Fermeture d’écoles : les perturbations liées à la pandémie mettent en évidence les défis et les solutions pour les apprenants du monde entier
Les élèves de l’administration scolaire Bloorview (en anglais) à Toronto sont confrontés à des défis considérables. En tant que patients de l’hôpital de réadaptation pour enfants Holland Bloorview, ils apprennent tout en suivant des thérapies intensives en raison d’une chirurgie, d’une maladie chronique, d’une lésion cérébrale ou de besoins médicaux complexes. Ces jours-ci, ils doivent également composer avec les restrictions liées à la pandémie de COVID-19, assister aux cours par rotation pour assurer la distanciation physique, porter des masques de protection et se désinfecter les mains tout au long de la journée.
Mais leur propre combat et les bouleversements provoqués par la crise sanitaire mondiale ne les empêchent pas de se pencher sur les difficultés des élèves à l’autre bout du monde. Ainsi, ils participent à un programme géré par UNICEF Canada grâce auquel ils découvrent les conditions d’enseignement déplorables au Malawi, où 70 % des écoliers doivent s’asseoir par terre parce qu’il n’y a pas assez de bureaux. Les classes de Bloorview collectent des fonds en ligne pour acheter du matériel pour les écoles de ce pays d’Afrique de l’Est.
Bayan Yammout donne un cours de leadership et de défense des droits à l’école Bloorview, à Toronto. Photo : Administration scolaire Bloorview
Appelée Kids in Need of Desks, ou K.I.N.D., l’initiative aide les élèves à « comprendre ce que signifie être des citoyens du monde pendant une pandémie », explique Bayan Yammout, professeure de leadership et de défense des droits à Bloorview. Dans ses classes, elle aborde des questions telles que la justice sociale par l’entremise d’activités comme le programme K.I.N.D., tout au long de l’année. « Nous aimons faire participer nos élèves à des discussions enrichissantes sur la manière dont nous pouvons rendre ce monde meilleur et plus sûr pour tous les enfants. »
Ce programme met en évidence les différences entre les salles de classe des pays développés et celles des pays en développement. Mais il est offert à un moment où les écoles du monde entier connaissent de graves perturbations, découlant des mesures visant à atténuer la propagation de la COVID-19 qui sont source d’incertitudes et menacent d’entraîner des retards pour les apprenants.
Des craintes concernant une génération perdue
L’UNICEF a prévenu que les fermetures d’écoles et les interruptions généralisées causées par la pandémie pourraient donner lieu à des dommages irréversibles et à une « génération perdue » de jeunes. Elle met en garde contre le fait que cette « crise des droits de l’enfant » pourrait être encore davantage ressentie dans les pays les plus pauvres, en raison de facteurs allant du fossé numérique à l’importance de l’école dans ces pays pour la santé, la nutrition et le soutien psychosocial des enfants.
Un rapport récente, de l’UNICEF, de l’UNESCO et de la Banque mondiale a révélé que les écoliers des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont perdu près de quatre mois de scolarité au cours des six premiers mois de la pandémie, contre six semaines pour ceux des pays à revenu élevé. Au plus fort du confinement, les fermetures d’écoles ont perturbé l’apprentissage de près de 90 % des élèves, soit plus de 1,5 milliard d’écoliers dans le monde. Le rapport a également constaté que les enfants qui ne vont pas à l’école pendant de longues périodes ont moins de chances d’y retourner, surtout les filles. Selon le rapport, le problème est amplifié par l’accès limité à l’enseignement à distance et par l’insuffisance des ressources pour assurer le fonctionnement sûr des salles de classe, ce qui contrecarre toute possibilité de normalité pour les enfants. Plus les écoles sont fermées longtemps, plus les élèves perdent des acquis, ce qui a des répercussions négatives à long terme sur leurs revenus et leur santé.
« Nous devons nous assurer que les enfants puissent retourner à l’école, non seulement pour leur éducation et leur accès à l’apprentissage, mais aussi pour leur sécurité et leur bien-être immédiats », déclare Annie Bodmer-Roy, directrice des politiques et des programmes internationaux d’UNICEF Canada. Elle mentionne que dans les contextes d’urgence, les écoles sont souvent « les premiers services à être interrompus… Et parallèlement, elles sont très souvent parmi les derniers services à reprendre. »
Mme Bodmer-Roy est mère de deux jeunes enfants et elle a ses propres inquiétudes quant à l’effet du virus sur leur éducation au Canada. Par exemple, parce que la distanciation physique est nécessaire, les enseignants sont moins en mesure d’offrir un soutien individuel aux élèves comme sa fille, qui est en deuxième année. Son fils, en maternelle, est perturbé par l’incertitude.
« Être parent dans le contexte de la pandémie, où que ce soit, est un défi », dit-elle, tout en ajoutant que « c’est vraiment une dimension complètement différente lorsque nous considérons des situations comme celles des enfants et des familles qui sont déplacés, aux prises avec des conflits ou confrontés à une catastrophe. » Mme Bodmer-Roy pense que les gens du monde entier ont beaucoup à apprendre les uns des autres pour que les enfants puissent retourner en classe en toute sécurité.
Depuis près d’un an que dure la crise de la COVID-19, des approches de programmation novatrices soutenues par le Canada aident les enfants et les adolescents dont la vie a été chamboulée par des perturbations dans leur scolarité. Des partenaires mondiaux se sont réunis pour mettre en place des initiatives ciblées à tous les niveaux d’enseignement et dans un large éventail de contextes pour faire face aux répercussions de la pandémie sur l’éducation.
Leçons pour les jeunes apprenants
Alors que les écoles sont fermées au Mozambique, Ayah, 8 ans, apprend avec bonheur grâce à Telescola, qui diffuse des leçons télévisées à 1,2 million d’enfants de la 1re à la 3e année dans tout le pays, à un moment crucial de leur développement éducatif.
Ayah, 8 ans, suit les cours du programme Telescola à la télévision avec l’aide de son frère aîné. Photo : Right to Play
« L’école me manque beaucoup, surtout de jouer avec mes amis pendant la récréation, et les cours de portugais que j’aime tant », dit Ayah. Confinée à la maison au début de la pandémie, elle était chargée de s’occuper de plus de tâches ménagères, ce qui l’a empêchée de poursuivre ses études. Aujourd’hui, elle participe au programme Telescola du gouvernement du Mozambique, qui diffuse des leçons télévisées aux enfants dans tout le pays. Grâce au soutien d’Affaires mondiales Canada, le programme canadien Right to Play a formé des enseignants à dispenser des leçons intéressantes aux enfants de la 1re à la 3e année, par l’entremise d’une équipe sur place au Mozambique. L’utilisation d’approches et d’activités d’apprentissage fondées sur le jeu motivent les jeunes élèves à combattre l’ennui et les distractions associées à l’apprentissage à distance. L’équipe a également contribué à rendre les approches pédagogiques sensibles à l’égalité des genres, en veillant à ce que les filles se reconnaissent dans le matériel et les leçons.
« Je suis heureuse de poursuivre les jeux auxquels je jouais avec mon professeur à l’école », dit Ayah. « Grâce au programme Telescola, je pourrai retourner à l’école lorsqu’elle rouvrira et avoir de bons résultats, car je n’ai jamais cessé d’étudier. »
L’enseignement à distance s’inscrit dans le programme pour la transformation et l’éducation tenant compte de l’égalité des genres (Gender Responsive Education and Transformation ou GREAT) de Right to Play, qui est actif au Mozambique, au Ghana et au Rwanda. Le programme est axé sur les compétences scolaires de base et comprend des volets sur les questions de genre, la COVID-19 et la citoyenneté publique. Il veille également à ce que les filles soient représentées de manière positive dans le matériel d’apprentissage.
Daina Mutindi, directrice de Right to Play au Mozambique, trouve avantageux que Telescola passe par la télévision, qui est beaucoup plus répandue dans les foyers que les appareils en ligne. Les enseignants peuvent également communiquer avec les parents par téléphone, et ceux-ci sont encouragés à guider leurs enfants dans des exercices supplémentaires qui sont présentés dans de courtes vidéos sur la plateforme WhatsApp.
« Interrompre l’apprentissage des enfants a des répercussions énormes dans notre pays », explique Mme Mutindi, qui fait remarquer qu’au Mozambique, seulement 46 % des élèves terminent l’école primaire. « Les fermetures liées à la COVID-19 menacent d’abaisser encore ce nombre, surtout chez les filles. Les enfants qui se morfondent à la maison deviennent anxieux, frustrés et accumulent du retard », dit-elle.
Les efforts déployés par Right to Play comprennent notamment des messages publics sur les droits de l’enfant et le droit des filles à l’éducation. Ils sont diffusés par l’entremise de mégaphones, à la télévision lors des feuilletons populaires du soir et par l’entremise d’émissions de radio locales.
Mme Mutindi estime que l’une des forces du programme Telescola est qu’il a renforcé l’engagement des parents et des tuteurs envers l’éducation de leurs enfants, qui « était faible avant la COVID ». Elle souhaite que les parents continuent à aider leurs enfants, en collaboration avec les enseignants. Right to Play a par ailleurs formé des « promoteurs de l’alphabétisation » pour stimuler l’apprentissage au sein des familles et des communautés, et Mme Mutindi espère que cela aura une influence durable après la crise de la COVID-19.
Encourager les adolescentes à réussir
Assurer le maintien de l’apprentissage et de la sécurité des filles pendant les fermetures d’écoles liées à la COVID-19 passionne Tisiyenji Ngoma (en anglais). Elle participe à la Campagne pour l’éducation des femmes (Campaign for Female Education ou CAMFED) (en anglais), un mouvement panafricain qui offre une formation en dynamique de la vie, du mentorat et un soutien financier aux filles des communautés marginalisées. Cela se fait par l’intermédiaire de l’association CAMFED (en anglais), un réseau de jeunes femmes leaders également formées grâce au soutien de CAMFED.
Tisiyenji Ngoma, présidente de l'association CAMFED dans son district de Kasama, en Zambie, tient un gâteau fait dans sa boulangerie. Photo : CAMFED
Mme Ngoma, 26 ans, qui possède une boulangerie et gère deux autres petites entreprises à Kasama, une commune rurale du nord de la Zambie, a reçu de l’aide de CAMFED pour poursuivre ses études à l’université. Aujourd’hui, elle sert de modèle aux filles et a été élue présidente de l’association CAMFED dans son district. Elle croit que le soutien apporté par l’organisation est particulièrement nécessaire pendant la pandémie.
« Les fermetures d’écoles ont entraîné des mariages d’enfants (en anglais) dans la plupart des régions », affirme Mme Ngoma. Les familles qui sont financièrement touchées par les mesures d’atténuation de la COVID-19 se considèrent souvent obligées de marier leurs filles, souligne-t-elle, parce qu’elles ont du mal à les nourrir et à les loger. Les parents de filles peuvent également recevoir une somme d’argent ou une aide en nature de la famille du marié.
Pour aider les jeunes femmes à acquérir une indépendance financière et pour veiller à ce qu’elles ne soient pas « considérées comme un fardeau à la maison », Mme Ngoma a aidé des diplômées de Kasama à créer de petites entreprises afin qu’elles puissent acheter leurs propres lotions et fournitures sanitaires. Ces jeunes femmes fabriquent et vendent des boissons glacées et aussi des masques de protection, de sorte qu’elles peuvent partager de l’information sanitaire sur le virus au sein de la communauté.
Les membres de l’association CAMFED formées à titre de « guides d’apprentissage » (en anglais) proposent un programme de dynamique de la vie intitulé My Better World dans les écoles partenaires. Lorsque la pandémie s’est déclarée, ces séances de soutien par les pairs se sont poursuivies en petits groupes, afin d’assurer la distanciation physique, et comprenaient des enseignements sur la prévention de la COVID-19. Mme Ngoma a également visité des foyers et a été invitée par la radio locale pour parler des mariages d’enfants pendant la pandémie et de leurs conséquences.
Cependant, elle continue de s’inquiéter pour les filles qui ne vont pas à l’école à cause de la COVID-19.
« Nous ne reculerons devant rien pour essayer de les rejoindre, afin d’éviter qu’elles ne se laissent entraîner dans un mariage d’enfants ou qu’elles n’abandonnent l’école et aillent chercher du travail pour échapper à l’insécurité financière et à la faim », dit-elle. « Nous allons tous souffrir si nous perdons le potentiel de millions de personnes. »
Des améliorations par rapport à la « normalité » prépandémique
Bayan Yammout, ambassadrice d'UNICEF Canada, enseigne aux enfants du camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie, en 2019. Photo : UNICEF Canada
Il est essentiel d’établir un lien entre l’éducation à l’échelle mondiale et l’éducation locale, déclare Bayan Yammout, qui, en plus d’enseigner à l’école Bloorview, est ambassadrice d’UNICEF Canada. À l’automne 2019, elle a formé des enseignants au camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie. Elle dit que ses élèves adorent entendre parler de ses expériences là-bas et discuter des problèmes mondiaux.
Jusqu’à présent, ses classes ont récolté 1 400 $ pour les écoles du Malawi grâce à la campagne K.I.N.D. Tous ses élèves ont des besoins particuliers, et ils s’inquiètent des enfants qui doivent s’asseoir par terre – sans parler de ceux qui sont en fauteuil roulant comme beaucoup d’entre eux et qui ne pourraient pas fréquenter des écoles avec de telles limitations.
Le rapport de l’UNICEF, de l’UNESCO et de la Banque mondiale indique que les écoliers handicapés sont particulièrement touchés par la pandémie : leurs routines quotidiennes sont perturbées, les services de soutien sont interrompus et ils ont plus de chances d’être exclus de l’éducation.
Le rapport propose un plan en 6 points pour protéger les jeunes du monde entier, et vise notamment à ce que tous les enfants puissent apprendre en comblant le fossé numérique. Le rapport indique que « ce qui était ‘normal’ avant la pandémie de COVID n’a jamais été suffisant pour les enfants » et il met en garde contre « les répercussions des effets dévastateurs de la COVID-19 qui se feront sentir sur les enfants pendant des années. » Les autorités sont invitées à « réimaginer et à offrir un avenir meilleur aux enfants et aux jeunes qui arrivent à l’âge adulte au cours de cette première urgence véritablement mondiale. »
Annie Bodmer-Roy de l’UNICEF déclare que la crise actuelle met en relief « l’importance de la préparation et de la résilience de ces systèmes ». Son organisation a lancé un programme grâce au soutien d’Affaires mondiales Canada appelé Back to School Better, qui s’attaque aux obstacles à l’éducation des filles réfugiées ou déplacées au Burkina Faso, en République démocratique du Congo et au Mali. « Nous ne travaillons pas pour avoir une sorte de retour à la normale, nous cherchons à réorienter et en fait à réimaginer les systèmes d’éducation, afin qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte », dit-elle.
Caroline, une élève de 15 ans de l’école primaire de Luwambazi, dans le district de Nkhata Bay, dans le nord du Malawi, est assise à un bureau fourni par le programme K.I.N.D. Photo : UNICEF Malawi/2020/Malumbo Simwaka
Au dire de Mme Bodmer-Roy, le Canada se distingue depuis longtemps en ce qui concerne les droits des enfants, et il a beaucoup à offrir au chapitre des solutions à long terme à la crise de l’éducation que la COVID-19 a mise en évidence. « Face à une pandémie mondiale, j’espère vraiment que nous continuerons à faire preuve de ce leadership et à mobiliser les Canadiens afin de pouvoir vraiment réimaginer un monde où les enfants n’auront pas à sacrifier leur accès à l’éducation. »
Elle estime qu’il y a beaucoup à apprendre des pays en développement qui ont connu des situations d’urgence par le passé, et que de nombreuses possibilités de participation à la discussion s’offrent au Canada.
« Nous n’avons pas besoin d’avoir toutes les réponses en main », explique Mme Bodmer-Roy. « Nous devrions chercher à apprendre les uns des autres. Il s’agit d’une pandémie mondiale; nous avons besoin d’une solution mondiale. Nous devons donc nous réunir et offrir ce que nous pouvons. »
Selon elle, il est tout aussi important de se tourner vers l’avenir.
« Il y aura une autre urgence, qu’elle soit limitée à un pays ou à une région en particulier ou qu’elle soit planétaire comme cette pandémie », ajoute Mme Bodmer-Roy. « Et c’est vraiment un moment pour réfléchir à la contribution que nous voulons apporter, en tant que communauté internationale et en tant que pays et en tant que citoyens du Canada. »
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