reste, l'expérience a bien démontré qu'une fois ces conditions réunies, les réparateurs et réparatrices se chargeront du maintien d'une offre de services pérenne et de qualité. La pertinence de la réparation des manuels n'est plus à démontrer. Les gestionnaires des écoles maliennes l'ont bien compris : elle permet d'allonger considérablement la durée de vie des manuels, de leur donner une seconde vie, suscitant ainsi une amélioration de l'accès aux manuels pour les élèves et une amélioration de la qualité de l'éducation.

Grâce à la contribution financière du Canada et à l'accompagnement technique du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, le Mali servira ainsi de modèle à ses voisins africains.

Sources d'information

Nous tenons sincèrement à remercier les personnes suivantes pour leur contribution à la production de la présente histoire :

La série « Histoires d'impact » de la coopération canadienne au Mali a été produite sous la coordination du Projet de services d'appui sur le terrain (PSAT) et grâce à la collaboration de tous les intervenants susmentionnés.

Rue Sotuba/ACI, rond-point de l'ancienne chaussée
Bamako, Mali
Tél. : +223 44 90 44 45
Courriel : info@psat-mali.org
Nota : Le PSAT est soutenu financièrement par le gouvernement du Canada.


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